Durtal a écrit :1) de ce que le terme de "moi" ne se trouve pas dans le corpus de l'éthique, ne s'en suit pas que la chose n'y soit pas.
tout à fait d'accord. Mais alors il faut commencer à définir "la chose". Or il n'y a pas de définition du "moi" sur lequel aujourd'hui tout le monde est d'accord. On peut donc tout aussi bien dire que le moi, c'est l'ensemble des désirs inconscients, réfoulés car trop "inadéquates", que que le moi, c'est l'ensemble de tout ce qui est éternel en nous, donc surtout pas toutes nos idées inadéquates. Il me semble que vous préférez d'abord cette deuxième hypothèse, et l'injectez ensuite chez Spinoza. Mais je ne vois pas ce qui justifie le choix pour cette hypothèse en tant que telle, puis je ne vois pas très bien non plus sur quels passages de Spinoza se baser pour lui faire dire cela.
Certes, on pourrait rappeler que Spinoza dit tout de même que "nous" ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Est-ce de là que vous déduisez que dès lors mes idées inadéquates, cela ne peut pas être "moi" ... ? Si oui, je l'ai pensé assez longtemps moi-même aussi (on pourra donc sans doute trouver des messages à moi sur ce forum où je dis "oui mais les Passions, ce n'est pas ce qui me caractérise moi, je ne me définis que par mes Actions"). Mais aujourd'hui j'en suis moins convaincue. Je crois qu'il s'agit de nouveau d'une confusion de cause et effet. En effet, nous ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Mais ces idées n'en constituent pas moins notre esprit à nous (effet), et même l'ESSENCE de notre Esprit. Et partant, je commence à penser qu'il faudra néanmoins inclure les idées inadéquates dans notre essence. Si alors on essaie d'identifier le "moi" à l'un de ses caractéristiques que l'on retrouve dans le spinozisme, la singularité, le "moi" serait l'essence singulière d'une chose. Et aussi longtemps que la chose existe dans la durée, cette essence contient aussi bien des idées adéquates qu'inadéquates. Je ne suis qu'à moitié "responsable" de mes idées inadéquates (vu que je n'en suis la cause que partiellement), mais je ne suis pas moins mes idées inadéquates que mes idées adéquates.
a) Spinoza a la particularité d'introduire très souvent ses définitions par "J'entends"= "Moi" Baruch de Spinoza j'appelle ceci: cela. Et il n'y a rien de fortuit là dedans seul celui qui est libre sait ce qu'il dit quand il dit "moi":
s'il voulait vraiment parler de lui-même en tant que "moi", il aurait dû écrire
ego entendo. Il ne l'a pas fait. Sachant que le latin laisse le choix entre activement insérer la référence au sujet, et juste utiliser le verbe (la personne s'indique tout aussi bien par la forme du verbe seul), le fait qu'il n'ajoute pas de
ego aux formules (d'ailleurs rares; il écrit plus en 1e personne plurielle, et de nouveau sans ajouter un
nos) ferait à mon sens plutôt pencher pour l'idée qu'il n'y aucune référence à un "moi" précis. Ce n'est pas l'ego de Spinoza qui est important dans ces définitions, c'est plutôt le fait que le lecteur doit tenir compte du sens des mots tels qu'ils sont définis dans ce livre-ci, s'il veut comprendre de quoi ce livre parle. Idem en ce qui concerne d'autres livres écrits
more geometrico, comme
Les éléments d'Euclide: les définitions ne suggèrent pas qu'il y aurait un "moi", un "sujet" etc. qui aurait "librement" choisi de définir ceci ainsi etc. Les définitions sont purement pragmatiques, nécessaires pour savoir de quoi on parle quand on rencontre tel ou tel mot, sans plus.
Bref, dire qu'il y a une philosophie du moi dans le spinozisme parce qu'il écrit les verbes par lesquels il commence les définitions en première personne singulier me semble plutôt relever d'une décision de la part du commentateur que de se baser déjà dans le texte même.
Durtal a écrit :
2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable
"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".
Pourquoi? Il suffit de RELIRE le corollaire de E2p11 ou Spinoza explique dans quelles conditions l'esprit humain est dit avoir des idées inadéquates ou confuses:
Spinoza a écrit:
"(...)et quand nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non seulement en tant qu'il constitue la Nature de l'esprit humain, mais en tant qu'il a en même temps l'Esprit Humain également l'idée d'une autre chose , alors nous disons que l'Esprit humain perçoit une chose en partie, autrement dit de manière inadéquate".
Par où il appert que par définition les idées inadéquates impliquent un confusion de notre esprit avec un autre, autrement dit un état du monde mental tel qu'une seule nature (la mienne par exemple) n'est pas en jeu, mais plusieurs qui sont partiellement confondues entre elles .
rappelons qu'on n'était pas du tout d'accord quant à la compréhension de ce corollaire, et que pour l'instant ni toi, ni moi n'avons trouvé les arguments convaincants permettant de trancher.
Par exemple, lorsque nous avons une idée inadéquate, l'idée enveloppe la nature du corps extérieur. Mais cette idée, elle n'est nulle part ailleurs que dans MON Esprit à moi! Puis si on suit ton raisonnement, il suffirait d'avoir des idées inadéquates pour "s'unir" à la nature entière (puisqu'elles effacerait toute frontière entre mon Esprit et l'esprit des corps extérieur), là où Spinoza dit très clairement que la seule façon de nous unir mentalement à la nature, c'est par les idées adéquates. Les idées inadéquates en revanche nous "éloignent" du monde qui nous entoure, puisqu'elles indiquent avant tout l'état de notre corps à nous, et non pas la nature du corps extérieur. Etre conscient des choses, cela n'est possible qu'en ayant une idée adéquate. L'idée inadéquate au contraire ne nous unit quasiment pas au monde, puisqu'elle dit avant tout quelque chose de notre corps à nous. (Si de nouveau tu trouves tout ce que j'écris ici révoltant, il suffit de le dire, et j'y ajoute les références exactes - car je ne fais quasiment rien d'autre ici que citer littéralement Spinoza).
Durtal a écrit :2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable
"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".
Pourquoi?
E3P7:
"
L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates (...)".
C'est aussi une des raisons pour lesquelles cela ne peut PAS être l'essence de Dieu qui constitue l'essence de notre Esprit, puisque Dieu n'a pas d'idées inadéquates .. .
Durtal a écrit :Il suit de cela que bien que dans l'esprit humain il y ait des idées inadéquates, ce qui caractérisera la nature de cet esprit, c'est à dire ce qu'il est lui et ce qu'il peut lui ce seront les idées adéquates seules, et certainement pas les idées inadéquates. Puisque les idées inadéquates impliquent toujours la caractérisation d'un autre esprit que lui en même temps que lui et donc ne posent pas ce qui dérive de sa puissance seule, et par conséquent on ne pourra non plus définir sa nature par elles.
le rapport entre les termes "nature" et "essence" est fort compliqué chez Spinoza. C'est pourquoi je n'ai parler que d'essence. Il ne dit rien, pour autant que je sache, quant à la relation nature humaine - idées inadéquates. Par contre, il DEMONTRE l'idée que les idées inadéquates CONSTITUENT l'essence même de mon Esprit ... .
louisa:
Spinoza a écrit:
L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates, et par suite, tant en tant qu'il a les unes qu'en tant qu'il a les autres, il s'efforce de persévérer dans son être (...) .
Durtal:
Très belle citation, mais les idées inadéquates sont des passions de l'esprit et les idées adéquates des actions de l'esprit. Or ce qui définit la nature ou l'essence d'une chose est ce par quoi elle agit (l'essence pose ce que peut la chose et non ce qu'elle ne peut pas). Par conséquent il ne faut pas comprendre cette formule comme si il y avait une chose, l'esprit comme un "cadre" neutre et vide qui contiendrait la juxtaposition de deux items: les idées adéquates et les idées inadéquates. Mais comme quelque chose qui décrit une dynamique, un procès: la tendance à l'individuation et à l'affirmation de soi (idées inadéquates) en permanence contrarié par une tendance inverse à la désindividualisation, la perte de soi dans les autres choses (idées inadéquates).
ok, mais tout ce raisonnement est basé sur ce que tu viens de dire ci-dessus, c'est-à-dire sur ta façon d'interpréter l'E2P11 cor.: il dépend entièrement de l'idée que notre esprit peut "se confondre" avec les autres esprits, et que ce genre d'union avec la Nature ne se fait que dans le cas des idées inadéquates. Or je ne vois pas comment fonder cela dans les textes. Pour Spinoza on ne peut se lier à ce qui est extérieur à nous que par le biais d'idées adéquates. Prenons par exemple l'E4 ch.XII: "
Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations, et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul, plus apte, et, absolument parlant, de faire ce qui contribue affermir les amitiés". Or ce qui contribue à l'amitié, cela naît des idées adéquates, et surtout pas des idées inadéquates.
Durtal a écrit : L'essence de l'esprit humain est non pas un complexe figé et défini d'idées inadéquates et inadéquates, mais un optimum ou un équilibre (une loi de variation) entre adéquation et inadéquation.
une définition doit nous dire ce qu'est l'essence d'une chose. Or Spinoza dit que l'essence de l'Esprit est constituée d'idées inadéquates et adéquates. Dès lors, comment NE PAS définir l'essence de l'Esprit par les deux ... ?
Bien sûr, aussi longtemps que cette essence existe dans le temps, elle varie, ce qui ne signifie rien d'autre que le fait qu'elle acquièrt des idées adéquates et inadéquates.
Si en revanche tu pars de l'idée d'un "optimum" entre les deux pour définir l'essence de tel ou tel homme (ainsi que le font pas mal de commentateurs), on tombe immédiatement, me semble-t-il, dans l'idée d'une essence "virtuelle" qui peut être plus ou moins actualisée. Or Spinoza dit très vite qu'il n'y a aucune virtualité chez lui, tout est actuel. C'est pourquoi il n'y a pas de "norme", de "moi" qui cherche à se réaliser, il y a à chaque moment une essence ayant tel ou tel degré de puissance, et c'est tout.
Durtal a écrit : Il est en perpétuelle redéfinition de lui même parce que le mode de la pensée qui constitue l'esprit humain est en permanence affecté par d'autres modes de la pensée, tout comme le mode qui constitue le corps humain est en permanence affecté par d'autres modes de l'étendu.
en effet, tout à fait d'accord.
Durtal a écrit :Tu penses l'esprit comme un univers clos sur lui même, et "dans lequel" il y a des trucs: voilà on compte ce qu'il y a dedans et c'est ça "l'essence de l'esprit". Mais ça ne fonctionne pas comme ça, l'esprit est un rapport d'idée adéquates et d'idées inadéquates, qui toutes in fine expriment évidemment et uniquement l'activité pensante de DIEU.
je ne vois pas pourquoi tu m'attribues une telle idée. Rappelons que c'est moi qui ai repris la citation de Spinoza où il dit que l'essence de l'Esprit se constitue aussi bien des idées inadéquates que des idées adéquates. Pour pouvoir penser cette fluctuation dans le temps, il FAUT ne pas définir le "moi" par les idées adéquates seules, comme vous le faites, car celles-ci sont éternelles, donc ne changent pas.
Autrement dit: comme j'ai mentionné déjà ci-dessus, c'est PARCE QUE l'Esprit est un rapport, une proportion entre idées adéquates et inadéquates, que la sagesse se définit par une majorité relative d'idées adéquates, et non pas par l'érudition, par exemple.
Durtal a écrit :Et plus les conditions dans lesquelles la pensée humaine se forme sont proches des conditions dans lesquelles Dieu forme les idées de toutes les choses et plus l'esprit humain est conscient de soi, de Dieu et des autres choses. Plus il agit conduit par une "libre nécessité" qui n'est autre que la façon dont Dieu se pense lui même.
je dirais: lui-même en tant qu'il s'explique par tel ou tel mode, et non pas lui-même en tant qu'essence divine?
L.