Enegoid a écrit :Très dubitatif par rapport à ce que vous écrivez sur l’essence actuelle. Que voulez-vous dire par : « Le terme « essence actuelle » se réfère, en fait … à l’existence » ? J’ai presque l’impression que vous dites « l’essence actuelle c’est l’existence » Mais je suppose que non. Alors je ne vois pas ce que signifie le « se réfère à l’existence ».
"Actuelle" veut dire "en acte", et "en acte" se réfère à l'existence. Une chose a nécessairement une essence, et cette essence est éternelle en Dieu, mais quand on ajoute "actuelle" on entend qu'elle est "incarnée" dans une chose finie existante. Étant une référence à une existence qui n'est pas éternelle, elle ne suppose pas que cette essence se maintienne dans la chose finie au cours du temps. Autrement dit, l'éternité de l'essence par elle-même n'implique en aucune façon que la chose maintienne la même essence au cours du temps ; la preuve la plus nette c'est la naissance et la mort, qui montre de façon indubitable dans le principe que l'essence ne se maintient pas dans une chose finie en acte.
Enegoid a écrit :Le terme essence actuelle (peu employé par Spi sauf dans E4 P4 et E3 P7,8) c’est l’essence « donnée », c’est l’effort de persévérance dans l’être, effort qui n’enveloppe aucun temps fini.
Oui, mais dit "sec" cela ne nous avance pas beaucoup... Une chose à une essence propre qui se traduit dans le monde fini par une résistance à la déformation. "Aucun temps fini" ne veut pas dire "un temps infini", cela veut juste dire qu'il n'y a pas
a priori de durée attachée à la chose. Lancée dans l'espace interstellaire un mobile tend à garder sa vitesse indéfiniment.
Enegoid a écrit :J’ai l’impression que votre vision pourrait s’exprimer ainsi : l’essence actuelle c’est la persévérance dans l’échec de la persévérance dans l’être : puisque l’essence actuelle change, il n’y a pas de persévérance réussie.
C'est une TENDANCE seulement. La persévérance n'est pas par tout ou rien. Il y a du mouvement et du repos. L'impermanence veut dire "non absolue permanence", pas le chaos absolu. Il n'y a jamais de permanence absolue.
Spinoza a écrit :E4P2 : Nous pâtissons en tant seulement que nous sommes une partie de la nature, laquelle partie ne se peut concevoir indépendamment des autres.
E4P3 : La force, par laquelle l’homme persévère dans l’existence, est limitée, et la puissance des causes extérieures la surpasse infiniment.
E4P4 : Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate.
Démonstration : La puissance par laquelle les choses particulières, et partant l’homme, conservent leur être, c’est la puissance même de Dieu ou de la nature (par le Coroll. de la Propos. 24, part. 2), non pas en tant qu’infinie, mais en tant qu’elle se peut expliquer par l’essence actuelle de l’homme (en vertu de la Propos. 7, part. 3). Ainsi donc, la puissance de l’homme, en tant qu’on l’explique par son essence actuelle, est une partie de la puissance infinie, c’est-à-dire (par la Propos. 34, part. 1) de l’essence de Dieu ou de la nature. Voilà le premier point. En second lieu, si l’homme ne pouvait souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par la nature même de l’homme, il s’ensuivrait (par les Propos. 4 et 6, part. 3) qu’il ne pourrait périr et qu’il devrait exister toujours ; et cela devrait résulter d’une cause soit finie, soit infinie, c’est à savoir, ou bien de la seule puissance de l’homme qui serait capable d’écarter de soi tous les changements dont le principe est dans les causes extérieures, ou bien de la puissance infinie de la nature, qui dirigerait de telle façon toutes les choses particulières que l’homme ne pourrait souffrir d’autres changements que ceux qui servent à sa conservation. Or, la première supposition est absurde (par la Propos. précéd., dont la démonstration est universelle et se peut appliquer à toutes les choses particulières) ; si donc l’homme ne pouvait souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature, et s’il était conséquemment nécessaire (comme on vient de le faire voir) qu’il existât toujours, cela devrait résulter de la puissance infinie de Dieu ; et par suite (en vertu de la Propos. 16, part. 1), de la nécessité de la nature divine, en tant qu’elle est affectée de l’idée d’un certain homme, devrait se déduire l’ordre de toute la nature, en tant qu’elle est conçue sous les attributs de l’étendue et de la pensée ; d’où il s’ensuivrait (par la Propos. 21, part. 2) que l’homme serait infini, ce qui est absurde (par la première partie de cette Démonstration). Il est donc impossible que l’homme n’éprouve d’autres changements que ceux dont il est la cause adéquate. C. Q. F. D.
Corollaire : Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux passions, qu’il suit l’ordre commun de la nature et y obéit et s’y accommode, autant que la nature des choses l’exige.
E4P5 : La force et l’accroissement de telle ou telle passion et le degré où elle persévère dans l’existence ne se mesurent point par la puissance avec laquelle nous faisons effort pour persévérer dans l’existence, mais par le rapport de la puissance de telle ou telle cause extérieure avec notre puissance propre.
Démonstration : L’essence de telle ou telle passion ne se peut expliquer par notre essence seule (en vertu des Déf. 1 et 2, part. 3) ; en d’autres termes (en vertu de la Propos. 7, part. 3), la puissance de cette passion ne se peut mesurer par la puissance avec laquelle nous faisons effort pour persévérer dans notre être ; mais (comme on le montre dans la Propos. 16, part. 2) elle se doit nécessairement mesurer par le rapport de la puissance de telle ou telle cause extérieure avec notre puissance propre. C. Q. F. D.
Enegoid a écrit :... le point de vue que je défends s’appuie en quasi-totalité sur les lemmes de E2 et sur la notion d’individu, ensemble de corps qui « conserve sa nature (=essence) » malgré les modifications citées dans les lemmes. Dont notamment celles du Lemme 5, relative au changement de taille avec maintien des proportions qui pourrait évoquer la question de l’enfance, et permettre de dire que Paul adulte a retenu la nature (=essence) de Paul enfant.
Je dirais simplement ceci : il faudrait
prouver que Spinoza ne parle pas alors des essences de genre (ce qu'il manie de loin le plus souvent, pour les raisons fortes déjà soulignées.) En vertu du principe d'indiscernabilité quantique, j'admets que le remplacement d'une particule par une autre identique ne change strictement rien à l'essence, comme le fait de se retourner ne doit pas beaucoup y toucher ; pour le reste, je considère qu'il s'agit de l'essence de genre. Ce que cela veut dire c'est qu'il y a un certain nombre de transformations qui ne font pas qu'un homme ne puisse plus être dit homme.
Effectivement il y a bien E3P57 : "Toute passion d’un individu quelconque diffère de la passion d’un autre individu autant que l’essence du premier diffère de celle du second." Mais alors il faut expliquer comment il est possible de passer à une perfection plus grande sans changer d'essence, nature et perfection étant la même chose. Note : pour l'instant je ressent un problème avec cette proposition ; elle n'est utilisée que pour signifier la différence de nature entre les hommes et les animaux dans E4P37, autrement dit, elle se réfère à l'essence de genre. Il est possible que l'exemple de l'ivrogne et du philosophe de la fin soit une erreur : soit, comme le voudrait cet exemple, les passions entrent dans l'essence, et alors elle change, soit (en référence à E4App) elle ne change pas ; il s'agit alors de l'essence de genre et l'exemple ne vaut rien.
Enegoid a écrit :... (Faites moi le crédit d’admettre que j’ai bien compris qu’un mode ne se conçoit pas «en soi ».)
Oh mais je vous fait ce crédit ; simplement, il ne s'agit pas seulement de considérer les choses comme si elles étaient en soi puis de les rattacher par principe ensuite à Dieu : il s'agit de poser d'abord Dieu sans forme, puis le Mouvement causé par le précédent, puis les choses finies causées par le précédent, la chaîne ontologique bien présente à l'esprit...
Enegoid a écrit :Sauf erreur vous en restez au mode infini de premier niveau (E1 P21), et vous oubliez le « facies totus etc… » qui est donné par Spi dans la lettre 64 comme exemple de mode infini de deuxième niveau (E1 P23). L’étendue et le mouvement ne sont pas les seules choses éternelles. La structure du monde, considérée comme individu unique, ensemble de corps qui varient d’une infinité de manières, est également infinie et éternelle (selon Spi, bien sûr).
Les essences sont éternelles ; nous l'avons déjà dit. Sur E1P23, je ne vois pas qu'elle implique l'existence d'un mode infini de second niveau, même si elle en exprime explicitement la possibilité. Son premier usage dans E1P32, montre que Spinoza distingue Dieu absolument infini (avec une infinité d'attributs) de Dieu en tant que vu sous un attribut particulier. Les usages suivants n'y ajoutent rien. Cette lettre est vraiment la seule occurrence que je connaisse (c'est par ailleurs voisin de Platon : l'image mobile de l'éternité), avec E2L7S cité en référence. Rien ne précise clairement qu'il s'agit d'un mode éternel et infini, d'ailleurs ; qu'il s'agit d'un mode d'un être éternel et infini pourrait suffire. Il s'agit en premier lieu de l'ensemble des modes à un instant donné, ce qui est parfaitement concevable. Ensuite, il devrait être étendu à tout les temps, ce qui est plus difficile à concevoir comme étant la même chose, et ensuite être un infini composé de fini, ce qui est bien difficile à avaler. Je laisse là la question pour l'instant. Mais n'hésitez pas à prolonger pour montrer où se trouve l'éternité et l'infinité (E1P23, c'est les deux.)
Enegoid a écrit :Je ne peux que constater un désaccord persistant sur le "il est exclu". Et persistant via la répétition de certaines idées et concepts. Je ne vois pas, pour l'instant comment éclaircir celà..
Bien, à partir du moment où l'essence c'est ce que la chose est, et que ce qu'elle est varie manifestement, je ne vois pas quoi dire d'autre... ou alors il s'agit d'essence de genre, et alors je ne vois pas où se trouve le singulier en tant que singulier qui consisterait dans un vrai "Moi." Ce qui est dans la mémoire, l'histoire passée, les souvenirs, les passions, etc. ; rien de cela n'est éternel ; il faut donc chercher le "Moi" ailleurs...
Enegoid a écrit :NB La vague n’est pas un corps ni un individu, c’est un mouvement particulier, comme un mouvement du doigt, ou un tourbillon. Un mouvement particulier est-il un mode ?
Comme tout... La vague n'aurait-elle pas d'essence et de conatus ? C'est cela pour moi voir les choses en Dieu et non en soi : les voir comme les effets du mouvement et de ses lois, qui se manifestent dans les dimensions de l'existence qu'est Dieu naturant.
Serge
Connais-toi toi-même.