Je proposerai donc de le retraduire. Il me semble que les traducteurs se trompent en traduisant ordinairement ordinairement rectangulus par rectangle, au sens de quadrilatère formé de 4 angles droits, ce qui ne correspond pas à l'exemple. Rectangle traduit le latin rectagonum et non rectangulus. Ainsi on parle de triangle rectangle quand un de ses angles est droit, non pas bien sûr au sens où ce serait à la fois un triangle et un quadrilatère. De même, mais est-ce un usage encore peu établi du vocabulaire géométrique à l'époque de Spinoza ?, il me semble difficile de traduire segmentum par segment puisqu'en géométrie, un segment suppose deux points sur une droite alors qu'ici, il n'y en a qu'un. Je traduis donc segmentum par coupure. Mais si quelqu'un peut m'expliquer autrement ce scolie dans les traductions habituelles, je suis preneur. Cela donnerait donc :
Un cercle est de nature telle en effet que toutes les lignes droites qui se coupent en un même point forment, par leur coupure, des angles droits égaux entre eux. C'est pourquoi une infinité d'angles droits égaux entre eux sont contenus dans un cercle. Cependant, on ne peut dire d'aucun de ces angles droits qu'il existe si ce n'est en tant que le cercle existe ; et on ne peut dire non plus que l'idée d'un de ces angles droit existe si ce n'est en tant qu'elle est comprise dans l'idée du cercle. Maintenant, concevons qu'il n'existe que deux angles droits dans cette infinité, E et D. Assurément, les idées de ces angles droits existent en tant qu'elles enveloppent l'existence des deux angles droits et non plus seulement en tant qu'elles sont comprises dans l'idée du cercle, ce qui fait qu'elles se distinguent des autres idées de tous les autres angles droits.
Ce scolie présente non un exemple, car la chose est unique et donc singulière, mais plutôt une métaphore du corollaire de E2P8 : "Il suit de là qu'aussi longtemps que les choses singulières n'existent pas autrement qu'en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c'est-à-dire les idées de ces choses n'existent qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu ; et aussitôt que les choses singulières existent, non plus seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu'ayant une durée, les idées de ces choses enveloppent également cette sorte d'existence par laquelle elles ont une durée. "
On a donc ici deux sortes d'existence, celle de la durée et celle de l'éternité. Quand les choses sont comprises en tant qu'elles se rapportent aux attributs de Dieu, leur existence est éternelle. En tant qu'elles sont rapportées aux seuls attributs de Dieu, les choses ne sont jamais inexistantes. Quand elles n'existent pas, c'est donc qu'on fait abstraction de ces attributs, et qu'on rapporte ces choses à l'existence d'autres choses qui les produisent ou qui les détruisent. C'est la durée qui ne saurait jamais être déterminée par l'essence même de ces choses mais seulement par l'existence d'autres choses.
Il en est de même pour les choses en tant que corps se rapportant à l'étendue et les idées des choses se rapportant à la pensée : quand elles se rapportent à leur attribut, leur existence découle d'une chose éternelle, c'est-à-dire que leur existence résulte nécessairement de la seule essence de Dieu. L'ensemble infini des idées qui expriment la puissance pensante forme l'idée ou entendement infini de Dieu, de sorte qu'étant ici dans cette sorte d'existence qu'est l'éternité, cette infinité d'idées forme un bloc indissociable, sans passé ni avenir, tel que l'idée d'une chose donnée n'existe qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu. De même, un corps appartient à la face totale de l'univers d'une façon telle qu'il est inséparable de cette totalité, de sorte que son existence de ce point de vue ne cesse jamais.
Mais quand une chose singulière existe, non plus éternellement, mais du point de vue de la durée (qui est alors en fait le point de vue d'un entendement fini, qui ne perçoit en même temps qu'un nombre limité de choses), alors l'idée de cette chose se met à exister dans l'entendement fini aussi longtemps que d'autres idées ne la remplacent pas.
Il en est ici du moment présent ou actuel dans la durée comprise par l'entendement fini comme du lieu affectant un corps : je ne perçois que le lieu où je suis, mais ce n'est pas pour autant que tous les autres lieuxpossibles dans l'univers, qui pour mon corps sensible sont loin devant ou loin derrière, n'existent pas. De même je ne perçois que le moment lié à la présence limitée de mon entendement, mais ce n'est pas pour autant que tous les autres moments, qui pour mon imagination sont passés ou à venir, n'existent pas.
Reprenons donc le scolie de la prop. 8.
On a donc un cercle, un point dans ce cercle et une infinité de droites qui passent par ce point qu'on appellera O. Si on imagine noires toutes les lignes, cela fait un cercle noir qui représente la face totale de l'univers tandis que l'idée de cercle noir représente l'idée infinie de Dieu. Comme il y a une infinité de droites sécantes en O, pour toute droite A, il y a une droite B perpendiculaire qui forme avec elle un angle droit (en fait quatre angles droits égaux entre eux, si on considère l'ensemble de la figure AB). Il y aura donc dans ce cercle constitué d'une infinité de droites sécantes en O aussi une infinité d'angles droits (et si l'on demande si alors ce serait une infinité multipliée par 4, voir E1P15S).
On observera alors qu'aucun de ces angles droits n'existe sans le cercle qui les contient tous, de même qu'aucune idée de ces angles ne pourrait exister sans l'idée du cercle. Mais plaçons nous du seul point de vue de deux de ces angles, qu'on avait formé à partir des droites A et B, on les nommera E et D. Alors il existe de ce point de vue seulement deux idées, celles de E et D. L'entendement qui ne percevrait que ces deux idées serait lui-même l'idée de ces deux idées qui ont quelque rapport (celui d'être des angles contigus). Ce serait un entendement qu'on pourrait qualifier de fini par rapport à celui qui conçoit d'un seul tenant l'infinité des idées des angles posés dans le cercle. Pour cet entendement fini, tous les autres angles ne seraient que des angles possibles ou contingents, qui ne sont plus ou pas encore. Mais il n'aura qu'une perception inadéquate de l'ensemble de la réalité, comme de sa propre réalité. Il percevra ce qui n'est pas de son point de vue comme inexistant, il percevra les choses sous l'aspect de la durée.
La durée est la continuation indéfinie de l'existence d'un étant, en tant que l'existence de cet étant se rapporte non à l'essence d'une chose infinie mais à la seule existence d'une autre chose finie.