Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
Règles du forum
Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 17 nov. 2008, 03:32

Sinusix a écrit :En bref, puisque nous versons dans l'éidétique, ne remettant pas en cause tout votre laïus sur l'éternité, hors sujet parce que je ne l'ai ni abordé, ni contesté, je maintiens, faute de trouver aucune mention contraire, l'équivalence spinoziste essence = nature = forme = définition(selon le contexte).[


Bonjour Sinusix,

à mes yeux, ce que j'ai écrit par rapport à l'éternité nous oblige à distinguer la forme de l'essence. Alors je veux bien accepter le fait que vous n'êtes pas convaincu par ce raisonnement, bien entendu, mais il me faudrait savoir avec quoi vous n'êtes pas d'accord et pour quelle raison avant de pouvoir comprendre en quoi la distinction qu'il faut à mon sens faire ne serait pas justifiée. En attendant, difficile d'imaginer faux ce qui à mon sens est vrai ... .

Sinusix a écrit : Le fait de distinguer, comme vous le faîtes et comme nul ne l'a oublié, la double "faculté" de l'essence d'être exprimée dans l'existence, ou de ne pas l'être tout en étant en Dieu éternellement, ne change rien au fait que dans son expression "existentielle", totalement isomorphe à celle qui est en Dieu éternellement, l'essence, c'est la forme ou la nature.


je crois plutôt que cela change tout, car Spinoza définit la mort par la destruction de la forme, alors qu'il dit qu'en Dieu, toute essence existe éternellement, et donc ne peut être détruite. L'essence existe aussi bien en Dieu éternellement qu'elle existe dans le temps pour une durée indéfinie. Mais ce n'est que dans le temps qu'elle est exprimée par une forme. Il n'y a donc pas de "isomorphie" entre l'un et l'autre type d'existence, puisque ce n'est qu'en tant qu'elle existe dans le temps qu'une essence s'exprime dans une forme ou dans une union de corps. En tant qu'elle existe éternellement, en revanche, elle n'a pas de forme du tout.

Sinusix a écrit :Nous l'avons déjà dit, le total de "réalité" du facies totius universi est un invariant, nonobstant les sempiternelles variations qui l'agitent. Il y a donc bien un conatus "universel", une quantité de mouvement originelle, expression de la puissance de Dieu, à savoir de son essence, une essence fixe bien qu'à chaque instant autre.


pour moi il s'agit d'une contradictio in terminis. Le facies totius universi en effet est un mode, et en tant que tel a une essence qui n'est pas altérée par ce qui l'affecte. Mais déjà il s'agit d'un rapport de mouvement et de repos, et non pas d'une "quantité de mouvement", comme vous dites (Spinoza ne parle de "quantités" en rapport avec les essences que lorsqu'il dit qu'une essence est un degré ou une quantité de puissance). Or le facies totius universi est infini et éternel. Cela signifie, dit Spinoza littéralement, qu'il existe nécessairement. Par conséquent, il ne fait aucun "effort" pour persévérer dans l'existence dans le temps, puisqu'il possède l'existence nécessaire ... . Seule ce qui peut être détruit dans le temps a un conatus, s'efforce avec une certaine puissance de persévérer dans son existence temporelle. Ni Dieu, ni les modes infinis ont un conatus.

Sinusix a écrit :Au regard des choses singulières (dont il est effectivement illusoire que nous prétendions avoir une idée claire et distincte de chacune, comme dit Sescho),


je respecte votre opinion, mais il me faudra une preuve avant de pouvoir abandonner ce que dit tout commentateur de Spinoza: que le spinozisme est un nominalisme, qui ne reconnaît de l'existence réelle qu'aux essences singulières, essences auxquelles seul le troisième genre de connaissance nous donne accès.

Sinusix a écrit :le "jeu" du conatus universel apparaît à deux niveaux : un premier niveau qui est, par exemple, celui de la reproduction sexuée chez la majorité des vivants (et particulièrement chez les humains d'où l'intérêt de la question "sourire" concernant le mariage), qu'accompagne le relais du conatus individuel, pendant la durée d'existence, lequel permet de boucler la chaîne "animée".


ceci me semble être tout à fait compréhensible si l'on se place du point de vue de l'opinion commune contemporaine. Mais faire de la philosophie serait-ce essayer de reformuler en les termes de tel ou tel philosophe ce que nous supposons déjà depuis toujours être évident? Je ne le crois pas, mais j'argumenterai cela bientôt dans ma réponse à votre message précédent.

Sinusix a écrit :Il faudrait peut-être alors se rapprocher (horresco referens pour certains) de la vision bouddhique, sur laquelle je veux bien être informé, selon laquelle "la vacuité est forme et la forme vacuité".


n'oublions pas qu'il y a pas mal de courants bouddhistes différents, qui à mon sens sont tous tout aussi intéressant, mais qui se distinguent notamment du spinozisme par le fait que celui-ci est une "philosophie du plein", une philosophie de la nature où le vide n'existe pas.
A bientôt,
Amicalement,
L.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 17 nov. 2008, 04:18

Enegoid a écrit :Il n’est pas plus difficile d’admettre la variété des hommes dans l’essence de genre « homme » que la variété des états successifs de Paul au sein de la même essence « Paul ». (Personne n’ayant relevé l’argument, je le répète).


je dirais même que penser ainsi aujourd'hui est très facile. Nous sommes pour l'instant dans l'ère du "génome", où l'idée qu'il y a des "essences de genre" fait entièrement partie de l'opinion commune. Or non seulement des scientifiques aujourd'hui refusent de concevoir le génome comme une sorte d'essence de genre (voir par exemple Jean-Jacques Kupiec, L'origine des individus, Fayard, 2008), à part cela j'avoue ne pas comprendre l'intérêt d'essayer de retraduire telle ou telle philosophie dans les termes de nos opinions communes contemporaines. Platon n'a-t-il pas inventé la philosophie contre l'opinion ... ?

Bref, à mon sens il convient d'être très prudent avec ce genre de chose. Il est effectivement facile de ne lire dans un philosophe que ce qu'on pense déjà soi-même, et de limiter sa lecture à la recherche d'une reformulation de ses propres opinions dans le vocabulaire du philosophe en question.

En réalité, Spinoza dit ceci par rapport à l'idée de "essence de genre":

1. "Ensuite, c'est de semblables causes que sont nées les notions qu'on appelle Universelles, comme l'Homme, le Cheval, le Chien, etc., à savoir, parce que dans le Corps humain se forment tellement d'images à la fois, par ex. d'hommes, qu'elles dépassent la force d'imaginer, pas tout à fait, bien sûr, mais assez cependant pour que l'Esprit humain ne puisse imaginer les petites différences entre les singuliers (...) ni leur nombre déterminé, et n'imagine que ce en quoi tous, en tant qu'ils affectent le Corps, conviennent (...)." (E2P40 scolie I).

L'idée de "l'Homme" ne correspond donc pas à ce que tous les hommes ont réellement en commun, "essentiellement", mais seulement à ce que les images de notre Corps ont en commun. Il s'agit donc de ce que le TIE appelle une idée "fictive". Comme pour toute idée fictive, il est possible d'en avoir une idée adéquate. Il n'en demeure pas moins qu'elle est fictive, et ne correspond pas à ce que tous les hommes auraient réellement essentiellement en commun.

2. "Ce qui est commun à tout, et est autant dans la partie que dans le tout, ne constitue l'essence d'aucune chose singulière" (E2P38).
Donc même si ce que nos images ont en commun ne seraient pas propres à nos images (donc à nos affections du Corps), mais aux choses qui nous affectent elles-mêmes (les "hommes"), ces traits communs jamains ne pourraient constituer l'essence même de ces choses (de ces hommes).

Sommes-nous capables aujourd'hui de concevoir la nature comme un ensemble de choses singulières où il n'y a pas d'espèces ni de genres? A mon avis cela est très difficile (puisque la culture occidentale depuis 2000 ans pense en ces termes-là), mais néanmoins ce à quoi le spinozisme nous invite ... .

Enegoid a écrit :Paul enfant partage avec Pierre vieillard la même essence « homme ». Parce qu’ils ont « quelque chose » en commun.


c'est ce qu'on dit communément. Spinoza oppose à cela l'E2P38: ce qui est commun ne constitue jamais l'essence de quoi que ce soit ... .

Enegoid a écrit :Je note également que les corps des hommes (mâles) et les femmes ont des structures ou des « formes » assez différentes, et font cependant partie du même genre « homme ».


ok, à condition d'utiliser la notion de forme dans son sens courant, voire dans le sens aristotélicien. Mais Spinoza a décide de désigner tout autre chose par cette notion: l'union de corps qui constitue tel ou tel Corps humain. A partir de ce moment-là, la forme de mon Corps est différente de la vôtre et de n'importe quelle autre forme d'un être humain, homme aussi bien que femme.

Enegoid a écrit :Pourquoi Paul enfant n’aurait-il pas quelque chose en commun avec Paul vieillard ? Quelque chose que n’aurait pas Pierre. Rien en principe ne l’exclut.


nous sommes d'accord là-dessus. Mais pour Spinoza ce qu'on a en commun ne constitue aucune essence ... . Ce qui implique qu'il faut nécessairement repenser aussi bien la notion de "commun" que la notion d'"essence" ... .

Enegoid a écrit :Et la science permet de dire aujourd’hui que Paul enfant et Paul vieillard ont au moins en commun le même code génétique, et que le poète espagnol a conservé son code génétique. Alors ?


la science vulgarisée, vous voulez dire? Celle qu'on lit dans les journaux? Car les généticiens aujourd'hui me semblent être d'un avis assez différent. Récemment encore un professeur de médecine interne me disait qu'en réalité, notre génome subit sans cesse des mutations (des centaines par jour!!). Il se fait que pas mal d'entre elles sont réparées immédiatement, mais d'autres non. Par conséquent, rien ne permet de dire que le génome de Paul enfant est exactement le même que le génome de Paul veillard.

Or nous ne parlons pas de génome ici, mais d'essences. Là-dessus je ne peux que référer aux livres de Kupiec, mais aussi de Pierre Sonigo (qui a déchiffré le génome du virus du SIDA) et d'autres, qui montrent que scientifiquement parlant il est absurde d'identifier ce qui fait l'individualité de telle ou telle personne humaine à son génome. Dans les années '80-'90 ont a cru que c'était possible. Aujourd'hui on sait que les choses sont beaucoup plus compliquées que cela.

Enegoid a écrit :Je conclue que rien ne permet d’affirmer que l’on se trompe en disant qu’une chose singulière (Paul) conserve son essence tant que cette chose existe.


je respecte tout à fait cette opinion. Mais il faudrait préciser ce qu'il faut comprendre par "exister" ici ... l'adulte a-t-il la même essence qu'un enfant? D'abord Spinoza dans l'E4P39 scolie n'y répond pas explicitement (et suggère plutôt l'inverse), puis je crois avoir montré qu'interpréter ce scolie ainsi qu'il faut accepter l'idée que dans le spinozisme l'essence d'un enfant n'est plus la même que celle d'un adulte est assez inévitable. Par conséquent, quels seraient vos arguments pour dire que dans le spinozisme, l'adulte a la même essence que le bébé?
Cordialement,
L.

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 17 nov. 2008, 09:53

réponse à venir sur vos remarques concernant la problématique notions communes/essences

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 17 nov. 2008, 14:16

à Louisa

L'idée de "l'Homme" ne correspond donc pas à ce que tous les hommes ont réellement en commun, "essentiellement", mais seulement à ce que les images de notre Corps ont en commun. Il s'agit donc de ce que le TIE appelle une idée "fictive".


L’idée d 'Homme est a priori vide , a posteriori elle prend de la consistance . L’idée de que chacun a de lui-même entant qu' homme n’est pas close, les hommes se trouvent un très grand nombres de ressemblances ( qualités communes ) lesquelles ne sont pas inessentielles du tout .(au sens de subalternes et sans intérêt ).

L' enquête sur ce qu'est l 'homme commence pas les images du corps . C 'est inévitable .(avoir deux mains, le pouce opposable etc ... et tout ce qui nous différencie des chimpanzés .)

Par quoi de plus essentiel voudriez vous remplacer ces idées de l’homme en général . Je vous attends pour une idée de l’homme qui soit réellement essentielle et qui décrive mieux que les idées profanes de ce qu’ils ont essentiellement en commun .
Modifié en dernier par hokousai le 18 nov. 2008, 19:04, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Sinusix
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 14 juin 2008, 00:00
Localisation : L'HAY LES ROSES (94)

Messagepar Sinusix » 17 nov. 2008, 16:18

Bonjour Louisa,

Je vais suivre le conseil de Durtal et en rester là.
D'une part chacun de vos messages se termine comme par une notation de l'écolier internaute (je le redis encore, tout le monde n'a pas passé quarante ans de sa vie à manier les concepts more philosophico, et la pensée de nombre d'internautes doit être analysée, non pas avec indulgence, mais avec la volonté de bien distinguer l'esprit de l'opinion proposée de sa forme éventuellement équivoque) auquel vous vous adressez, ce qui en soi n'est pas dérangeant, mais dénote bien, en apparence, l'impression fâcheuse que vous laissez continuellement de vous situer sur l'estrade, en situation de lecture défensive, souvent gauchie, de ce qui vous est proposé, débouchant sur la mise en route de votre CDD démonstratif personnel, et non d'écoute de l'autre, c'est-à-dire, dans une vision du 3ème genre, au travers de sa compréhension de Spinoza, de son essence singulière.
Certes, nous avons un différend profond sur ce que serait une essence singulière, ou plutôt sur la "façon" dont elle est "préformée" dans l'essence de Dieu (ce qui ne nous renseigne pas sur la position de Spinoza, que vous me direz vôtre). Car je ne dis pas, bien au contraire, qu'il n'y a pas d'essence singulière de Sinusix, mais que sa "constitution", sur la base, même rudimentaire (et pourtant quelle complexité !), je le maintiens encore d'une essence de genre définie par un génome (où va-t-on si on met à mal aussi le génome - à quand le créationnisme ?), relève d'une "infinité" de paramètres biologiques et sociaux, le tout fonctionnant sur des lois, mais dont le résultat n'est pas prédéterminé. Car le respect des lois n'a jamais coïncidé avec la prédestination du résultat du jeu des paramètres, le "hasard" n'étant que l'appellation de l'excès de complexité.
Or, en Dieu, il n'y a pas de connaissance préalable à l'existence, c'est écrit clairement ce me semble et constitue un des fondements de sa philosophie. C'est-à-dire que l'essence singulière de Sinusix à l'instant présent, avant que Sinusix n'ait existé, n'était pas constituée, en tant que telle stricto sensu en Dieu, c'est-à-dire en tant que sac fermé, alors même que tous les éléments qui la constituent sont bien en Dieu.
Qu'est-ce à dire ?
Je prends une analogie mathématique, qui n'a de validité qu'analogique (car une pensée sans exemple prête plus facilement à confusion). En théorie des ensembles, on distingue un ensemble et l'ensemble de ses parties, qui sont constituées avec ses seuls éléments. Si l'ensemble a N éléments, les parties sont au nombre de 2 puissance N, et les parties sont pourtant toutes dans l'ensemble. Voyez le résultat, qu'on appelle puissance de l'infini, quand le nombre N est lui-même "infini".
Et bien, en poursuivant l'analogie, appelez cet ensemble Dieu, remplacez les éléments en nombre infini N par les "paramètres" d'essence de corps simple et de lois d'échange entre lesdits, lancez la machine (c'est bien le conatus universel et je revendique l'utilisation fondée de ce terme pour le facies totius universi) et tous les résultats obtenus auront de toute éternité appartenu à l'ensemble d'origine, sous la forme de ses parties.
Mais en aucun cas Dieu n'a d'idée "préconçue" de l'occurrence de la combinaison débouchant sur Sinusix ou sur Louisa. Cela n'empêche pas l'essence de Sinusix et celle de Louisa d'avoir, par construction, éternellement été présentes en Dieu.
C'est çà l'éternité. Non pas le contournement métaphysique à sonorité chrétienne qui tendrait à faire rentrer par la fenêtre, l'immortalité (puisque éternité) de mon essence individuelle comme de tout temps identifiée par Dieu, mais ma profonde appartenance à la nature, dans l'acceptation consciente de ses lois incontournables.
Dit autrement : du fait du parallélisme, la relation de l'idée à son idéat étant première et immanente, le process ayant abouti à constituer Pierre, Paul ou Jacques, qui s'inscrit, quoique vous en pensiez dans une problématique "d'essence de genre" (sinon on balaye d'un revers de main 2500 ans de philosophie et de recherches scientifiques), aboutit invariablement, dans l'individu résultat, à une parfaite correspondance de son essence formelle et de son essence objective, non définies a priori comme finalité (au sens téléonomique) d'un process, mais comme son résultat".
Autrement dit, il n'y a jamais aucunement, chez Spinoza, position préalable d'un sujet qui existerait en Dieu. L'essence de la nature, sa puissance, le mouvement perpétuel qui l'anime, sont une seule et même dynamique, au sein de laquelle chaque instant est une éternelle et merveilleuse découverte de l'infinité des possibles au sein de l'éternité, l'infinité des possibles étant par, définition logique, inclus dans la nécessité. Et si tel n'était pas le cas, pourquoi faudrait-il espérer une modification de comportement face au réchauffement climatique. "La nature", dans tous les cas, avec ses lois (la fixité des lois - certâ ac determinatâ ratione - fait partie, ce me semble, des principes spinozistes - on peut là aussi tout remettre en cause) attend l'homme. Dieu, de toutes façons, se retrouvera toujours dans le résultat. Quel est-il ?
Partant, puisque l'arrangement particulier qui constitue l'essence de Sinusix, relève d'une alchimie d'une complexité telle qu'il est illusoire de vouloir l'aborder par la connaissance descriptive et normée du 2ème genre, il ne reste que l'intuition immédiate, par exemple au travers de sa lecture de l'Ethique.
Car de même que nul ne peut atteindre Spinoza derrière son livre, ce que vous semblez parfois pouvoir faire, nul ne peut le limiter à ce qu'il ne sera jamais, la simple définition du cercle ou du rectangle. L'Ethique est riche, comme l'adagieto de la 5ème symphonie de Mahler, de toutes les essences individuelles d'hommes et de femmes qui se penchent vers elle, qui la vivent comme ils peuvent et en discutent.
Et puisque pour Spinoza les choses individuelles sont conduites à exister et opérer, c'est bien que l'Ethique s'inscrit elle-même dans un double process, l'existence (avec la particularité, à méditer, des oeuvres de l'esprit humain transmissibles, comme une forme de réification de certaines essences éternelles) et l'opératoire, par les réflexions qu'elle suscite et la béatitude à laquelle elle appelle.
Amicalement

Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 17 nov. 2008, 22:22

Sinuxis a écrit : Je prends une analogie mathématique, qui n'a de validité qu'analogique (car une pensée sans exemple prête plus facilement à confusion). En théorie des ensembles, on distingue un ensemble et l'ensemble de ses parties, qui sont constituées avec ses seuls éléments. Si l'ensemble a N éléments, les parties sont au nombre de 2 puissance N, et les parties sont pourtant toutes dans l'ensemble. Voyez le résultat, qu'on appelle puissance de l'infini, quand le nombre N est lui-même "infini".
Et bien, en poursuivant l'analogie, appelez cet ensemble Dieu, remplacez les éléments en nombre infini N par les "paramètres" d'essence de corps simple et de lois d'échange entre lesdits, lancez la machine (c'est bien le conatus universel et je revendique l'utilisation fondée de ce terme pour le facies totius universi) et tous les résultats obtenus auront de toute éternité appartenu à l'ensemble d'origine, sous la forme de ses parties.
Mais en aucun cas Dieu n'a d'idée "préconçue" de l'occurrence de la combinaison débouchant sur Sinusix ou sur Louisa. Cela n'empêche pas l'essence de Sinusix et celle de Louisa d'avoir, par construction, éternellement été présentes en Dieu.




Je trouve que cette illustration est excellente. Elle est à rapprocher en effet (j'entends pour ceux qui lisent Spinoza) de E2p8 Corollaire & Scolie.

D.

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 18 nov. 2008, 12:37

Chère Louisa

Je relève les idées suivantes dans votre texte du 17/11 à 5 :18 (Ce sont les idées principales, me semble-t-il) :

    Ce qui est commun ne peut constituer une essence.
    Emettre une opinion n’est pas faire de la philosophie.
    Le code génétique n’est pas immuable.


Voici mes réactions :



1. Ce qui est commun ne peut constituer une essence
Toutes les montagnes ont en commun d’avoir une vallée. C’est pourtant ce qui constitue leur essence. Et la montagne est un genre de corps. Je ne saurais par contre définir l’essence du Mont-Blanc.
Vous trouverez, j’en suis sûr, l’explication du malentendu.
Mais je suis un peu responsable de votre insistance sur cette question car j’ai écrit « Il n’est pas plus difficile d’admettre la variété des hommes dans l’essence de genre « homme » que la variété des états successifs de Paul… », alors que je pensais : « Il n’est pas plus difficile d’admettre la variété des états successifs de Paul au sein de l’essence « Paul » que la variété des hommes au sein de l’essence « homme ».
Vous dites aussi :
la forme de mon Corps est différente de la vôtre et de n'importe quelle autre forme d'un être humain, homme aussi bien que femme
.
...ce qui devrait logiquement, puisque rien n’impose de s’arrêter à un genre « être humain » dont vous contestez l'utilité, vous conduire à penser : la forme de mon corps est différente de la vôtre, d’un chimpanzé mâle et d’un chimpanzé femelle, d’un âne et même d’un paquet de cigarettes, comme n’importe quelle autre forme de corps. Et, en allant plus loin, pourquoi s’arrêter au genre « corps » ?
Mais il reste vrai, vous avez raison de le souligner, les genres ne sont pas des corps réels, ce sont des idées de l'entendement humain.

2. Emettre une opinion n’est pas faire de la philosophie.
Merci, cher Socrate, de nous rappeler régulièrement cette …vérité. J’aimerais cependant trouver quelques exemples d’intervention sur ce forum entièrement dépourvus d’opinions. Y compris dans vos interventions à vous. (J’aimerais être sûr que votre critique ne s’adresse pas qu’aux opinions des autres).
Vous « respectez » mon opinion énoncée ainsi : :
Je conclue que rien ne permet d’affirmer que l’on se trompe en disant qu’une chose singulière (Paul) conserve son essence tant que cette chose existe
.
Et subrepticement (et un peu sournoisement, je trouve) vous renversez la charge de la preuve en me faisant dire ce que je n’ai pas dit : que l'adulte a la même essence que le bébé.
Si vous pensez que mon opinion est fausse, à vous de trouver quelque chose qui permette d’affirmer le contraire cad : « il existe une chose qui permet d’affirmer que l’on se trompe en disant qu’une chose singulière conserve son essence ». Vous ferez alors de la philosophie. Le doute de Spinoza, même orienté dans votre sens n’est pas suffisant.

3. Le code génétique n’est pas immuable :
Peut-être faudrait-il parler de l’ADN ? Mais je ne vais pas engager une discussion de biologiste. Voulez-vous dire qu’il est possible que deux prélèvements d’ADN sur la même personne, à des moments différents de sa vie, soient différents ? Si oui, effectivement, je retire. Ca doit être rare quand même.

Cordialement

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 18 nov. 2008, 21:18

je ne voudrais pas faire de mauvais esprit mais le sentiment du moi numéro 2 a dévié comme le numéro 1 , et a dévie vers les mêmes thèmes .

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 19 nov. 2008, 03:01

Enegoid a écrit :Je relève les idées suivantes dans votre texte du 17/11 à 5 :18 (Ce sont les idées principales, me semble-t-il) :


Ce qui est commun ne peut constituer une essence.
Emettre une opinion n’est pas faire de la philosophie.
Le code génétique n’est pas immuable.


Cher Enegoid,

en effet, je crois que cela résume très bien ce que j'essayais de dire.

Enegoid a écrit :1. Ce qui est commun ne peut constituer une essence
Toutes les montagnes ont en commun d’avoir une vallée. C’est pourtant ce qui constitue leur essence. Et la montagne est un genre de corps. Je ne saurais par contre définir l’essence du Mont-Blanc.
Vous trouverez, j’en suis sûr, l’explication du malentendu.


je ne suis pas certaine que nous parlons du même malentendu. Quand je dis que ce qui est commun ne peut constituer une essence, je ne parle pas du monde, il ne s'agit pas d'un énoncé de physique, autrement dit je ne parle pas de la "nature", pour reprendre les termes de Hokousai. Je ne parle pas non plus d'un point de vue philosophique "générale" (si cela existait). Je parle du spinozisme.

Est-ce que dans le spinozisme l'essence est conçue comme elle l'est dans plus de 60% des autres systèmes philosophiques ou non? A mon avis, si en général les grands commentateurs disent que non, c'est parce qu'ils ont trouvé un argument capable de les mettre tous d'accord: ils réfèrent alors à la définition même de l'essence, telle qu'elle figure au début de l'E2 (définition 2):

"Je dis appartenir à l'essence d'une chose ce dont la présence pose nécessairement la chose, et dont la suppression supprime nécessairement la chose; ou encore, ce sans quoi la chose, et inversement ce qui sans la chose, ne peut ni être ni se concevoir."

Spinoza commence donc par donner la définition traditionnelle de l'essence (appartient à l'essence ce sans quoi la chose ne peut être conçue ni être). Mais, coup de génie proprement spinoziste (ce dont il est tout à fait conscient, comme le montre la fin du scolie du corollaire de l'E2P10), il y ajoute une deuxième condition, qui révolutionne totalement l'idée d'essence: ce qui appartient à l'essence d'une chose n'appartient qu'à l'essence de cette chose-là, et à aucune autre chose (appartient à l'essence ce qui sans la chose ne peut être ni être conçue).

C'est cette deuxième condition qui fait qu'il est totalement impossible pour une propriété d'appartenir à deux Individus à la fois, puisqu'alors les deux auraient nécessairement cette propriété en commun, ce qui signifie que lorsqu'un de ces deux Individus meurt, la propriété existerait toujours, et cela aussi longtemps que l'autre Individu est en vie. Par conséquent, toute essence est singulière, au sens où elle n'appartient qu'à un Individu seul.

Et en effet, Spinoza n'a besoin de rien d'autre que cette définition de l'essence pour pouvoir démontrer que "Ce qui est commun (...) ne constitue l'essence d'aucune chose singulière" (E2P38).

Cela ne veut pas dire que votre exemple d'une vallée qui serait commune à l'essence même de la montagne serait faux. Cela signifie juste que si on conçoit le terme essence d'une telle façon que ce mot désigne ce que différents Individus ont en commun, alors on prend la définition habituelle de l'essence, qui est incompatible avec la définition spinoziste de l'essence. Laquelle des deux définitions seraient la "vraie" défintion de l'essence? J'avoue que pour moi, cette question n'a pas de sens (nous sommes ici dans le domaine de la philosophie et non pas dans le domaine de la science, donc je vois mal comment prouver réellement quoi que ce soit quant à ce qui serait la seule "bonne" définition).

Par conséquent, je ne suis pas en train de dire que pour moi, les essences ne peuvent être que singulières. Je ne suis pas en train de dire que je suis une adepte du spinozisme, que je suis une "spinoziste". Je veux juste dire qu'à mon sens, si l'on accepte la définition proprement spinoziste de l'essence, on est obligé d'accepter aussi l'idée que ce qui est commun ne peut pas constituer une essence.

Cela signifie que si quelqu'un croit qu'une essence qui désigne des propriétés communes (appelé ici par certains "essence de genre") est compatible avec la définition spinoziste de l'essence, qu'il faudrait montrer comment interpréter la définition 2 de l'E2 et l'E2P38 d'une telle façon qu'on doit en déduire nécessairement que ce qui est commun peut néanmoins constituer une essence, dans le spinozisme.

Quant à la définition d'une essence: à mon sens dans le spinozisme cela n'est pas possible. La définition est toujours une formulation discursive, et devrait donc appartenir au deuxième genre de connaissance, tandis que Spinoza dit clairement que seul le troisième genre de connaissance (connaissance non discursive) donne accès à des essences.

Enegoid a écrit :Vous dites aussi :
Citation:
la forme de mon Corps est différente de la vôtre et de n'importe quelle autre forme d'un être humain, homme aussi bien que femme.

...ce qui devrait logiquement, puisque rien n’impose de s’arrêter à un genre « être humain » dont vous contestez l'utilité, vous conduire à penser : la forme de mon corps est différente de la vôtre, d’un chimpanzé mâle et d’un chimpanzé femelle, d’un âne et même d’un paquet de cigarettes, comme n’importe quelle autre forme de corps. Et, en allant plus loin, pourquoi s’arrêter au genre « corps » ?


je ne crois pas avoir dit que travailler avec des essences de genre serait "inutile". Pour moi il s'agit juste de comprendre le spinozisme: est-ce compatible avec le texte de l'Ethique de parler d'essence de genre ou non? Là-dessus, je viens de donner quelques arguments pro la thèse qui dit non, le spinozisme ne reconnaît que des essences singulières.

Enegoid a écrit :Mais il reste vrai, vous avez raison de le souligner, les genres ne sont pas des corps réels, ce sont des idées de l'entendement humain.


ok, dans ce cas nous sommes d'accord là-dessus. Mais diriez-vous la même chose pour la notion d'essence de genre? A mon avis ce que je viens de dire nous oblige à le faire, et même de faire un pas en plus: étudier les montagnes et dire que toute montagne a une vallée, c'est s'en tenir au deuxième genre de connaissance, c'est-à-dire à ce que Spinoza appelle la connaissance des propriétés communes des choses. Or ces propriétés ne constituent l'essence de rien. Raison pour laquelle l'expression "propriétés communes" me semble être préférable à celle de "essence de genre", puisque plus respectueux du vocabulaire spinoziste et de l'idée même de sa démarche à ce sujet. Car dire qu'il appartient à l'essence du genre "montagne" d'avoir une vallée, cela ne peut que rappeler l'ancienne définition de l'essence, qui est effectivement une essence de genre, ce qui suggère que l'essence même du Mont-Blanc consiste à avoir une vallée, suggestion qui du point de vue spinoziste est fausse. Ce qui appartient à une "essence de genre" en réalité chez Spinoza n'appartient à aucune essence réelle. C'est donc la raison pour laquelle il me semble mieux d'éviter cette expression maximalement, pour la remplacer par "propriété commune" (toutes les montagnes ont en commun d'avoir une vallée).

Enegoid a écrit :2. Emettre une opinion n’est pas faire de la philosophie.
Merci, cher Socrate, de nous rappeler régulièrement cette …vérité. J’aimerais cependant trouver quelques exemples d’intervention sur ce forum entièrement dépourvus d’opinions. Y compris dans vos interventions à vous. (J’aimerais être sûr que votre critique ne s’adresse pas qu’aux opinions des autres).


j'avoue que je ne comprends pas très bien le sens de votre question. En quoi le fait de rappeler la définition de la discipline qui s'appelle "philosophie" telle qu'elle a été donnée par son père fondateur (Platon, pas Socrate, mais peu importe) impliquerait-il que celui qui rappelle cette définition par miracle n'aurait plus d'opinions .. ??

Puis cette définition n'était pas du tout une lutte contre l'opinion. Il s'agissait bien plutôt de faire autre chose que de donner ou de construire une opinion. Platon le dit même explicitement (dans le Ménon): une opinion peut être vraie! Pour le dire de façon plus spinoziste: une opinion ne manque de rien, en tant qu'opinion elle est toujours parfaite. Et nous avons vitalement besoin d'opinion dans la vie.

Donc bon, pour moi cela va tellement de soi que plein de choses que j'écris sur ce forum relèvent purement de l'opinion que je ne comprends pas très bien comment on peut croire que ce ne serait pas le cas. Car qu'est-ce que l'opinion, aussi bien chez Platon que Socrate, sinon une connaissance par ouï-dire, ou une connaissance dont on ne peut expliciter la démonstration?

Platon donne l'exemple d'un voyage d'Athènes à Larisse (autre ville grecque). Celui à qui on a expliqué le chemin à Athènes (que cette explication soit correcte ou non) se mettra en route en "ayant confiance" en la personne de son interlocuteur à Athènes, confiance ad hominem qu'il mettra peut-être en question lorsque au cours du long chemin il rencontre une autre personne qui lui semble être plus fiable et qui lui convainc de prendre une autre route. Celui en revanche qui s'est déjà rendu lui-même à Larisse, dispose d'une base beaucoup plus solide: il ne dépend de personne pour savoir quel chemin prendre lorsqu'il y va la deuxième fois, puisqu'il a parcouru déjà lui-même chaque étape du chemin, et sait qu'en faisant cela il arrivera sans aucun doute au but.

Platon en conclut que ce qui caractérise une idée scientifique ou philosophique, c'est le fait d'avoir pensé soi-même toutes les différentes étapes de la démonstration, d'une telle façon que la vérité de la conclusion s'impose nécessairement. Plus même: une vérité scientifique ou philosophique est une vérité qui se laisse démontrer, par des arguments qui sont vrais tout à fait indépendamment de la personne qui les énonce ou nous dit que c'est cela qu'il faut tenir pour vrai, que c'est cela ce qu'il faut croire.

Or l'embêtant, c'est que dans la vie quotidienne on a tendance à mettre les deux sur un seul et même plan: ne pas douter de la vérité de telle ou telle idée souvent nous donne l'impression que cette vérité doit être solide, alors qu'une discussion argumentée avec quelqu'un qui pense différemment permet très souvent de découvrir que certaines de ces idées ne sont que des opinions qu'on n'arrive pas à bien argumenter, voire s'avèrent être des idées fausses.

C'est donc précisément parce que il est certain que beaucoup de mes idées par rapport au spinozisme au fond ne sont que des opinions, que j'ai besoin d'aller sur un forum (notamment) pour en discuter avec ceux qui pensent différemment. Sans cela, je ne pourrai pas si vite découvrir ce qui appartient à l'opinion, chez moi, et ce qui peut être réellement fondé (du moins provisoirement), sachant que "réellement fonder" signifie avoir trouvé les arguments capables de mettre tout le monde d'accord. Alors on sait bien qu'il est rare de trouver de tels arguments. En tout cas, cela ne m'est pas encore arrivé beaucoup.

Inversement, lorsque je dis à un interlocuteur qu'ici il donne plutôt son opinion, cela ne veut dire qu'une chose: qu'à mon sens il s'agit d'une idée qu'il n'argumente pas, et qui par ailleurs (souvent) ne fait que reprendre les évidences de l'opinion commune. Mais cela n'est bien sûr pas un argument ad hominem. Je ne suis pas en train de dire "ah mon pauvre vieux, vois combien tu es impuissant!". Je suis en train de dire que moi-même je ne vois pas par quelle argumentation affirmer la vérité de l'idée qu'il propose, tandis que moi-même je vois les choses différemment. Si je les vois différemment mais je ne peux pas argumenter non plus (ce qui arrive, bien sûr), alors je suis moi-même aussi dans l'opinion. Si je les vois différemment mais je peux argumenter, alors il y a une chance que l'idée que je défends ne relève pas de l'opinion "pure" (encore faut-il voir si ces arguments résistent aux contre-arguments).

Conclusion:
- je n'ai rien contre l'opinion, je crois qu'il faut juste ne pas confondre opinion et philosophie
- un forum de discussion contient en grande partie des opinions, y compris tous mes messages à moi
- ces discussions qui veulent se consacrer à la vérité (ce qui ne constitue qu'une partie des messages sur un forum, et je n'ai aucun problème avec cela, au contraire) se doivent d'argumenter, et de n'attendre de personne d'accepter une idée pour vraie simplement parce qu'on croit soi-même qu'elle est vraie. La vérité exige qu'on reconnaisse que lorsqu'on n'a pas réussi à convaincre l'interlocuteur, on est éventuellement dans l'opinion.

Enegoid a écrit :Vous « respectez » mon opinion énoncée ainsi : :Citation:
Je conclue que rien ne permet d’affirmer que l’on se trompe en disant qu’une chose singulière (Paul) conserve son essence tant que cette chose existe
.
Et subrepticement (et un peu sournoisement, je trouve) vous renversez la charge de la preuve en me faisant dire ce que je n’ai pas dit : que l'adulte a la même essence que le bébé.
Si vous pensez que mon opinion est fausse, à vous de trouver quelque chose qui permette d’affirmer le contraire cad : « il existe une chose qui permet d’affirmer que l’on se trompe en disant qu’une chose singulière conserve son essence ». Vous ferez alors de la philosophie. Le doute de Spinoza, même orienté dans votre sens n’est pas suffisant.


Je viens de vous donner l'argumentation qui à mes yeux prouve qu'un adulte chez Spinoza n'a plus la même essence qu'un bébé (essence singulière, bien sûr; si on parlait d'essence de genre, cette idée serait absurde). Si là-dessus vous me dites que selon vous rien ne le prouve, alors ce qui m'intéresse c'est de savoir pourquoi mon argumentation ne vous a pas convaincu, quel argument vous semble être faux etc. Car comment pourrais-je changer d'idée si pour moi pour l'instant l'argumentation semble être correcte, et que personne ne donne un contre-argument ... ??

Dire que je respecte votre opinion, cela signifie que je ne vais pas vous dire que bientôt, avec un peu plus de "rigueur morale", vous me donnerez sans aucun doute raison. C'est plutôt dire que j'accepte totalement le fait que vous trouvez que c'est moi qui me trompe et pas vous. Respecter l'opinion de l'autre, pour moi cela signifie que je constate simplement que mon argumentation ne vous a pas convaincu et que vous n'avez pas argumenté votre idée non plus, ou que votre argumentation ne m'a pas convaincu non plus. Cela signifie donc ne pas avoir recours à l'hypothèse de la malveillance, de la fainéantise, de l'Orgueil ou quoi que ce soit d'autre qui n'est plus de l'ordre du rationnel mais de l'ordre de l'ad hominem, mais simplement accepter un désaccord en ce qui concerne nos différentes opinions, sans plus.

Enegoid a écrit :3. Le code génétique n’est pas immuable :
Peut-être faudrait-il parler de l’ADN ? Mais je ne vais pas engager une discussion de biologiste. Voulez-vous dire qu’il est possible que deux prélèvements d’ADN sur la même personne, à des moments différents de sa vie, soient différents ? Si oui, effectivement, je retire. Ca doit être rare quand même.


le professeur de médecine interne dont je parlais me disait qu'il y a des centaines de mutations par jour. Dans ce cas ce n'est pas si rare que cela. Ce qui resterait le même, c'est le nombre de chromosomes voire de gènes (à vérifier).

Bien sûr, nous avons des millions de cellules, donc si une centaines d'entre elles subissent chaque jour des mutations, il est bien possible que lors d'un prélèvement aujourd'hui et demain, on ne tombe sur aucune cellule mutée, et donc retrouve le même génome. Mais sur le long terme, par exemple si l'on compare un bébé avec un adulte de 50 ans ... ? Là la chance de trouver autre chose est déjà plus grande.

Puis les écrits de Kupiec, de Sonigo etc. sont pour moi aussi assez convaincants, et ils vont tous dans la même direction: le déterminisme génétique est faux.

Or qu'est-ce que je fais en disant cela? Donner mon opinion!! Car ici je ne donne aucun argument, je ne fais que rapporter ce que j'ai lu, donc ce que je sais par "ouï-dire". Idem lorsque je dis que "tous les commentateurs de Spinoza sont d'accord pour dire que xxxx". Là je ne donne aucun argument d'autorité, simplement parce qu'il ne s'agit pas d'un argument, il s'agit d'une opinion. Je dis tout simplement ce que je crois pour l'instant. Alors ce que je crois c'est que nous avons aujourd'hui suffisamment de données scientifiques pour mettre en question l'idée de déterminisme génétique, tandis que les dernières recherches permettent de concevoir les choses autrement. Et j'en ai parlé parce qu'il me semble que justement, plus que jamais nous sommes aujourd'hui en biologie moléculaire proche de l'idée spinoziste qu'il n'y a pas d'"essences de genre" dans la nature, que toute essence est singulière. Ce qui est commun à tous les individus appartenant à une même "espèce", ce ne sont que des choses qui ne lui sont pas essentielles, au sens où elles ne permettent pas de définir sa singularité. L'Homme n'existe tout simplement pas.

Un exemple: un homme avec un coeur de cochon est-il un homme, un cochon ou un hybride? Une partie du génome dans ses cellules aura beaucoup en commun avec d'autres hommes, une autre partie de son génome aura beaucoup plus en commun avec des cochons. Où tracer la frontière?

Supposer que ce qui caractérise une espèce ou un genre, c'est un ensemble de propriétés communes, propriétés qui sont là grâce à une certaine continuité causale entre les individus de cette espèce, ce n'est pas abolir les espèces, c'est juste permettre de distinguer la singularité et l'essence de ce qui constitue la continuité de l'histoire biologique humaine (phylogenèse) et ce qui est ce que tous les humains ont plus ou moins en commun.

Bref, tout ceci pour dire que mon opinion à ce sujet, c'est que le spinozisme pourrait éventuellement offrir les concepts dont ont besoin aujourd'hui les biologistes pour penser "l'homme" dans sa singularité, et cela précisément parce qu'on commence à reconnaître que notre idée commune du génome n'est pas correcte. Or, cette opinion ne pourra accéder à un statut de vérité un peu plus solide que si on approfondit la question, si j'essaie d'argumenter etc, bien sûr. En même temps, ce type d'exercice peut toujours tout aussi bien donner lieu au résultat inverse (que mon opinion s'avère être fausse). En attendant, je demande à personne de me croire sur parole. Je ne crois pas non plus que ceux qui défendent une autre opinion soient plus "imbéciles" ou "orgueilleux" ou quoi que ce soit que moi-même. La vérité ne dépend pas de qualités morales, elle dépend de la solidité de l'argumentation. Et comme je crois en la vérité de cette dernière phrase ... je suis tout à fait prête à en discuter et à essayer de l'argumenter.

En attendant, disons qu'à mon sens cette "attitude" est également ce qui se laisse déduire du spinozisme, notamment lorsque Spinoza écrit que:

"Nous ne prétendons pas du tout accuser d'impiété les fondateurs de sectes, du fait qu'ils ont adapté à leurs croyances les paroles de l'Ecriture (...) Ce que nous reprochons aux sectaires militants, c'est de ne pas vouloir accorder la même liberté à autrui, c'est de poursuivre comme ennemis de Dieu les hommes dont les opinions diffèrent des leurs. "
(Traité théologico-politique chap. XIV)

Supposer que lorsqu'on ne sait pas suffisamment argumenter et que l'autre préfère maintenir une opinion divergente (voire supposer que lorsqu'on n'a pas compris pourquoi quelqu'un dit ceci ou cela) l'autre fait preuve d'un défaut morale, à mon sens c'est ne pas tenir compte de la distinction opinion - philosophie, c'est faire comme si sa propre croyance suffit pour pouvoir juger moralement ceux qui ont une opinion différente. Or ces derniers temps les jugements moraux sont très présents sur ce forum, et sont souvent prononcés par ceux qui disent partager les mêmes croyances. Raison pour laquelle je le crois (peut-être à tort) utile de rappeler de temps en temps l'acte fondatrice de cette discipline même ... .
Cordialement,
L.

Avatar du membre
Sinusix
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 14 juin 2008, 00:00
Localisation : L'HAY LES ROSES (94)

Messagepar Sinusix » 19 nov. 2008, 14:52

Louisa a écrit :
Enegoid a écrit :Je relève les idées suivantes dans votre texte du 17/11 à 5 :18 (Ce sont les idées principales, me semble-t-il) :

Ce qui est commun ne peut constituer une essence.
Emettre une opinion n’est pas faire de la philosophie.
Le code génétique n’est pas immuable.


Cher Enegoid,

en effet, je crois que cela résume très bien ce que j'essayais de dire.

Enegoid a écrit :1. Ce qui est commun ne peut constituer une essence
Toutes les montagnes ont en commun d’avoir une vallée. C’est pourtant ce qui constitue leur essence. Et la montagne est un genre de corps. Je ne saurais par contre définir l’essence du Mont-Blanc.
Vous trouverez, j’en suis sûr, l’explication du malentendu.


Et en effet, Spinoza n'a besoin de rien d'autre que cette définition de l'essence pour pouvoir démontrer que "Ce qui est commun (...) ne constitue l'essence d'aucune chose singulière" (E2P38).

Cela signifie que si quelqu'un croit qu'une essence qui désigne des propriétés communes (appelé ici par certains "essence de genre") est compatible avec la définition spinoziste de l'essence, qu'il faudrait montrer comment interpréter la définition 2 de l'E2 et l'E2P38 d'une telle façon qu'on doit en déduire nécessairement que ce qui est commun peut néanmoins constituer une essence, dans le spinozisme.

Quant à la définition d'une essence: à mon sens dans le spinozisme cela n'est pas possible. La définition est toujours une formulation discursive, et devrait donc appartenir au deuxième genre de connaissance, tandis que Spinoza dit clairement que seul le troisième genre de connaissance (connaissance non discursive) donne accès à des essences.

L.


Chère Louisa,

J'ai la grande satisfaction d'être d'accord avec vous sur ce premier point et vais tenter, pour ce qui me concerne, d'utiliser le terme de "propriété commune" plutôt que celui d'essence de genre (bien que, vous l'aviez certainement compris, ceux qui utilisent cette expression l'utilisaient dans un tel sens). Pourquoi ?
Vous donnez vous-même partiellement la voie explicative. En effet, si E2P37 (et non E2P38) dit que ce qui est commun ne constitue l'essence d'aucune chose singulière, la proposition suivante est fondamentale, à savoir (E2P38) : les choses qui sont communes à tout, et sont autant dans la partie que dans le tout, ne peuvent se concevoir qu'adéquatement
Qu'est-ce à dire sinon que (de la même manière que, comme vous le rappelez fort justement, seule la connaissance intuitive immédiate du 3ème genre nous donne accès - ou nous permet de contempler - les essences singulières, ce que sous-entendaient certains de mes messages), la connaissance raisonnée du 2ème genre, celle seule au sujet de laquelle nous communiquons par mots au sein de ce forum, celle qui utilise les concepts de l'entendement, est adéquate, donc vraie, donc complète (ce qui ne veut pas dire exhaustive, débat philosophique lui aussi récurrent).
Si donc l'utilisation du terme "essence" n'est légitime, au regard du texte spinoziste, que pour les choses singulières, ce sur quoi je vous donne acte, la majorité des raisonnements contradictoires antérieurs qui vous ont été apportés ne me paraît pas devoir être modifiée, pour autant que vous changiez "essence de genre" par propriété commune. Le différend ne portait, dans ces conditions, de mon point de vue que sur une définition de mots, et non de choses.
Amicalement


Retourner vers « L'ontologie spinoziste »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 13 invités