Henrique a écrit :Tu dis dans ton cadre sceptique que la vérité conserve toute sa valeur comme horizon des recherches humaines. Mais comme de bien entendu, l'horizon est précisément ce que l'on n'atteint jamais, même partiellement.
C'est jouer sur les mots. Si on croit que toute vérité est inaccessible, on tombe dans la sophistique.
Ce n'est pas un hasard si le scepticisme modéré d'un Hume a enfanté spirituellement l'utilitarisme libéral de son disciple Smith, grand théoricien de la valeur "naturelle" montante de l'occident anglo-saxon : l'argent.
Je te laisse la responsabilité de tes interprétations.
Tu parles du grand écroulement de "tous les systèmes philosophiques", amenant à renoncer à toute prétention de posséder une vérité absolue. Si par "vérité absolue" tu entends la vérité totale et exhaustive sur tout ce qui est réel, il est bien évident qu'elle n'est pas accessible à l'esprit humain, limité par nature. Mais Spinoza lui-même dit plusieurs fois (par exemple dans l'échange avec Boxel) qu'il n'a pas la prétention de connaître tout le réel, son entendement étant limité !
Encore heureux ! Spinoza n'était tout de même pas assez fou pour se croire omniscient. Mais il avait une confiance absolue en l'infaillibilité de la raison
humaine, ce qui me semble excessif (bien que je sois parfaitement convaincu que le réel est rationnel).
Je dis que si tu affirmes ne rien connaître sur rien, tu ne peux donner sens à la moindre recherche visant à augmenter ta connaissance du vrai.
Encore une fois, je n'ai jamais rien dit de tel.
Si tu pars de rien, tu as beau jeu de déclarer ensuite que tu n'aboutiras jamais en rien en matière de recherche de la vérité absolue. Quant à moi, je prétends que je sais absolument qu'un cercle ne peut être carré, que le tout est plus grand que la partie, que tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose. C'est sur la base de telles vérités, indubitables autrement que par des fictions de l'esprit telles que le malin génie (fictions qui ne produisent en réalité que des fictions de doute) que peut avoir une signification la moindre prétention à la recherche de la vérité.
Cette fiction du malin génie n'est déjà pas rien : d'un point de vue métaphysique, elle suffit à ébranler nos certitudes. Mais je n'ai jamais concrètement douté qu'un cercle ne fût pas un carré. Je crois que tu comprends mal mon scepticisme (qui est tout sauf une mise à l'écart de la raison). C'est un scepticisme métaphysique, un point de vue sur la raison. Ce n'est pas un abattage de vérités !
A ton scepticisme modéré, je réponds donc que la vérité n'a de sens et d'intérêt dans le cadre d'une recherche philosophique que si elle sert de point de départ, si petite soit-elle, pour progresser dans la recherche d'une vérité plus étendue. Si la vérité est norme d'elle-même, alors elle est principe de la connaissance et de la méthode et en aucun cas ne peut se réduire à une finalité à atteindre comme l'inaccessible étoile du chansonnier.
Ma foi je suis d'accord avec tout, sauf la fin. Par exemple, quand on fait des sciences, c'est bel et bien pour s'approcher de la vérité. Et cette vérité n'est jamais atteinte absolument : la théorie de Newton contient plus de vrai que celle de Ptolémée, et celle d'Einstein plus que celle de Newton. Mais aucun scientifique prendra l'une de ces théories pour
la vérité. Ce qui ne veut pas dire que cette vérité n'existe pas, ou qu'elle ne soit qu'une illusion de l'esprit !
Tu dis maintenant que l'Ethique de Spinoza est tout sauf un bricolage et que ce serait une bêtise de le dire. Ce n'est pourtant pas moi qui ai mis cette notion dans le débat :-> . Ce n'est pas moi qui ai cité Comte Sponville, sachant que l'Ethique est un système : "Il y a quelque chose de pathétique chez les auteurs de systèmes. Ils croient penser le tout ; ils ne font que bricoler leurs petites idées. [...] Si un système réussissait, c’en serait fini de la philosophie. Mais ils ont tous échoué, même les plus grands. Le cartésianisme est mort. Le Leibnizianisme est mort. Le spinozisme est mort. "
Oui, enfin ça dépend de ce que tu entends par "bricoler". Spinoza essaie de faire tenir la totalité du réel dans quelques "démonstrations" que le premier venu peut contester, et prend sa philosophie pour une certitude : en ce sens il bricole. Cela ne retire bien sûr rien à son génie ou à la pertinence de sa philosophie. Par contre, sa démarche n'est pas de faire tenir ensemble quelques idées hétéroclites, sans cohérence interne : en ce sens il ne bricole pas.
Penser le tout, ce n'est pas forcément prétendre tout connaître sur tout !
Heureusement ! Penser le tout, c'est un très noble objectif.
Mais effectivement, l'Ethique ne serait que bricolage si elle ne partait pas de principes fermes et assurés. Tu contestes que les démonstrations chez Spinoza en soient bel et bien. Mais par quelle réfutation ? Ton argument du bidule ? Nous verrons cela mais je constate que dans les réponses que tu fais aux objections à ton argument, tu as tendance à substituer la démonstration à la répétition tautologique (et pour cause, puisque tu ne crois pas aux démonstrations) : "les démonstrations sur lesquelles [son système] repose n'en sont pas" ce qui revient à "Spinoza ne démontre rien car il ne démontre rien"... Beau progrès en effet de la raison dialectique humaniste

Ironise tant que tu voudras. Tu me montres que tu n'as pas lu tous mes messages, ou que tu n'y a rien compris... Je reconnais que l'exemple du bidule est maladroit (je me suis rendu compte que votre erreur était ailleurs). Mais J'ai contesté
précisément les démontrations de Spinoza, sans partir du principe qu'elles étaient fausses ! De toute façon je me lasse de ces discussions : j'ai déjà tout dit.
Oui je sais, tu dis que tu n'es pas un sophiste qui confond l'opinion et la vérité mais dis moi qu'est-ce qui les distingue vraiment si pour toi il n'y a que des raisons incertaines de penser que A=B ? Crois tu que l'homme d'opinion n'ait pas "d'arguments" pour penser que "les anglais sont tous des homosexuels" ? S'il n'y a pas de vérité absolue touchant au moins une question, il n'y en a nulle part et dès lors il n'y a pas de généralisation abusive, pas de pétition de principe, pas de cercle logique, tout se vaut...
Vois-tu, je ne peux que me répéter : nous avons accès à la vérité, et nous devons utiliser la raison (et non je ne sais quels préjugés). Sinon nous ne pourrions même pas condamner un criminel, ni réfuter le négationnisme, ni rejeter la superstition. Le doute métaphysique n'est absolument pas un rejet de la raison, ni de la vérité. C'est un doute qui
subsiste du fait qu'on ne peut fonder aucune certitude
absolue. Ce n'est certainement pas une mise à égalité de toutes les croyances. Il y a des croyances qui valent comme des certitudes, d'autres comme des croyances bien établies, d'autres comme des croyances sans fondement sérieux. Je n'ai jamais vérifié que Neptune est plus volumineuse que la Terre, mais je n'en doute pas, tandis que je doute atrocement de l'existence du yéti ou de la validité de l'homéopathie.
Celui qui pense que "les Anglais sont tous des homosexuels" est libre de croire ce qu'il veut, mais quelle raison a-t-il de le penser ? A-t-il répété les propos de son père anglophobe et homophobe ? A-t-il été terriblement déçu d'avoir perdu la demi-finale de rugby en Australie ? A-t-il rencontré un couple d'Anglais homos et généralisé cette tendance à tout un peuple ? Ou a-t-il fait des études rigoureuses de la population anglaise, avec des échantillons suffisamment larges et représentatifs ?
Mais tu as raison sur un point. Prenons un exemple : l'Univers est en expansion. Si je rencontre un homme qui pense le contraire, je pourrai essayer de connaître ses raisons, de voir ce qu'elles valent, et de le convaincre qu'il a tort. Mais pour cela il faudra qu'il ait un minimum de confiance en la physique. Or comment prouver physiquement que la physique est vraie ? C'est impossible, puisqu'il y a un cercle. On tombe donc dans la philosophie. La proposition "la physique est vraie" ne peut se vérifier expérimentalement. Maintenant, si tu crois que je crois que la physique est fausse, ou que l'Univers n'est pas en expansion, alors tu te fourres le doigt dans l'oeil...
Et que dire en effet de cette obsession chez toi du consensus comme apparent critère de vérité ? "Je suis sûr que la majorité des spinozistes (pas seulement Comte-Sponville...) ne croient pas au Dieu de Spinoza." Comme si la majorité ou même l'unanimité d'où qu'elle vienne avait jamais fait une seule vérité ?
D'abord tu n'as rien compris. Je te rappelle le contexte : vous disiez, vous autres les "vrais" spinozistes, qu'il est contradictoire de ne pas croire au Dieu de Spinoza et de se dire spinoziste. J'ai fait remarquer que c'est pourtant le cas de la majorité des spinozistes. Point. Où est le problème ?
Maintenant, j'ai aussi utilisé un autre argument, à un tout autre sujet. Je disais qu'il y a une certaine prétention à considérer que personne, sur cette terre, n'est capable de reconnaître la validité des "preuves" de Spinoza (que ce soit par stupidité ou par aveuglement de la raison) ! Mais je n'ai jamais prétendu qu'une erreur répétée par 6 milliards d'hommes deviendrait une vérité (j'ai au contraire insisté sur l'universalité de la vérité).
Qu'est-ce que cela montre sinon que ton scepticisme modéré aboutit à un pragmatisme qui n'est en fin de compte que l'affirmation du droit du plus habile à convaincre à énoncer le "vrai" ?
Excuse-moi, mais tu dis vraiment n'importe quoi. Je te croyais plus sérieux et plus clairvoyant. C'est assez drôle : quand je discute avec des chrétiens, je passe pour un "intégriste de la raison", pour un "dogmatique incapable de douter de ses propres certitudes", pour un "scientiste incapable de reconnaître les limites de la raison", etc.

Effet de perspective, sans doute...
Imaginons donc quelqu'un qui a été éduqué toute son enfance dans la peur de l'Enfer et l'espoir connexe en un paradis soutenu par une providence. Pour cette personne, il s'agit de sa propre vie et pas de celle des fourmis en 2075. La perspective d'aller en Enfer, même si elle est hautement incertaine, restera cependant plus ou moins clairement à l'esprit car une idée subsiste dans l'esprit tant qu'une idée contraire et suffisamment forte ne prend pas sa place. Or la seule idée contraire à "il y a un enfer et un paradis", c'est "tout cela n'existe pas". Que pourras tu donc dire à cette personne ? "Peut-être, selon une très forte probablité, cela n'existe pas" La belle affaire ! Comme s'il ne savait pas déjà qu'il y a une forte probabilité pour que cela n'existe pas !
Je ne vais pas m'amuser à faire perdre la foi aux autres (ce serait d'ailleurs peine perdue, et le remède serait pire que le mal).
Maintenant tu me dis que toi, tu ne penses pas à l'Enfer. Admettons que cela ne soit pas ton éducation. Mais alors d'une façon ou d'une autre, tu ne peux - comme C.S. se plaît d'ailleurs à le répéter - éviter de craindre la mort qu'au prix d'une dénégation qui ne prouve rien, ou alors faisant de la philosophie une méditation non de la vie mais de la mort : le moyen d'en supporter la perspective en se répétant que bien que ne sachant rien sur elle, il faut apprendre à vivre avec cette incertitude.
Satan c'est pour moi une légende comme Shiva, Zeus, Osiris ou Vishnou. J'y crois si peu que je suis prêt à signer sur l'heure une déclaration stipulant que je vends mon âme au diable et que je jure devant Dieu que je souhaite brûler en Enfer. Sérieusement, la souffrance m'effraie beaucoup plus, et toi-même, tu ne peux pas écarter l'idée que tu mourras peut-être dans d'atroces souffrances (Spinoza lui-même le reconnaîtrait). La vie est difficile, elle comporte son lot d'angoisse, de douleurs, d'interrogations. L'exigence de vérité, de lucidité et d'honnêteté m'empêche justement de croire en Dieu (consolation indigne), comme d'affirmer dogmatiquement que l'Enfer n'existe pas. Mieux vaut une lucidité triste qu'une fausse joie. Le spinozisme n'est donc pas pour moi une nouvelle religion, une nouvelle promesse de bonheur, mais le chemin de la sagesse.
Dans ce cas, si tu te dis spinoziste malgré tout, ou bien tu ne t'avoues pas que tu vis dans la trouille permanente de cette chose inconnue qu'est la mort parce qu'elle te concerne au premier chef (destruction totale ? immortalité ? éternité ?) en te bricolant, pour le coup, une philosophie-cache-misère capable de te faire oublier cette perspective.
La philosophie n'est pas là pour oublier la mort mais pour nous aider à l'accepter. Pour Spinoza, l'âme n'est pas éternelle au sens religieux. Après la mort, la mémoire est détruite, la sensation est détruite, la pensée est détruite. Il en reste "quelque chose" qui est éternel, c'est-à-dire nécessairement donné en Dieu.
Maintenant, j'aurais encore une question à te poser à propos de ton scepticisme. Admettons que tu ne voies pas la certitude que Spinoza voit dans l'existence d'un être absolument infini.
Ca me fera toujours rire !
Est-ce pour autant que - même à titre de croyance - tu nies qu'il y ait un être absolument infini ou que tu t'en passes ? Si c'est le cas, je vois mal comment les concepts de conatus, vertu, liberté et béatitude comme autant de façons de comprendre comment l'infini s'exprime dans le singulier, peuvent encore avoir un sens spinoziste, mais tu me l'expliqueras peut-être...
Quant à moi je ne vois vraiment pas comment ils pourraient ne plus en avoir ! Le seul point délicat, c'est l'éternité. Là, je t'accorde qu'il faut transposer un peu. Comme je n'ai pas le temps, ni le talent, pour développer tout cela, je schématise grossièrement : je comprends l'éternité comme l'éternel présent que je vis (le passé n'existe pas, le futur non plus, seul le présent existe et est éternel), comme le fait que je n'aurai pas d'après (quand je ne serai plus, je ne serai plus là pour m'en rendre compte), comme l'éternelle vérité de ce que je vis (éternité ~= nécessité), comme la sensation d'acceptation, d'ataraxie, de paix, de communion avec la nature qui me contient et que j'admire ("plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu").
Zerioughfe