Asche a écrit :Louisa a écrit:
Mon Esprit ayant la caractéristique de PERCEVOIR ce qui se passe dans son objet (= le Corps), il forme immédiatement/simultanément une idée de cette affection. Il y a donc une 'imagination' ou idée dans mon Esprit qui a l'affection de mon Corps (l'image) par ce mot lu sur un écran comme objet.
Suivant ce que tu dis, il y aurait bel et bien, dans le spinozisme, une forme liaison entre le Corps et l'Esprit, cette liaison étant la capacité de perception, est-ce bien cela ?
l'Esprit perçoit le Corps, en tout cas, mais je crois qu'il faut laisser tomber l'idée d'une perception où l'objet perçu serait la cause extérieure à l'acte de percevoir, sinon on n'arrive pas à comprendre le parallélisme.
Corps et Esprit sont seulement 'liés' au sens où ils 'expriment' une seule et même chose: moi. Ce sont donc deux expressions de la même chose, cette chose n'étant d'ailleurs rien d'autre que ses expressions (donc pas un troisième terme, un 'substrat', sur lequel viendraient se greffer les expressions). Le seul 'lien' qu'il y a entre Corps et Esprit, c'est qu'ils constituent une seule et même union.
Dans ce sens, il n'y a aucune 'extériorité' entre l'Esprit et ce qu'il perçoit: l'objet de l'idée n'est pas une autre 'chose' que l'idée, objet et idée sont deux modes/expressions de la même chose. La perception propre à l'idée consiste donc simplement dans le fait que l'idée 'enveloppe' son objet, objet qui constitue la chose 'idée-objet' de l'intérieur, si tu veux.
Enfin, voici ce que je pense pour l'instant. Je n'y vois pas encore plus clair que cela. D'autres pourront me corriger s'ils ne sont pas d'accord.
Asche a écrit :Bien sûr cela correspond déja mieux à l'idée commune que l'on se fait du rapport corps/esprit, mais j'avais cru comprendre que selon Spinoza le Corps ne pouvait en aucune façon modifier l'Esprit, or tu me suggères l'inverse, si je t'ai bien comprise, à savoir que le mot cercle, qui se trouve sur le plan du Corps, entraine la formation de ton idée de cercle, sur le plan de l'Esprit.
si c'est ce que j'ai suggéré je me suis mal exprimé, car en effet, le Corps ne peut EN AUCUNE façon modifier l'Esprit, le mot cercle n'ENTRAINE pas, chez Spinoza, la formation d'une idée. Tout idée a un 'contenu', si tu veux, et le mot cercle est le contenu de l'idée de ce mot (mon idée non pas du mot cercle mais du cercle en général, en revanche, est une idée composée, c'est-à-dire une idée ayant un tas d'autres idées et mouvements corporels comme objets). Ainsi, la 'chose' formée par l'idée et son objet, se forme simultanément. C'est parce qu'elle surgit simultanément, qu'une de ses expressions (l'idée) ne peut agir sur l'autre (l'objet).
Asche a écrit :Louisa a écrit:
Concrètement: il suffit que mon Corps est affecté par le mot 'cercle', ET qu'il a déjà l'habitude d'y lier pe l'imagination du dessin, ou l'idée du dessin (imagination = idée), pour que entendre le mot déclenche immédiatement une association d'idées dans mon Esprit.
Puis :
Louisa a écrit:
Ce n'est donc pas l'affection de mon Corps par le mot 'cercle' sur mon écran qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit. Mon Esprit forme toujours, 'parallèlement' ou simultanément à cette affection du Corps, une idée ayant cette affection comme objet.
Pour moi, ces deux choses que tu dis (ou que Spinoza dit) me semblent se contredire : "le mot déclenche immédiatement une association d'idées", puis "ce n'est donc pas l'affection de mon Corps qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit".
oui en effet, le mot 'déclenche' était mal choisi. Ce qui était le plus important, c'était le 'immédiatement', au sens de 'simultanément'. La cause du fait que j'ai une série d'idées dès que j'ai l'idée de l'affection de mon Corps qui consiste à entendre le mot 'cercle', ce n'est PAS cette affection, c'est le fait que dans le passé, chaque fois que j'entendais ce mot, mon Corps était simultanément affecté pe par le dessin. Comme l'une et l'autre affection se sont toujours produites en même temps, l'Esprit a lié ces deux productions, donc aussi les deux idées différentes. C'est cela (donc l'habitude, la construction de ce lien par la répétition d'une simultanéité de deux affections) qui est la cause du fait que quand j'entends le mot cercle, j'ai en même temps l'idée du dessin à l'Esprit.
Asche a écrit : Le simple fait de dire que l'esprit forme l'idée parallèlement ou simultanément n'est qu'une affirmation qui nécessiterait une démonstration, or si celle-ci existe, elle m'échappe. J'ai comme l'impression que Spinoza nous demande d'adhérer à cette idée sans la juger, alors même que celle-ci soulève des problèmatiques physiques, ou métaphysiques, inouïes.
à mon avis, ce sont les démonstrations des propositions qui affirment le soi-disant parallélisme qui 'prouvent' cette idée. En fait c'est toute la première partie de l'Ethique qui déjà va dans ce sens, qui déjà crée la base 'ontologique' pour pouvoir affirmer ce parallélisme. Selon Deleuze, on peut reconstituer le raisonnement (et donc la démonstration de la nécessité du parallélisme) en développant le concept de l'expression (voir son livre à ce sujet).
Je ne m'y connais pas encore assez, mais il me semble que cela a à voir avec le fait que la seule chose qui puisse réellement être cause de soi, donc tirer son existence déjà uniquement de son essence, c'est une chose qui doit être constituée d'une infinité d'attributs qui n'ont rien en commun entre eux (donc ne peuvent pas avoir un lien causal non plus), tandis qu'ils expriment tous une seule et même substance/essence, ce qui fait qu'une production dans un attribut ne peut pas ne pas aller de pair avec une production dans un autre attribut (sinon Dieu ne serait pas indivisible, car on pourrait avoir un changement d'une partie sans qu'il y ait un changement du tout).
Enfin, je suppose que ce que je dis ici est peu convaincant. Il faudrait sans doute l'expliciter beaucoup plus. Je voulais seulement indiquer que SI on veut une preuve du parallélisme, c'est de ce côté-ci qu'à mon avis il faut aller la chercher.
Asche a écrit :Asche a écrit:
Ce qui me gène plus, c'est la concordance et la synchronicité d'événements distants.
Si ce n'est pas l'affection du Corps qui cause l'affection de l'Esprit, autrement dit (je ne suis pas encore à l'aise avec la terminologie spinoziste) si ce n'est pas la lecture du mot cercle qui cause l'apparition de ton idée du cercle dans ton esprit, mais que cette idée du cercle dans ton esprit survient par un enchainement d'idées qui est en quelque sorte parallèle à l'enchainement des choses, il y a alors une coïncidance proprement ahurissante entre le signal que constitue le mot cercle sur ton écran, et l'idée du cercle dans ton esprit.
je crois qu'il faut distinguer l'idée ayant pour objet le mouvement corporel déclenché par la lecture physique du mot 'cercle', et l'idée ayant pour objet le cercle. Cette dernière idée ne peut qu'être composée, et donc contenir notamment l'idée ayant l'affection de mon oeil par le mot 'cercle' parmi ces objets. L'idée du cercle est donc une idée 'de deuxième degré' si tu veux (mais cela, ce n'est pas un terme de Spinoza). C'est le fait que l'idée du mot cercle (donc du mouvement dans mon oeil) surgisse qui fait que l'idée composée du cercle, que j'avais déjà, est simultanément mise sous l'attention de mon Esprit (puisque une partie de son objet est 'présente'). En ce sens, on voit bel et bien une causalité uniquement au niveau des idées. Mais ce sont toutes des idées dans MON Esprit, qui reviennent toutes parce qu'en tant qu'idées, elles sont couplées, et donc arrivent toutes dès qu'une d'entre elle arrive dans l'attention de l'Esprit. Et cette 'première' idée n'arrive pas dans l'Esprit A CAUSE du fait que mon Corps est affecté, puisque l'affection et l'idée se produisent simultanément.
Cette coïncidence ne me semble pas être plus choquante que celle qui caractérise toute perception: quand je vois une voiture passer, le moment où la voiture passe et le moment ou je la vois, c'est bel et bien le MEME moment, un seul et même moment. Que la perception (l'acte de percevoir) se fasse simultanément avec la présence de la chose perçue (la voiture), c'est plutôt ce que postule déjà le sens commun, non? Seulement, dans le cas qui nous occupe, la chose perçue, c'est une affection de notre Corps. Alors il va de soi que quelque chose a causé cette affection (le mot 'cercle' écrit sur mon écran), tout comme le passage de la voiture a été causé par quelque chose (l'automobiliste qui avait décidé de passer à ce moment précis devant ma porte).
Mais l'acte de percevoir doit forcément se produire au MÊME moment que la 'présentation' de la chose perçue à mon oeil, en principe, non? Après, on pourra se re-présenter la voiture, et avant, on n'avait pas encore vu la voiture. La CAUSE de la perception n'est jamais cette perception elle-même (donc la coïncidence entre mon oeil touché par la voiture et la présence de la voiture à mon oeil n'est jamais la cause du fait que je vois la voiture). La cause de la perception doit être cherché dans ce qui c'est passé juste AVANT la perception. La cause de la perception est ce qui a fait rencontrer mon oeil et la voiture. Elle se trouve donc dans le croisement de deux lignes causales indépendantes mais non moins déterminées: la chaîne causale qui a fait qu'à ce moment précis, je me retrouvais devant ma porte d'une part, et la chaîne causale qui a fait que l'automobiliste était dans sa voiture et également devant ma porte d'autre part. Lui peut avoir décidé de se rendre à cette heure-là au cinéma (pour un tas de raisons qui ne concernent que lui), et moi je peux avoir décidé de sortir les poubelles à cette même heure (pour un tas de raisons qui ne concernent que moi). Donc la coïncidence des deux séries peut s'expliquer par deux chaînes causales indépendantes qui se croisent, cela n'empêche que cette coïncidence était la cause de ma perception, et que ma perception en tant que telle se faisait simultanément à la présence de l'objet perçu, que donc au niveau de la perception, il y a présence de l'objet et acte de percevoir qui forment 'une seule et même chose', pour ainsi dire.
Enfin, je ne sais pas dans quelle mesure ce que j'essaie de dire est clair?
C'est-à-dire qu'il y a dans le déroulement de ta journée et uniquement sur le plan du Corps un événement totalement fortuit : la lecture du mot cercle. Mais il n'y a, a priori, aucun événement parallèle sur le plan de l'Esprit, dans le déroulement de ta journée, qui pourrait expliquer miraculeusement la correspondance entre la lecture du mot, et la formation de l'idée. Vois-tu où je veux en venir ?
oui en effet, c'est donc bel et bien le problème du parallélisme. Il faut concevoir l'événement dans mon Corps et l'événement dans mon Esprit non pas comme DEUX événements réellement distincts, mais comme deux expressions simultanées de la seule et même chose: moi. Aussi longtemps qu'on conçoit ces deux événements comme DEUX choses, on ne peut que se demande ce qui pourrait les 'lier'. Or il n'y a pas de lien entre les deux, les deux SONT la même chose.
Asche a écrit :]
Pour le moment, la seule solution que je suis apte à envisager, mais à quel prix, est que le Corps et la Pensée coïncident (dans une semblance de miracle) par un ordre de détermination sous-jacent qui n'a rien à avoir avec la causalité telle qu'on la conçoit en physique par exemple. C'est ce que je signifiais dans mon premier message, à savoir que le fait que j'écrive le mot cercle de mon côté, et que tu aies l'idée de cercle du tiens, et cela de telle sorte qu'il semble que l'un ait causé l'autre, s'expliquerait par un déterminisme qui ne lie pas ces deux événements l'un à l'autre en chaîne causale, mais qui les lierait tout deux de manière parallèle mais indépendante à un événement antérieur commun qui aurait entrainé (et qui entrainerait en permanence) une forme de cohérence du monde, mais cela me semble excessivement difficile à envisager sérieusement.
je n'ai pas tout à fait compris ton raisonnement, c'est-à-dire je ne suis pas certaine de bien comprendre ce que tu veux dire par une 'causalité physique'. Que tu écrives le mot 'cercle' est de toute façon la cause efficiente d'un effet produit entièrement à l'extérieur de toi-même: un mouvement dans mon oeil à moi. Cela me semble correspondre entièrement à la causalité mécanique telle que le proposent les sciences modernes, non? Il n'y a aucun parallélisme entre ce qui se passe dans ton Corps et ce qui se passe dans le mien, puisque là nous avons bel et bien DEUX choses différentes. Le parallélisme ne se produit que dans une seule et même chose. Et le déterminisme régit sur toute enchaînement causale, donc certainement aussi sur le lien cause-effet constitué par l'écriture du mot de ton côté (cause) et la lecture du mot de mon côté (effet).
Asche a écrit :Voila, j'espère ne pas t'avoir trop ennuyé avec mon questionnement de débutant. En tout les cas, merci beaucoup pour ta réponse et ton mot de bienvenue.
c'est à moi de te remercier! Si je ne suis plus tout à fait 'débutante' en ce qui concerne Spinoza, il est clair que j'ai encore un tas de choses à apprendre, et alors des questions de gens qui commencent (enfin commencent, tu me sembles tout de même déjà être bien avancé) souvent sont très intéressantes, parce qu'elles t'obligent à voir les choses autrement, ou à expliciter ce que tu croyais avoir compris, ce qui permet de te rendre compte de tout ce qui reste encore obscure pour toi-même, c'est-à-dire cela te permet de toute façon de mieux préciser tes propres questions

. Puis cela peut arriver aussi, bien sûr, qu'un 'débutant' a compris quelque chose que tu avais totalement sauté toi-même. Donc voilà, c'est en tout cas avec plaisir.
