Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 06 déc. 2008, 02:10

Hokousai a écrit :Toute votre affaire du nouveau parlé est très discutable .(Deleuze et ses créations de concepts !)


pour autant que je sache, Deleuze jamais ne parle d'un "Nouveau Parler". La citation était de Souriau. Sinon, oui bien sûr cette conception de la philosophie est discutable. Dès lors, discutons-en ... :)

Hokousai a écrit :S’il y a nouvelle pensée ( peut être ) elle doit s’expliquer dans le langage commun (et non dans un langage privé .Il n’ y a pas de langage privé ).Elle doit s’expliquer nolens volens par les mots du langage ordinaire sinon elle est non seulement incompréhensible mais pas une nouvelle pensée du tout .


non, je ne crois pas que ce soit le cas. Toute science et même tout art crée son propre vocabulaire. Idem en philo. Cela ne veut pas dire que ce vocabulaire devient "privé", cela signifie juste que pour comprendre à quoi réfèrent pour telle communauté tels mots, il faut faire un petit effort.

Hokousai a écrit :Whitehead par exemple a une nouvelle pensée celle de procès , il a un mot » procès » il écrit tout un livre pour expliquer ce qu' il pense par ce mot là .Il est pédagogue ( plus ou moins ) tente de se faire comprendre .Pour se faire comprendre s’il utilise d’autres mots nouveaux alors le problème est renvoyé jusqu à ce qu’il s’exprime en langage courant ,une bonne fois ,que ce soit compréhensible .


et vous croyez que ce moment arrive, dans Process and reality? Vous pensez vraiment qu'à un certain moment il est capable de retraduire toute sa pensée en ce que peut dire (donc pense) le langage commun?

Hokousai a écrit :Il ne suffit pas de créer un nouveau vocable et de la faire fonctionner dans des propositions , s’il n’est pas compris dans le langage compréhensible ( ie ordinaire ), le nouveau vocable tourne à vide (et pour l’auteur aussi ).


je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Même dans la vie quotidienne, apprendre une nouvelle langue ne signifie pas pouvoir traduire tout en les mots de sa langue maternelle. Pour un tas de mots de la langue nouvelle cela est tout simplement impossible (exemple: en français on peut facilement dire qu'on souffre d'un rhume, mais dire en anglais que "I'm suffering from a bad cold" cela ne peut que provoquer des rires, cela a l'air d'être tout à fait exagéré, puisqu'en anglais on ne souffre que de choses très graves, pas d'un bête rhume). C'est pourquoi à mon sens Wittgenstein disait quelque chose de très intéressant lorsqu'il dit que "all philosophy is critique of language" (Tractatus logico-philosophicus P4.0031; toute philosophie est critique du langage)

Hokousai a écrit :Que veut dire Kant par jugement synthétique a priori ? S’il ne donne pas un exemple ordinaire personne ni lui même ne comprend .Que veut dire Spinoza par connaissance intuitive du troisième genre ? On lui a assez reproché de ne pas s’ expliquer dans le langage ordinaire .Que pouvait-il bien penser qu’il ne soit pas capable de dire à tous donc à lui-même ,car que je sache il ne parlait pas un sabir privé de sa confection .


à mon avis Spinoza a tout à fait dit explicitement ce qu'il faut comprendre par connaissance du troisième genre, seulement il faut bien d'abord avoir intégré sa redéfinition de pas mal de mots avant de pouvoir le saisir. D'ailleurs il donne réellement un exemple concret du troisième genre de connaissance (celui de la quatrième proportionnelle), et cela quasiment dans un langage ordinaire ... mais cela ne suffit pas pour comprendre ce qu'il veut dire par là, il faut encore faire le travail proprement philosophique de croiser ces passages avec d'autres où il parle de la connaissance intuitive, avant de pouvoir mieux comprendre ce que lui il a décidé de désigner par là.

Hokousai a écrit :In Fine on en revient toujours à du langage commun et ce parce qu’on a que celui là .Le langage véhicule des idées et c’est se leurrer de penser qu’on change d’idée en changeant des mots ou en en inventant de nouveaux .


je crois que nous touchons ici au point où vous et moi (et en tout respect), on pense très différemment. A mon sens aussi bien la science que la philosophie et l'art consistent principalement a révolutionner le langage commun. Lorsque Picasso peint les Demoiselles d'Avignon, il donne à voir quelque chose que jamais le langage ordinaire n'aurait pu concevoir tout seul, et que désormais on peut concevoir sans problème. Idem en ce qui concerne Newton: ses théories ont permis de renverser complètement la façon ordinaire de concevoir l'univers, où les lois des étoiles longtemps étaient conçues comme étant tout à fait hétérogènes aux lois de la nature "sublunaire". Newton établit l'homogénéité entre les lois naturelles et les lois du ciel, et par là bouscule entièrement la façon ordinaire de parler et de penser. De même, lorsqu'au XVIIe siècle divers penseurs proposent de penser la liberté autrement que par le libre arbitre, il s'agit d'une véritable révolution (sauf qu'il ne s'agit pas ici d'une révolution scientifique, puisque rien ne permet de savoir si l'homme a "véritablement" un libre arbitre ou non). Même au XXe un philosophe comme Wittgenstein dira que la philosophie sert à guérir des "crampes mentales" causées par le langage (à Phiphilo de me corriger s'il croit que je me trompe). Tandis que déjà Héraclite, longtemps avant Platon, affirme qu'une des sources des maux dans la vie humaine consiste à rester collé aux idées véhiculées par les mots du langage ordinaire, à croire à l'identité nécessaire entre ces idées, ces mots et la vérité. C'est pourquoi je crois que Souriau a raison de dire que toute grande philosophie propose un "Nouveau Parler".
Amicalement,
L.

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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 06 déc. 2008, 15:42

Louisa a écrit :Donc deux choses obligent à mon avis d'accepter le fait que l'idée d'une opposition entre l'intelligible et le sensible telle que vous le présentez ne soit pas très spinoziste:
1. chez Spinoza toute idée est une perception, une sensation
2. la science contemporaine se penche sur le spinozisme précisément pour pouvoir trouver les concepts capables de désamorcer cette opposition.

Louisa, bonjour
Nous savons tout cela et ne réduisez pas la pensée de votre interlocuteur à celle d'un potache débutant. Vous savez bien que si nous devions analyser en détail et reprendre un manuel de psychologie basique et ancien (voir le cours de Bergson par exemple), nous devrions mettre comme cause prochaine de la sensation, une impression, donc un corps extérieur ou un organe interne qui la provoque, laquelle relève de l'attribut étendue. C'est donc jouer sur les mots, et nous ne sommes pas ici devant un jury d'examen, que me dire qu'il n'y a pas que le sensible et l'intelligible, puisque Spinoza lui-même ne connaît que deux attributs : la Pensée et l'Etendue. Et vraiement, in concreto, quelles expériences autres pouvez-vous avoir autre qu'une communication semble-t-l directe avec Spinoza ?D
Il n'est pas besoin de citer Damasio, voir Nagel ou Ned Block, pour asseoir l'autorité de Spinoza sur des bases neurobiologiques contemporaines, puisque je me suis moi-même récemment référé à cette "modernité" sur ce fil.

Louisa a écrit :
En matière de spinozisme, comme l'a déjà très bien dit Durtal, l'enjeu consiste précisément à savoir ce qui est spinoziste et ce qui ne l'est pas. Vous dites que chez Spinoza les essences peuvent être en partie (voire majoritairement) constituées de propriétés communes, je dis moi que l'E2D2 et l'E2P37 rendent cela à mon sens impossible. Pour moi, cela est un point de départ excellent d'un débat argumenté. Seulement, il faudra bien qu'on rentre tôt ou tard dans l'argumentation sur base du texte, sinon on ne saura jamais si c'est vous qui vous trompez ou moi qui me trompe. Pour l'instant, vous dites seulement que l'essence doit être composé majoritairement de propriétés communes parce que vous ne doutez pas de la vérité de cette idée. Je ne peux que vous dire que pour moi cela est très bien, mais je m'intéresse avant tout à la question de savoir comment Spinoza a conçu les essences. Pour le savoir, il faut bel et bien retourner au texte, on ne peut pas simplement dire comment on conçoit soi-même l'essence.


Je dis effectivement qu'appartiennent à toute essence singulière des propriétés communes, faute de quoi vous ne pourrez concevoir rien de commun entre deux essences singulières, auquel quoi, dixit E1P3, Marie et Pierre (ou Médor et Datcha) ne pourront jamais procréer.
En lisant vos réponses à Bardamu et Hokousai, il m'apparaît qu'une partie de la difficulté provient d'une interprétation différente, et il est vraie qu'il y a lieu, de la deuxième partie de E2D2. En effet, le second membre dit : "ce qui sans la chose ne peut ni être, ni se concevoir", autrement dit faute de l'existence de la chose singulière singulière, son essence n'existe pas, ce qui paraît marqué du "bon sens". Oui mais.
Ma compréhension de ce deuxième membre se rattache à l'analyse déjà renouvelée de E2P8 : faute d'existence de la chose singulière, son essence formelle n'existe pas (mais bien entendu, comme toute essence, elle "baigne" dans les attributs de Dieu, donc dans l'existant), mais en revanche, son essence objective, ou être objectif, ou idée existe bel et bien en Dieu. Comme chez Michel-Ange, l'essence objective de la statue de David, préexiste à la réalisation de cette dernière, et le bloc de marbre ignore encore la transmutation qu'il va connaître. La destruction de la statue ne réduit pas pour autant l'idée qu'en avait l'auteur, qui pourrait la recommencer, à quelques variantes près.
Que les essences formelles soient singulières, cela me semble donc définitivement clair. Il n'empêche que pour l'approche que nous pouvons en avoir, du côté de l'entendement et dans le cadre du 2ème genre de connaissance, ce qu'il y a d'obligatoirement "commun" entre les essences formelles, pour autoriser par exemple la procréation entre Marie et Pierre, est valablement identifié, aux niveau des essences objectives ou idées qui sont dans l'entendement, par les propriétés communes ou "essences de genre objectives".

Louisa a écrit :
pour la première question: vous avez dit que pour vous les essences ne peuvent pas être "senties", elles doivent être de l'ordre de l'intelligible. Puis vous dites que selon vous le spinozisme est un matérialisme. Du coup, tout ce qui est intelligible, et que vous semblez ranger du côté de l'attribut de la Pensée, perd toute réalité. Seul la matière ou l'attribut de l'Etendue est réel, pas celui de la Pensée. Voici en tout cas comment j'ai pour l'instant compris ce que vous avez écrit. Or il va de soi qu'il se peut que je vous aie mal compris. Dans ce cas je ne peux que vous dire comment je l'ai compris et espérer que vous allez ensuite corriger là où il s'avère qu'il y a des malentendus.


Effectivement, vous faîtes une réduction matière = Etendue et non Pensée, ce que je n'ai pas fait, faute de quoi j'aurais été totalement incohérent. Disons, au minimum, que par matérialisme j'entends la substance "réduite" à mes deux seules certitudes, l'Etendue et l'Intelligible. Je me contente de ces deux là, l'infinité d'autres n'ayant d'intérêt que cohérence de construction philosophique face aux scolastiques. :wink:

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :C'est bien pourquoi encore je persiste, quand vous me faîtes dire que je ne croirais pas à la réalité des attributs, ce que je n'ai pas dit. Je précise simplement, par rapport à votre lecture de mon point de vue ambiguë, que les attributs n'ont de réalité que gnoséologique (la définition IV est claire ; il se conçoivent par soi, mais ils n'existent pas par soi).


La définition 4 de l'E1 par exemple ne dit pas du tout que les attributs se conçoivent par soi mais n'existent pas par soi. Si c'est ce que selon vous on peut en conclure, ce sont les raisons pour lesquels vous pensez cela qui m'intéressent. Juste dire que pour vous c'est le cas, c'est donner votre opinion. Nous sommes dans une démocratie, donc chacun a droit à son opinion, mais cela ne fait pas forcément avancer votre interlocuteur vers une compréhension meilleure de cette opinion si vous n'y ajoutez pas la "preuve", si vous ne dites pas comment vous en déduisez cela.


C'est un peu provocateur, non ? A chaque fois que vous allez faire vos courses, vous ne demandez pas à la caissière de vous reprouver que 2 et 2 font 4. Vous savez bien comme moi que les définitions de l'Ethique, bien que Définitions logiquement accessibles directement à la raison, sont ensuite "prouvées" par Spinoza dans le cadre des propositions suivantes, Spinoza ayant pensé chaleureusement aux intelligences moins puissantes, dont la mienne, à qui ces vérités n'apparaîtraient pas immédiatement dans leur évidente clarté. En l'occurrence, la suite et tous les commentateurs bien intentionnés envers Spinoza n'ont qu'une seule lecture de E1D4, à savoir que cette Définition, au contraire de D3 et D5, ne comprend que le volet gnoséologique et donc que l'attribut n'a pas d'existence par soi, ce que Spinoza répète à maintes reprises.
C'est en ce sens que j'emploie ce "barbarisme" de réalité gnoséologique.

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :En conséquence, je ne vois pas comment, sur la base de l'ouverture conceptuelle qu'autorise la rédaction de E2Définition2, vous pouvez récuser tous les arguments qui militent pour que l'entendement, avec tous les moyens qui sont les siens permettant d'arriver à des idées adéquates, se fasse une idée précise de ce qui constitue l'essence objective d'une chose singulière, seule connaissance à laquelle il puisse espérer accéder


il s'agit d'un malentendu. C'est Sescho qui prétend que nous n'ayons pas accès à l'essence singulière d'une chose, tandis que Bardamu (si je l'ai bien compris) et moi-même disons l'inverse: dans le spinozisme, une connaissance adéquate de l'essence singulière des choses est tout à fait possible, c'est même en cela que consiste la béatitude. Bref, si vous croyez qu'une connaissance adéquate d'une essence singulière dans le spinozisme est possible, nous sommes tout à fait d'accord là-dessus.


Oui, mais en tant qu'essence objective, donc connaissable. Il est bien évident que, pour moi, l'essence formelle nous reste inaccessible (voir le problème de Nagel : qu'est-ce que ça fait d'être une chauve-souris).

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :(et parmi ces moyens, les propriétés qui appartiennent, au sens de E2D2, à l'essence de chaque homme en tant que ces propriétés, par exemple le langage chez l'homme, contribuent à sa singularité).


ok, mais j'attends qu'on démontre comment déduire de l'E2D2 qu'une propriété commune peut constituer une essence avant de pouvoir la lire ainsi.


Voir ci-dessus l'éternelle ritournelle entre constituer et appartenir à, dans l'entendement.

Amicalement,

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Julien_T
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Messagepar Julien_T » 06 déc. 2008, 16:55

A Louisa,

Je commence à comprendre l’agacement de la plupart de tes interlocuteurs, sans partager moi-même une telle attitude puisque je pense voir certaines raisons dans tes pensées qui les rigidifient. Je vais essayer de te montrer calmement que tu es comme tout le monde victime par endroits de certaines imprécisions relativement néfastes au bon développement de tes thèses. Ces imprécisions t’empêchent de faire effort pour voir ce qu’on te propose, et tu ne te rends pas compte que tu répètes inlassablement les mêmes propositions sans aucune variation. Et ces imprécisions, je vais les pointer sans entrer en contradiction avec Spinoza : on ne peut pas raisonnablement soutenir qu’il est possible de défendre la pensée d’un auteur de manière neutre, en restant collé au texte, par opposition à ce qui serait penser par soi. Quand tu te fais l’avocat d’un auteur en épousant certaines thèses et arguments, tu ne fais pas que reproduire ou restituer localement de manière aveugle, sans adhérer aux combinaisons que tu exposes, des contenus préalablement ingurgités passivement : tu valides par une activité de raison les significations que tu emploies à travers certaines combinaisons ou raisonnements formels. Pareillement, lorsque nous t’opposons certaines conceptions dans le cadre d’une discussion portant sur l’individualité dans un forum consacré à Spinoza, nous le faisons par la même activité de raison qui nous permet d’analyser, comprendre puis épouser les conceptions spinozistes et les tiennes. Tu ne peux pas te cacher sans cesse derrière le texte en nous laissant croire que tu peux par toi-même penser tout autre chose que ce qui y est contenu tel que tu l’exposes et commentes. Tu ne peux pas t’effacer derrière une activité d’entendement neutre qui manipulerait ou répèterait les conceptions spinozistes de l’essence individuelle sans faire effort pour y déployer ce qui lui paraît imprécis, non développé ou non dit. On ne peut pas défendre une pensée propre, pour soi, fondamentalement différente ou en contradiction avec celle des auteurs qu’on travaille et commente au moment où nous nous faisons l’avocat de leurs thèses et raisonnements, sauf à pointer explicitement, i.e consciemment ce avec quoi nous sommes en désaccord. Donc quand nous te proposons certaines affirmations quant à la problématique de l’accès cognitif à l’individu, nous ne pensons pas entrer en contradiction avec Spinoza suivant la compréhension que nous en avons et pour autant que nous validons implicitement ce que nous considérons comme étant ses thèses, dans le cadre de ce forum. Sinon, nous pointons explicitement ce que nous tenons pour des erreurs manifestes ou imprécisions dans la pensée même de Spinoza. Ce faisant, on ne se fait plus l’avocat de la pensée spinoziste mais de la raison, de manière à corriger ce que nous apercevons d’imprécis, confus, obscur ou clairement contradictoire. Tu dois donc faire effort pour penser dans tous leurs prolongements et conséquences les plus accomplis les combinaisons de significations que tu manipules en les attribuant à Spinoza. C’est ainsi en se faisant l’avocat de la raison que tu défendras le mieux la pensée de Spinoza et pourra penser à partir de lui et non répéter inlassablement des connexions de signes de manière extérieure, connexions d’idées que tu puises par « ouï-dire » dans les textes et explicites à peine sans te mettre en peine de les penser de l’intérieur.

Pointons quelques imprécisions. Tu prends l’hypothèse d’une société ou communauté comme étant dotée de, ou comme étant le substrat d’une essence singulière qui lui correspond. Tu admets qu’elle est constituée par un certain nombre d’individus. Dans ton obsessionnel refus des essences spécifiques ou rapports communs, tu précises d’emblée que ces individus, s’ils peuvent être considérés comme des parties du tout en quoi consiste leur communauté, sont néanmoins tous singuliers pris un à un et ne sauraient par là même constituer d’essence spécifique ou propriété commune de la société qu’ils constituent réellement par hypothèse. « L'essence de la Cité est constituée par l'ensemble des citoyens, l'essence de chaque citoyen par des modes précis et déterminés des attributs de Dieu. »
Distinguons alors deux plans : un plan ontologique selon lequel la société en tant qu’individu est un corps singulier (aux frontières plus ou moins bien définies –géographiques, administratives, langagière-) composé de corps eux mêmes singuliers, c’est-à-dire singulièrement déterminés par des « modes précis et déterminés des attributs de Dieu ». Les individus composant cette société sont singuliers et chacune des parties qui les composent singulièrement (des organes aux particules élémentaires dans l’attribut étendue, des idées complexes aux idées simples dans l’attribut pensée) sont elles-mêmes singulières, et ne sauraient souffrir d’aucun degré quelconque de généralité dans leur réalité. De sorte qu’un atomisme est indéfendable non pas tant parce qu’il affirme l’existence d’insécables mais parce que ceux-ci ne sauraient être parfaitement identiques et substituables les uns aux autres mais bien plutôt ne peuvent être conçus chacun que comme des singularités absolues. Cette conception fractaliste de la singularité du macroscopique au microscopique est comme un présupposé ontologique évident ou le corrélat d’un principe d’unité, de cohérence et continuité à l’œuvre dans le réel.
Le deuxième plan peut être dit épistémologique ou gnoséologique : c’est celui de l’accès cognitif aux réalités singulières. Pour concevoir une société en tant qu’idée générale, il faut concevoir un certain contenu signitif, définitionnel ou essentiel à cette idée. Mettons entre parenthèses le contenu expressif qu’il faudrait rajouter si chaque fois nous visions la réalité concrète derrière ces expressions. Très primairement, une société (particulière donnée) est conçue comme une communauté (singulière !) d’individus (singuliers !) réglée par quelques rapports (singuliers !) plus ou moins (singulièrement !) rigides et déterminés : il y a des mœurs (singulières) mais aussi des lois (singulières !), une police (singulière !), un corps étatique (etc.), des corporatismes, des infrastructures matérielles et superstructures spirituelles ou idéologiques (cf Marx), etc. Chaque fois il faut bien être conscient de ce qu’on vise ou de ce à quoi on réfère quand on emploie chacune de ces expressions. Soit la proposition suivante : « S’il n’y a pas de rapports plus ou moins réglés de quelque manière entre des hommes il n’y a pas de société ou communauté ». Cela vaut généralement, comme une proposition générale mettant en lien des idées générales abstraites qui nécessitent chacune pour être comprises un contenu signitif faisant intervenir d’autres idées générales. Par cette proposition, nous visons un rapport général, mais nous pouvons par ailleurs viser une société particulière à l’occasion d’une actualisation de la pensée de cette idée complexe générale : je peux penser un délitement momentané particulier de la société française singulière en un temps déterminé. Mais alors pour penser la singularité de cette société française, je vais utiliser d’autres déterminations que celles de la définition idéale et générale de ce qu’est ou doit être une société afin de les comparer. Ces autres déterminations dans leurs combinaisons auront pour but de dévoiler certains processus à l’œuvre dans la réalité singulière d’une nation, avec certaines causes et conséquences. Mais chaque élément n’aura de sens qu’à signifier des rapports plus ou moins généraux ou spécifiques entre abstractions, de manière à spécifier ce qui distingue une ou telle société en désagrégation d’une société harmonieuse, etc.
Tu peux toujours t’évertuer sur le plan ontologique à affirmer que toute chose est singulière, composée de singularités, mais en situation réelle de compréhension d’une réalité singulière donnée, tu feras intervenir des déterminations générales, c’est comme ça, c’est inévitable. Et si tu étais sérieuse jusqu’au bout, tu ferais effort sur le plan ontologique pour approfondir et déterminer conceptuellement précisément en quoi consiste les termes clés de tes affirmations (qui sont celles de Spinoza on a compris…) comme : « constituer » dans « constituer une essence singulière », comment ça constitue?; « propriété » ; « commun », etc. Tu en restes à un niveau d’analyse qui te suffit, mais on ne voit pas du tout en quel sens une essence singulière peut-elle être dite « constituée ».
Et si tu essaies de préciser cela, tu seras obligée de te positionner sur le plan gnoséologique : comment, en situation, j’ai accès à une essence singulière, qu’en connais-je de cette essence pour la déclarer singulière ? Tout ce que me donne mon intuition ? Mon intuition de l’essence singulière de Pierre est-elle plus riche que l‘intuition produite à l’occasion de la perception du signe vide « blitiri » ? Si oui, quel contenu a-t-elle qui me le fasse voir ? etc.
Spinoza, pour établir son système à un certain niveau de généralité, n’a pas eu besoin d’approfondir tout cela, il pose sur le plan ontologique des singularités modales expressives de Dieu et cela est suffisant pour son dessein. Mais il n’interdit pas de faire effort pour penser selon quelles modalités le terme d’intuition peut être adéquat à exprimer ce par quoi nous avons accès à la saisie du singulier, quelles sont les modalités de saisie du singulier, et même il reconnaît en pratique et théoriquement la nécessité d’en passer par des déterminations de ce qui est commun aux choses. Mais toi, Dieu étant mort depuis un bon bout de temps, ou agonisant, et les singularités livrées à elles-mêmes et bien conscientes de leur singularité, tu as tout le loisir de travailler à une théorie de la connaissance qui soit en accord avec le spinozisme et qui puisse permettre d’avancer dans la connaissance concrète des singularités réelles. Car pour l’instant, la seule singularité que tu manipules, c’est une abstraction, et elle n’a d’essence constituée que verbalement.

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Messagepar hokousai » 06 déc. 2008, 18:22

à Louisa

Je dois reconnaitre que même quand je m'exprime en langage ordinaire vous ne me comprenez pas .

Que craindre des incompréhensions induites par le langage extraordinaire et ses machines qui tournent à vide ...Vous défendez un statut de technicien ( à mon avis de surface ) , ce n'est pas mon cas , je ne suis pas universitaire et n' y prétends pas .

Je pense avoir parlé de Whitehead parce que justement illustrant assez bien le problème ( difficultés qu'il a à se faire comprendre )

( ne me répondez pas . Je ny tiens pas .Et je le dis amicalement : je suis fort tenté d'aller voir ailleurs )

.....vous avez fort à faire avec Sinusix et Julien )

hokousai
Modifié en dernier par hokousai le 06 déc. 2008, 21:53, modifié 1 fois.

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 06 déc. 2008, 19:22

Louisa a écrit :ok, mais j'attends qu'on démontre comment déduire de l'E2D2 qu'une propriété commune peut constituer une essence avant de pouvoir la lire ainsi.

Si deux choses A et B ont une propriété commune, cette propriété ne peut effectivement constituer l’essence de A ni l’essence de B (Le langage ne constitue pas l’essence de Pierre). Et il n’y a aucun débat. Tout le monde est d’accord .

Si A et B ont en commun une propriété commune qu’ils sont les seuls à avoir, alors l’esprit les réunit dans une classe et cette propriété commune à A et B devient l’essence de la classe A + B.

La classe A+B peut être vue sous deux angles :
1. Si A et B n’ont pas d’interactions de mouvement et de repos, il s’agit d’un être de raison. Et on se trouve devant la question : un être de raison peut-il avoir une essence ?
2. Si A et B ont des interactions de mouvement et de repos, alors A+ B constituent un corps au sens de Spinoza (une « communauté »). Et ce corps a une essence : cette propriété, commune à chaque élément, devient singulière puisque propre à ce corps. Elle n'est plus "commune". (le langage donne l’homme et l’homme donne le langage).

Pour moi le débat implicite qui obstrue ce forum depuis quelque temps comme un caillot dans une veine tient à la réponse à la question 1 : vous, Louisa, vous refusez l’essence de l’être de raison, les autres (dont moi), non.

Mais comme il s'agit de vous Louisa et que ce forum a besoin de vous pour faire circuler le sang,nous en restons là :roll: 8-)

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bardamu
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Messagepar bardamu » 07 déc. 2008, 22:36

Bonjour Louisa,
Louisa a écrit :(...)
à mon sens (à vérifier) Spinoza parle de l'essence au sens commun (au XVIIe) aussi longtemps qu'il n'a pas donné sa définition à lui (E2D2). Il peut donc parler d'une essence de l'homme au sens ordinaire du terme (essence de genre) dans l'E1. Dans l'E2, en revanche, il me semble que (à vérifier aussi) la définition appartient au deuxième genre de connaissance, et est ainsi capable de capter ce qui est commun entre plusieurs individus dans la mesure où ceux-ci nous affectent, mais pas de donner accès à une essence (ce qui ne se fait que par connaissance intuitive, alors que toute définition est discursive).
(...)

E3 appendice Déf. 1, explication (trad. Saisset) :

J'aurais pu dire, en effet, que le désir, c'est l'essence même de l'homme en tant qu'on la conçoit comme déterminée à quelque action ; mais de cette définition il ne résulterait pas (par la Propos. 23, partie 2) que l'âme pût avoir conscience de son désir et de son appétit. C'est pourquoi, afin d'envelopper dans ma définition la cause de cette conscience que nous avons de nos désirs, il a été nécessaire (par la même Propos.) d'ajouter : en tant qu'elle est déterminée par une de ses affections quelconque, etc. En effet, par une affection de l'essence de l'homme, nous entendons un état quelconque de cette même essence, soit inné, soit conçu par son rapport au seul attribut de la pensée, ou par son rapport au seul attribut de l'étendue, soit enfin rapporté à la fois à l'un et l'autre de ces attributs.

On peut se poser plusieurs questions et j'en profite pour donner une autre possibilité de conception (ou la même vue autrement, je ne sais pas trop si je suis cohérent avec moi-même...) :

1- vaut-il mieux traduire "essence de l'homme" ou "essence humaine" ?
J'opterais plutôt pour la deuxième option. Dans E2p40 scolie, "Homo" est renvoyé aux notions dites universelles dues à la confusion des images. Il faudrait voir si tous les usages faits de "homo" peuvent être traduits par "un homme", "des hommes" plutôt que "l'homme". Ce n'est pas évident, notamment pour E2 ax. 2 (Homo cogitat) bien que l'axiome vienne avant la clarification de E2p40 scolie.
Si je penche pour la traduction "essence humaine", c'est que la qualification adjectivale de "essence" me semble plus adéquate à l'idée de mode d'être ou d'être dans son genre (attributs). Etre étendu, être pensé, être humain. L'essence est ainsi première, ne déterminant aucun nombre particulier tout en étant elle-même déterminée et susceptible d'une définition.

2- le singulier et ses variations
En y réfléchissant, je m'aperçois que j'ai tendance à ne pas faire de "singulier" un usage commun de singulier.
Définissons "singulier" : ce qui ne se détermine par aucune "collection".
Je ne définis pas "singulier" comme ce qui est égal à 1 mais comme sans rapport avec le nombre, avec l'accumulation d'objet et la comparaison qui en découle.
Si la définition est discursive dans son expression, elle doit renvoyer à une idée d'où se déduira toutes les propriétés de l'objet visé. Les propriétés seront secondes, enveloppant la définition/essence, c'est-à-dire ne pouvant se concevoir sans elle.
Auquel cas, il ne me semble pas évident que la définition soit à renvoyer au 2nd genre de connaissance plutôt qu'au 3e dès lors que ce qui est à définir est une essence singulière. C'est plutôt du 3e genre que découlera le 2nd.
"Etre-humain" par exemple peut être vu comme essence unique, déterminable, définissable. Quand on parlera d'un être, il s'agira de savoir dans quelle mesure il exprime l'"être-humain" notamment par les indicateurs que seront ses appétits, ses affects, des propriétés que le 2nd genre prendra comme premières pour construire à partir du commun. Au lieu de partir de l'image habituelle d'une personne (1er genre) ou d'une propriété commune observée (2nd genre), on conçoit d'abord une essence singulière et on n'utilise les propriétés commune des êtres que comme indicateurs d'expression d'essence.

Cela pourrait poser le problème d'un platonisme spinozien avec une sorte d'autonomie éternelle d'essences en attente d'incarnation existentielle si Spinoza n'exigeait d'emblée une existence correspondant à l'essence et ne faisait de l'éternité quelque chose n'ayant pas de rapport au temps (pas de mythe de l'incarnation).
Cela pourrait aussi poser le problème d'un aristotélicisme spinozien, les essences étant prises comme des "formes modèles" auxquelles tendraient les choses si les essences n'étaient pas des puissances en acte, des poussées immanentes qui ne vont nulle part, étant là où elles sont sans autre visée que d'insister, de s'intensifier.

L'"être-humain" (à prendre dans un sens "éthologique"/éthique) est, parce qu'il existe un certain rapport de mouvement et de repos comme objet d'une idée "être-humain". Tel ou tel individu sera humain pour autant que le rapport qu'il exprime est dans le domaine de l'essence humaine, dans le cadre des affections de cette essence.

Par exemple, si on a l'essence "fraction divisible par 2", celui qui est 4/2 ou 264/4 est "fraction divisible par 2" tout en étant lui-même.
Est-ce que "fraction divisible par 2" est un genre ?
Non si on entend par genre l'union de divers êtres : à "fraction divisible par 2" correspondra un ensemble en extension, mais ce n'est pas l'extension qui définit l'intension (ou compréhension). La définition ou l'essence n'impliquent pas de nombre déterminé, la connaissance des essences n'implique pas la connaissance de chaque terme de l'ensemble en extension (un seul suffit comme indicateur d'existence), et ce n'est que l'existence selon l'ordre de la Nature qui déterminera par des causes supplémentaires combien d'êtres sont réellement "fraction divisible par 2".

Mais, si on part du point de vue d'un ensemble en extension et qu'on réduit chaque membre à une propriété commune "fraction divisible par 2", on construit au mieux une notion commune. Au lieu d'une composition d'essences, composition de "être 4/2" et "être fraction divisible par 2", on abolit la réalité de "être 4/2", on fait disparaître indûment un niveau de singularité.
En fait, je retrouve l'idée d'une "modalité d'essence", 4/2 étant une sorte de mode de "fraction divisible par 2", une affection de l'essence.
En effet :

3- les essences sont affectées, elles varient en puissance actuelle[b]
Chez l'humain, la joie est le passage d'une moindre à une plus grande puissance. Pour poursuivre sur mon exemple, on pourrait dire que le passage de 4/2 = 2 à 264/4 = 66 est une joie pour l'être "x/y divisible par 2". Par contre, si il devient 265/2, ce n'est plus la même essence qui s'exprime.
Pour revenir un peu au sujet : l'identité essentielle se concevrait alors dans la durée comme une permanence du rapport et une variation de puissance (par sauts "quantiques" dans mon exemple, de degré en degré).

De même, le membre d'un club ou d'une Cité, se conçoit comme variation de la puissance du club ou de la Cité et non pas comme partie d'un tout. Si on a une conception "ascendante" (2nd genre), on prend des parties et on en fait un tout selon le commun avec le risque de réduire chaque membre à ce commun, mais si on a une conception "descendante" (3e genre) on prend des essences avec leurs variations, leurs affections et les individus au sens commun ont une essence mais sont aussi des affections d'essences compatibles.

M. Dupond est à la fois une variété ou un "degré" pour reprendre ton langage (ou celui de Deleuze ?) de l'"être-Club", une variété de l'"être-Cité" etc.
Dans le sens "ascendant", c'est cette conjonction de "lignes de forces" (à nouveau ton langage) qui déterminera M. Dupond et c'est la connaissance de telle ou telle ligne qui fera accéder à tel ou tel aspect de M. Dupond. Mais chaque aspect devra être connu en lui-même avant qu'on puisse en faire une propriété commune : on ne peut comparer que ce que l'on connaît déjà et on ne connaît que ce qu'on est soi-même.
264/4 est à la fois variété de "multiple de 33", de "x/y divisible par 2", de "numérateur > 100" etc. à l'infini.
Si on voulait construire ce rapport en prenant chaque variété comme une propriétés communes, on n'y arriverait jamais, il faudrait une infinité de propriétés (< 100, <101 etc.). Par contre, si on part de n'importe quelle essence connue, on ne se préoccupe pas de rêver à la connaissance de toutes les propriétés de 264/4 ou de M. Dupond, on se satisfait du connu perçu dans le réel.

Tu disais que chez Kupiec "on garde l'idée d'un être fini connaissable, mais il n'est jamais entièrement connaissable", ce qui me semble bien correspondre à la connaissance scientifique (2nd genre), et j'y opposerais la connaissance d'une essence "singulière (sans nombre déterminé), connaissance qu'on possède parce qu'elle est en nous (idée de Dieu, essence des attributs, tel ou tel mode...) et qu'on trouve aussi dans autre chose.

Pas sûr que je sois très clair, mais en gros, il s'agit de ne pas accepter une position sceptique repoussant la connaissance des essences à l'infini parce que celles-ci sont en fait conçus comme assemblage de propriétés communes, et d'être dans l'affirmation première d'essences connues et la saisie de leurs variations ici ou là. Variations de l'"être humain", "être citoyen", "être ivrogne", "être sage", "être joyeux", "être de la substance" etc.
Et là où Dieu est pris comme notion commune dans le second genre après construction par le commun, il est pris dans son essence par le 3e et il en découle une infinité de choses (être étendu, être pensé, être ivrogne, être sage...) infiniment modifiées (étendu ici ou là, pensé comme-ci comme ça, saoulé à la vodka, saoulé au vin rouge, assagi par Jésus, assagi par Spinoza etc.).

Après m'être laissé aller à ce long développement, pour répondre plus précisément à tes questions :
Louisa a écrit :Or si je t'ai bien compris, tu suggères qu'une essence qui s'applique ou s'attribue à plusieurs Individus, pourrait néanmoins être singulière (l'essence de l'homme par exemple).

Oui.
Louisa a écrit : Je n'ai pas tout à fait compris en quoi consisterait alors pour toi la singularité.

Ce qui n'a pas de nombre déterminé, ne correspond pas à une "collection".
Louisa a écrit :est-ce que l'interfécondité peut constituer un Individu "homme"? Le fait même qu'il s'agit d'une propriété commune me fait penser que non.

Il s'agit justement de ne prendre ce terme ou cette propriété commune que comme indicateur d'une essence que l'on perçoit (ou pas). En d'autres termes, je n'admets pas qu'il y ait de "fait même" en dehors d'une idée claire et autant que possible d'une définition. Quand tu dis "le fait même qu'il s'agit d'une propriété commune", je ne prends pas ça comme un fait si ce n'est comme fait que tu conçois ce terme comme désignant une propriété commune avec le sous-entendu qu'il s'agirait de s'en servir ainsi pour déterminer une essence, ce qui est bien sûr incompatible avec l'idée que je développais d'essences purement singulières.
Louisa a écrit :(...) Si oui, je ne vois pas en quoi on pourrait concevoir une essence de "l'humanité" en rapport avec les problèmes écologiques contemporains.

En étant dans l'optique "écologiste" et en prenant le terme "humanité" comme expression/variation de l'essence "être acteur écologique".
Louisa a écrit :(...) en quoi consisterait alors le rapport entre l'Individu-société et les Individus composants (tu as peut-être l'impression de l'avoir déjà précisé; si c'est le cas je ne l'ai pas encore compris).

Variation, expression à un certain "degré", affection d'un être-ceci ou être-cela, puissance d'être-ceci ou être-cela.
Louisa a écrit :(...) Une propriété commune peut-elle constituer une essence?

Non.
Les propriétés communes découlent de l'expression d'essences.
Louisa a écrit : Avoir quelque chose en commun est-ce suffisant pour déjà constituer un Individu?

Non, puisque avant de dire "commun" il faut distinguer entre les êtres, notamment distinguer dans une affection ce qui indique une nature s'exprimant en nous et en l'autre (notion commune), ce qui indique une essence s'exprimant en nous et pas en l'autre et, par "soustraction" ce qui indique une essence s'exprimant en l'autre et pas en nous (individuation différentielle).
Louisa a écrit :dirais-tu aussi que l'esprit de sa Cité constitue l'essence même de tel ou tel citoyen?

Non.
Je dirais que l'esprit d'une Cité, la puissance "être-cette-Cité" est équivalent à "être-citoyen" lequel est une partie de puissance de "être-cette-Cité". Chaque personne [b]en tant qu'elle est citoyenne, en tant qu'elle met sa puissance au service de la Cité
, est "être-cette-Cité". Et en tant qu'elle est criminelle, en résistance, attristée par la Cité etc., elle ne sera pas "être-cette-Cité".
Louisa a écrit :Car si ce qui constitue l'essence d'un Individu (= société) peut être une propriété commune aux Individus qui la composent, alors il faut dire que lorsque tel ou tel homme-au-chapeau-melon meurt, la société elle aussi serait morte (en vertu de l'E2D2), ce qui est absurde lorsque cette société est définie par la propriété commune elle-même (car alors la société existe aussi longtemps qu'il y au moins un homme avec chapeau melon).

Partir de l'idée de "propriété commune", c'est d'emblée rater l'essence singulière du club. Quand un membre meurt, l'"être-club" perd autant de puissance que le membre avait mis au service du club.
Louisa a écrit :(...)
Mais ce qui continue à me gêner là-dedans, c'est que je ne vois pas comment ne pas passer à une conception "relativiste" de la vérité si l'on s'y prend ainsi. S'il s'agit d'essayer de comprendre l'autre (tel ou tel intervenant sur ce forum), ce que tu dis me semble être parfait. Mais quid s'il s'agit de comprendre Spinoza ... ? Certes, toutes les interprétations proposées ici sont des "effets" produits par l'Ethique. Mais n'est-ce pas Spinoza lui-même qui dit qu'on ne peut pas connaître la cause par ses effets, qu'il faut prendre le chemin inverse, et cela more geometrico ... ?

C'est une compréhension au 2nd degré : au lieu d'en rester au constat d'une divergence d'opinion (1er genre), d'une absence de "communion" ou "communication" sur tel ou tel point (2nd degré), il s'agit de saisir les causes de ces divergences et absences, de distinguer entre les tendances de l'autre et de soi, pour voir comment tout ceci se compose en "débat", en lutte.
Ce n'est pas très poli de parler des gens sans leur autorisation mais si certains te reprochent un ton professoral ou Sinusix rappelle que "nous ne sommes pas ici devant un jury d'examen", cela peut indiquer une perception plus ou moins "conscientisée" que tu es étudiante en route vers le professorat ou, au moins, que tu exprimes cette essence-là. Il en découle diverses déterminations qui devraient faire comprendre pourquoi tu défends des thèses tout en disant que tu es en recherche, pourquoi tu manifestes une "docte" connaissance, un souci de la précision "bibliographique etc. et pourquoi il est d'un intérêt douteux d'aller à l'encontre de ces déterminations à moins de vouloir te "soumettre" à un autre être que le tien.
Spinoza n'étant pas là pour arbitrer la réalité d'une communauté d'esprit avec lui et 4 siècles de lectures divergentes me semblent suffisant pour douter que "comprendre Spinoza" soit une notion claire, je serais d'avis que l'"humanité" commanderait qu'on se mette si possible au service des uns et des autres (notamment à ton service, ce que je n'ai pas trop fait...) pour que les thèses se développent selon l'esprit de leur auteur, qu'elles s'approfondissent, pour autant qu'elles ne soient pas clairement hors de la latitude laissée par les textes.
Ijtihâd disent les musulmans, "effort de réflexion" autour des textes. C'est en partie la même racine que jihad (effort, exercer une force, pas guerre)...

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Messagepar sescho » 08 déc. 2008, 00:31

Je voudrais dire une nouvelle fois ce que j’en pense, afin de donner, le cas échéant, quelque poids à ce qui me semble évident.

Spinoza a écrit :PM1Ch2 : … l'Être de l'Essence n'est rien d'autre que la façon dont les choses créées sont comprises dans les attributs de Dieu ; …

l'essence formelle n'est point par soi et n'est pas non plus créée ; car l'un et l'autre impliqueraient une chose existant en acte ; mais … elle dépend de la seule essence divine où tout est contenu …

PM1Ch3 : … les choses créées n’ont d’elles-mêmes aucune nécessité : puisqu’elles n’ont d’elles-mêmes aucune essence et n’existent pas par elles-mêmes.

… L’essence dépend des seules lois éternelles de la Nature, l’existence de la succession et de l’ordre des causes. …

E1P8S2 : ... de là vient que nous pouvons nous former des idées vraies de certaines modifications qui n’existent pas ; car, bien qu’elles n’aient pas d’existence actuelle hors de l’entendement, leur essence est contenue dans une autre nature de telle façon qu’on les peut concevoir par elle. …

… 1° La vraie définition d’une chose quelconque n’enveloppe ni n’exprime rien de plus que la nature de la chose définie. 2° Il suit de là qu’aucune définition n’enveloppe ni n’exprime un nombre déterminé d’individus, puisqu’elle n’exprime rien de plus que la nature de la chose définie. Par exemple, la définition du triangle n’exprime rien de plus que la simple nature du triangle ; elle n’exprime pas un certain nombre déterminé de triangles. …

… s’il existe vingt hommes dans la nature des choses (nous supposerons, pour plus de clarté, qu’ils existent simultanément et non les uns avant les autres), il ne suffira pas, pour rendre raison de l’existence de ces vingt hommes, de montrer en général la cause de la nature humaine ; mais il faudra montrer en outre la cause en vertu de laquelle il existe vingt hommes, ni plus ni moins, puisqu’il n’y a rien (par la remarque 2) qui n’ait une cause de son existence. Or, cette cause (par les remarques 2 et 3) ne peut être contenue dans la nature humaine elle-même, la vraie définition de l’homme n’enveloppant nullement le nombre vingt. Et en conséquence (par la remarque 4), la cause qui fait exister ces vingt hommes, et partant chacun d’entre eux, doit pour chacun être extérieure. D’où il faut conclure absolument que tout ce dont la nature comporte un certain nombre d’individus suppose nécessairement une cause extérieure, pour que ces individus puissent exister. …

E1P17S : … un homme est cause de l’existence d’un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c’est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l’essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l’existence, et de là vient que, si l’existence de l’un d’eux est détruite, celle de l’autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps. …

E2D2 : Ce qui appartient à l’essence d’une chose, c’est ce dont l’existence emporte celle de la chose, et la non-existence sa non-existence ; en d’autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose.

E2P8 : Les idées des choses particulières (ou modes) qui n’existent pas doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.

E2P10CS : … pourquoi je n’ai pas dit que l’essence d’une chose, c’est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue. Les choses particulières, en effet, ne peuvent exister ni être conçues sans Dieu ; et cependant Dieu n’appartient point à leur essence. En conséquence, j’ai dit : ce qui constitue l’essence d’une chose, c’est ce dont l’existence emporte celle de la chose, et la destruction sa destruction, en d’autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose.

E2P11Dm : Ce qui constitue l’essence de l’homme (par le Corollaire de la Propos. précédente), ce sont certains modes des attributs de Dieu, savoir (par l’Axiome 2, partie 2) des modes de la pensée …

E4D8 : … la vertu, c’est l’essence même ou la nature de l’homme, en tant qu’il a la puissance de faire certaines choses qui se peuvent concevoir par les seules lois de sa nature elle-même.

E4P35 : Les hommes ne sont constamment et nécessairement en conformité de nature qu’en tant qu’ils vivent selon les conseils de la raison.

Démonstration : Les hommes, en tant qu’ils sont livrés au conflit des affections passives, peuvent être de nature différente (par la Propos. 33, part. 4) et même contraire (par la Propos. précédente). Or, on ne peut dire des hommes qu’ils agissent qu’en tant qu’ils dirigent leur vie d’après la raison (par la Propos. 3, part. 3), et par conséquent tout ce qui résulte de la nature humaine, en tant qu’on la considère comme raisonnable, doit (en vertu de la Déf. 2, part. 3) se concevoir par la nature humaine toute seule, comme par sa cause prochaine. Mais tout homme, par la loi de sa nature, désirant ce qui lui est bon, et s’efforçant d’écarter ce qu’il croit mauvais pour lui (par la Propos. 19, part. 4), et d’un autre côté, tout ce que nous jugeons bon ou mauvais d’après la décision de la raison étant nécessairement bon ou mauvais (par la Propos. 41, part. 2), ce n’est donc qu’en tant que les hommes règlent leur vie d’après la raison qu’ils accomplissent nécessairement les choses qui sont bonnes pour la nature humaine, et partant bonnes pour chaque homme en particulier ; en d’autres termes (par le Coroll. de la Propos. 31, part. 4), les choses qui sont en conformité avec la nature de tous les hommes. Donc les hommes en tant qu’ils vivent selon les lois de la raison, sont toujours et nécessairement en conformité de nature. C. Q. F. D.

Donc :

La vision de Spinoza (ordre requis pour philosopher) s’oppose à la tendance commune consistant à placer les choses singulières d’abord comme étant en soi, puis éventuellement à plaquer Dieu par dessus en ajoutant a posteriori que, bien sûr, elles sont aussi en Dieu. La vision de Spinoza, c’est l’inverse : Dieu est d’abord et seul en soi ; les choses singulières (finies existant en acte) ne sont que (et ne sont vues, de fait, que comme) des manières d’être de Dieu, fondamentalement transitoires (du point de vue de leur existence, donc, l’essence étant par ailleurs éternelle comme Dieu lui-même), même si une certaine permanence peut-être notée temporairement.

Il n’y a aucun lien entre l’essence et l’existence dans les choses singulières, si ce n’est que celles-ci incarnent nécessairement une essence (ce qu’elles sont, tout simplement, à un instant donné, d’où l’adjectif ajouté (à essence) : « actuelle » ; E4P4Dm par exemple.) Lorsque l’on place les choses singulières et donc leur existence en premier, on ne comprend rien à tout cela. Il n’y a en fait qu’une seule essence : celle de Dieu. Les choses singulières ne possèdent pas d’essence à proprement parler : elles en actualisent nécessairement une (une « part » de celle de Dieu) à chaque instant, par l’effet du Mouvement. Dans ces conditions le terme même d’« essence singulière » est critiquable. Ce n’est pas parce que les choses singulières ont une essence que l’essence elle-même devient par cela singulière. De même il est incohérent d’introduire une quelconque considération de durée – et donc d’existence ou non d’une chose singulière – lorsque le sujet est l’essence même. Tandis que l’essence est unique (celle de Dieu), l’existence des choses singulières étant un aspect distinct de leur essence, elles peuvent être plus ou moins nombreuses à un instant donné à incarner la même « part » de l’essence de Dieu, puisqu’en fait il n’y a comme essence que de Dieu, sans qu’une actualisation précise soit en cause dans l’affaire (car Dieu se manifeste en permanence et tout, dans l’infinité du temps – qui n’est un attribut que de l’existence des choses singulières, un effet du mouvement –, sera nécessairement produit et reproduit sans fin.) L’essence ne se multiplie pas comme les existences de choses singulières. C’est parfaitement insensé dans ce cadre.

Deux bout de charbons peuvent se distinguer quant à la forme, ou quant à l’existence à des temps différents, mais qu’est-ce qui a le plus de sens, qui relève le plus d’une connaissance de la Nature (nous ne sommes pas avec Spinoza en train de jouer sans fin avec des mots pour nous gargariser, nous cherchons à comprendre la vie) : vouloir absolument distinguer le pouillème, confusément perçu, qui distingue deux bouts de charbon, ou connaître les propriétés du charbon, ou d’un bout de charbon en général ?

Quant à E2D2, le sujet a déjà été discuté pleinement plusieurs fois. En aucun cas il n’est acceptable de ne pas associer intimement à une interprétation l’explication précise donnée à la fin de E2P10CS (voir ci-dessus). Or cette explication est très explicite et circonscrite : ne pas dire que Dieu appartient à l’essence des choses singulières, quoique les choses singulières ne puissent être sans Dieu. C’est tout, c’est clair, et c’est Spinoza qui le dit.

Et c’est parfaitement logique lorsque l’on place Dieu d’abord et les choses singulières ensuite et non l’inverse. En tirer que toute essence ne peut être que singulière est tout à fait illégitime. C'est même directement contredit par ce que Dieu a une essence et n'est pas une chose singulière. Les choses sont en Dieu mais Dieu n’est pas (entièrement) dans les choses ; voilà ce que signifie Spinoza. Donc sans la chose (qu’elle existe ou pas en acte : il s’agit d’un mode d’un attribut en général), l’essence de la chose n’existe pas. C’est une sorte de lapalissade, en fait.

Que seules existent les choses singulières dans le monde des choses en acte c'est une pure tautologie, mais E1P8S2 et E1P17S, par exemple, excluent qu'on puisse extrapoler cela en singularisant l'essence elle-même (malgré PM2Ch7 et E2P40S2.)

C’est aussi pourquoi j’ajoute que dans ces conditions on ne peut pas dire à proprement parler qu’un corps soit étendu ; on devrait dire qu’il est une forme dans l’Etendue. Car l’Etendue n’appartient pas à son essence, et est parfaitement concevable sans formes.

En fait, les essences résident dans les attributs équipés de leurs modes immédiats (Mouvement et Entendement infini – ou Idée de Dieu – dans les deux attributs connus.) Dans L’Etendue, par exemple, il n’y a pas de différence entre les essences de tous les modes et celle du Mouvement et de ses lois. Le Mouvement ne change pas lorsque ses produits varient. La seule chose qui ait vraiment de la consistance c’est l’Etendue en Mouvement. Voilà qui est simple et indique tout ce qu’il y a à voir dans les premiers principes.

Je répète en outre, et pour finir, que tout ce qui relève d’une action extérieure (donc d’une passion pour l’homme) et tout particulièrement de la remémoration (Krishnamurti n’est pas loin…) ne fait pas partie de l’essence de l’homme. C’est ce qu’expriment par exemple E4P29-38 (voir en particulier E4P35 ci-dessus.) Or c'est précisément essentiellement en cela que les hommes diffèrent de nature (au sens large ; E4P33.)


Serge

P.S. Écrit sans connaissance du message de Bardamu précédant.
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Messagepar Enegoid » 08 déc. 2008, 18:52

Pardonnez-moi, Bardamu et Louisa, d’intervenir dans votre discussion, mais je ne pouvais pas résister !

Louisa a écrit:
Car si ce qui constitue l'essence d'un Individu (= société) peut être une propriété commune aux Individus qui la composent, alors il faut dire que lorsque tel ou tel homme-au-chapeau-melon meurt, la société elle aussi serait morte (en vertu de l'E2D2), ce qui est absurde lorsque cette société est définie par la propriété commune elle-même (car alors la société existe aussi longtemps qu'il y au moins un homme avec chapeau melon).

Partir de l'idée de "propriété commune", c'est d'emblée rater l'essence singulière du club. Quand un membre meurt, l'"être-club" perd autant de puissance que le membre avait mis au service du club.



Si je prends l’exemple de Louisa d’un club des hommes ayant un chapeau melon :

1 je note qu’il y a club seulement si les membres sont liés entre eux (par des statuts par exemple), ce qui permet à mon avis de dire que le club est un corps (au sens de Spînoza). Le fait de porter un chapeau melon fonctionne au niveau de l’essence du club, car il définit le club. Si j’enlève « chapeau melon », il n’y a plus de club, mais si je pose chapeau melon, alors j’obtiens seulement « homme avec chapeau melon », et pas forcément « club », qui suppose une articulation des corps qui n’est pas donnée par la propriété. Il y a bien un problème par rapport à E2D2 (que je découvre en écrivant).
2 Par contre, s’il n’y a pas club, mais ensemble inorganisé des hommes qui ont un chapeau melon, alors, on a une catégorie définie également par « chapeau melon ».Et là, si je supprime « chapeau melon » je supprime la catégorie, et si je pose « chapeau melon », je pose une chose nouvelle, un homme avec chapeau melon, sans présomption aucune du nombre d’exemplaires de cette chose. Donc je crée une catégorie. Et çà marche vis à vis de E2D2.

Dans les deux cas l’essence de chaque porteur de chapeau melon n’a rien à voir avec le chapeau melon.
Quand tel ou tel homme au chapeau melon meurt, la société ne meurt pas car la propriété « porteur de chapeau melon » continue d’être « donnée » (comme dit Spi) chez les autres porteurs.

(J’insiste évidemment sur « définir », pour rappeler qu’une définition est une essence).

Je voulais dire aussi à Bardamu que je partage son approche de la conception du dialogue : à un moment, il faut choisir entre inciter l’interlocuteur à développer son point de vue (« se mettre au service » de l’interlocuteur) ou développer son propre point de vue. Si j’ai bien compris.
C’est difficile sur un forum ouvert.

Cordialement

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Louisa
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Messagepar Louisa » 09 déc. 2008, 03:00

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :Donc deux choses obligent à mon avis d'accepter le fait que l'idée d'une opposition entre l'intelligible et le sensible telle que vous le présentez ne soit pas très spinoziste:
1. chez Spinoza toute idée est une perception, une sensation
2. la science contemporaine se penche sur le spinozisme précisément pour pouvoir trouver les concepts capables de désamorcer cette opposition.


Nous savons tout cela et ne réduisez pas la pensée de votre interlocuteur à celle d'un potache débutant.


Bonjour Sinusix,

d'abord, moi-même je n'ai découvert que chez Spinoza une idée est une sensation que trois ans après avoir commencé à lire l'Ethique, et cela grâce à une discussion sur ce forum et (suite à cela) à la lecture du livre de Vinciguerra sur les signes. Vinciguerra ne se base que sur un seul passage du TIE, et argumente ensuite en faisant appel à d'autres passages. Bref, pour moi tout indique que ce ne sera pas un "débutant" en matière de spinozisme qui va s'en apercevoir.

Sinon en général je ne comprends pas comment vous pouvez déduire du fait que je dis quelque chose concernant le spinozisme que vous dites ensuite savoir déjà, qu'à mes yeux vous seriez un "débutant". Si ce qui me semble être important à dire pour vous est déjà fort connu, ce serait plutôt vous qui devez être celui qui a déjà le plus d'expérience en matière de spinozisme, et pas moi, non? Bref, je ne comprends pas pourquoi vous dites que je traiterais mon interlocuteur de débutant. Ce serait opposer à une question fort intéressante un bête argument ad hominem. Si vous relisez ce que j'ai écrit, vous verrez que ce n'est pas ce que j'ai fait, j'ai essayé de répondre à votre question par rapport au spinozisme, en laissant entièrement de côté la question de votre "autorité" en la matière.

Sinusix a écrit : Vous savez bien que si nous devions analyser en détail et reprendre un manuel de psychologie basique et ancien (voir le cours de Bergson par exemple), nous devrions mettre comme cause prochaine de la sensation, une impression, donc un corps extérieur ou un organe interne qui la provoque, laquelle relève de l'attribut étendue.


non, je ne sais pas cela. Ce qui signifie qu'il me faudra plus d'arguments avant de pouvoir comprendre en quoi cette thèse est vraie.

En attendant, je répète que ce que j'ai dit, c'est que chez Spinoza l'idée est sensation. En même temps, le parallélisme interdit tout rapport causal entre ce qui relève de l'attribut de l'étendue et l'attribut de la pensée, donc chez Spinoza (contrairement à ce que pense l'opinion commune aujourd'hui) jamais une impression corporelle ne peut "causer" une idée (E2P6). La seule chose qui peut causer une idée, c'est une autre idée. C'est bien cela qui bouscule notre façon habituelle de penser le sensible et l'intelligible. Par conséquent, il me semble que la thèse que je défends ci-dessus non seulement n'est pas acceptée par vous (puisque ce que vous répondez est l'inverse) mais sans doute pas encore claire non plus. Le problème n'est donc pas que je dirais des choses fort connues même déjà par des débutants, le problème est à mon avis que je ne me suis pas du tout exprimée clairement.

Sinusix a écrit : C'est donc jouer sur les mots


vous y allez trop vite. Nous ne nous sommes pas encore compris, voilà tout. Invoquer déjà l'hypothèse de la malveillance de l'interlocuteur dès qu'il y a incompréhension pour moi est un procédé incompréhensible.

Sinusix a écrit :, et nous ne sommes pas ici devant un jury d'examen,


bien sûr que non. Je ne comprends pas ce qui vous fait penser cela.

Sinusix a écrit : que me dire qu'il n'y a pas que le sensible et l'intelligible, puisque Spinoza lui-même ne connaît que deux attributs : la Pensée et l'Etendue.


oui Spinoza lui-même, comme tout homme, ne connaît que ces deux attributs. Mais Spinoza prouve aussi qu'en réalité il y a non seulement ces deux attributs, mais une infinité d'attributs (E1P11), dont l'homme ne peut percevoir que deux.

Sinusix a écrit :Et vraiement, in concreto, quelles expériences autres pouvez-vous avoir autre qu'une communication semble-t-l directe avec Spinoza ?


je ne vois pas ce qui vous fait poser cette question, et le fait même que vous la posez m'attriste. Cela fait des mois que je répète qu'il est bien possible que je me trompe en beaucoup de choses en ce qui concerne le spinozisme et que seule une argumentation sur base du texte permettra de décider qui a raison en quoi. Personne n'a une communication directe avec Spinoza, c'est bien la raison pour laquelle il faut discuter avec ceux qui l'interprètent différemment que soi-même si un jour on veut mieux comprendre le spinozisme. Bref, pour moi votre question est absurde ... .

Sinusix a écrit :Il n'est pas besoin de citer Damasio, voir Nagel ou Ned Block, pour asseoir l'autorité de Spinoza sur des bases neurobiologiques contemporaines, puisque je me suis moi-même récemment référé à cette "modernité" sur ce fil.


la question était: est-ce que tout le monde trouve que chez Spinoza il y a une opposition entre le sensible et l'intelligible tel que vous le décriviez. Je vous ai répondu que non, vous m'avez demandé pourquoi je pense cela. Je viens de vous répondre que je le pense parce que d'une part chez Spinoza l'idée est elle-même sensation (et non pas causée par une sensation, comme vous semblez avoir lu), et d'autre part parce que ce que des neurologues comme Damasio on trouvé chez Spinoza en tant qu'idée à verifier scientifiquement, c'est précisément cette absence d'opposition entre les deux.

Dire cela, c'est donner deux arguments pro la thèse que je proposais. Cela n'a rien à voir avec "asseoir l'autorité de Spinoza" et cela pour deux raisons:
1. Damasio n'a pas du tout prouvé scientifiquement le spinozisme, il s'en est juste inspiré, et dit d'emblée qu'il ne connaît pas très bien Spinoza
2. la question n'était pas de savoir si le spinozisme est vrai ou non, la question était de savoir comment Spinoza pense le rapport entre le sensible et l'intelligible.

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :En matière de spinozisme, comme l'a déjà très bien dit Durtal, l'enjeu consiste précisément à savoir ce qui est spinoziste et ce qui ne l'est pas. Vous dites que chez Spinoza les essences peuvent être en partie (voire majoritairement) constituées de propriétés communes, je dis moi que l'E2D2 et l'E2P37 rendent cela à mon sens impossible. Pour moi, cela est un point de départ excellent d'un débat argumenté. Seulement, il faudra bien qu'on rentre tôt ou tard dans l'argumentation sur base du texte, sinon on ne saura jamais si c'est vous qui vous trompez ou moi qui me trompe. Pour l'instant, vous dites seulement que l'essence doit être composé majoritairement de propriétés communes parce que vous ne doutez pas de la vérité de cette idée. Je ne peux que vous dire que pour moi cela est très bien, mais je m'intéresse avant tout à la question de savoir comment Spinoza a conçu les essences. Pour le savoir, il faut bel et bien retourner au texte, on ne peut pas simplement dire comment on conçoit soi-même l'essence.


Je dis effectivement qu'appartiennent à toute essence singulière des propriétés communes, faute de quoi vous ne pourrez concevoir rien de commun entre deux essences singulières, auquel quoi, dixit E1P3, Marie et Pierre (ou Médor et Datcha) ne pourront jamais procréer.


les modes ne sont cause que de l'existence d'autres modes, jamais de leurs essences. La cause de l'essence singulière d'un mode, c'est Dieu en tant que cause immanente, pas Dieu en tant que mode. Par conséquent, il me semble que dans le spinozisme jamais les parents ne sont la cause de l'essence de l'enfant, ils ne sont la cause que de son existence, et même pas de son existence tout court, mais seulement de son existence dans un temps et un lieu précis. E1P17 scolie:

"Par ex., un homme est cause de l'existence et non de l'essence d'un autre homme (..)"

A mon avis c'est parce que vous voulez que les essences soient largement constituées de propriétés communes que vous supposez qu'elles doivent avoir quelque chose en commun. En tout cas, si vous trouvez quelque chose dans le texte même de Spinoza qui vous fait penser que l'essence de deux choses différentes peut avoir quelque chose en commun, cela m'intéresse (pas d'ironie dans cette phrase).

Sinusix a écrit :En lisant vos réponses à Bardamu et Hokousai, il m'apparaît qu'une partie de la difficulté provient d'une interprétation différente, et il est vraie qu'il y a lieu, de la deuxième partie de E2D2. En effet, le second membre dit : "ce qui sans la chose ne peut ni être, ni se concevoir", autrement dit faute de l'existence de la chose singulière singulière, son essence n'existe pas, ce qui paraît marqué du "bon sens". Oui mais.


en effet, je suppose moi aussi que ceux qui défendent l'idée d'une essence non singulière dans le spinozisme interprètent l'EE2D2 différemment, donc merci d'avoir bien voulu dire comment vous analysez cette définition.

A mon sens cette deuxième condition n'a rien à voir avec le "bon sens", si par cela on comprend l'opinion commune. Car elle ne dit pas que sans l'existence de la chose singulière, son essence n'existe pas. Elle dit que ce qui constitue l'essence de la chose n'existe pas lorsque la chose n'existe pas. Or cela n'est pas le cas pour une propriété commune, ou pour l'essence telle que la pense par exemple l'aristotélisme. Pour Aristote (et pour beaucoup d'autres philosophes et pour l'opinion comlmune occidentale contemporaine) l'essence de l'homme est la même pour tous les hommes. Du coup, Socrate peut mourir, mais aussi longtemps qu'il y a des hommes, l'essence de l'homme existera. C'est ça la raison pour laquelle toute essence doit être singulière: il faut que lorsqu'on supprime ce qui la constitue, l'essence même n'existe plus. C'est cela qui le rend impossible que des propriétés communes constituent une essence, dans le spinozisme.

Sinusix a écrit :Ma compréhension de ce deuxième membre se rattache à l'analyse déjà renouvelée de E2P8 : faute d'existence de la chose singulière, son essence formelle n'existe pas (mais bien entendu, comme toute essence, elle "baigne" dans les attributs de Dieu, donc dans l'existant), mais en revanche, son essence objective, ou être objectif, ou idée existe bel et bien en Dieu. Comme chez Michel-Ange, l'essence objective de la statue de David, préexiste à la réalisation de cette dernière, et le bloc de marbre ignore encore la transmutation qu'il va connaître. La destruction de la statue ne réduit pas pour autant l'idée qu'en avait l'auteur, qui pourrait la recommencer, à quelques variantes près.


ok, mais pour moi le problème c'est que vous ne montrez pas comment déduire cela de l'E2P8. Tandis que la proposition même dit déjà que les essences formelles des choses qui n'existent pas existent elles aussi en Dieu, et pas seulement l'essence objective ou l'idée de la chose:

"Les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu".

La démonstration réfère au scolie précédent. C'est en effet le parallélisme qui fait que jamais une essence objective d'une chose ne peut exister sans son essence formelle. Les deux existent ou bien dans le temps et en Dieu (lorsqe la chose est dite durer), ou bien en Dieu seul (de toute éternité).

Sinusix a écrit :Que les essences formelles soient singulières, cela me semble donc définitivement clair.


ok, là-dessus nous lisons pour l'instant donc la même chose en lisant Spinoza, mais j'avoue que je ne comprends pas encore très bien sur quoi vous vous basez pour le penser.

Sinusix a écrit : Il n'empêche que pour l'approche que nous pouvons en avoir, du côté de l'entendement et dans le cadre du 2ème genre de connaissance, ce qu'il y a d'obligatoirement "commun" entre les essences formelles, pour autoriser par exemple la procréation entre Marie et Pierre, est valablement identifié, aux niveau des essences objectives ou idées qui sont dans l'entendement, par les propriétés communes ou "essences de genre objectives".


que voulez-vous dire par là?

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :pour la première question: vous avez dit que pour vous les essences ne peuvent pas être "senties", elles doivent être de l'ordre de l'intelligible. Puis vous dites que selon vous le spinozisme est un matérialisme. Du coup, tout ce qui est intelligible, et que vous semblez ranger du côté de l'attribut de la Pensée, perd toute réalité. Seul la matière ou l'attribut de l'Etendue est réel, pas celui de la Pensée. Voici en tout cas comment j'ai pour l'instant compris ce que vous avez écrit. Or il va de soi qu'il se peut que je vous aie mal compris. Dans ce cas je ne peux que vous dire comment je l'ai compris et espérer que vous allez ensuite corriger là où il s'avère qu'il y a des malentendus.


Effectivement, vous faîtes une réduction matière = Etendue et non Pensée, ce que je n'ai pas fait, faute de quoi j'aurais été totalement incohérent. Disons, au minimum, que par matérialisme j'entends la substance "réduite" à mes deux seules certitudes, l'Etendue et l'Intelligible. Je me contente de ces deux là, l'infinité d'autres n'ayant d'intérêt que cohérence de construction philosophique face aux scolastiques.


je ne comprends pas sur quoi vous basez votre rejet de la scolastique mais ce n'est peut-être pas très important pour ce qui nous occupe ici. Ce qui est plus important, c'est que je ne vois pas comment ne pas identifier la matière à ce que Spinoza range sous l'attribut de l'Etendue. De quel passage du texte déduisez-vous que chez Spinoza l'intelligible (donc l'attribut de la Pensée) serait lui-même matériel?

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :
Sinusix a écrit :
C'est bien pourquoi encore je persiste, quand vous me faîtes dire que je ne croirais pas à la réalité des attributs, ce que je n'ai pas dit.

Je précise simplement, par rapport à votre lecture de mon point de vue ambiguë, que les attributs n'ont de réalité que gnoséologique (la définition IV est claire ; il se conçoivent par soi, mais ils n'existent pas par soi).


La définition 4 de l'E1 par exemple ne dit pas du tout que les attributs se conçoivent par soi mais n'existent pas par soi. Si c'est ce que selon vous on peut en conclure, ce sont les raisons pour lesquels vous pensez cela qui m'intéressent. Juste dire que pour vous c'est le cas, c'est donner votre opinion. Nous sommes dans une démocratie, donc chacun a droit à son opinion, mais cela ne fait pas forcément avancer votre interlocuteur vers une compréhension meilleure de cette opinion si vous n'y ajoutez pas la "preuve", si vous ne dites pas comment vous en déduisez cela.


C'est un peu provocateur, non ?


mais non, pas du tout. Pourquoi ne pas prendre au sérieux ce que je dis? Pourquoi lorsque ce que je dis pour vous est nouveau voire faux déjà invoquer l'hypothèse de la malveillance ... ????

Je n'ai rien voulu dire d'autre que ce que j'ai dit: l'E2D4 dit que Spinoza appelle attribut ce qu'un intellect perçoit comme constituant l'essence d'une sbustance, et vous dit que cette définition dit clairement que l'attribut se conçoit par soi mais n'existe pas par soi. Moi, je ne vois vraiment pas comment lire cela lorsque je lis cette définition. Vous proposez ici une interprétation de cette définition, et si vous voulez que d'autres comprennent comment vous faites pour l'interpréter ainsi, il va falloir donner les raisons qui vous font penser cela. Sinon vous donnez juste votre opinion personnelle, et vous avez bien sûr tout à fait droit à cela, et je respecte entièrement cette opinion, mais jamais une opinion ne peut remplacer une preuve, donc voilà, ce n'est pas par le biais d'une opinion (c'est-à-dire une thèse non argumentée) que je parviendrai à comprendre pourquoi selon vous votre thèse se déduit de cette définition ... .

Sinusix a écrit :A chaque fois que vous allez faire vos courses, vous ne demandez pas à la caissière de vous reprouver que 2 et 2 font 4. Vous savez bien comme moi que les définitions de l'Ethique, bien que Définitions logiquement accessibles directement à la raison, sont ensuite "prouvées" par Spinoza dans le cadre des propositions suivantes, Spinoza ayant pensé chaleureusement aux intelligences moins puissantes, dont la mienne, à qui ces vérités n'apparaîtraient pas immédiatement dans leur évidente clarté. En l'occurrence, la suite et tous les commentateurs bien intentionnés envers Spinoza n'ont qu'une seule lecture de E1D4, à savoir que cette Définition, au contraire de D3 et D5, ne comprend que le volet gnoséologique et donc que l'attribut n'a pas d'existence par soi, ce que Spinoza répète à maintes reprises.


à mon avis vous vous trompez. D'abord je ne crois pas qu'un procès d'intentions a sa place dans une discussion rationelle. Regardons plutôt les arguments, et essayons de trouver des contre-arguments lorsqu'on n'est pas d'accord. En voici quelques-uns.

Pierre Macheray à propos de l'E1D4:

"On a énormément glosé au sujet de la définition de l'attribut, dont les deux lignes ont déclenché une controverse qui, aujourd'hui encore, n'est pas close. Cette controverse tourne autour de la question suivante: l'attribut tel que Spinoza le définit est-il "attribué" à la substance par l'intellect, sous-entendu humain, au titre d'une représentation subjective, ou bien doit-il être considéré comme appartenant à sa réalité objective?".

Macherey donne ensuite des arguments pro l'idée que l'attribut n'est pas juste une "idée", ou comme vous le dites, n'a pas juste une existence "gnoséologique", mais constitue réellement l'essence de Dieu.

On trouve la même idée chez un autre commentateur de taille, Martial Gueroult:

"Dans cette perspective, qui est la meilleure, l'être physiquement réel de la substance, c'est l'attribut (...)".

Dans son Dictionnaire Spinoza (2007), Charles Ramond reprend Gueroult pour dire avec lui que les attributs ne sont pas juste des idées ou des points de vue d'un intellect sur l'essence de la substance:

""ce que l'entendement perçoit", en effet, n'y est en aucune façon un "point de vue", mais la chose telle qu'elle est en elle-même (...). Les attributs sont donc, non pas pour nous, mais en soi, l'essence de la substance."

Sinusix a écrit :C'est en ce sens que j'emploie ce "barbarisme" de réalité gnoséologique.


serait-il possible de dire quelle commentateur le pense selon vous ainsi, et de le citer?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :En conséquence, je ne vois pas comment, sur la base de l'ouverture conceptuelle qu'autorise la rédaction de E2Définition2, vous pouvez récuser tous les arguments qui militent pour que l'entendement, avec tous les moyens qui sont les siens permettant d'arriver à des idées adéquates, se fasse une idée précise de ce qui constitue l'essence objective d'une chose singulière, seule connaissance à laquelle il puisse espérer accéder


il s'agit d'un malentendu. C'est Sescho qui prétend que nous n'ayons pas accès à l'essence singulière d'une chose, tandis que Bardamu (si je l'ai bien compris) et moi-même disons l'inverse: dans le spinozisme, une connaissance adéquate de l'essence singulière des choses est tout à fait possible, c'est même en cela que consiste la béatitude. Bref, si vous croyez qu'une connaissance adéquate d'une essence singulière dans le spinozisme est possible, nous sommes tout à fait d'accord là-dessus.


Oui, mais en tant qu'essence objective, donc connaissable. Il est bien évident que, pour moi, l'essence formelle nous reste inaccessible (voir le problème de Nagel : qu'est-ce que ça fait d'être une chauve-souris).


je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par là.

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :(et parmi ces moyens, les propriétés qui appartiennent, au sens de E2D2, à l'essence de chaque homme en tant que ces propriétés, par exemple le langage chez l'homme, contribuent à sa singularité).


ok, mais j'attends qu'on démontre comment déduire de l'E2D2 qu'une propriété commune peut constituer une essence avant de pouvoir la lire ainsi.


Voir ci-dessus l'éternelle ritournelle entre constituer et appartenir à, dans l'entendement.


je ne vois pas encore très bien en quoi cela démontrerait qu'une propriété commune peut constituer une essence singulière. Serait-il possible d'expliciter votre raisonnement? Merci par avance.
Amicalement,
L.

PS: je réponds bientôt aux messages suivants.
PPS à Enegoid: que tu interviennes dans "nos" discussions ne me dérange pas du tout, au contraire, c'est l'avantage d'un forum que de pouvoir discuter à plusieurs ...

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Louisa
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Messagepar Louisa » 09 déc. 2008, 03:48

Enegoid a écrit :à un moment, il faut choisir entre inciter l’interlocuteur à développer son point de vue (« se mettre au service » de l’interlocuteur) ou développer son propre point de vue. Si j’ai bien compris.
C’est difficile sur un forum ouvert.


en ce qui me concerne, je ne vois pas comment on pourrait un jour espérer atteindre la vérité si l'on ne cherche que la "compagnie" de ceux qui partagent nos propres préjugés. Pour Platon la philosophie est un "dialogue de l'âme avec elle-même", au sens où elle procède par questions et objections. Or quoi de mieux pour pouvoir découvrir ces objections qu'un forum ouvert ... ?

Pourquoi le but d'un dialogue philosophique serait-il de "développer son point de vue", au lieu de chercher la vérité ... ? En quoi essayer de répondre à des objections serait-il un exercice sans importance, ou moins important que de "développer son point de vue" ... ou plutôt, en quoi cet exercice s'opposerait-il à développer son point de vue, au lieu de rendre celui-ci plus précis et plus "vérifié/corrigé" donc plus vrai? Ou encore: quoi de mieux pour essayer de préciser/corriger/développer davantage sa pensée que d'essayer de répondre à des objections de ceux qui pensent différemment?

Bref, j'aurais tendance à croire que lorsque le but est de trouver la vérité, répondre à (ou formuler) des objections et développer son propre point de vue ne s'opposent pas, mais au contraire se renforcent mutuellement. Et alors le plus grand service que l'on peut rendre à son interlocuteur, c'est précisément cela, chercher ensemble la vérité, au lieu de rester chacun dans son coin à développer ses propres "vérités".
Cordialement,
L.


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