
2) Il est de la nature de la raison de concevoir les choses comme nécessaires : E2P44 et donc, corollaires : c'est par la seule imagination que nous concevons les choses comme contingentes ; il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous l'angle de l'éternité. Mais E2P45 : c'est vrai aussi de l'entendement intuitif, qui ne porte pas sur les notions communes mais sur les choses singulières : "Toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu." Or ce qui existe à partir d'une essence éternelle est également éternel (E1D8). Donc toute idée d'un corps ou toute idée d'une idée, en tant qu'elle enveloppe l'essence de Dieu, est également éternelle. Il ne s'agit pas ainsi dans Éthique V de ne se connaître que soi-même sous l'aspect de l'éternité mais bien toutes les choses qu'il nous est possible de connaître (E5P25 à 27).

Certes mon chat, comme moi-même d'ailleurs n'existons pas nécessairement à partir de notre seule essence, mais nous existons nécessairement à partir de l'essence de Dieu et de l'existence de l'infinité des causes qui ont conduit à la nôtre et donc éternellement.
3) La durée n'est pas contraire à l'éternité, c'est la continuation indéfinie mais donc limitée d'une existence, tandis que l'éternité est l'existence même en tant qu'elle est déjà accomplie avant d'apparaître dans la durée et encore accomplie alors qu'elle n'est plus dans la durée. L'éternité, contrairement à ce qui a été dit plus haut, n'est pas la durée infinie (cf. explication d'E1D8), elle est l'existence nécessaire de toutes choses malgré la finitude de leur durée. Finitude qui d'ailleurs ne se conçoit qu'abstraitement, comme forme de la quantité (E2P45S).
Ainsi mon chat, comme moi-même en tant qu'homme, avons une existence limitée du point de vue de la durée mais, aussi bien, nous existons éternellement en tant que notre essence exprime la nécessité éternelle de Dieu : ce qui n'existe pas encore ou plus dans la durée existe cependant de toute éternité en Dieu, selon l'attribut qui s'y rapporte, en tant que corps ou en tant qu'idée : E2P8. Autrement dit, sous l'aspect de l'éternité, tout est également présent, il n'y a pas de "n'être pas encore" ou de "n'être plus", c'est une simultanéité de tous les étants ; croire que ce qui ne dure qu'un temps n'est pas éternel, c'est proprement confondre l'éternité et la durée infinie.
4) Pour toute chose existant en acte, il existe en Dieu une idée de cette chose : E2P3 ; Dieu est la cause de la réalité formelle des idées (le fait qu'elles soient formées) en tant qu'il est substance pensante (E2P5) et cette idée est son esprit même : E2P11 et démonstration de E2P12 - c'est pourquoi Spinoza ne nie pas la sensibilité aux bêtes, contrairement à Descartes, sachant comment l'esprit se forme (E3P57S).

5) L'homme n'est pas un empire dans un empire, ce qui vaut fondamentalement pour lui, vaut aussi pour tout ce qui existe selon les lois de la nature. Spinoza, dans l’Éthique s'intéresse principalement au salut de l'homme, il dit bien qu'il pourrait déduire beaucoup d'autres choses de ses principes ontologiques, mais que ce n'est pas son objet. Ce qui est affirmé du moins jusqu'à E2P13, les idées des choses et leur rapport à l'entendement infini vaut pour toutes choses : "tout ce qui a été exposé jusqu'à ce moment étant d'une application générale et ne se rapportant pas plus à l'homme qu'aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu'il l'est aussi de l'idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l'idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée de toute autre chose quelconque. " (E2P13S)
Ce qui différencie l'homme du chat, c'est la complexité de son corps : "à mesure qu'un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d'un grand nombre de façons, il est uni à une âme plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses". L'esprit de l'homme peut percevoir beaucoup plus de choses que celui d'un chat, celui d'un chat beaucoup plus que celui d'une plante, celui d'une plante beaucoup plus que celui d'une pierre étant donné que leurs corps peuvent agir ou pâtir d'un plus ou moins grand nombre de façons. Il n'y a donc bien qu'une différence de degrés entre eux.
Aussi le chat n'a probablement pas une idée très claire de Dieu en tant qu'il n'est capable de percevoir que peu de choses simultanément et ainsi en former des notions communes que de façon très partielle. On notera cependant qu'en expliquant le fondement du troisième genre de connaissance, dans E2P45, Spinoza ne se réfère dans sa démonstration qu'à des propositions antérieures à E2P13. En revanche, l'idée de l'idée qu'un chat peut avoir de son corps sera aussi limitée que celle de son corps, principalement à mon sens parce qu'il ne dispose pas des moyens physiques d'un langage articulé permettant de rassembler ensemble un grand nombre de perceptions (sachant toutefois qu'un mauvais usage de ce même langage est la raison qui fait qu'en ayant une connaissance adéquate de Dieu et de leur relation avec lui, les hommes n'en ont pas clairement conscience).
Pourtant, un chat perçoit l'étendue en percevant les corps - ce qui n'est probablement pas le cas d'une plante qui n'ayant pas à se mouvoir pour vivre n'a pas besoin de percevoir d'autres corps. On pourrait donc reprendre à son compte ce que dit la démonstration d'E2P47, à ceci près que les notions communes dont un chat peut disposer sont certainement beaucoup moins nombreuses.
Mais quoiqu'il en soit, s'il est douteux qu'un chat ait l'idée de Dieu, c'est-à-dire de l'étendue et de la pensée, Dieu a l'idée du chat et c'est ce qui importait dans mon explication précédente.
Que le chat ne puisse donc concevoir sa propre essence sous l'aspect de l'éternité n'empêche en rien qu'elle soit un mode éternel de la puissance de de penser de Dieu et que ce mode constitue donc avec tous les autres son entendement infini.