Louisa a écrit :... je ne suis pas certain que Spinoza conçoive la conscience d'une telle façon. Pour lui nous pouvons avoir accès, via le troisième genre de connaissance, à l'essence singulière d'une chose. ...
Dans ma compréhension de Spinoza, c'est tout l'inverse : on ne peut pas avoir d'idée adéquate de chose singulière (je souligne bien "singulière.") Peux-tu donc me dire, s'il te plait, où tu vois dans Spinoza le contraire?
E5P23S : "... Les yeux de l’âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations."
Par ailleurs, l'esprit est une notion générale, l'entendement qui en est la meilleure partie (et non le désir, par exemple) en étant une lui-même (E2P48.)
Ensuite, le parallélisme se fait non avec toutes les parties du corps, mais seulement avec le rapport qu'ont ces parties entre elles (ce qui explique que nous n'ayons aucune idée de la plupart des parties du corps) : Définition avant l'axiome 3, après E2P13, E2P24, E4P39.
En fait, la connaissance du corps humain, inadéquate, ne se fait que par les sensations, exclusivement :
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit : E2P19 : L’âme humaine ne connaît le corps humain lui-même, et ne sait qu’il existe, que par les idées des affections qu’il éprouve.
Démonstration : En effet, l’âme humaine, c’est l’idée même ou la connaissance du corps humain (par la Propos. 12, partie 2), laquelle est en Dieu (par la Propos. 9, partie 2), en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée d’une autre chose particulière, ou bien, en tant que le corps humain a besoin de plusieurs autres corps dont il est continuellement comme régénéré ; or, l’ordre et la connexion des idées est le même (par la Propos. 7, partie 2) que l’ordre et la connexion des causes. Cette idée sera donc en Dieu en tant qu’on le considère comme affecté des idées de plusieurs choses particulières. Par conséquent, si Dieu a l’idée du corps humain, ou autrement, si Dieu connaît le corps humain, c’est en tant qu’il est affecté de plusieurs autres idées, et non en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; en d’autres termes (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2), l’âme humaine ne connaît pas le corps humain. Mais, d’un autre côté, les idées des affections du corps sont en Dieu, en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; ou autrement, l’âme humaine perçoit ces mêmes affections (par la Propos. 12, partie 2) ; et en conséquence (par la Propos. 16, partie 2) elle perçoit le corps humain lui-même ; et enfin elle le perçoit (par la Propos. 17, partie 2) comme existant en acte. C’est donc de cette façon seulement que l’âme humaine perçoit le corps humain lui-même. C. Q. F. D.
J'ai mis du temps à accepter ce passage où Spinoza dit successivement que l'âme est l'idée ou connaissance du Corps humain puis qu'elle ne connaît pas le Corps humain (mais si l’on reprend le corollaire E2P11C, on peut considérer qu’il manque dans cette démonstration « en partie » ou « adéquatement » (… l’âme humaine ne connaît pas [adéquatement] le corps humain.) C'est qu'en fait il passe du "en gros" au "précis" (par approximations verbales successives) : l'âme humaine est liée en premier lieu au corps en vertu du parallélisme en Dieu, mais ce alors même que Dieu a une idée globale du Corps et de tous les autres corps qui sont avec lui en interaction (E2P9). E2P9C introduit la sensation comme étant liée à l'idée du Corps seule. Autrement dit, l'âme n'a pas une connaissance adéquate du Corps, mais elle en a une de la sensation (j’extrapole le « en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine » car je doute fortement que Spinoza accorde l’adéquation à la sensation, parce qu'elle ne correspond à aucun corps clairement identifié). Pour comprendre la démonstration dans la traduction Saisset, il faut impérativement remplacer le "Or" par le "Mais" rendu par Pautrat :
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P9C : Tout ce qui arrive dans l’objet particulier d’une idée quelconque, Dieu en a la connaissance, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet.
Démonstration : Tout ce qui arrive dans l’objet particulier d’une idée quelconque, Dieu en a l’idée (par la Propos. 3, partie 2), non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’il est affecté de l’idée d’une autre chose particulière (par la Propos. précédente). Mais l’ordre et la connexion des idées est le même (par la Propos. 7, partie 2) que l’ordre et la connexion des choses. Par conséquent, la connaissance de tout ce qui arrive dans un objet particulier devra se trouver en Dieu, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet. C. Q. F. D.
La démonstration dit donc (plus justement que ce que j'en ai dit par ailleurs) que l'affection d'une idée, qui correspond à l'affection de son objet, est "propre" à l'idée de cet objet prise seule, c’est-à-dire sans liaison avec les idées de choses extérieures, quoique l’idée elle-même y soit liée, en vertu du parallélisme… En fait, il y a une sorte de « bouclage » car dès E2A4 nous avons : "Nous sentons un certain corps affecté de plusieurs manières." Cet axiome passe – outre un peu trivialement dans E2P11 - par E2P13, c’est-à-dire par l’application du « parallélisme » à l’âme humaine (/ Corps humain), pour revenir en quelque sorte à lui-même (mais cette fois en pleine affirmation de l’étendue de la chose : nous ne connaissons le Corps, les corps extérieur et le Mental lui-même QUE par les sensations, et ce de façon inadéquate (sauf, apprendrons-nous, pour ce qui concerne partiellement le Mental, que des idées adéquates – et donc adéquatement connues – peuvent malgré tout naître de cet état de fait.)
Pour moi, il reste en arrière-goût que toute cette gymnastique n’est quand-même pas en faveur du parallélisme...
Reprise dans E2P19, c’est E2P12 qui introduit (sous les réserves dites plus haut) comme « entière » la sensation dans l’âme humaine, à partir de l'idée du Corps :
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P12 : Tout ce qui arrive dans l’objet de l’idée qui constitue l’âme humaine doit être perçu par elle ; en d’autres termes, l’âme humaine en aura nécessairement connaissance. Par où j’entends que si l’objet de l’idée qui constitue l’âme humaine est un corps, il ne pourra rien arriver dans ce corps que l’âme ne le perçoive.
Démonstration : En effet, tout ce qui arrive dans l’objet d’une idée quelconque, Dieu en a nécessairement connaissance (par le Corollaire de la Propos. 9, partie 2), en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée de ce même objet, c’est-à-dire (par la Propos. 11, part. 2), en tant qu’il constitue l’âme d’une certaine chose. Par conséquent, tout ce qui arrive dans l’objet de l’idée qui constitue l’âme humaine, Dieu en a nécessairement connaissance, en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; en d’autres termes (par le Corollaire de la Propos. 11, Partie 2), la connaissance de cet objet sera nécessairement dans l’âme, et l’âme le percevra.
Scholie : Cette proposition devient également évidente et se comprend même plus clairement par le Scholie de la Propos. 7, partie 2.
Notons aussi que E2P11 dit que l’Homme est constitué de manières de penser (mais il l’étend au Corps dès E2P13C, ce qui tombe sous le sens en vertu du parallélisme.)
Ce qu'atteint l'esprit par le deuxième genre de connaissance n'est pas strictement parallèle au corps, c'est une partie de l'essence de Dieu qui naît de ce que ce qui est commun à tout peut être connu adéquatement dans (à l'intérieur de) la sensation (et ne constitue l'essence d'aucune chose singulière) Le troisième genre de connaissance porte sur les mêmes choses que le second mais vues intuitivement, directement en action dans le comportement (propriétés) des choses singulières.
Louisa a écrit : ... Ce qui reste après la mort, ce qui est éternel, ce n'est pas seulement de l'ordre de la pensée ... !! Il n'y a PAS d'OPPOSITION corps-esprit chez Spinoza (forcément, puisqu'il s'agit d'une seule et même chose). Ce qui est éternel, c'est de l'ordre de l'essence: il s'agit donc de l'essence de l'esprit, ayant l'essence du corps comme objet.
Je ne crois pas : ce qui a été perçu adéquatement c'est une partie de l'essence de Dieu, et c'est éternel comme Dieu est éternel. E5P36 et prec. Mais effectivement ceci est contenu dans l'essence de tout corps (chacun ne pouvant par ailleurs se concevoir qu'avec la substance pour cause.)
J'ajouterais pour Hokousai qu'il ne faut pas négliger la mémoire (E2P18) comme parallélisme au corps qui donne l'illusion d'auto-générer des pensées. Cette façon n'est pas de l'ordre de l'adéquat (puisqu'imagination, comme au premier degré la sensation) selon Spinoza (E3P2, E5P23, E5P34, E5P39.) Reste j'en conviens à savoir comment l'on peut développer une pensée rationnelle sans aucune mémoire...
Pour la référence au cerveau comme centre neuronal, je pense que Spinoza en était au fait (déjà connu des Grecs de mémoire), lui qui dit "image peinte dans le cerveau" pour signifier l'aspect corporel de la sensation (E2P48, outre deux mentions dans E1App et E5Pré sur la glande pinéale de Descartes, qui montre bien néanmoins la connaissance du côté central du cerveau. Voir Lettre 58 à Schuller et 76 à Burgh aussi.)
En fait, le parallélisme pur avec le corps est pour Spinoza synonyme d'imagination.
Serge