Sinusix a écrit :louisa a écrit :Sinusix a écrit :Vous savez bien que si nous devions analyser en détail et reprendre un manuel de psychologie basique et ancien (voir le cours de Bergson par exemple), nous devrions mettre comme cause prochaine de la sensation, une impression, donc un corps extérieur ou un organe interne qui la provoque, laquelle relève de l'attribut étendue.
non, je ne sais pas cela. Ce qui signifie qu'il me faudra plus d'arguments avant de pouvoir comprendre en quoi cette thèse est vraie.
Soit, alors essayons de changer de méthode, à partir du texte que je cite (pages 78 à 80 - et pour Hokousai, je précise volontiers que le terme "basique" employé par moi ne s'adressait, bien au contraire, pas à Bergson mais aux notions de psychologie enseignées, avec quelle clarté aveuglante, à des élèves de Khâgne - en italique quand je cite texto).
On appelle sensation l'effet psychologique immédiat d'une impression produite sur le corps.
Qu'est-ce qu'une impression ?
Il faut distinguer soigneusement l'impression, qui est la cause, de la sensation, qui est l'effet. Soit par exemple un corps chaud : je le touche ; une impression se fait sur mon corps, c'est-à-dire qu'une certaine modification matérielle se produit à l'extrémité de mon doigt et se transmet le long de certains nerfs jusqu'à mon cerveau. L'impression est donc un fait d'ordre physiologique, mais la sensation de brûlure que j'éprouve à la suite de cette impression et lorsqu'elle s'est propagée jusqu'au cerveau est un fait psychologique. L'impression étant étendue, elle occupe de l'espace. La sensation est inétendue, elle n'occupe pas d'espace. L'impression est chose mesurable. On détermine la région du corps où elle est circonscrite, on en détermine l'intensité, la force. La sensation est réfractaire à la mesure ; l'impression est perceptible aux sens. Tout le monde peut voir la brûlure que je me suis faite au doigt et les modifications mêmes qui se sont produites dans le reste du corps pourraient à la rigueur être observées par tout le monde. La sensation n'est perçue que par moi.
La sensation étant distinguée de l'impression, demandons-nous donc quelles sont les principales sensations et comment on peut les classer.
Pour classer les sensations, il faut distinguer dans chacune d'elles deux éléments, dont l'un est proprement du ressort de la sensibilité, et dont l'autre est déjà intellectuel. Le premier élément est l'élément affectif. L'autre est l'élément représentatif.
Soit, par exemple, la sensation d'odeur de rose. Il faut y distinguer d'abord cette émotion agréale qui est ce que l'on recherche dans le parfum de la rose et ensuite cette représentation que nous nous faisons de la cause extérieure de cette odeur quand nous y reconnaissons l'odeur de la rose. Reconnaître une odeur, c'est l'attribuer à un objet, c'est s'en représenter la cause, et cette représentation, comme toute représentation, est un fait intellectuel. On observera que ce binôme, ou dualité de la sensation, dualité que l'on retrouve chez Freud dans l'analyse des pulsions, est la traduction psychologique de E2P16.
Bonjour Sinusix,
merci pour ces précisions. On peut certainement trouver des ressemblances entre ce texte et l'E2P16. Mais en quoi consistent-elles plus précisément?
Spinoza y dit que le Corps humain peut être affecté par un corps extérieur, et que l'Esprit forme une idée de cette affection. Alors en effet, on peut se dire que ce qui s'appelle ci-dessus "impression" pourrait être appelé "affection", et ce qui s'appelle "sensation" "idée".
Or comme le montre bien le texte que vous avez envoyés: les mots ne sont pas innocents, ils portent avec eux toute une pensée très spécifique. Car lorsqu'on parle d'impression et de sensation telles que définies ci-dessus, on voit qu'il y a un rapport de cause à effet entre les deux: d'abord il y a impression, et cette impression cause la sensation. Dès qu'on dit cela, on peut y opposer la théorie spinoziste à ce sujet, qui dit que jamais une affection du Corps ne peut causer une idée. Ou on peut reprendre la question que pose Spinoza à une telle conception: quelque chose touche mon Corps, y laisse une impression, cette impression va via les nerfs vers le cerveaux, et là, de façon miraculeuse, devrait s'opérer la transformation de l'Etendue en de l'Inétendue. Pour Spinoza cela n'est pas très crédible. L'idée de l'affection, ou si vous voulez la sensation, se produit chez lui tout à fait simultanément ou "parallèlement" à l'impression ou l'affection elle-même. Il n'y a pas de délai temporel entre les deux. L'impression n'est pas la cause prochaine de la sensation.
Deuxième divergence: ce que l'E2P16 dit essentiellement, c'est que l'idée d'une affection (une sensation) doit "envelopper" la "nature" du corps extérieur. Nous sommes ici dans ce qui sera la base de la théorie des idées confuses et mutilées, donc inadéquates. C'est pourquoi cette proposition a une portée épistémologique et non seulement "psychologique", aspect qui également est absent dans le texte ci-dessus.
Pour ces deux raisons, j'aurais tendance à dire que certes on peut, si l'on veut, retraduire les termes d'une philosophie dans ceux d'une autre, mais est-ce qu'on gagne quelque chose ce faisant, ou est-ce qu'on risque plutôt de réduire la deuxième philosophie à la première, et par là même de rester avant tout dans la première? Dans ce cas-ci, il me semble qu'on perd des choses essentielles, puisque chez Spinoza l'impression ne cause pas la sensation tandis que la sensation enveloppe la nature du corps extérieur.
Sinusix a écrit :Dès lors nous classerons les sensations selon la part plus ou moins grande qu'il faut y faire à l'élément affectif et à l'élément représentatif.
1°) Les sensations dites internes ou organiques ;
2°) Les sensations de l'odorat, du goût, et les sensations de température .
3°) Enfin les sensations visuelles, auditives et tactiles.
Après avoir classé les sensations nous devons poser les deux grands problèmes que soulève la théorie de la sensation, le problème de la mensuration des sensations et le problème de l'unité de composition des états sensibles.
Je coupe et passe à ce deuxième aspect.
Les sensations sont données à la consciece comme des états hétérogènes, c'est-à-dire de qualités différentes, et elles sont apparemment irréductibles les unes aux autres. Quel rapport établir par exemple entre une sensation de couleur et une sensation de température, entre un bruit et une odeur ? Bien plus, les sensations qui se rapportent à un même sens sont de nature différente en tant que sensations. Il ne semble pas, par exemple, que la sensation du rouge ait quelque chose de commun avec celle du violet, et la ressemblance même que nous voyons entre elles tient surtout à ce que nous les savons fournies par un seul et même sens.
On aborde là tout le champ du subjectif et de l'intersubjectif, pour lequel je ne prendrai que deux exemples.
1°) A équivalence d'impression sonore, la petite phrase de la sonate de Vinteuil déclenche une représentation totalement différente chez Swann par rapport aux autres membres du clan Verdurin (les phénomènes associatifs liés à cette différence peuvent être rattachés à E2P18);
2°) Tout le problème des [b]qualia auquel je faisais référence en citant le fameux problème posé par Thomas Nagel, et que vous connaissez mieux peut-être dans votre langue native : What is it like to be a bat ?
ne pourrait-on pas dire que l'E2P16 quelque part répond à ce problème, en disant que lorsque je suis affectée (par exemple, lorsque mon oeil est affecté) par une chauve-souris, l'idée ou sensation "enveloppe" la nature de celle-ci? Bien sûr, il nous faudrait encore pouvoir comprendre ce que Spinoza a voulu dire par là, mais il me semble qu'on est déjà dans une pensée différente que celle qui pose que l'objet est au fond par définition inaccessible au sujet.
Autre chose intéressante dans ce que vous dites: lorsqu'on part des définitions de l'impression et de la sensation ci-dessus, un nouveau problème se pose effectivement: comment unifier toutes les sensations? Ou comment faire d'un ensemble disparate de sensations un seul et même "sentiment de soi?". Ce problème est quasiment explicitement posé par le philosophe que vous citez. Pour moi cela signifie que ce problème est créé par les définitions dont ce philosophe-là part. Or Spinoza part d'autres définitions, et donc se heurte, me semble-t-il, à d'autres problèmes. Il ne parle jamais d'un "sentiment de moi", il pose plutôt le problème du rapport entre un Individu et un Corps. Un Corps peut-il subsister tout en changeant d'Individu? J'ai l'impression que là on a un problème fort différent, qu'on ne peut pas réduire aux termes d'une philosophie qui pense sur base des définitions d'impression et de sensations citées ci-dessus.
Sinusix a écrit :En conclusion, le dispositif de l'Ethique étant ontologique, et donc ne s'agissant pas d'un cours de psychologie, il est impossible d'avancer ou de se bien comprendre dans les échanges faute de préciser continuellement quel aspect est privilégié dans le concept "fourre-tout" (terme non péjoratif) de l'idée spinoziste.
il faut certes essayer de préciser maximalement, tout à fait d'accord.
Sinusix a écrit :Quand vous dîtes, par exemple, que l'idée est perception ou sensation chez Spinoza, comment comprendre alors la précision explicative qu'il apporte à E2Définition 3, selon laquelle il faut distinguer le concept, activité de l'Esprit, et la perception, passivité de l'Esprit, lui-même idée du corps......
je crois (hypothèse) que dire d'une idée qu'elle est sensation ou perception, et dire qu'elle est concept, c'est formuler deux perspectives différentes sur une seule et même chose: l'Esprit. L'Esprit est composé d'idées, idées adéquates et inadéquates. Si l'on veut parler du fait que tout idée a un objet, on peut l'appeler "perception" (puisque l'idée perçoit son objet). Mais si l'on veut parler du fait que toute idée a été formée par l'Esprit (au lieu de "pâtir" de l'objet, c'est-à-dire au lieu d'être causée par son objet), alors il vaut mieux accentuer le côté actif et l'appeler concept. Toute idée est donc toujours les deux, mais on peut parler de l'idée en tant qu'elle est perception ou de l'idée en tant qu'elle est concept, selon ce qu'on veut dire de l'idée.
Donc ici aussi, je crois que le fait de parler de concept et non pas de sensation par exemple est important et rend la retraduction d'une idée spinoziste en une sensation bergsonienne difficile: par définition, le concept n'est pas causé par une affection du Corps, alors que par définition, la sensation est causée par une impression corporelle.
Sinusix a écrit :Bref, en conclusion de la conclusion, et pour en revenir au point de départ qui était votre contestation que la distinction sensible/intelligible fût opérationnelle chez Spinoza, j'observe que tout ce que nous avons analysé plus haut relève grosso modo des propositions allant de E2P13S à E2P23, à savoir des propositions traitant du 1er genre de connaissance.
oui peut-être. Il faudrait analyser ces propositions en détail pour pouvoir voir dans quelle mesure c'est le cas ou non.
Sinusix a écrit :Je dirais donc que, chez Spinoza, la distinction sensible/intelligible est transmutée en distinction 1er genre/2ème et 3ème genre.
pour moi cette thèse reste problématique. Une connaissance du premier genre est tout autant sensible qu'intelligible, puisqu'il s'agit toujours à la fois d'une idée et d'une affection du Corps. Si par "intelligible" on désigne "le monde des idées" et par "sensible" tout ce qui est corporel, à mon avis on ne peut que constater que les deux sont toujours simultanément présent à chaque niveau de connaissance, chez Spinoza. Si l'on y ajoute le fait que l'idée même est sensation, pour moi cela signifie que Spinoza brouille les frontières entre sensible et intelligible, pour proposer une distinction qui certes de prime abord y ressemble, mais qui au fond fonctionne fort différemment, à cause du parallélisme et d'un tas d'autres choix philosophiques encore.
Sinusix a écrit :Ceci étant dit, mais ce n'est pas l'objet et je ne vais pas augmenter le nombre de pages, il sera judicieux de se rappeler cet échange quand il s'agira de savoir quel genre d'accès aux essences individuelles nous pouvons avoir, dans la mesure où le 1er genre, donc le subjectif singulier, tel que rappelé ci-dessus, ne peut être sujet de connaissance (vere scire est scire per causas).
Spinoza ne dit-il pas que l'
Ethique offre un remède aux affects qui passe par la connaissance adéquates des passions, autrement dit par la connaissance adéquate de ce qui en nous relève du premier genre de connaissance?
Puis je ne crois pas que le premier genre de connaissance est ce que nous avons de plus singulier ou subjectif. Car justement, toutes les idées du premier genre enveloppent la nature des corps extérieurs qui nous ont affectés et les affections dont elles sont l'idée sont même en partie causée par ces corps extérieurs, et en ce sens-là ne disent rien de nous-même considérés seuls ou "en soi".
Sinusix a écrit :Louisa a écrit :En attendant, je répète que ce que j'ai dit, c'est que chez Spinoza l'idée est sensation. En même temps, le parallélisme interdit tout rapport causal entre ce qui relève de l'attribut de l'étendue et l'attribut de la pensée, donc chez Spinoza (contrairement à ce que pense l'opinion commune aujourd'hui) jamais une impression corporelle ne peut "causer" une idée (E2P6). La seule chose qui peut causer une idée, c'est une autre idée. C'est bien cela qui bouscule notre façon habituelle de penser le sensible et l'intelligible. Par conséquent, il me semble que la thèse que je défends ci-dessus non seulement n'est pas acceptée par vous (puisque ce que vous répondez est l'inverse) mais sans doute pas encore claire non plus. Le problème n'est donc pas que je dirais des choses fort connues même déjà par des débutants, le problème est à mon avis que je ne me suis pas du tout exprimée clairement.
Il doit y avoir un problème de rédaction, car sinon je crains de lire ici une énorme confusion au niveau de la matière qui nous occupe. La relation entre l'impression corporelle et la sensation, donc l'idée que le sujet de l'affection en a, ne relève pas du lien de causalité, mais de la réplication idée/objet qui est la base de la vision moniste spinoziste. Je ne peux donc avoir défendu une thèse contraire.
ok, merci pour la précision. Si j'ai bien compris, cela signifie que vous pensez vous-même aussi que dire que l'impression est la cause prochaine de la sensation, comme le disait votre texte ci-dessus, n'est pas spinoziste?
Sinusix a écrit :Louisa a écrit :Sinusix a écrit :
Je dis effectivement qu'appartiennent à toute essence singulière des propriétés communes, faute de quoi vous ne pourrez concevoir rien de commun entre deux essences singulières, auquel cas, dixit E1P3, Marie et Pierre (ou Médor et Datcha) ne pourront jamais procréer.
A mon avis c'est parce que vous voulez que les essences soient largement constituées de propriétés communes que vous supposez qu'elles doivent avoir quelque chose en commun. En tout cas, si vous trouvez quelque chose dans le texte même de Spinoza qui vous fait penser que l'essence de deux choses différentes peut avoir quelque chose en commun, cela m'intéresse (pas d'ironie dans cette phrase).
Mais à la fin, comment faut-il vous le dire ! Je ne dis pas que les propriétés communes (qui sont des concepts à vocation de définition, donc de connaissance adéquate par la chaîne des causes) constituent les essences, mais que, comme le texte E2D2 le dit, appartiennent à l'essence. Or, il y a réciprocité entre essence et définition : Nullam définitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.
ok, disons dans ce cas que je ne comprends pas comment vous déduisez de l'E2D2 que les propriétés communes appartiennent à l'essence. A mon avis il faut en déduire exactement l'inverse: qu'elles ne peuvent pas appartenir à l'essence.
Prenons la propriété commune "envelopper le concept de l'attribut de l'Etendue". Tout corps a cette propriété commune. Mais si elle appartenait à l'essence d'un corps x, alors, dit la définition, elle doit être supprimé lorsque ce corps est supprimé. Or ce n'est pas le cas, car le concept de l'attribut sera toujours enveloppé dans tous les autres corps qui continuent à exister lorsque le corps x est mort. C'est la raison pour laquelle l'E2P37 peut conclure: "
Donc cela n'appartient pas à l'essence de B, et ne constitue pas l'essence d'une autre chose singulière".
(Je dois encore vous répondre dans le fil créé par Hokousai concernant la distinction appartenir-constituer; en tout cas, ayant entre-temps un peu fait attention à cela en lisant Spinoza, je crois que ce que j'y ai dit n'est tout de même pas très certain. Mais je reviens bientôt là-dessus)
Sinusix a écrit :Louisa a écrit :A mon sens cette deuxième condition n'a rien à voir avec le "bon sens", si par cela on comprend l'opinion commune. Car elle ne dit pas que sans l'existence de la chose singulière, son essence n'existe pas. Elle dit que ce qui constitue l'essence de la chose n'existe pas lorsque la chose n'existe pas.
Là vous faîtes très fort. Une ensemble vide est un ensemble vide. Si ce qui constitue l'essence n'existe pas, l'essence n'existe pas, tout simplement.
je crois que chez Spinoza c'est plus compliqué que cela. Voir mon exemple ci-dessus avec les corps x et autres. Bien sûr, si l'essence X est constituée de x1, x2, x3, et si x1, x2 et x3 n'existent pas, l'essence X n'existera pas non plus. Mais cela, c'est la première condition de l'E2D2, ce par quoi on définit traditionnellement l'essence. Etre homme, par exemple, c'est pour certains être un animal (x1) rationnel (x2). Cette essence existera aussi longtemps qu'il y a au moins un "ensemble" qui est constitué par x1 et x2. C'est là que nous avons des essences "de genre": aussi longtemps qu'il y a au moins un homme, l'essence de l'homme ne sera pas un ensemble vide, elle existera.
La deuxième condition en revanche renverse tout cela de fond en comble: elle dit que x1 peut constituer l'essence de telle chose, à condition de n'appartenir à l'essence d'aucune autre chose. Si dans le premier cas on peut encore avoir un x1 présent en chaque homme (donc des millions de x1), dans le deuxième cas on ne peut avoir qu'un seul x1, qui ne peut constituer ou appartenir qu'à cet homme-là, et à aucun autre. Bien sûr, la première condition continue à être valable, donc si l'on supprime x1, l'homme en question et son essence n'existeront plus non plus (c'est ainsi que beaucoup de philosophies abordent la définition de l'essence d'une chose, à ce point qu'aujourd'hui on attribue spontanément ce sens précis au mot "essence"). Mais Spinoza y ajoute que x1 lui-même n'existera plus lorsqu'on supprime cet homme (proposition inverse), ce qui est absurde dans une conception de l'essence qui travaille avec des essences de genre.
Sinusix a écrit :Louisa a écrit :Sinusix a écrit :Ma compréhension de ce deuxième membre se rattache à l'analyse déjà renouvelée de E2P8 : faute d'existence de la chose singulière, son essence formelle n'existe pas (mais bien entendu, comme toute essence, elle "baigne" dans les attributs de Dieu, donc dans l'existant), mais en revanche, son essence objective, ou être objectif, ou idée existe bel et bien en Dieu. Comme chez Michel-Ange, l'essence objective de la statue de David, préexiste à la réalisation de cette dernière, et le bloc de marbre ignore encore la transmutation qu'il va connaître. La destruction de la statue ne réduit pas pour autant l'idée qu'en avait l'auteur, qui pourrait la recommencer, à quelques variantes près.
ok, mais pour moi le problème c'est que vous ne montrez pas comment déduire cela de l'E2P8. Tandis que la proposition même dit déjà que les essences formelles des choses qui n'existent pas existent elles aussi en Dieu, et pas seulement l'essence objective ou l'idée de la chose:
"Les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu".
La démonstration réfère au scolie précédent. C'est en effet le parallélisme qui fait que jamais une essence objective d'une chose ne peut exister sans son essence formelle. Les deux existent ou bien dans le temps et en Dieu (lorsqe la chose est dite durer), ou bien en Dieu seul (de toute éternité).
A mon humble avis, là, gravement faux, car comment alors aurait pu faire Michel-Ange et comment expliquer tous les "artefacts" de l'homme, dont la conception de l'automobile que vous utilisez peut-être.
êtes-vous d'accord pour dire qu'ici vous opposez une objection "extra-spinoziste" à ce que je viens de dire? Je veux dire par là: ici vous dites que selon vous rien dans la réalité telle que vous la connaissez et pensez pour l'instant ne correspond à ce que je dis, au contraire, votre manière habituelle de penser fait que cette idée est absurde.
Si c'est ce que vous vouliez dire: ok, pas de problème, mais dans ce cas nous ne discutons plus de ce que dit Spinoza, nous discutons des différentes conceptions possibles du monde. Et là, comme déjà dit, pour moi il est difficile de penser en quoi une telle discussion pourrait avoir une quelconque pertinence (sur base de la conception de la philosophie que j'ai proposé ici il y a quelques jours, conception discutable bien sûr).
Sinusix a écrit :Vous semblez oublier que la Pensée, comme déjà souvent dit, est un attribut particulier dans la mesure où il fonctionne à deux niveaux pour la chose singulière qui pense, donc l'homme.
A partir du moment où l'homme pense, l'idée d'une chose singulière, autrement dit son essence objective, devient elle-même, dans l'attribut pensée, objet, lequel a sa réplication idée : l'idée de l'idée.
De ce fait, le parallélisme n'est pas que extra-cogitatif (comme dit M. Gueroult), mais intra-cogitatif.
En conséquence, l'homme, qui pense, peut très bien concevoir (comme Dieu et c'est une spécificité de l'homme qui pense) l'essence objective d'une automobile ou de la statue de David sans que cette même statue existât encore. En revanche, bien entendu, et en l'occurrence, sauf dans les contes de fée, mais même chez Dieu, aucun miracle n'existe, pour faire passer l'essence objective à l'état d'essence réelle, il va bien falloir suivre tout le processus de E2P7, et pour Michel-Ange, aller chercher des burins et un marteau, donc aller puiser dans les autres attributs.
Si vous pensez cela, vous introduisez du temps dans la production divine. Dieu aurait d'abord une idée, puis l'exécuterait. En effet, les choses se passent bien ainsi pour l'homme. Mais en Dieu, tout existe de toute éternité, une essence formelle d'une chose x n'a pas besoin de l'essence objective de la même idée pour pouvoir exister, il s'agit de deux expressions parallèles d'une seule et même chose. Aussi est-ce là que se trouve à mon sens l'erreur dans votre raisonnement: vous faites comme si mon idée de la statue est l'essence objective de la chose singulière "statue". Je ne crois pas que dans le spinozisme c'est le cas. Mon idée est en tant que telle une chose singulière, ayant une essence objective et une essence formelle (l'essence formelle d'une idée étant cette idée en tant qu'elle est un mode d'un attribut, l'essence objective d'une idée étant l'idée de cette idée, ou l'idée ayant cette idée comme objet). Mon idée est donc une autre chose singulière que l'idée qu'est la statue une fois réalisée. Toute chose a une essence objective et une essence formelle chez Spinoza, aussi les statues (ce que vous appelez parfois "animisme naïf", mais je n'ai pas encore compris en quoi ce serait naïf de penser ainsi, à moins qu'on identifie l'Esprit spinoziste à une conscience intentionnelle humaine, car alors en effet il est absurde d'attribuer cela à une pierre).
Amicalement,
L.