Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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hokousai
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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar hokousai » 13 juin 2015, 00:00

à Vanleers sur ces deux passages
A mon point de vue, vous faites l’expérience, à la fois de l’attribut Etendue et que vous-même êtes étendu. Mais vous l’êtes comme tous les corps le sont : être étendu est commun à tous les corps et cela relève de la connaissance du deuxième genre qui ne nous fait pas connaître notre essence (E II 37).
Lorsque Matheron part de la sphère et, par régression analytique, remonte à l’Etendue (qu’il appelle Activité spatialisante), il fait une expérience lui aussi, certes pas une expérience concrète comme la vôtre mais une expérience de pensée comme on en trouve en physique (Einstein dans son ascenseur).
Ces deux expériences n’ont-elles pas la même force de conviction ?

et
L’essence n’est pas la définition génétique mais il est équivalent de connaître l’essence ou cette définition.


il semble que vous mettiez en équivalence (ou égalité ... je ne sais ) deux expériences, lesquelles devraient avoir la même force de conviction.
Je ne pense pas qu'elles produisent la même forme de conviction.

Partant d'une différence de forme il est difficile de les comparer quantitativement ( quant à la force ).
On ne peut dire qu'une couleur ( le rose ) à plus de force que l' odeur d' une rose.
Ce serait le qualitatif mesuré à l'aune du quantitatif.
...........................................
( mais bref puisque je n'ai pas tout lu sur une question à laquelle j'avais répondu.
Car il me semble évident qu'on connait les essences singulières, comme on connait aussi les générales... sinon on ne se poserait même pas la question... :D
Mais que questionnons -nous de ce que nous ignorons?


........................................................

Quand à l'amour... l'essence de l'Amour ( non singulier je suppose ) qui nous ferait comprendre les amours singulières ...ou l'inverse ?
Cela dit vous avez raison c'est intuitif .

Le goût d' un seul croisant me fait comprendre l'essence du croissant en général ...ou alors c'est que je suis très méfiant de nature.

Ce qui vous manque ( entre nous :wink: ), c'est de la fantaisie.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 13 juin 2015, 11:01

Spinoza écrit à la fin du scolie d’E V 36 :

« Car quoique j’aie montré de manière générale dans la Première Partie que tout (et par conséquent l’Esprit humain aussi) dépend de Dieu selon l’essence et selon l’existence, pourtant cette démonstration, quoiqu’elle soit légitime et sans risque de doute, n’affecte pourtant pas autant notre Esprit que lorsqu’on tire cette conclusion de l’essence même d’une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu. »

Spinoza a exposé dans le TRE que la poursuite du vrai bien consiste dans « la connaissance de l’union qu’a l’esprit avec la nature en totalité ».

A la fin du scolie d’E V 36, Spinoza explique que cette connaissance est plus forte lorsqu’on la déduit de l’essence même d’une chose singulière que lorsqu’elle résulte des démonstrations de la partie I.
Mais, à mon point de vue, connaître intuitivement qu’une essence singulière dépend de Dieu ne signifie pas que nous connaissions « véritablement » cette essence.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar hokousai » 13 juin 2015, 17:28

Mais, à mon point de vue, connaître intuitivement qu’une essence singulière dépend de Dieu ne signifie pas que nous connaissions « véritablement » cette essence.

Mais que signifie donc, pour vous, connaitre VERITABLEMENT?
C' est bien de le mettre entre parenthèses, les parenthèses ne signifient néanmoins rien de précis.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 13 juin 2015, 17:54

Je soutiens actuellement contre Henrique, d’où les guillemets, qu’il est équivalent de connaître l’essence d’une chose singulière ou sa définition génétique.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar hokousai » 13 juin 2015, 21:11

oui ça m'est revenu il fallait écrire guillemets.
bon bref.

qu’il est équivalent de connaître l’essence d’une chose singulière ou sa définition génétique.
SI je veux connaitre l'essence d'un croissant chaud, je ne passe pas par la définition génétique.

Nous sommes vous et moi aux antipodes de ce qui peut se comprendre en philosophie.
A des années- lumières.
Il n'y a aucune communication possible. :( :( Sinon tout reprendre à Zéro
Ce qui n'est pas dans mes intentions .

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 14 juin 2015, 15:11

Pour essayer d’avancer dans la question « Pouvons-nous connaître les essences singulières ? », intéressons-nous à un prérequis : le désir de connaître ces essences.
E V 28 établit que ce désir ne peut naître du premier genre de connaissance mais qu’il le peut du second.
Pourquoi ?

Pierre Macherey explique que :

« […] les mécanismes de l’imagination projettent en quelque sorte l’âme à l’extérieur d’elle-même et la dépossèdent de sa maîtrise sur les représentations qui se forment en elle ; elle est alors empêchée de prendre en considération son vrai bien, […] » (Introduction… V p. 142)

C’est parce que l’esprit est empêché de prendre en considération son vrai bien qu’il n’a pas le désir de connaître les essences des choses. Il est donc nécessaire qu’il y ait :

« […] réappropriation par l’âme de sa propre nature, qui est la condition pour qu’elle tende vers ce qui constitue son bien suprême, la maîtrise intellectuelle de l’essence des choses […] » (p. 143)

En effet :

« […] ce désir, bien qu’il exprime ce qu’il y a de plus essentiel à l’âme, ne lui est pas naturel ou spontané, mais, pour qu’il se révèle, il faut que, par une expurgation ou épuration (emendatio) préalable, l’âme soit libérée du poids des idées inadéquates qui la mettent en opposition avec elle-même et gênent le développement de son propre conatus. » (ibid.)

C’est ce que réalise la pratique de la connaissance du deuxième genre, avec ses règles et ses procédures démonstratives, ce qui :

« […] relance son effort [de l’âme] dans une perspective qui n’est plus seulement cognitive, mais éthique, puisqu’elle se définit par la poursuite d’un bien suprême, ce qui réintroduit aussi dans son ordre l’affectivité, complètement étrangère à la pratique de la connaissance scientifique proprement dite. » (ibid.)

En conclusion :

« Il faut donc avoir appris par une étude appropriée à déterminer les propriétés des essences des choses pour se laisser progressivement envahir par le désir de comprendre ce que sont en elles-mêmes ces essences, d’une compréhension qui ne soit pas seulement théorique mais aussi pratique. » (pp. 143-144)

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 15 juin 2015, 10:41

Comme il a été question du rapport entre l’essence d’une chose et sa définition, rappelons que, selon Misrahi, l’essence d’une chose, c’est sa définition :

« Dans le cadre du spinozisme, il faut entendre par « essence » la définition d’une chose. Plus précisément, la définition de cela qui, exclusivement, fait qu’une chose est ce qu’elle est et existe comme elle existe. » (100 mots… p. 160)

Charles Ramond écrit, lui aussi :

« La redéfinition de l’essence (c’est-à-dire, la subordination non seulement d’une chose, mais réciproquement aussi de son essence à la chose considérée [E II déf. 2]) […] est le signe du mathématisme profond de Spinoza, c’est-à-dire du fait que, aux yeux de Spinoza, les essences des êtres mathématiques sont le modèle de toute essentialité. Les êtres mathématiques sont en effet par excellence le lieu de coïncidence, ou de réciprocité, entre une chose et son essence (ou définition), car il n’y a aucune différence, aucune distance concevable, entre un cercle (par exemple) et son essence ou sa définition. » (Le vocabulaire de Spinoza – Ellipses 1999)

Il écrit :

« La théorie spinoziste des essences est ainsi la généralisation de la relation réciprocable entre définition et objet mathématique. Les caractérisations ou déterminations des essences des choses singulières confirment toutes, sans exception, un tel résultat. »

Après en avoir donné des exemples, il ajoute :

« Le modèle mathématique permet la rationalisation complète de la nature naturée, et offre donc la possibilité d’en prendre une connaissance adéquate ; […] »

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar NaOh » 15 juin 2015, 10:51

A Vanleers,

Je ne comprends pas bien cette équivalence entre "définition" et "essence". L'essence n'est-elle pas la chose définie par la définition? Par conséquent que peut bien signifier cette identité de l'essence et de la définition?

Et l'argument de Henrique selon lequel nous pouvons en quelque sorte avoir un "contact" avec l'essence d'une chose sans en connaître la définition, repose à mon avis en partie sur cette considération: la définition et la chose définie ne sont pas identiques entre elles.

Bien à vous.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 15 juin 2015, 12:07

A NaOh

J’ai cité Misrahi et Ramond mais ce que je soutiens ce n’est pas que l’essence d’une chose singulière et sa définition soient la même chose mais que connaître l’une soit équivalent à connaître l’autre (mon post au début de la page 3 de ce fil).

Dans l’expérience que décrit Henrique, nous connaissons intuitivement notre dépendance à l’égard de Dieu mais nous ne connaissons pas notre essence (ce qui, à mon point de vue, serait équivalent à connaître notre définition).

Bien à vous

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar NaOh » 15 juin 2015, 14:45

D'accord, je comprends mieux.


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