Prigogine et la philosophie

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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SpinUp
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Prigogine et la philosophie

Messagepar SpinUp » 14 janv. 2008, 02:14

Ceci est un "follow-up" d'un débat sur Prigogine initié dans le fil "antagonisme".

Louisa a écrit :
SpinUp a écrit :Les "positions philosophique" de Prigogine n'ont rien à voir avec le travail concret qui lui a valu le Nobel. Et cette idée quasiment métaphysique de "flèche du temps" n'est vraiment pas bien fondée scientifiquement. Bien qu'elle soit très intéressante... [Je suis physicien, je ferai peut-être un topo de mon avis sur ce que "fèche du temps" peut bien vouloir dire, si j'ai le temps un de ces jours.]

Les livres de vulgarisation de Prigogine me semblent un exemple de pur verbiage "philosophique" qui se sert de la science pour en tirer des "conclusions" totalement exagerées. Evidement cela intéresse souvent les philosophes, qui continuent souvent à caresser le rêve que des résultats scientifiques puissent venir soutenir leur "pet theory" personelle.


ce qui me semble être certain, c'est que souvent des scientifiques tirent eux-mêmes des conclusions "philosophiques" de leur travaux, qui peuvent avoir deux défauts (qu'il s'agisse d'un article scientifique ou d'un ouvrage de vulgarisation n'y change rien):

1) en absence de toute connaissance de l'histoire de la philosophie, la conclusion ne fait rien d'autre que d"affirmer une opinion commune propre à la culture du scientifique en question, pour infirmer une autre opinion présente dans cette culture à ce moment. Exemple: Libet et son fameux article sur la "liberté" humaine, où il n'y a aucune "problématisation" du concept de la liberté. Ce qui semble être une conclusion "philosophique" n'est donc en réalité rien d'autre qu'une prise de position dans un débat d'opinions, sans plus.

2) on ne distingue pas du tout ce qui est scientifiquement démontré de ce qui n'est qu'une conclusion "philosophique", donc non prouvée scientifiquement.

En ce qui concerne Prigogine, cela m'étonnerait qu'il se laisse prendre dans le premier piège, vu que tous ses livres de "vulgarisation" - comme tu l'appelles, quoique je ne vois pas comment un non scientifique pourrait vraiment les comprendre, puisqu'il n'explique pas les formules utilisées - sont co-écrites avec une collaboratrice de son équipe qui est aussi bien chimiste que philosophe des sciences.

Pour le deuxième point: il faut être scientifique pour pouvoir détecter ce genre de "glissements", ce que je ne suis pas (même si une partie de ma formation a été scientifique). Si donc tu crois que l'on peut le critiquer sur son usage de la "flèche du temps": il va de soi que cela m'intéresse beaucoup d'entendre tes arguments!
louisa


Pour ce qui est du premier piège qui serait évité, je n'en sais rien. Isabelle Stengers (la philosophe en question) a parfois dit avoir joué un role de "catalyseur" dans la problématisation philosophique de Prigogine. J'ai assisté à certaines de ses conférences et cours, c'est une personne que j'admire assez pour son charisme, ses idées et ses engagements, mais sur la question particulière de son rapport à Prigogine je n'ai pas assez d'information pour juger. Je pense que je vais même lui écrire si les questions soulevées ci-dessus me paraissent encore importante dans quelques jours...


Venons en à nos moutons. Qu’est ce que le temps ? Je n’en sais rien, c’est là la réponse la plus honnête que je puisse donner. Je ne vais donc pas ici spéculer sur le temps psychologique, philosophique, humain, mais plus simplement tenter de clarifier ce qu’est le « temps » en physique, pour voir ce que le concept de « flèche du temps » désigne. J’essayerai d’être objectif et factuel, et j’indiquerais autant que possible lorsque ce que j’explique relève de mon opinion plus que de faits scientifiques non controversés. Je me rend compte que ce texte est long, et qu’il ne rend pas justice à toute la beauté du sujet. Well, I tried… (Serge, je suis bien conscient ce que la critique d’un « prix Nobel » peut avoir de « prétentieux », mais la critique n’est souvent qu’une étape dans l’effort de comprendre…)

Ensuite j’expliquerai, en utilisant les passages cité par Louisa dans le fil "antagonisme", ce qui dans le texte de Prigogine me parait critiquable.

La première partie du texte ci-dessous est long et certainement dispensable. Hommes pressés, rendez-vous directement à la deuxième partie.


*1) Rapide Panorama de la physique classique ***

En physique, le temps est un simple paramètre, désigné par « t », qui apparaît dans les équations.


La révolution scientifique initiée par Galilée (et qui culmine avec Newton) peut être décrite ainsi : Nous pouvons décrire « le monde » par un série de quantités physiques « X » qui sont des fonctions continues « X(t) » de ce paramètres t. Nous décrivons ainsi une « évolution temporelle ». Par exemple, X peut être la position d’un corps matériel dans l’espace, ou plus généralement (pour des objets plus complexes), X désigne un ensemble assez grand (parfois infini) de quantités qui sont sensé décrire totalement une configuration physique. Le but de la physique devient alors de déterminer des lois mathématiques, appelée « équations du mouvement », qui contraignent X(t) univoquement, une fois donné des conditions initiale. Autrement dit, si je connaît X(t=0) à un instant donné (t=0), je saurai en déduire X(t) pour n’importe que autre temps t. Galilée a déterminé expérimentalement ces équations du mouvement pour certains cas simples. Il invente ainsi la science moderne : utilisation des mathématiques comme idéalisation adéquate des phénomène, et nouveau paradigme du dispositif expérimental afin d’isoler des phénomènes assez simples pour être décrits par cette idéalisation… (Je prend seulement Galilée comme symbole d’un paradigme, bien sûr il n’était pas seul à tout inventer). À partir de ces expériences, et surtout grâce à une changement spectaculaire (parce cela semble aller contre l’ « intuition » commune à l’époque) de perspective sur ce qu’est le mouvement, Galilée pose le principe d’inertie (qui deviendra la « première loi de Newton » : la vitesse d’un objet isolé (non soumis à une force) reste constante dans le temps.

Newton donnera des outils mathématiques et conceptuels grandioses à cette nouvelle façon d’appréhender le monde. Il postule que « tous » les corps en mouvement, sur la terre et dans les cieux, peuvent être décrits par une simple équation (et il invente d’ailleurs les mathématiques pour penser cette équation : ce qui est appelé calcul différentiel aujourd’hui) :
d/dt( d/dt( X)) = f / m (« seconde loi de Newton»). Autrement dit, l’accélération d’une objet (variation « instantanée » de sa vitesse par rapport à au temps « t ») est donné par « quelque chose » appelée force (f) divisé par une quantité propre à l’objet appelée masse (m).

D’autre part, Newton postule que tous les corps « s’attirent les uns les autres », et il donne également une expression explicite pour la force correspondance : c’est la loi de la gravitation universelle.


Remarquez que le physique de Descartes (ou celle de Spinoza, je dis tout de suite que je ne suis pas au fait des nuances ici) a cohabité pendant un certain temps avec celle de Newton. La physique cartésienne, d’une certaine manière, à de grands avantages « philosophiques » ou conceptuels par rapport à celle de Newton. Par exemple en ce qui concerne la causalité, qui n’est pas claire chez Newton, alors que l’image cartésienne des « tourbillons » dans l’étendue semble a priori un mécanisme plus tangible de transmission du mouvement. (Un autre problème est celui du vide et de l’atomisme, qui n’a été réglée qu’un XX ème siècle.) Mais Descartes ne sait pas calculer les orbites des planètes telles que découvertes par Kepler. Plus pragmatiquement, sa physique ne permet pas non plus de calculer la trajectoire des boulets de canon…

Donc, la théorie de Newton s’est vu reconnaître le statut de science véritable, parce qu’elle a plus de puissance. Encore aujourd’hui, une bonne part de la description physique du monde est toute entière dans cette seconde loi de Newton. La découverte de l’électromagnétisme au XIXème siècle est le second événement d’importance dans l’histoire de la physique. Cela a ensuite conduit « rapidement » à la théorie de la relativité restreinte d’Einstein, qui éclaircit le concept de causalité en physique, mais qui ne modifie que dans les détails le paradigme Newtonien telle qu’expliqué plus haut.


***2) La flèche du temps.

La « flèche du temps » est au départ un paradoxe, une contradiction dans notre connaissance des lois physiques. Les équations du mouvement de la physique sont invariantes sous le « renversement du temps », appelée symétrie T. Je peux remplacer «t » par « -t » dans toutes les équations, elle restent invariantes : dans la seconde loi de Newton, l’accélération est T-symétrique par définition, mais la partie de droite aussi. En effet, toutes les forces fondamentales connues respectent cette symétrie. Donc, suivant la physique, il n’y a pas de différence fondamentale entre le passé et le futur.

Cela semble vouloir dire que, si je choisis assez bien mes conditions initiales, je pourrais voir mon omelette se recomposer en un œuf tout frais. Cela semble absurde… Un manière rigoureuse de dire qu’il « existe une flèche du temps », une différence entre "passé" et "futur", passe par un des formalismes le plus solide jamais inventé en physique : la thermodynamique. Les lois de la thermodynamique sont basés sur de fait expérimentaux jamais démentis, et prennent une forme finalement très générale et très simple. (Comme chez Newton, la simplicité se paye par l’introduction de nouveaux concepts.)

Le second principe de la thermodynamique dit en substance que « tout processus irréversible crée de l’entropie ». Qu’est-ce à dire ? Un processus irréversible est un processus qui n’est pas réversible ;), c’est-à-dire qui est décrit par des équations qui ne sont pas invariante sous la symétrie T ! L’entropie est une quantité « similaire » à l’énergie nécessaire à la description d’un système . Je ne vais pas faire un cours de thermo ici, je veux juste faire remarquer ceci : dire que l’entropie ne peut que croître dans tout phénomènes naturels, cela revient à dire que la Nature fait bien une différence entre passé et futur, « comme cela est connu de soit ». Dans ses débuts, la thermodynamique était une science expérimentale, et ce fameux second principe, bien étayé par l’expérience, semble en contradiction avec les lois fondamentales de la physique, qui sont T-symmétriques. La question se pose alors de savoir si ces lois n’ont pas été extrapolées au-delà de leur domaine de validité.

La réponse donnée par la théorie atomique, par Maxwell, Boltzmann et bien d’autre (à vrai dire toute la physique statistique moderne jusqu’à aujourd’hui) est simplement : Non. Les lois de la Natures sont bien symétriques sous T, et l’irréversibilité constatées est le résultat d’un effet statistique. Il est possible en principe de « recoller » un œuf, mais cela suppose des conditions initiales tellement improbables que cela n’arrivera « jamais » (dans toute l’histoire de l’univers).


****3) Prigogine et nous.*****

Maintenant je peux expliquer pourquoi « je ne comprend pas » ce que Prigogine veut dire, et pourquoi je le trouve très confus (la mécompréhension n’est pas toujours faute du lecteur).

Il est possible qu’il existe des phénomènes qui ne respectent pas cette symétrie (et c’est en effet le cas pour les interactions faibles), mais tous les phénomènes « communs », y compris ceux de la chimie, sont invariant sous « T »… Prigogine n’a jamais proposé de nouvelle dynamique qui serait fondamentalement « orientée dans le temps ». Il se borne à exprimer une intuition confuse. Voyons son texte :

Prigogine a écrit :
"Précédemment, la flèche du temps était associée à des processus très simples, tels que la diffusion, le frottement, la viscosité. On pouvait conclure que ces processus étaient compréhensibles à l'aide des seules lois de la dynamique. Il n'en est plus de même aujourd'hui. L'irréversibilité n'apparaît plus seulement dans des phénomènes aussi simples. Elle est à la base d'une foule de phénomènes nouveaux tels que la formation des tourbillons, des oscillations chimiques ou du rayonnement laser.


Le fait que l’irréversibilité apparaisse dans des phénomènes irréversibles (tautologie) ne veut pas dire qu’elle est « à la base » de ces phénomènes. Ce que Prigogine veut dire, je suppose, est que ces phénomènes où de nouvelles structures apparaissent (tel que dans un laser) ne sont possible que loin de l’équilibre. Cela ne contredit pas l’interprétation du second principe comme résultant d’effets statistiques. Certainement rien dans la physique des lasers (physique quantique) n’est asymétrique sous T.

Prigogine a écrit :
Tous ces phénomènes illustrent le rôle constructif fondamental de la flèche du temps.


« rôle constructif » ? C’est la situation de non équilibre qui permet l’apparition de structures (comme la vie elle-même, qui n’est possible que parce que nous avons une source d’énergie, le Soleil, qui fait de la Terre un système ouvert).

J’ai trouvé ceci : http://w3.umh.ac.be/~chimfm/jetc7/text_prigogine_fr.htm
Prigogine dit : « Il existe des phénomènes qui sont irréversibles : par exemple, après avoir chauffé une extrêmité d'une barre métallique, on observe un flux de chaleur qui finit par égaliser la température dans toute la barre. Mais nous n'observons pas le phénomène inverse, à savoir qu'une extrémité d'une barre se réchauffe spontanément alors que l'autre se refroidirait : voilà la flèche du temps. »

Donc ma définition plus haut de la flèche du temps comme accroissement de l’entropie dans un processus tendant vers l’équilibre semble correcte selon lui. La flèche du temps apparaît « parce que » tout système essaye quand même de tendre vers l’équilibre. L’entropie essaye de se « maximiser » le mieux qu’elle peut.
Mais localement, une diminution de l’entropie peut apparaître (d’où la complexité du monde).

Peut-être qu’en essayant de le critiquer j’ai enfin compris ce que veut dire Prigogine : La « flèche du temps » est quelque chose de « plus profond » que l’évolution vers l’équilibre et l’accroissement de l’entropie.
Mouais, pas encore de quoi fonder une science… En plus ça ne colle pas à sa définition. Je reste dans le doute… Que penser de cet autre citation : « La matière peut s'auto-organiser. Et, au fond, l'auto-organisation c'est ce qui est à la base de la notion d'individu, d'individualité. Prenez par exemple une cellule biologique : cette cellule a une auto-organisation qui n' est possible que par suite des interactions avec le monde extérieur. » En Belgique on appelle ça « faire son Jean-Clande » ( http://www.echolaliste.com/x28.htm ). (mais oui je suis mesquin)


Prigogine a écrit :
L'irréversibilité ne peut plus être identifiée à une simple apparence qui disparaîtrait si nous accédions à une connaissance parfaite.

Arme rhétorique : s’inventer des adversaires imaginaires aux thèses absurdes qu’il est plus facile de démonter. L’irréversibilité n’est certainement pas « une apparence ». Même si c’est un effet statistique, c’est un effet réel. La connaissance parfaite ne changerais rien à l’irréversibilité.


Prigogine a écrit :
Elle est une condition essentielle de comportements cohérents dans des populations de milliards de milliards de molécules. Selon une formule que j'aime répéter: la matière est aveugle à l'équilibre là où la flèche du temps ne se manifeste pas: mais lorsque celle-ci se manifeste, loin de l'équilibre, la matière commence à voir!

Sans commentaire.

Prigogine a écrit :
Sans la cohérence des processus irréversibles de non-équilibre, l'apparition de la vie sur la Terre serait inconcevable. La thèse selon laquelle la flèche du temps est seulement phénoménologique devient absurde. Ce n'est pas nous qui engendrons la flèche du temps. Bien au contraire, nous sommes ses enfants.


Je serais gré à quiconque de m’expliquer l’enchaînement logique de ces quatre phrases ! Si je reformule, cela donne : « La vie existe loin de l’équilibre. Donc la flèche du temps est fondamentale (non pas statistique). En effet sans elle nous ne serions pas là. »

Cela ressemble vachement à une argumentation par les causes finales non ? En plus, il semble faire une glissement sémantique du mot fondamental en tant que « loi physique plus fondamentale, par opposition aux lois effectives qui en résultent », et fondamental en tant que ce qui nous est important à nous être humains !
C’est bien cette confusion entre science et aspiration humaine qui est préoccupante chez lui. Humainement, c’est fascinant, mais si cela conduit à ce genre de « raisonnement », cela me laisse un peu perplexe.


Louisa a écrit :
cela, c'est exactement l'inverse de ce que dit par exemple Spinoza, pour qui "le temps aussi, nous l'imaginons" (E2P44 sc.).

Tout a déjà été dit par Spinoza, je suis d’accord finalement ;)


Prigogine a écrit :
Alors Prigogine dit déjà lui-même que depuis "l'époque de Boltzmann, la flèche du temps a donc été reléguée dans le domaine de la phénoménologie. Ce seraient nous, humains, observateurs limités, qui serions responsables de la différence entre passé et futur. Cette thèse, qui réduit la flèche du temps au caractère approximatif de notre description de la nature, est encore soutenue dans la plupart des livres récents. D'autres auteurs renoncent à demander aux sciences la clef du mystère insoluble que constituerait l'émergence de la flèche du temps.


À ma connaissance Prigogine est le seul scientifique « d’envergure » à trouver que sa « flèche du temps » est un mystère insoluble.
L’émergence du temps aux début de l’univers, par contre, reste une question mystérieuse (et probablement mal posée dans l’état actuel de la cosmologie). Mais ce n’est pas là le propos de Prigogine.

Prigogine a écrit :
(...) On sait qu'Einstein a souvent affirmé que "le temps est illusion". . Et en effet, le temps tel qu'il a été incorporé dans les lois fondamentales de la physique, de la dynamique classique newtonienne jusqu'à la relativité et à la physique quantique n'autorise aucune distinction entre le passé et le futur. Aujourd'hui encore, pour beaucoup de physiciens, c'est là une véritable profession de foi: au niveau de la description fondamentale de la nature, il n'y a pas de flèche du temps".


Mon propos n’était pas ici de prétendre que l’ordre temporel ne pose pas de problèmes fondamentaux en physique. En effet c’est le cas en cosmologie. Je voulais seulement faire remarquer que dans le cadre de « notre vie de tout les jours », et du temps que nous pouvons ressentir sur Terre, ou la physique classique et quantique moderne s’applique parfaitement, il n’y a pas de mystère.

Cette insatisfaction psychologique que Prigogine semble avoir avec l’explication généralement admise, « phénoménologique » selon lui, de la différence passé/futur a sans doute guidé ses recherches. Toute pensée métaphysique peut à un moment donné de l’histoire des sciences agir comme adjuvant ou au contraire comme inhibiteur de nouvelles découvertes.
Mais il ne faudrait pas confondre l’œuvre d’un scientifique avec les idées philosophiques qui l’habitent. (Dans le cas de Prigogine je me demande s’il ne faudrait pas chercher une partie de l’explication chez Isabelle Stengers. Je vais peut-être lui poser quelque question à ce sujet…)

J’ajouterai pour finir qu’il est parfaitement possible que Prigogine ait été un visionnaire, et que de nouvelles révolutions scientifiques vont bientôt modifier radicalement notre vision de la physique. Je ne crois pas (car j'ai peu d'imagination), mais c’est possible. Les bases de cette possible nouvelles science, cependant, n’ont pas encore été écrites.

That's it.

Cyril

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Messagepar hokousai » 14 janv. 2008, 14:57

à Cyril


Merci pour ce bel exposé

mais tous les phénomènes « communs », y compris ceux de la chimie, sont invariant sous « T »

ne faudrait-il pas dire qu’ils sont mathématiquement invariants.

Cela semble vouloir dire que, si je choisis assez bien mes conditions initiales, je pourrais voir mon omelette se recomposer en un œuf tout frais. Cela semble absurde


Ce qu’il faudrait c’est envisager pouvoir recomposer non pas un oeuf tout frais mais cet œuf là que j’ai cassé pour faire cette omelette là et recomposer cet oeuf là à l’identique de l’oeuf déterminé à un instant t.(et non de l’oeuf indéterminé ou vaguement )
Pour envisager cela il faut donc supposer que l’oeuf hier est identique absolument à l’oeuf recomposé aujourd’ hui .
Donc au préalable que l’oeuf était identique à lui même hier.
La physique est elle capable de prouver l’identité des œufs, l’identité à lui même de l’oeuf hier et aujourd’hui avant qu’il soit cassé ?
Si elle ne peut prouver cette identité, il est illusoire de prétendre qu’on peut reconstituer un oeuf non identifié.

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Messagepar Louisa » 14 janv. 2008, 16:14

Bonjour Cyril,

merci beaucoup de cette explication intéressante et claire.

N'étant pas scientifique moi-même, je ne pourrai bien sûr pas défendre la position de Prigogine sur le plan scientifique (mais la suite de ma lecture de La fin des certitudes permettra peut-être d'au moins essayer de davantage préciser certaines choses, on verra). Je me limite pour l'instant à quelques questions/remarques.

SpinUp a écrit :Pour ce qui est du premier piège qui serait évité, je n'en sais rien. Isabelle Stengers (la philosophe en question) a parfois dit avoir joué un role de "catalyseur" dans la problématisation philosophique de Prigogine. J'ai assisté à certaines de ses conférences et cours, c'est une personne que j'admire assez pour son charisme, ses idées et ses engagements, mais sur la question particulière de son rapport à Prigogine je n'ai pas assez d'information pour juger. Je pense que je vais même lui écrire si les questions soulevées ci-dessus me paraissent encore importante dans quelques jours...


je ne crois pas qu'il est nécessaire (même si en soi cela peut toujours être intéressant) de savoir quel rapport il y avait entre Prigogine et Stengers pour pouvoir répondre au premier point que j'avais soulevé. Car celui-ci concernait la "qualité" proprement philosophique des conclusions "méta-physiques" que certains scientifiques tirent de leurs travaux. Il arrive que ces conclusions contiennent des notions philosophiques, qui sont aussi des noms pour des opinions communes. Et alors il arrive que là où un scientifique conclut par des énoncés qui pour les scientifiques peuvent paraître philosophiques, ses conclusions ne contiennent pour un philosophe que ce que présuppose le sens commun, bref rien de philosophique.

Si cela pose problème, c'est simplement parce que, par exemple dans le cas de Libet, en indiquant ce qu'une petite expérience scientifique aurait, selon l'auteur, comme conséquence par rapport à la "liberté humaine", tout philosophe (ayant un peu de connaissance de l'histoire de la philosophie) voit immédiatement qu'il ne prend qu'un seul sens du mot "liberté", un sens totalement non problématisé, restreint à ce qu'en pense spontanément l'opinion commune (c'est-à-dire la liberté comme une sorte d'indétermination, où le libre arbitre aurait son mot à dire). Or il se fait qu'il y a un tas de différentes conceptions possibles de l'expérience "spontanée" de la liberté humaine (certaines d'entre elles tenant d'ailleurs déjà compte d'un monde entièrement déterminé, comme celle proposée par Spinoza, et celle (autre) proposée par Leibniz). Et donc, même si Libet avait réussi à démontrer sa conclusion par son expérience (ce qui n'était déjà pas le cas; il s'agissait donc réellement d'une conclusion méta-physique), celle-ci ne dirait toujours rien de "solide" par rapport aux expériences humaines de liberté.

Comment éviter que quand un scientifique veut parler de méta-physique (donc de questions non scientifiques), il retombe dans le "simple" sens commun? Une façon pour essayer de l'éviter, c'est de collaborer, en tant que scientifique, avec un philosophe, qui a le bagage pour problématiser là où on le juge nécessaire.

C'est ce qui a été le cas pour deux des "livres de vulgarisation" de Prigogine. Bien sûr, cela n'empêche en rien qu'éventuellement, certaines notions méta-physiques restent au niveau du sens commun et ne reçoivent pas un développement philosophique. La présence d'un philosophe, en tant que tel, n'est donc pas une "garantie" pour éviter ce piège. Seulement, en principe on peut tout de même s'attendre à ce que certaines grandes erreurs philosophiques soient évitées (la principale étant de supposer qu'il n'existe qu'une seule conception de X (la liberté, le temps, le chaos, ...), comme c'est le cas pour l'opinion commune).

Si tu veux, le problème est semblable à celui qui se pose dans la situation où un non scientifique (philosophe, "littéraire", psychologique, ...) veut parler de résultats scientifiques et en tirer des conclusions qui lui semblent nécessaires (ne fût-ce que pour étayer ses propres propos). Là cela arrive assez souvent qu'ou bien on n'explique pas correctement la théorie scientifique (et tout scientifique le détecte immédiatement), ou bien qu'on en tire des conclusions que l'on présente comme étant scientifiques tandis qu'elles sont déjà méta-physiques. Là aussi, éviter ce piège devient plus facile en collaborant directement avec un scientifique.

Mais bon, finalement tout ceci n'a pas tellement d'importance par rapport à ce dont on discutait. En tout cas, sur ce forum philosophes et scientifiques collaborent, c'est déjà ça ... :wink:

SpinUp a écrit :***2) La flèche du temps.

La « flèche du temps » est au départ un paradoxe, une contradiction dans notre connaissance des lois physiques. Les équations du mouvement de la physique sont invariantes sous le « renversement du temps », appelée symétrie T. Je peux remplacer «t » par « -t » dans toutes les équations, elle restent invariantes : dans la seconde loi de Newton, l’accélération est T-symétrique par définition, mais la partie de droite aussi. En effet, toutes les forces fondamentales connues respectent cette symétrie. Donc, suivant la physique, il n’y a pas de différence fondamentale entre le passé et le futur.

Cela semble vouloir dire que, si je choisis assez bien mes conditions initiales, je pourrais voir mon omelette se recomposer en un œuf tout frais. Cela semble absurde…


tu es certain que c'est cela ce que la réversibilité veut dire? Si oui: j'étais dans l'idée qu'il s'agissait d'un concept plus "théorique". Quand nous connaissons l'état d'une chose à un moment x, une seule et même loi physique permet de décrire exactement son état au moment x + 1 ET au moment x - 1. De la même manière, nous pouvons continuer à l'infini, aussi bien en ce qui concerne le passé que le futur (sachant que plus l'état de chose est complexe, plus il faut de lois, bien sûr).

Cela ne veut donc pas dire que nous pouvons nous-mêmes recréer la situation x - 6, à partir de la situation x, car "du temps a passé". Seulement, que du temps a passé est NOTRE interprétation, tout à fait humaine et "limité", d'un phénomène qui "en soi" obéit à une loi intemporelle. Intemporelle non pas au sens où le phénomène lui-même n'évoluerait pas dans le temps (ce phénomène étant limité, lui aussi "participe" au temps). Intemporelle donc au sens où là LOI à laquelle il obéit est éternelle, ne change pas elle-même avec le temps. C'est pourquoi on pouvait dire que le temps est imaginaire. Cela ne veut pas dire qu'il est illusoire au sens de "non existant". Cela signifie simplement que le temps est lié à notre condition humaine, et notre façon de percevoir le monde. Tandis que le monde "en soi" ne contient que des lois qui, elles, sont intemporelles. Notre "raison" et nos mathématiques partageant heureusement la même "intemporalité", nous pouvons néanmoins avoir accès à ces lois, et donc à LA réalité. C'est ce que ferait la science.

Ce que propose Prigogine (je le répète: je ne suis pas scientifique, beaucoup de choses de ce qu'il écrit m'échappent clairement, par manque de connaissance en physique; en plus je n'ai lu que peu de choses de lui pour l'instant; je ne parle ici donc que de ce que je crois en avoir compris, sachant que dans ma propre compréhension, il y a beaucoup "d'incertitudes" et surtout beaucoup de lacunes...), c'est qu'il part de l'idée opposée: pour lui, c'est l'idée de loi intemporelle qui traduit notre situation "limitée", et non pas le sentiment de temps (de différence entre passé et futur). Le temps serait bien plutôt une caractéristique de tout état de chose complexe (dont le phénomène qu'on appelle ordinairement "vie"). L'univers étant composé d'un tas de phénomènes complexes, "réduire" LA réalité à ce qui est invariant serait donc peu légitime, ce serait faire un choix arbitraire pour ce qui est le plus éloigné de notre propre situation, et cela simplement sur base d'un présupposé métaphysique (fort développé par les philosophes des siècles passés) qui consiste à penser que seul est vrai ce qui est invariable (éternel).

Pour Prigogine, les choses les plus "faciles" à comprendre, au début de l'invention des sciences, c'était des choses invariables, simplement parce que trouver, quasiment sans aucun dispositif "technologique" (ni mathématiques complexes), une régularité dans ce qui change sans cesse (le trajet d'un corps par exemple), ce n'est possible que pour ces phénomènes qui sont fort "simples". Du coup, on en a tiré la conclusion que la réalité elle-même serait invariante, et que ce serait seulement notre perception "déformée" à nous qui y voit des changements. C'est cette conclusion (théorique, pas appuyée par des expériences) qui est soujacente à l'idée de réversibilité. Or comme il ne s'agit que d'un présupposé métaphysique, Prigogine ne voyait aucune raison de le respecter, dans ses travaux. Il a plutôt voulu commencer la recherche en partant de l'hypothèse inverse: et si la réalité elle-même était largement temporelle?

Si la réalité était largement temporelle, il faudrait trouver une explication scientifique pour le fait que faire d'une omelette un oeuf qui vient de sortir de la poule, est impossible. Il ne suffit plus de dire qu'en théorie c'est pensable, mais qu'en pratique nous sommes simplement trop "limités", trop "imparfaits" pour pouvoir le réaliser. Si nous voulons comprendre le temps, nous devons chercher une explication pour ce type de phénomènes, explication rigoureusement scientifique.

Qu'en penses-tu? Je veux dire: on ne parle pas encore des PREUVES expérmentales que Prigogine a obtenues pour confirmer cette idée, mais seulement de l'idée en tant que telle. Est-ce que tu as l'impression que ceci est effectivement la thèse de Prigogine, ou est-ce que tu crois que je me suis trompée et qu'il prétend autre chose? Si je ne me suis pas trompée: que penses-tu de l'idée en tant que telle?

SpinUp a écrit :Un manière rigoureuse de dire qu’il « existe une flèche du temps », une différence entre "passé" et "futur", passe par un des formalismes le plus solide jamais inventé en physique : la thermodynamique. Les lois de la thermodynamique sont basés sur de fait expérimentaux jamais démentis, et prennent une forme finalement très générale et très simple. (Comme chez Newton, la simplicité se paye par l’introduction de nouveaux concepts.)

Le second principe de la thermodynamique dit en substance que « tout processus irréversible crée de l’entropie ». Qu’est-ce à dire ? Un processus irréversible est un processus qui n’est pas réversible , c’est-à-dire qui est décrit par des équations qui ne sont pas invariante sous la symétrie T ! L’entropie est une quantité « similaire » à l’énergie nécessaire à la description d’un système . Je ne vais pas faire un cours de thermo ici, je veux juste faire remarquer ceci : dire que l’entropie ne peut que croître dans tout phénomènes naturels, cela revient à dire que la Nature fait bien une différence entre passé et futur, « comme cela est connu de soit ». Dans ses débuts, la thermodynamique était une science expérimentale, et ce fameux second principe, bien étayé par l’expérience, semble en contradiction avec les lois fondamentales de la physique, qui sont T-symmétriques. La question se pose alors de savoir si ces lois n’ont pas été extrapolées au-delà de leur domaine de validité.


petite remarque: si je l'ai bien compris (en ce qui concerne ce point-ci), selon Prigogine le but de Boltzmann était effectivement de décrire un processus de devenir, où l'invariance n'est qu'une apparence. Or qu'est-ce que la thermodynamique a trouvé? Une absence de symétrie T dans certains processus, en effet, mais cela ne l'a aucunement empêché de remplacer cette symétrie par une autre loi (le second principe de la thermodynamique), loi qui de nouveau est entièrement déterministe. Elle décrit l'évolution d'un système isolé vers un état d'équilibre, qui en même temps est un processus d'uniformisation, d'effacement de tout inhomogénéité.

Cela veut dire que EN THEORIE, même en thermodynamique, on peut très bien remonter le temps pour déterminer l'état du système à un moment qui précède à l'état d'équilibre x, et on sait parfaitement prévoir, quand on se trouve à un moment x - 6, en quoi consistera l'état d'équilibre x. A ce niveau-ci, l'histoire n'est donc pas fondamentalement différente de celle de l'oeuf et de l'omelette: le monde est toujours conçu comme étant régi par des lois éternelles déterministes. Du "nouveau" (nouveau pour le scientifique, et nouveau au sens de "imprévu") ne peut pas surgir, dans ce cadre-ci, c'est même simplement impensable.

La conclusion de Prigogine (tel que je l'ai comprise): l'irréversibilité thermodynamique ne tient PAS compte de la flèche du temps, au sens où il n'y a aucun véritable "devenir". Un système thermodynamique isolé pas très loin de l'équilibre va se développer exactement comme le prévoit la seconde loi de la thermodynamique, tout est déjà "dit" dès le début, la connaissance des conditions initiales et du second principe suffit pour avoir une connaissance parfaite du déroulement et de la "fin" du processus, même avant que ceux-ci ont réellement lieu. On peut continuer à croire que l'évolution dans le temps n'est qu'un produit, observé à l'échelle humaine, des lois de l'univers, lois qui en tant que telles sont éternelles, et déterminent entièrement et à tout moment tout ce qui se passe dans le monde.

C'est en ce sens qu'aucune nouveauté est concevable. Et c'est précisément cela qui le dérange, non pas "psychologiquement", comme tu le dis, mais bel et bien SCIENTIFQUEMENT: l'idée d'un univers éternellement déterminée n'a en tant que tel JAMAIS été prouvée scientifiquement. Il s'agit donc d'une notion méta-physique, d'un présupposé adopté par la majorité des scientifiques, et qui, en tant que tel, fait que tous vont aller chercher des lois éternelles et déterministes, et vont alors déclarer tout ce qui est de l'ordre de la probabilité comme étant dû à l'imprécision ou l'imperfection de nos instruments de mesures ou de notre condition humaine, sans plus.

Ce que Prigogine prétend, c'est non seulement que quand on découvre un présupposé non prouvé, la tâche d'un scientifique, c'est d'aller vérifier ce présupposé, mais aussi que jamais l'idée d'un univers déterministe éternel (à un niveau fondamental, donc en ce qui concerne ses lois, PAS les processus régis par ces lois et qui peuvent sans contradiction se dérouler dans le temps) ne pourra expliquer l'apparition de nouveautés et de davantage de complexité. Boltzmann a voulu être le Darwin de la physique, mais Darwin explique comment un monde vivant de plus en plus complexe a pu surgir et continue à surgir. Boltzmann au contraire montre comment les processus qui se déroulent dans le temps évoluent vers un état d'entropie maximale, où plus aucune complexification ne subsiste, où toute différence a été nivellée. Par là, on sait expliquer un processus de dé-complexification, d'une évolution vers un "point mort". Expliquer la naissance de la vie et le développement de processus de complexification, en revanche, demande tout autre chose.

C'est pourquoi Prigogine a décidé de partir de l'hypothèse que l'apparition du nouveau et de choses plus complexes n'est PAS une simple apparence, mais appartient entièrement à la réalité "en soi", c'est-à-dire exige de la part du scientifique une explication scientifique, pas une attitude de "foi" qui écarte cette possibilité d'emblée, sans étude scientifique appropriée. Pour autant que je l'aie compris, le fait d'avoir choisi des systèmes loins de l'équilibre comme objet d'étude a fait qu'effectivement, il a trouvé là des "comportements" de système que l'on ne peut plus décrire par une loi qui prévoit un développement vers le point d'équilibre prévu par le second principe. Ce développement peut se faire, mais il se peut tout aussi bien que tout le système bascule vers un état qui se définit par un nouveau point d'équilibre, qui n'a rien à voir avec le premier, et ainsi de suite. C'est là que la probabilité ne devient plus seulement une imperfection humaine (un manque de précision, dû à notre situation limitée (notre situation de "mode", dirait Spinoza), mais "constructif", au sens où QUAND l'état évolue vers la "marge" peu probable (selon le second principe), alors c'est précisément là que quelque chose de crucial se produit pour la suite du déroulement du système: le système y "choisit" (ici c'est moi qui utilise ce terme, je ne crois pas qu'il est de Prigogine) du coup un tout nouvel état d'équilibre comme point vers lequel, statistiquement, il devrait évoluer. Et ainsi de suite.

La traditionnelle "marge" d'erreur dans nos statistiques n'est donc plus une réelle marge d'ERREUR: elle traduit une réalité, réalité qui est indispensable pour pouvoir expliquer l'évolution de processus loin de l'équilibre, et l'apparition, à partir d'un système A obéissant à la loi A, d'un système B obéissant à une autre loi. C'est ainsi que la probabilité devient littéralement constructif: le fait qu'il y a une "marge" est ce qui rend possible l'évolution d'un système vers un tout autre système, un système "nouveau". C'est alors que la flèche du temps acquiert un tout nouveau sens: ce n'est plus ce qui est propre à des phénomènes irréversibles dans le temps mais qui se déroulent néanmoins selon une loi éternelle déterministe. Elle s'insère à un nouveau plus "profond" de la réalité, au sens où l'imprévisibilité de l'évolution d'un système fait maintenant partie de la réalité elle-même, et n'est plus simplement un manque de connaissance humaine.

SpinUp a écrit :
****3) Prigogine et nous.*****

Maintenant je peux expliquer pourquoi « je ne comprend pas » ce que Prigogine veut dire, et pourquoi je le trouve très confus (la mécompréhension n’est pas toujours faute du lecteur).

Il est possible qu’il existe des phénomènes qui ne respectent pas cette symétrie (et c’est en effet le cas pour les interactions faibles), mais tous les phénomènes « communs », y compris ceux de la chimie, sont invariant sous « T »… Prigogine n’a jamais proposé de nouvelle dynamique qui serait fondamentalement « orientée dans le temps ». Il se borne à exprimer une intuition confuse.


si c'est ce que tu trouves: pour Prigogine la science des processus dissipatifs ne suffit en effet pas pour "condamner la position classique". Mais selon lui, des phénomènes comme les structures de Turing ou les oscillateurs chimiques répondent entièrement à cette "nouvelle dynamique". En as-tu entendu parler? Si oui: as-tu l'impression que la façon dont Prigogine décrit ces phénomènes est fausse? Si oui: crois-tu que tu sais l'expliquer en des termes plus ou moins compréhensibles pour un non scientifique (en gros, bien sûr, les détails ne seront de toute façon pas accessible à des non scientifiques)?

SpinUp a écrit :Voyons son texte :

Prigogine a écrit:

"Précédemment, la flèche du temps était associée à des processus très simples, tels que la diffusion, le frottement, la viscosité. On pouvait conclure que ces processus étaient compréhensibles à l'aide des seules lois de la dynamique. Il n'en est plus de même aujourd'hui. L'irréversibilité n'apparaît plus seulement dans des phénomènes aussi simples. Elle est à la base d'une foule de phénomènes nouveaux tels que la formation des tourbillons, des oscillations chimiques ou du rayonnement laser.


SpinUp:
Le fait que l’irréversibilité apparaisse dans des phénomènes irréversibles (tautologie) ne veut pas dire qu’elle est « à la base » de ces phénomènes. Ce que Prigogine veut dire, je suppose, est que ces phénomènes où de nouvelles structures apparaissent (tel que dans un laser) ne sont possible que loin de l’équilibre. Cela ne contredit pas l’interprétation du second principe comme résultant d’effets statistiques. Certainement rien dans la physique des lasers (physique quantique) n’est asymétrique sous T.


je ne sais pas si dans le cas de système loin de l'équilibre, la question la plus pertinente à se poser est celle de savoir s'il y a une asymétrie T ou non (phrase qui ne suggère rien d'autre que ce qu'elle dit). Mais ce que Prigogine prétend, c'est que, comme je viens de le dire, la situation qu'une loi probabiliste déclare fort "improbable" peut elle-même être responsable pour un tout autre développement du système que celui prévu par le second principe (car le système n'évolue plus du tout vers son point d'équilibre, il va carrément vers un autre état de non équilibre, qu'il faut maintenant décrire en tenant compte d'un tout nouvel état d'équilibre, que de nouveau le système ne va peut-être jamais atteindre, et ainsi de suite). Les probabilités sont donc créatrices de nouveautés, un système ne suit plus, comme l'a pensé longtemps la dynamique, un mouvement déterministe vers un état d'entropie maximale, il l'évite sans cesse, et saute, de façon imprévisible cette fois-ci, d'un point de non équilibre à un tout autre. Comment faire rentrer ce phénomène dans la thermodynamique classique?

Dans la thermodynamique classique il peut arriver que nous ne pouvons pas décrire EXACTEMENT le déroulement du système. Il faut donc une description probabiliste. Mais cela n'empêche que nous supposions que le "trajet" du système "en réalité" obéit parfaitement à une loi déterministe et éternelle, et que c'était nous, humains, qui n'arrivaient pas à en obtenir une connaissance parfaite. Cela veut dire que les "trajets" peu probables n'étaient finalement pas du tout expliqués, et surtout pas considérés comme étant la CAUSE physique même d'un changement radical dans ce trajet, radical car NON prévu par le second principe.

SpinUp a écrit :Prigogine a écrit:

Tous ces phénomènes illustrent le rôle constructif fondamental de la flèche du temps.

SpinUp:
« rôle constructif » ? C’est la situation de non équilibre qui permet l’apparition de structures (comme la vie elle-même, qui n’est possible que parce que nous avons une source d’énergie, le Soleil, qui fait de la Terre un système ouvert).


oui d'accord, mais en disant cela on n'a encore rien dit, c'est-à-dire, ce n'est pas en sachant que de nouvelles structures ne peuvent apparaître que loin de l'équilibre, que l'on sait déjà COMMENT elles apparaissent. C'est cela ce que Prigogine a voulu construire, il me semble: une SCIENCE de l'apparition de nouvelles structure, une explication scientifique. C'est alors qu'il a constaté qu'il faut concevoir la probabilité tout autrement que ce qu'on fait traditionnellement, sinon on ne sait pas l'expliquer.

SpinUp a écrit :J’ai trouvé ceci : http://w3.umh.ac.be/~chimfm/jetc7/text_prigogine_fr.htm
Prigogine dit : « Il existe des phénomènes qui sont irréversibles : par exemple, après avoir chauffé une extrêmité d'une barre métallique, on observe un flux de chaleur qui finit par égaliser la température dans toute la barre. Mais nous n'observons pas le phénomène inverse, à savoir qu'une extrémité d'une barre se réchauffe spontanément alors que l'autre se refroidirait : voilà la flèche du temps. »

Donc ma définition plus haut de la flèche du temps comme accroissement de l’entropie dans un processus tendant vers l’équilibre semble correcte selon lui. La flèche du temps apparaît « parce que » tout système essaye quand même de tendre vers l’équilibre. L’entropie essaye de se « maximiser » le mieux qu’elle peut.


tel que tu le cites ici c'est en effet aussi la façon dont je le comprendrais. Mais il me faudrait lire le contexte. En tout cas, dans ses livres il me semble qu'il va beaucoup plus loin que cela. Il dit que cette conception de la flèche du temps était celle propre à la science telle qu'elle se faisait jusqu'à présent, et qu'au fond, une telle conception "condamne" le temps à être une sorte d'épiphénomène, la loi fondamentale qui décrit ces processus étant quant à elle bel et bien intemporelle.

SpinUp a écrit :Mais localement, une diminution de l’entropie peut apparaître (d’où la complexité du monde).


je ne sais pas si l'on peut dire que la complexité du monde vient de diminutions locales de l'entropie. Les systèmes loin de l'équilibre ont en effet une entropie minimale, mais si le second principe de la thermodynamique est toujours correcte, alors une "diminution" de l'entropie est tout simplement impossible. Un minimum d'entropie est plutôt le point de départ. A partir de là, l'entropie augmente, jusqu'à ce qu'elle atteint son maximum. A ce moment-là, plus aucun "devenir phénoménologique" n'est possible.

La complexité du monde qui accompagne les systèmes loins de l'équilibre ne résulte donc pas d'une DIMINUTION de l'entropie, elle résulte d'un phénomène très spécifique (et qu'il faut donc pouvoir expliquer scientifiquement) quand un état de choses reste sans cesse dans un état très éloigné de son point d'entropie maximale. Il ne s'approche mais jamais vraiment de ce point. Son entropie ne diminue donc jamais vraiment. La nouvelle structure n'apparaît pas PARCE QUE le système se trouve en un état avec si peu d'entropie. La nouvelle structure apparaît dès que le système SAUTE d'un cadre de référence où théoriquement il devrait évoluer vers un état X d'entropie maximale, vers un tout autre cadre de réference, qui lui exige que le système évolue vers un état Y d'entropie maximale (X étant tout à fait différente de Y), état que le système de nouveau ne va jamais atteindre, et ainsi de suite. Ce qui intéresse Prigogine, c'est précisément ces "sauts". Comment les expliquer scientifiquement?

SpinUp a écrit :Peut-être qu’en essayant de le critiquer j’ai enfin compris ce que veut dire Prigogine : La « flèche du temps » est quelque chose de « plus profond » que l’évolution vers l’équilibre et l’accroissement de l’entropie.


oui, c'est bien ainsi que je l'ai compris moi-même aussi.

SpinUp a écrit :Prigogine a écrit:

L'irréversibilité ne peut plus être identifiée à une simple apparence qui disparaîtrait si nous accédions à une connaissance parfaite.

SpinUp:
Arme rhétorique : s’inventer des adversaires imaginaires aux thèses absurdes qu’il est plus facile de démonter. L’irréversibilité n’est certainement pas « une apparence ». Même si c’est un effet statistique, c’est un effet réel. La connaissance parfaite ne changerais rien à l’irréversibilité.


attention, cette phrase vient de l'introduction d'un de ses livres. Il s'agit donc d'une présentation de ses idées, pas DU TOUT d'une argumentation ou d'une preuve de ses idées (tout le bouquin en tant que tel est consacré à cela, bien sûr). J'espère que par ce que je viens d'écrire ci-dessus, l'idée d'une irréversibilité qui était longtemps conçue comme une apparence est devenue plus claire? Il ne s'agit donc pas de dire que l'évolution d'un oeuf à une omelette n'est qu'une "apparence", qu'en réalité "rien" n'a changé. Il s'agit du fait que quand on décrit un processus irréversible par une loi déterministe et éternelle, on n'a pas vraiment "pris au sérieux" le temps, au sens où "au fond", la nature est toujours définie par l'intemporalité. En ce sens précis, l'irréversibilité reste donc une "apparence". Prigogine essaie de tirer l'attention sur le fait que certains phénomènes restent inexplicables aussi longtemps qu'on part de cette idée "déterministe", aussi longtemps qu'on n'intègre pas le temps à un niveau beaucoup plus profond de la réalité.

SpinUp a écrit :Prigogine a écrit:

Sans la cohérence des processus irréversibles de non-équilibre, l'apparition de la vie sur la Terre serait inconcevable. La thèse selon laquelle la flèche du temps est seulement phénoménologique devient absurde. Ce n'est pas nous qui engendrons la flèche du temps. Bien au contraire, nous sommes ses enfants.

SpinUp:
Je serais gré à quiconque de m’expliquer l’enchaînement logique de ces quatre phrases ! Si je reformule, cela donne : « La vie existe loin de l’équilibre. Donc la flèche du temps est fondamentale (non pas statistique). En effet sans elle nous ne serions pas là. »


il n'y a pas d'enchaînement logique, il s'agit d'un "récit", si tu veux, d'une simple exposition non argumentée de ses idées, au début du livre.

SpinUp a écrit :Prigogine a écrit:

Alors Prigogine dit déjà lui-même que depuis "l'époque de Boltzmann, la flèche du temps a donc été reléguée dans le domaine de la phénoménologie. Ce seraient nous, humains, observateurs limités, qui serions responsables de la différence entre passé et futur. Cette thèse, qui réduit la flèche du temps au caractère approximatif de notre description de la nature, est encore soutenue dans la plupart des livres récents. D'autres auteurs renoncent à demander aux sciences la clef du mystère insoluble que constituerait l'émergence de la flèche du temps.

SpinUp:
À ma connaissance Prigogine est le seul scientifique « d’envergure » à trouver que sa « flèche du temps » est un mystère insoluble.
L’émergence du temps aux début de l’univers, par contre, reste une question mystérieuse (et probablement mal posée dans l’état actuel de la cosmologie). Mais ce n’est pas là le propos de Prigogine.


c'est bien possible. Mais n'étant pas scientifique et m'intéressant simplement à la question du temps, le premier livre sur lequel je suis tombée récemment, ne semble pas abonder dans ton sens. Il s'agit de Les fils du temps (2003) de la main de Rémy Lestienne, directeur de recherche au CNRS, qui a poursuivi des recherches en physique des hautes énergies et en neurosciences théoriques. Il est président de l"International Society for the Study of Time". Il écrit (pg. 240 de l'édition de 2007):

"Naguère, la plupart des physiciens se rangeaient résolument dans l'école du "réalisme", celle qui professe que la théorie physique traite de la réalité en soi, indépendamment de tout observateur. Dans l'optique de l'identification entre le temps et la causalité, ces mêmes physiciens enseignaient que le déterminisme mécaniste (...) s'appliquaient à la réalité en soi. Ils admettaient par contre que l'entropie n'avait pas de signification purement objective, pour la raison suffisante que ce concept décrivait l'évolution des sytèmes vers des états de plus en plus "probables", et que la notion de probabilité était indéniablement de nature subjective."

Après avoir mis cette conception traditionnelle en question (tel que le fait donc Prigogine, même si'l ne le mentionne pas ici), il poursuivit: "C'est dans le jeu entre le temps et le hasard que l'on doit s'attendre à de nouveaux progrès dans l'exploration et la compréhension du temps. Pour lever un nouveau coin du voile, il nous manque une vue claire sur la différence entre le hasard concret, à l'oeuvre dans le monde, et le hasard mathématique, abstrait (...). Le Big Bang et la fuite majestueuse des galaxies dans l'Univers, l'évolution des êtres vivants de l'amibe à l'homme, la naissance d'un enfant et son acheminement vers la maturité sont les plus éclatantes manifestations du tems-devenir. (...) Ces deux extrêmes se joignent dans la pertinence pour une recherche de la connaissance du temps."

Bref, si un physicien président de l'association internationale de l'étude du temps, en faisant état de la recherche, conclut son livre sur le constat qu'un chemin passionnant est en train de s'ouvrir dans ce domaine de la physique, il est bien possible que ce physicien ne soit pas de "l'envergure" d'un Prigogine, mais en tant que non scientifique j'ai tout de même des difficultés à croire que du point de vue des physiciens, la question du temps est résolue partout sauf en ce qui concerne l'origine de l'univers.

SpinUp a écrit :Mais il ne faudrait pas confondre l’œuvre d’un scientifique avec les idées philosophiques qui l’habitent. (Dans le cas de Prigogine je me demande s’il ne faudrait pas chercher une partie de l’explication chez Isabelle Stengers. Je vais peut-être lui poser quelque question à ce sujet…)


tout à fait d'accord: la distinction science - philosophie est cruciale, si l'on s'intéresse véritablement à la vérité en ce qui concerne le monde. Mais pour l'instant je n'ai pas encore compris en quoi selon toi Prigogine confondrait les deux. Il y a très clairement des passages philosophiques dans ses livres, et sans doute Stengers y est pour quelque chose (c'était après tout son rôle, non?). Je suppose qu'en tant que tel, tu n'as pas un problème avec cela. Mais tu vois vraiment des confusions des deux, donc des passages où Prigogine tire des conclusions philosophiques de ses travaux tout en prétendant qu'il s'agit de conclusions scientifiques? Si oui, cela m'intéresse bien de savoir où ils se trouvent et/ou en quoi ils consistent (a priori je n'exclus pas du tout la possibilité, bien sûr; il est évident qu'un scientifique pourra plus facilement distinguer ce type de problèmes qu'un non scientifique).

SpinUp a écrit :J’ajouterai pour finir qu’il est parfaitement possible que Prigogine ait été un visionnaire, et que de nouvelles révolutions scientifiques vont bientôt modifier radicalement notre vision de la physique. Je ne crois pas (car j'ai peu d'imagination), mais c’est possible. Les bases de cette possible nouvelles science, cependant, n’ont pas encore été écrites.


en effet, s'il était un visionnaire ou non, seul l'avenir pourra nous le dire. En attendant, il prétend tout de même avoir obtenu des résultats scientifiques qui exigent que de toutes nouvelles idées sur le temps soient prises au sérieux, en physique. Ce que je me demande, c'est en quoi un scientifique, en tant que scientifique, pourrait critiquer ses résultats, et cela simplement parce que j'ai bien besoin d'avis de gens "compétents" en la matière pour pouvoir en former une idée moi-même.

Sinon en ce qui concerne Spinoza, deux choses sont pour moi assez intéressant, quand on tient compte de Prigogine. D'abord qu'aujourd'hui même des scientifiques de renom commencent à mettre en question l'idée de l'éternité des lois de la nature. Qu'ils aient déjà pu le démontrer ou non est une autre question, qui m'intéresse bien sûr, mais qui est secondaire pour ce qui concerne le niveau proprement philosophique. Ce qui pour moi était important, en découvrant Prigogine, c'était tout simplement que je constatais que moi aussi, je partais spontanément de l'idée que le temps est imaginaire, que le réel est éternel. Comme en philosophie on a tendance à se méfier de nos idées spontanées (du moins si l'on ne fait pas de philosophie analytique, et encore), il est toujours bien de se rendre compte de la présence d'une telle idée. Cela ne veut pas dire qu'il faut immédiatement la déclarer fausse. Cela signifie simplement qu'une fois qu'on s'en rend compte, on peut commencer à la travailler consciemment/activement.

Puis il est clair que SI l'idée de l'existence d'une indétermination réelle s'avère prouvée, ALORS cela pose à mon sens un problème gigantesque au spinozisme, où tout est basé sur l'idée d'un déterminisme absolu, des remèdes aux affects jusqu'à la possibilité du bonheur suprême. Cela ne le rend pas forcément moins intéressant en tant que philosophe, mais cela nous oblige à l'aborder autrement.

Enfin ... finalement cette réponse est devenue beaucoup plus longue que voulue ... . Désolée pour ceux qui préfèrent les messages succincts ... . Et merci encore pour tes explications!
louisa

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Messagepar SpinUp » 14 janv. 2008, 19:04

Bonjour Louisa,

Merci pour cet développement intéressant, bien que long. ;) Je pense que j'y répondrai plus tard dans la semaine, surtout pour ce qui concerne les questions plus philosophiques, mais je vais deja faire quelques remarques.

Sur les lois intemporelles/éternelles: Une loi qui changerait "avec le temps" ne serait pas très utile pour faire de la science. Ou bien elle ne serait qu'une loi "phénoménologique", et une loi "plus fondamentale" existe. C'est seulement le postulat philosophique de la physique: si les lois ne sont pas invariantes dans le temps et dans l'espace, nos théories ne sont plus prédicitives.


D'ailleurs Prigogine ne met à jour que des lois "phénoménologiques", et ce n'est pas péjoratif, au contraire. La thermodynamique et la physique statistique de non-équilibre sont une extension de notre formalisme (partant des mêmes lois "fondamentales") à des cas plus proches du monde réel qui nous entoure (situations qui n'avait pas été étudié précisément avant non pas seulement par "préjugé" mais surout parce que les mathématiques pour penser le non-équilibre, le chaos, la sensibilité aux conditions initiales etc. n'ont été inventé que plus récemment).

Si tu consideres la science formèlement, le temps est un paramètre, rien de plus. Je pense que c'est notre interprétation de la physique qui fait une différence entre passé et futur. La physique pose avant tout des questions concrète: "comment tel objet va se modifier dans tel ou tel conditions". Evidemment toute notre manière de penser (évolution, mouvement) nécessite un "temps".

En ce sens je ne dirais pas que les lois physiques sont "intemporelle", puisque notre façon même de poser des questions est dépendante d'une certaine notion de temps, ou plus précisément de causalité.
Par contre les lois fondamentales sont invariantes dans le temps, oui (techniquement c'est une conséquence de la conservation de l'énergie).


Le fait est que ce n'est pas en contradiction avec tout ce que Prigogine dit sur l'auto-organisation loin de l'équilibre etc... La confusion que je vois est sans doute de l'ordre des mots, j'y reviendrai un autre jour j'espere. Dire "la réalité elle-même est largement temporelle", qu'est ce que ça veut dire? C'est vrai, et puis voilà...

Dans les faits, je ne pense pas que Prigogine aille à l'encontre de présupposé métaphysique de lois éternelles (invariantes dans le temps). Et il y a une bonne raison à cela: toute la science a besoin de ce présupossé pour exister.

Tu as raison de dire qu'il faut chercher une explication scientifique au fait que les omelettes ne font pas des oeufs. Plus positivement, pour expliquer l'emergence de structures etc. Mais cela va justement dans le sens contraire que tu semble indiquer, d'après Prigogine: la physique statistique moderne donne toujours plus d'outils pour penser l'emergence de la complexité à partir de lois fondamentales "simples". (et c'est ce à quoi a participé Prigogine en physique...:) )

Une derniere remarque concernant les oeufs et les omelettes. J'ai parlé de la physique Newtonienne d'une particule etc. Maintenant tout corps est composé d'un grand nombre de constituants (atomes, molécules etc.) L'object de la physique statistique est de décrire de tels systèmes. Quand N est grand (10^23 atomes dans quelques grammes de matière etc..., ce sont des nombres astronomique), il est impossible de décrire précisément la position et la vitesse de toutes les particules. Donc on a recourt aux statistiques, et la physique statistique permet alors de dériver des lois "effectives" à partir des lois fondamentales.
Mais je ne vois pas en quoi cela dénote une "imperfection humaine"? La science est humaine, oui, elle laisse au philosophes le soin d'argumenter du point de vue de Dieu ;) En physique, il n'y a pas de connaissance absolue, toute mesure a une erreur associée, et il semble normal que notre science tienne compte de nos conditions de connaissance du monde.
[Maintenant que j'y pense, si Dieu a une connaissance parfaite de tous les modes de l'étendue, il n'a sans doute pas le pouvoir d'inverser la flèche du temps non-plus. Dieu serait l'entropie elle-même plutot qu'un "Démon de Maxwell". ]

Promis je développerai plus sérieusement un autre jour :D

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Messagepar SpinUp » 14 janv. 2008, 19:11

Louisa a écrit :
Puis il est clair que SI l'idée de l'existence d'une indétermination réelle s'avère prouvée, ALORS cela pose à mon sens un problème gigantesque au spinozisme, où tout est basé sur l'idée d'un déterminisme absolu, des remèdes aux affects jusqu'à la possibilité du bonheur suprême. Cela ne le rend pas forcément moins intéressant en tant que philosophe, mais cela nous oblige à l'aborder autrement.



Tu penses sérieusement que le déterminisme Spinoziste a encore un sens en science, dans le sens concret d'une capacité de prédire le résultat de certaines mesures?

Je n'ai pas encore parlé de mécanique quantique...
mais je le ferai avec plaisir. Le plus proche d'un déterminisme comme chez Spinoza que je puisse voir en science, c'est l'interprétation d'Everett de la mécanique quantique (qui est l'interprétation "réaliste" la plus majoritaire maitenant, surtout en cosmologie). Mais cela reste très loin du genre de déterminisme absolu dont tu parles je pense.

à plus

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Messagepar Louisa » 14 janv. 2008, 19:32

Bonjour Cyril,

ta remarque me semble être tout à fait pertinente: il est vrai que quand je parle de l'intemporalité des lois et de l'idée que c'est ce que Prigogine critique, j'ai tendance à y voir un argument pro l'idée que les lois elles-mêmes évoluent (je l'ai écrit sur ce forum quelques fois, non seulement dans ce fil-ci). Pourtant, ce n'est effectivement PAS ce que dit Prigogine.

Il décrit plutôt des systèmes où à un temps x tout se passe comme si le système obéit à la loi A, pour ensuite et de manière imprévisible passer à un état où A ne vaut plus et où on a besoin de la loi B pour pouvoir expliquer son nouveau déroulement. Comme si le non équilibre à un certain moment peut atteindre une "limite" qui fait qu'au-delà, le système bascule dans un tout nouveau système, qui demande d'être décrit tout autrement que le premier si nous voulons comprendre son comportement.

Ce qui se passe, ce n'est donc pas tellement que la loi elle-même change, mais plutôt le fait qu'un système se convertit en un tout autre système, "saute" d'une loi à une autre et cela sans que l'on puisse comprendre POURQUOI, au sens où la loi qui était d'application au début ne permet pas du tout d'expliquer le saut. Ce qui de prime abord rompt avec l'idée d'un univers qui se développe selon des lois éternelles et déterministes, car alors une fois que l'on a trouvé la loi à laquelle correspond un système, on devrait pouvoir connaître son état à n'importe quel moment de son histoire.

Puis cela donne un tout nouveau sens aux données statistiques actuelles en physique: on ne peut plus concevoir la réalité comme étant connaissable parfaitement par un Dieu jouissant d'un intellect infini, tandis que l'homme ne sait qu'obtenir une connaissance approximative des phénomènes dès que le nombre d'éléments étudiés dépasse une certaine limite. Loin de l'équilibre il y a réellement "incertitude" du système, puis même un changement radical. L'imprévisibilité ferait donc partie de la réalité même, et serait responsable de la création de structures nouvelles et complexes.

A partir de là, nous ne pouvons plus connaître l'état d'un système à tout moment sur base de la connaissance de la loi et des conditions initiales (ou des conditions à un moment t). Il n'est donc plus possible de remonter, ne fût-ce que théoriquement, dans le temps. C'est en cela que la réversibilité ne ferait PLUS partie de la réalité fondamentale, qu'il faut y tenir compte du temps. Tandis que jusqu'à présent, une connaissance approximative n'obligeait pas du tout à accepter l'idée d'une irréversibilité fondamentale.

Mais contrairement à ce que j'ai pu écrire/suggérer quelque part, cela n'implique effectivement PAS que les lois en tant que telles ne seraient plus invariables (comme tu le dis: abandonner ce présupposé ce serait abandonner toute possibilité de science même). La fin des certitudes (ou du déterminisme) ne signifie pas qu'on n'a plus de lois éternelles, cela signifie plutôt que disposer de lois éternelles ne suffit plus pour rendre compte de phénomènes qui ont besoin du facteur temps non seulement pour être décrits dans leur comportement, mais aussi pour être expliqués dans leur naissance même.

Si tu trouves d'autres imprécisions/erreurs/... n'hésite pas à les signaler!
En t'en remerciant déjà,
louisa

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Messagepar Louisa » 14 janv. 2008, 19:43

SpinUp a écrit :Tu penses sérieusement que le déterminisme Spinoziste a encore un sens en science, dans le sens concret d'une capacité de prédire le résultat de certaines mesures?


oui, bien sûr. C'est d'ailleurs précisément ce que prétend Prigogine, à mon sens: le déterminisme absolu est un concept philosophique, PAS une notion scientifique. Cela veut dire que pour l'instant aucune expérience scientifique n'a pu le confirmer ni réfuter.

Or un déterminisme absolu ne signifie PAS forcément qu'un intellect humain est ou peut devenir capable de tout prédire, sans avoir besoin de statistiques. Un déterminisme absolu n'est donc pas nécessairement "épistémologique", il peut être "ontologique": alors il propose seulement de considérer la réalité "en soi" comme se déroulant inévitablement selon des lois éternelles, sans aucun "saut" (tout effet étant causé par une seule cause selon une loi précise, sans "bifurcations", donc sans qu'une seule cause puisse donner lieu à deux effets divergents et tout aussi probable). C'est également ce déterminisme ontologique que propose Spinoza; le déterminisme épistémologique dans le spinozisme ne vaut que du point de vue de Dieu, l'intellect humain étant par définition "limité".

Qu'à un certain niveau de complexité l'homme doit avoir recours à la probabilité pour encore pouvoir rendre compte du comportement des phénomènes n'est donc pas une objection valide contre le déterminisme ontologique. Inversement, que toutes les lois de la physique présupposent la notion de déterminisme ontologique absolu n'est pas non plus une preuve "scientifique" du déterminisme ontologique, puisque justement, il s'agit d'une présupposition.

C'est PARCE QU'il s'agit d'une présupposition, que Prigogine a voulu l'abandonner pour voir si dans la nature on ne peut pas trouver des phénomènes dont on peut prouver l'indétermination, phénomènes où c'est l'indétermination en tant que telle dont nous avons besoin pour pouvoir les expliquer (des phénomènes où donc dans la chaîne causale il y a des "bifurcations").

Si on ne les trouvait pas, cela ne confirmerait pas le déterminisme ontologique (puisqu'il est philosophique et non pas scientifique), mais si on les trouve, alors cela confirme tout à fait le statut purement philosophique de cette idée (tout en ouvrant un nouveau domaine de recherche pour la physique), idée qui pourtant a été adoptée par la communauté scientifique pendant très longtemps.

Mais tu penses peut-être à l'une ou l'autre expérience qui contredit ce que je viens d'écrire, c'est-à-dire qui montre qu'en dehors des travaux de Prigogine, le déterminisme ontologique comme présupposé scientifique a été abandonné?
louisa

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Re: Prigogine et la philosophie

Messagepar sescho » 14 janv. 2008, 20:56

SpinUp a écrit :(Serge, je suis bien conscient ce que la critique d’un « prix Nobel » peut avoir de « prétentieux », mais la critique n’est souvent qu’une étape dans l’effort de comprendre…)

Pas de problème. Bien exposé et plaisant, je peux même retirer mon chapeau...


Amicalement


Serge
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Messagepar SpinUp » 19 janv. 2008, 14:15

Louisa a écrit :Mais tu penses peut-être à l'une ou l'autre expérience qui contredit ce que je viens d'écrire, c'est-à-dire qui montre qu'en dehors des travaux de Prigogine, le déterminisme ontologique comme présupposé scientifique a été abandonné?
louisa


Bonjour Louisa,

Je répond à tes deux posts ci-dessus.

Effectivement, il y a de la nouveauté « non déterministe » dans le monde, et la nouveauté en science est que de tels phénomènes puissent être quantifié, décrits mathématiquement.

Pour résumer je dirais ceci : Les lois sont déterministes, mais pas les prédictions que nous pouvons en tirer. En effet, comme on ne connaît jamais exactement les conditions initiales, on introduit un ensemble statistique, une « fonction de distribution des probabilités ». Ce qu’il y a de passionnant « loin de l’équilibre » (et l’univers lui-même n’est jamais à l’équilibre) est que souvent, des modifications imperceptibles dans les conditions initiales peuvent mener à des résultats finaux très différents, même après un temps très court.

En soit, pour ce qui nous concerne, il ne faut pas de concepts physiques très compliqués pour se rendre compte, par exemple, que si les conditions initiales étaient un peu différentes, le système solaire n’existerait pas tel qu’il est et la vie terrestre non plus. Mais dans ces cas généraux nous pouvons simplement blâmer notre ignorance. Ainsi Laplace, « fondateur » du déterminisme Newtonien, pouvait écrire (source Wiki) :
« Nous pouvons considérer l’état actuel de l’univers comme l’effet de son passé et la cause de son futur. Une intelligence qui à un instant déterminé devrait connaitre toutes les forces qui mettent en mouvement la nature, et toutes les positions de tous les objets dont la nature est composée, si cette intelligence fut en outre suffisamment ample pour soumettre ces données à analyse, celle-ci renfermerait dans une unique formule les mouvements des corps plus grands de l’univers et des atomes les plus petits ; pour une telle intelligence nul serait incertain et le propre futur comme le passé serait évident à ses yeux »

Prigogine et les autres montrent que l’indétermination ne dépend pas tellement de notre erreur, mais de la structure même d’un monde beaucoup plus complexe que ce que Laplace semble suggérer.
Ainsi le fait des sensibilités aux conditions initiales est très important : cela signifie en effet que notre incertitude sur le futur n’est pas une fonction linéaire de notre incertitude sur le présent, mais qu’on contraire les incertitudes s’accroissent de manière exponentielles avec le temps !

À ce niveau là, le déterminisme devient plus que jamais philosophique, parce qu’il suppose une connaissance parfaite, qui nous est impossible même en principe. Par exemple nous pouvons calculer la valeur du nombre pi à un nombre toujours plus grand décimale, mais le connaître « exactement » n’a qu’un sens synthétique. Bien sur nous connaissons pi exactement en tant que concept géométrique, mais il se pourrais qu’un problème physique dépende de la Nème décimale de Pi, disons, or si N est assez grand son calcul prendra plus de temps que le temps de vie de l’Univers… Reste « Dieu », mais la science se refuse à argumenter du point de vue de Dieu.

Il y a une raison plus intéressante encore pour laquelle ce déterminisme n’a pas de sens en physique. C’est que le monde n’est décrit par les lois dites « classiques » (newtoniennes etc.) qu’en première approximation. La description la plus adéquate que nous avons des lois de la Nature ne fait plus appel aux notions de position et de trajectoires. Le monde est « quantique ». Je ne sais pas si tu as jamais eu un aperçu de ce qu’est la physique quantique ? La physique quantique implique que le monde tel qu’un humain peut le connaître est fondamentalement indéterminé, probabiliste. Par exemple, il y a la fameuse « relation d’incertitude » d’Heisenberg. L’article wiki: http://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_d'incertitude
m’a l’air bien fait, ils insistent aussi sur le fait que l’appellation historique d’incertitude prête à confusion, il s'agit réelement d' indétermination.

Ce principe implique que la connaissance absolue dont j’ai besoin pour faire tourner la machine de la mécanique Newtonienne et réaliser le rêve de Laplace est complètement impossible : nous ne connaîtrons jamais exactement la position et la vitesse du moindre objet, non par ignorance et limitation humaine, mais parce que les lois du monde semblent telles que cette question n’a pas de sens…

En ce sens, oui, le déterminisme épistémologique est mort et enterré depuis les années 1930.


Partant de là, la question de savoir si l’ontologie spinoziste reste « compatible » avec la science est une question qui m’intéresse. Note bien que ce n’est pas une question scientifique, parce que le spinozisme est assez métaphysique que pour ne pas être réfutable (au sens Popperien de « falsifiability » ).

Cependant, certaines interprétations de la mécanique quantique sont incompatibles avec le spinozisme. Par contre les interprétations les plus réalistes me semblent plus facilement compatibles. Les interprétations dites « réalistes » sont celle qui ne suppose pas un rôle privilégié à l’observateur. Cependant, la conséquence de ce postulat réaliste est que, d’une certaine manière, « toutes les possibilités sont réalisées dans la Nature ». C’est pour cela que cette interprétation, dans sa forme la plus complète, à été appelée « Many-worlds interpretation », même si cela prête à confusion. C'est là une vision bien différente du déterminisme...

M’étendre sur le sujet ici n’aurait pas beaucoup de sens, mais si tu as des questions je serai heureux de contribuer à faire comprendre ce que les physiciens font vraiment avec leurs équations obscures... Et aussi d’essayer de clarifier mes propres questions spinozistes et philosophiques.

à bientôt

Cyril

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Messagepar hokousai » 19 janv. 2008, 17:29

Qu’est ce que le temps ? Je n’en sais rien, c’est là la réponse la plus honnête que je puisse donner. Je ne vais donc pas ici spéculer sur le temps psychologique, philosophique, humain, mais plus simplement tenter de clarifier ce qu’est le « temps » en physique, pour voir ce que le concept de « flèche du temps » désigne.


D' accord mais l'idée de Prigogine est- elle une idée de physicien ? En partie oui, peut être , en partie non , certainement .

Parce que cette idée de "flèche du temps " est communément partagée .


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