volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar Durtal » 13 juil. 2008, 11:19

Faun,


"Pierre est plus grand que Paul"

"Pierre n'est pas plus grand que Paul"

"le soleil tourne autour de la terre"

"le soleil ne tourne pas autour de la terre"

ect...


des choses comme ça....


D.

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Messagepar jvidal » 13 juil. 2008, 12:20

Faun a écrit :
jvidal a écrit :il n'y a pas en revanche d'énoncé significatif qui ne puisse être significativement nié


Pourriez vous donner un exemple d'un "énoncé significatif" que vous pouvez nier ?


Celui-ci: "je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je ne peux pas nier"
ou encore celui-ci: "je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je peux nier"
ou enfin: "je ne peux pas être plus clair".
Joseph Vidal-Rosset
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Messagepar Faun » 13 juil. 2008, 12:58

Durtal a écrit :Faun,


"Pierre est plus grand que Paul"

"Pierre n'est pas plus grand que Paul"

"le soleil tourne autour de la terre"

"le soleil ne tourne pas autour de la terre"

ect...


des choses comme ça....


D.



A ces question il me semble que Spinoza répond dans le traité de la réforme de l'entendement, § 52 à 61.

"par vérité éternelle j'entends, telle que, si elle est affirmative, jamais elle ne pourra être négative." (note u)

Il semble donc que les "énoncés significatifs" et les "vérités éternelles" ne sont pas la même chose, et sont des concepts ayant des définitions différentes.

Mais peut être faudrait-il demander une définition de ce qu'est un "énoncé significatif".


Celui-ci: "je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je ne peux pas nier"
ou encore celui-ci: "je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je peux nier"
ou enfin: "je ne peux pas être plus clair".


Vous pouvez être plus clair, en définissant le concept que vous avez formé d'un "énoncé significatif", par exemple.

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Messagepar Durtal » 13 juil. 2008, 14:05

Faun,


Je pense en effet qu'il faut faire attention à ne pas confondre négation et fausseté. Il me semble que c'est de cela dont il est question dans ce que vous citez: La négation d'une vérité éternelle donne de toute éternité une fausseté.

Je serais aussi d'avis cependant que la négation des vérités éternelles amène contradiction et donc non sens ( comme la "mouche infinie") et donc que leur négation produit des énoncés vides de sens. Mais joseph objectera, je pense, que les contradictions sont des énoncés bien formés.

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Messagepar Durtal » 13 juil. 2008, 16:15

Cher Joseph,

Concernant mon petit (b) tout d'abord.

jvidal a écrit :Non, au sens où Descartes n'est pas inspirée par la logique formelle (qu'il méprise) et que Spinoza reconnaitrait que la dimension temporelle est bien présente dans les Méditations


Soit, mais je ne parlais pas de syllogistique, je me suis laissé emporté par la libéralité terminologique et les anachronismes que nous nous sommes autorisés depuis le commencement de cette conversation. Je voulais simplement dire qu'il lui reproche de projeter pour expliquer un fait de psychologie un modèle idéalisé et abstrait du jeu de la négation et de l'affirmation. Et d'autre part qu'un de ses arguments positifs (comme on le voit dans une citation reproduite par Faun ci-dessus) est que "l'infinité de la volonté" doit bien "s'étaler" dans le temps pour être pensable. Ce qui, si Descartes l'admettait, aurait pour effet de trivialiser sa thèse.

jvidal a écrit :Oui, au sens où Spinoza verrait dans ce calcul une abstraction, mais une abstraction illusoire dès qu'il s'agit de comprendre les volitions singulières réelles.


Mais au fond il me suffit que tu m'accordes le point (a). Car se faisant tu reconnais que la question des ebf est indépendante de la thèse concernant le caractère libre ou non libre du jugement. Comme ces caractéristiques du calcul sont conservées alors que la thèse de Descartes est niée, on ne peut donc pas dire que cette thèse est confirmée par l'existence de ces caractéristiques. Et par conséquent je crois que tu ne peux plus maintenir la "charge de preuve"que tu as formulé.

Tu peux bien sûr en appeler à des raisons d'expérience et d'introspection. Mais c'est autre chose. Je doute de toute façon que l'on puisse tirer de ceci des arguments contraignants, car encore une fois, en plus de l'argument sur la nécessité de "l'étalement" temporel des jugements (qui selon moi est très important) il existe également des expériences (et pas un petit nombre) qui peuvent passer pour confirmer la thèse de Spinoza. Sur ce terrain (celui des arguments "introspectifs") je pense que la question ne peut pas vraiment être tranchée. Et en effet tu finis dans ton message par parler de "préférences".

Est ce qu'ensuite le caractère abstrait de quelque chose le condamne ipso facto à être illusoire? Je ne sais pas. Tout dépend de ce que l'on entend par là. D'un coté si l'on pense qu'un nom de nombre par exemple est un nom d'objet (au lieu d'un nom de concept), sans doute on parlera "d'illusion", d'une illusion conceptuelle ou "grammaticale" en l'occurrence. Mais cela n'entraîne pas pour autant que tous les énoncés qui mettent en jeu des nombres soient faux ou "illusoires".

A bientôt.

D.

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Messagepar bardamu » 13 juil. 2008, 17:21

jvidal a écrit :(...)

Compte tenu du point précédent, je ne vois pas en quoi ce point peut poser le moindre problème à mon argument. Je traduis la volonté infinie par la possibilité indéfinie que l'on a de nier toute expression bien formée. (...)
ce que je conteste est simplement le fait que Spinoza nie que nous ayons le libre pouvoir de nier n'importe quel énoncé ou n'importe quelle représentation). Or quel que soit un énoncé bien formé dans la langue qui est la mienne, je peux le nier, et c'est ce que Descartes veut dire lorsqu'il parle de la "volonté formellement infinie".

Bonjour Joseph,
pour faire court : Spinoza ne nie pas qu'on puisse nier n'importe quel énoncé, il nie que ce pouvoir soit libre, qu'au niveau de la liberté il y ait une différence entre produire l'idée p et produire un jugement sur p, comme si un jugement n'était pas production d'idée.
Ce n'est pas "volonté infinie formellement" qui pose problème puisque la volonté est identifiée à la dynamique de production de l'entendement (à l'idéation) et que celui-ci est infini. Le problème est d'en faire une faculté détachée de cette production, de ne pas considérer un jugement comme une production d'idée toute aussi conditionnée que les autres, d'en faire une faculté libre.

A mon avis, Spinoza tente de faire passer les cartésiens de leur langage impliquant un axiome de volonté-liberté à son langage où il n'existe pas mais avec une structure relativement proche.

Pour faire plus long et après avoir fait un petit tour du côté de Descartes (à partir de ce que j'ai en bibliothèque et sur le web) pour mieux spécifier sa pensée (toute correction est bienvenue).

Dans "Réponses aux 3e objections", on a : "Il n'y a personne qui, se regardant seulement soi-même, ne ressente et n'expérimente que la volonté et la liberté ne sont qu'une seule et même chose, ou plutôt qu'il n'y a nulle différence entre ce qui est volontaire et ce qui est libre".
A priori , pour Descartes volonté et liberté (libre-arbitre ?) sont des faits d'expérience valant pour axiomes.

Dans une lettre à Mersenne (28 janvier 1641), il dit : "Je prétends que nous avons des idées non seulement de ce qui est en notre intellect mais même de tout ce qui est en la volonté. Car nous ne saurions rien vouloir sans savoir que nous le voulons ni le savoir que par une idée."

On peut lui objecter comme Gassendi qu'on ne peut vouloir un infini qu'on ne conçoit pas. Ce à quoi Descartes répond que si on ne peut pas le comprendre, on peut malgré tout en avoir une idée claire et distincte.

Avec Spinoza, on aurait donc les désaccords et accords suivant :
> chez Spinoza, la nature de la volonté et de la liberté humaine sont plutôt des théorèmes que des axiomes et vont à l'encontre de ce qui pour Descartes est une évidence
> ils sont d'accord sur le fait qu'une volonté demande une idée, qu'il n'y a de volonté que de quelque chose
> ce que Descartes appelle "comprendre" serait ce que Spinoza appelle "avoir des idées adéquates" et apparemment, ils appellent tous les deux "entendement" ou "intellect" le fait d'avoir une idée
> chez Descartes, à la volonté peut correspondre des idées qu'on ne comprend pas, ce qui chez Spinoza pourrait se traduire par :
- l'entendement adéquat chez l'homme est moins étendu que l'entendement en général (avec les idées inadéquates) ;
mais aussi :
- l'entendement adéquat en "intension" peut toucher a des idées plus riches que l'entendement en "extension" : on peut avoir l'idée adéquate de Dieu sans avoir l'idée adéquate de tout ce qui en découle (et, au passage, le 3e genre de connaissance remettra ces idées en "intension" dans la connaissance des choses particulières, en "extension")

Au final, j'ai l'impression qu'au niveau formel, en dépit des termes, ils s'accordent sur une structure proche : chez l'homme, limites de l'intelligence vraie en "extension", extension indéfinie de l'idéation-entendement (Spinoza) / de la volonté (Descartes).

L'opposition porte alors principalement sur l'axiome de la volonté-liberté, lequel a été retraduit par Spinoza en dynamique causale de l'entendement : juger comme l'entend Descartes (prendre p puis juger p), serait pour Spinoza soit la nature directe de p dans sa vérité sémantique (adéquat/non-adéquat), soit produire une idée sur une idée, si il s'agit de nier activement comme tu le proposes. Là où Descartes prend un fait d'expérience comme axiome, Spinoza considère le jugement comme idéation et le lie à l'enchaînement nécessaire d'idées selon l'ordre de la nature en prenant des contre-exemples expérimentaux (enfant, fou, bavarde, rêve...) pour montrer qu'on ne pense pas ce qu'on veut.


jvidal a écrit :En me plaçant du côté de Descartes, je défie le spinoziste de m'exhiber une idée singulière concrète, ou un énoncé qui soit dans mon langage une ebf dont la négation soit syntaxiquement impossible. Spinoza nie que l'on ait le libre pouvoir de suspendre son jugement. De la même façon je demane au spinoziste de m'exhiber une ebf qu'il est impossible de mettre entre guillemets. Je ne vois pas comment être plus clair.

Je crois qu'on a tous compris, seulement on ne voit pas que Spinoza dise qu'on puisse interdire quoi que ce soit syntaxiquement ("De l'idée de Dieu découle une infinité de choses infiniment modifiées") et, pour ma part, j'ai du mal à voir la force de preuve que tu donnes à ces opérations qui, pour Spinoza, serons lues comme la capacité de rajouter des idées sur des idées (p, puis nier p, p puis mettre des guillemets à p...).
Si on veut simuler une liberté, à mon sens, autant aller jusqu'à l'absurde. Dire n'importe quoi est-il preuve de liberté ? Le plus bas degré de liberté pour Descartes, je crois, et le plus manifeste esclavage pour Spinoza.

D'ailleurs, puisque Deleuze a été évoqué, il a réfléchi à tout ça dans "Logique du sens", une logique certes pas "mathématique" mais où il se demande comment on fait usage du non-sens, comment Lewis Carroll, Artaud, les koan zen etc. produisent du non-sens syntaxique et pourtant produisent des idées qui affirment quelque chose.

« Le bon coin pour le Snark! » cria l’Homme à la Cloche,
Tandis qu’avec soin il débarquait l’équipage,
En maintenant, sur le vif de l’onde, ses hommes,
Chacun par les cheveux suspendu à un doigt.

« Le bon coin pour le Snark! Je vous l’ai dit deux fois:
Cela devrait suffire à vous encourager.
Le bon coin pour le Snark! Je vous l’ai dit trois fois:
Ce que je dis trois fois est absolument vrai. »

Ca ne veut rien dire de l'aveu même de Lewis Carroll et pourtant on ne pourra s'empêcher de donner un sens obscur à la chasse au Snark.
jvidal a écrit :Personne ne se risquerait aujourd'hui à avancer la thèse que nos processus neuronaux sont strictement déterminés et qu'une théorie correcte qui pourrait les expliquer devrait être strictement déterministe. Sur ce point la philosophie de la connaissance contemporaine a beaucoup de retard, mis à part les philosophes, peu nombreux, qui ont saisi le fait que la connaissance scientifique contemporaine repose sur une base probabiliste et non pas déterministe (voir P. Suppes, Probabilistic Methaphysics, pour de plus amples développements.)

Ce serait un sujet en soi, mais il se pourrait qu'il n'y ait aucun moyen pour les sciences de trancher entre chaos déterministe et hasard "de principe", type quantique (la référence est dans Mécanique quantique, une introduction philosophique, M. Bitbol), et je ferais la différence entre théorie nécessairement probabiliste parce que prédictive et théorie "indéterministe". Une théorie du tirage du loto sera déterministe et probabiliste, l'un ne s'oppose pas à l'autre.

Ceci étant, la libre volonté n'est pas dans les corps pour Descartes et donc il ne faudrait même pas aller voir du côté des neurosciences pour s'accorder avec lui. Contrairement à Spinoza, sa conception de la volonté/liberté me semble proprement métaphysique, c'est-à-dire indépendante de toute étude scientifique puisqu'elle est basée sur un ressenti subjectif et qu'elle semble procéder d'un fiat acausal.
De manière plus générale, un intérêt des principes de Spinoza est qu'ils conduisent spontanément à la recherche causale en matière de psychologie, psycho-sociologie, neuropsychologie, neurobiologie etc. C'est tout naturellement que les recherches sur le corps se relient à l'esprit (et vice-versa) puisque c'est la même chose conçue de 2 manières.
Et il y a de multiples exemples de psycho-sociologie (voire de marketing) comme celui donné par Louisa sur le choix de lettres, où tout un chacun affirmera avoir fait un choix libre par méconnaissance des causes de ses choix. A chaque découverte de causes cognitives et comportementales, la volonté libre est repoussée dans un coin de plus en plus discret.

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Messagepar jvidal » 13 juil. 2008, 19:05

A tous,

Merci de votre participation très stimulante. Je crains d'être débordé et de manquer de répondre à tous les points, je vous prie de m'en excuser.

Donner la définition d'un énoncé significatif est bien difficile et nous entraînerait trop loin. Je suppose que tout le monde comprend ce qu'est un énoncé doué de sens et que l'on m'accordera qu'il faut pour cela qu'il s'accorde avec la syntaxe et la sémantique d'un langage donné.

Une contradiction est un énoncé bien formé, certes, parce qu'il respecte la syntaxe, mais, si l'on n'adopte pas le point de vue de Priest (le dialethéisme), on reconnaîtra que la contradiction n'a pas de modèle et donc que la dénotation d'un énoncé contradictoire est le faux ou l'absurde.

A l'attention de Durtal et de bardamu, je reprends uniquement ce que j'ai déjà écrit plus haut, je suis désolé de me citer:

Il y a des énoncés dont la représentation est impossible (pas de modèle de la contradiction par exemple, ou encore pas de représentation possible d'une "mouche infinie", pour reprendre un exemple de Spinoza), il n'y a pas en revanche d'énoncé significatif qui ne puisse être significativement nié, or, si la volonté et l'entendement était, comme l'affirme Spinoza, une seule et même chose, cette différence ne pourrait pas être conçue, mais elle l'est. Donc la volonté et l'entendement ne sont pas une seule et même chose. CQFD


Merci de me dire où est l'erreur dans ce raisonnement.

à bientôt,

Joseph

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Messagepar bardamu » 13 juil. 2008, 20:31

jvidal a écrit : Il y a des énoncés dont la représentation est impossible (pas de modèle de la contradiction par exemple, ou encore pas de représentation possible d'une "mouche infinie", pour reprendre un exemple de Spinoza), il n'y a pas en revanche d'énoncé significatif qui ne puisse être significativement nié, or, si la volonté et l'entendement était, comme l'affirme Spinoza, une seule et même chose, cette différence ne pourrait pas être conçue, mais elle l'est. Donc la volonté et l'entendement ne sont pas une seule et même chose. CQFD

Désolé, j'ai peut-être un souci de compréhension, mais je ne vois pas ce qui empêche de concevoir la différence entre les deux...

J'applique texto la démonstration de E2P49, je pense à une mouche infinie :

Supposons donc une certaine volition particulière, par exemple, ce mode de la pensée par lequel l'âme affirme qu'une mouche est infinie. Cette affirmation enveloppe le concept ou l'idée de la mouche, c'est-à-dire ne peut être conçue sans l'idée de la mouche ; car c'est même chose de dire : A doit envelopper B, ou bien : A ne peut pas être conçu sans B. Maintenant (d'après l'Axiome 3, partie 2) cette affirmation ne peut exister sans l'idée de la mouche. Elle ne peut donc ni être conçue, ni exister sans cette idée. De même, l'idée de la mouche doit envelopper cette même affirmation, que la mouche est infinie ; de sorte que, réciproquement, elle ne peut ni exister, ni être conçue sans elle : par conséquent (en vertu de la Déf. 2, partie 2) cette affirmation se rapporte à l'essence de l'idée de la mouche, et n'est absolument rien autre chose. Or, ce que nous disons de cette volition (que nous avons prise comme toute autre), il faut le dire aussi de toute volition quelconque, savoir qu'elle n'est rien de distinct de l'idée.
C. Q. F. D.

En l'occurrence, quand je pense l'idée d'une mouche infinie, je pense en fait une mouche très grande, ça sent l'idée inadéquate (par contre, en position du lotus, hop ! Deus sive musca 8-) , c'est mieux).

Deuxième application, soit une proposition p en logique bivalente, je pense "p est vrai" :

Supposons donc une certaine volition particulière, par exemple, ce mode de la pensée par lequel l'âme affirme que p est vrai. Cette affirmation enveloppe le concept ou l'idée de p, c'est-à-dire ne peut être conçue sans l'idée de p ; car c'est même chose de dire : A doit envelopper B, ou bien : A ne peut pas être conçu sans B. Maintenant (d'après l'Axiome 3, partie 2) cette affirmation ne peut exister sans l'idée de p. Elle ne peut donc ni être conçue, ni exister sans cette idée. De même, l'idée de p doit envelopper cette même affirmation, que p est vrai ; de sorte que, réciproquement, elle ne peut ni exister, ni être conçue sans elle : par conséquent (en vertu de la Déf. 2, partie 2) cette affirmation se rapporte à l'essence de l'idée de p, et n'est absolument rien autre chose. Or, ce que nous disons de cette volition (que nous avons prise comme toute autre), il faut le dire aussi de toute volition quelconque, savoir qu'elle n'est rien de distinct de l'idée.
C. Q. F. D.


Troisième application, je pense "~p est faux" (j'y crois à la logique bivalente !) :

Supposons donc une certaine volition particulière, par exemple, ce mode de la pensée par lequel l'âme affirme que ~p est faux. etc.
C. Q. F. D.

Voilà, j'ai fait les trois, je vois clairement la différence entre mon affirmation sur la mouche infinie et celles sur p et ~p. Mais dans chaque cas je n'ai pas eu le sentiment particulier de devoir juger après avoir conçu l'idée, voire de pouvoir changer la valeur de l'idée une fois celle-ci posée. L'idée de mouche infinie était d'emblée absurde d'un point de vue normal, j'en ai changé pour en faire une Deus sive musca, quant aux autres elles étaient d'emblée incluses dans une idée de logique bivalente.

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Messagepar Durtal » 13 juil. 2008, 21:04

Joseph,

jvidal a écrit : il n'y a pas en revanche d'énoncé significatif qui ne puisse être significativement nié, or, si la volonté et l'entendement était, comme l'affirme Spinoza, une seule et même chose, cette différence ne pourrait pas être conçue, mais elle l'est. Donc la volonté et l'entendement ne sont pas une seule et même chose. CQFD


Je pense que la partie du raisonnement mise en gras par mes soins repose sur une pétition de principe. Tu as toujours affirmé mais seulement affirmé qu'il y avait besoin d'une faculté pour concevoir ceci, mais c'est justement ce qui est à prouver. Je penses que tu ne fais ainsi que reformuler l'argument de Descartes ce qui laisse en réalité la question exactement au même point.

Je crois comprendre que tu t'estimes quitte de cette preuve (qu'il est nécessaire de faire intervenir une faculté, puisqu'alors c'est cela ou rien) parce que Spinoza parle de "fiction" ou "d'illusion" mais ce qu'il appelle ainsi est la réification des concepts (comme la "pierreté" pour les pierres ou "l'humanité" pour Paul et Jacques) non les concepts généraux eux-mêmes. En effet la reconnaissance des propriétés générales des choses est au fondement de ce qu'il appelle la raison laquelle n'est pas illusoire.

Si tu doutais qu'il fasse bien cette nuance voici une citation qui montre à mon avis qu'il sépare ces deux choses:

Spinoza a écrit :car nous avons montré que la volonté est un être universel ou une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions particulières, c'est-à-dire ce qui leur est commun. Or, nos contradicteurs se persuadant que cette idée universelle, commune à toutes les volitions, est une faculté (...)

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Messagepar Louisa » 13 juil. 2008, 21:57

Bonjour Joseph,

je ne reprends de ton dernier message que tu m'adresses que ce qui porte sur la question que tu poses ici, transmettant tout ce qui a trait à la "méthodologie" philosophique dans l'autre sujet, ouvert à ce dessein.

louisa:
Il suffit de rappeler que le fait même de considérer quelque chose comme la syntaxe en tant que critère possible de vérité, est un choix philosophique. Car jamais on ne pourra démontrer véritablement que la syntaxe nous donne accès à des vérités fondamentales sur le monde.

Joseph:
C'est plus simple que ça: on ne peut pas ne pas respecter les règles syntaxiques sans tomber dans le non-sens.


bien sûr. Mais cela signifie simplement que pour dire d'une idée, exprimée/formulée dans mon langage, qu'elle est vraie, il faut d'abord que l'énoncé langagier puisse la traduire correctement (ce qui implique notamment que l'énoncé respecte les règles usuelles de ce langage), sinon nous ne savons même pas de quelle idée il s'agit, et ne pourrons dès lors jamais dire si nous la trouvons vraie ou fausse.

Or ce qui pour moi est problématique dans ta thèse, c'est qu'il semble qu'étudier ces règles en tant que telles te suffit pour avoir des idées vraies concernant le monde non langagier (en l'occurrence, concernant la détermination ou indétermination fondamentale de la volonté humaine).

Ton raisonnement semble consister en ceci: quand j'observe les règles de jeu de mon langage, je vois qu'un grand nombre de combinaisons entre des mots donne toujours un énoncé correct, "significatif". Parmi ces possibilités on retrouve tout ce que la grammaire nous permet de dire quant à la volonté. On peut dire qu'on veut x, et dès que "x" est une idée correctement formulée selon mon langage, dire cela a du sens. Du coup, selon les mêmes règles grammaticales, je pourrais aussi DIRE que je ne veux pas x, ce sera toujours un énoncé correcte, c'est-à-dire un énoncé capable de transmettre l'idée à un autre interlocuteur parlant la même langue. Idem en ce qui concerne nier et affirmer, adorer et abhorrer, et ainsi de suite (tout ce que je peux grammaticalement adorer, je peux aussi l'abhorrer, etc).

Pour moi, on peut conclure de cela qu'effectivement, il suffit d'avoir une wwf pour pouvoir appliquer à elle un tas d'opérations verbales. Mais je ne vois vraiment pas comment en conclure PLUS, tu vois? Qu'en mathématiques on peut tout aussi bien additionner 3 et 4 que 4 et 59 (mais pas 3 et %) nous dit simplement quelles sont les règles du jeu, ce qui est considéré comme "valide" dans tel ou tel langage (en l'occurrence le langage mathématique). Je ne vois pas comment en tirer une conclusion qui dépasse ce terrain purement "linguistique". Je ne vois pas comment pour toi cela peut avoir du sens de dire que PARCE QUE notre langage permet de mettre un "je ne veux pas" devant tout x qui est une wwf, je peux REELLEMENT ne pas vouloir tout et n'importe quoi.

Autrement dit: il me semble que ta critique de Spinoza à ce sujet est une critique "externe": tu trouves qu'il y a un lien entre ce genre de possibilités purement verbales et le "fait du monde" qu'est l'indétermination de la volonté humaine. Sur base de ce lien, tu constates un double désaccord avec Spinoza, qui quant à lui d'une part opte pour une détermination absolue, et d'autre part nie que l'on peut affirmer et nier tout et n'importe quoi. Et effectivement, entre ton opinion et ce que propose Spinoza, il y a deux fois contradiction.

Sur l'un des deux points il aurait pu y avoir une réfutation de la conception spinoziste de l'affirmation et de la négation, mais justement, pour l'instant tu n'as pas encore montré que quand Spinoza parle de cela, il désigne des opérations purement verbales.

Or supposer que Spinoza trouverait que notre langage ne permet pas ce genre d'opérations purement verbales, cela me semble être tout à fait absurde. Il suffit d'être un locuteur d'une langue humaine pour connaître d'office cette possibilité du langage. Comme l'a déjà dit Durtal: Spinoza ne nie pas du tout cela. Certes, tout homme est faillible, donc aussi les philosophes, et partant Spinoza peut commettre et a sans doute commis des erreurs; mais nier ce fait linguistique ... même un enfant ne le ferait pas, puis jamais Spinoza ne le nie explicitement, donc jusqu'à preuve du contraire, je suppose que Spinoza le sait aussi. Par conséquent, quand Spinoza parle d'un "nier ou affirmer", il ne peut pas s'agir d'une opération purement verbale. Il parle à mon sens bien plutôt d'une opération proche de ce que Descartes voulait déjà dire par là. Ce qui nous amène au deuxième point de ton message:

Joseph a écrit :A vrai dire, si mon analogie entre la possibilité syntaxique que l'on a de nier tout ebf et le caractère formellement infini de la volonté est correcte, alors je ne vois pas bien comment on peut nier ce que Descartes au sujet de la négation possible de toute idée. Bien sûr ça n'est qu'une analogie, mais aucune réponse n'a pu monter son caractère inadéquat ou illégitime.


je viens de relire la 4e Méditation, et j'avoue qu'effectivement, je ne vois pas comment lier ta thèse à ce qu'y dit Descartes concernant la possibilité de nier et d'affirmer, la volonté et l'entendement.

Pour Descartes il ne s'agit pas du tout de dire que nous pouvons indifféremment nier ou affirmer n'importe quelle idée. L'indifférence cartésienne ne se produit que devant un type d'idées très précis: les idées obscures et confuses. Ce n'est que là que notre "puissance d'élire" ou volonté ne sait pas que faire. Lorsqu'en revanche il s'agit d'une idée vraie, cette possibilité de la nier disparaît entièrement. Comme il le dit :

"(...) car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire (...)".

Si "juger" chez Descartes" est effectivement "vouloir" (au sens de "donner son consentement"), on ne peut suspendre ce jugement que quand il porte sur une idée obscure. Ou plutôt: nous sommes contraints de ne pas savoir ce que nous voulons quand nous nous trouvons devant une idée peu claire (pour le traduire dans tes termes: quand nous nous trouvons devant un énoncé qui n'est pas une wwf?). Ce n'est donc PAS le fait de pouvoir vivre ce genre de moments d'indifférence qui prouvent pour Descartes l'existence d'une volonté libre. Ou plutôt: c'est ce qu'il appelle le "plus bas degré de liberté", comme l'a déjà souligné Bardamu. Il se fait que la liberté cartésiennne, ou le libre arbitre cartésien, ne consiste PAS essentiellement en cette indifférence, en cet "embarras du choix":

"Car, afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires; mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse."

C'est ce qui lui fait conclure que être "entièrement libre", ce ne serait le cas que quand je ne suis plus jamais "indifférent".

Bref, la conception cartésienne de la liberté, ou du libre arbitre, ou de la libre volonté ne me semble pas être tout à fait compatible avec (ni a fortiori analogue à) ton exemple d'une indifférence purement verbale, et cela pour deux raisons:

1) chez Descartes, l'indifférence ne se produit que par rapport à des idées obscures, donc ne peut jamais se produire quand p est une wwf (claire par définition)

2) la véritable liberté cartésienne s'oppose à toute indifférence, "car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent".

Conclusion: la liberté cartésienne ne consiste pas tellement en l'indifférence qu'en le fait, comme il le dit au même endroit, de ne pas être contraint par quelque chose hors de nous. Ceci implique qu'être contraint par l'évidence donnée à notre jugement ne tombe pas sous ce type de contraintes. Savoir qu'une idée est vraie ne nous donne plus le "choix" de la nier, c'est-à-dire de la juger fausse, mais cela n'entrave aucunement notre liberté, contrairement à ce que tu sembles suggérer.

Joseph a écrit :Ce que Spinoza entend doit pouvoir aussi être entendu par qui que ce soit qui comprend la langue et le mot "juger".


j'y ajouterais: et qui a appris comment trouver le sens proprement philosophique des mots une fois qu'il s'agit d'un texte philosophique ... :) . Mais je reviens là-dessus sous peu, dans le fil réservé à ce sujet.

Joseph a écrit :Je comprends qu'il entend par "juger" avoir une idée ET affirmer cette idée, ce qui pour lui ne fait qu'un, de même lorsque cette idée est négative et que le jugement est un rejet, ou l'idée de la fausseté d'une autre idée. Mais je soutiens avec Descartes que nous avons une idée plus formelle et plus simple de l'affirmation et de la négation et que cette idée plus formelle est au coeur de ce que nous appelons "volonté".


pourrais-tu indiquer sur quel passage de Descartes tu te bases pour l'interpréter ainsi?

louisa:
Chez Spinoza, "juger" a à voir avec un sentiment de "certitude" qu'accompagne chaque idée vraie, cette certitude étant également un concept philosophique propre à l'époque, qui nécessite pas mal de travail avant de pouvoir être compris par nous aujourd'hui.

Joseph:
Il n'est pas compris parce que l'usage par Spinoza de ce terme de "certitude" est tout simplement incompréhensible. Contrairement à ce que tu écris, cela n'est nullement un "sentiment" et n'est en rien subjectif puisque avoir une idée vraie et être certain sont deux choses indistinguables chez Spinoza.


si cet usage chez Spinoza (mais aussi déjà chez Descartes) effectivement ne coïncide pas tout à fait avec ce que conçoit le sens commun en pensant au mot "certitude", j'avoue que je ne vois vraiment pas pourquoi il serait par là même déjà incompréhensible. Tout comme il ne suffit pas de se baser sur le sens ordinaire du mot "force" pour comprendre le sens que ce mot revêt en science physique. Qu'il y ait un écart entre les deux sens ne rend guère le sens plus technique par définition "incompréhensible". Il faut juste faire un peu de travail, c'est tout.

Comme tu le sais peut-être, Gilles Olivo (Caen) a fait ce travail récemment (2005) pour le concept de certitude chez Descartes. Il a pu constater que la certitude cartésienne, concept clef pour nous donner une compréhension de l'essence de la notion cartésienne de vérité, "n'est rien d'autre que la perception de la volonté elle-même par elle-même". Autant dire que cette définition de la certitude n'est pas tout à fait ce qu'on entend d'habitude par là. Ce qui caractérise pour Descartes la vérité humaine, c'est de conjoindre ce qui est perçu (faculté de percevoir = entendement, passif) avec le jugement certain (le jugement étant la faculté de vouloir, actif). La connaissance vraie suppose donc l'intervention de deux facultés de nature différente, perception claire et volonté.

La volonté cartésienne est ainsi une faculté qui s'assure de ce qui est donné dans l'évidence (passivement), produisant par là la certitude. Autrement dit, lorsque la volonté juge, ce qu'elle fait pour Descartes, c'est affirmer ou nier la présence même de cet objet dans l'entendement (juger ou vouloir consiste donc en un type d'affirmation/négation très précis, qui n'a rien de purement verbal).

C'est pourquoi les vérités appelées "notions communes" ne comportent chez lui ni négation, NI AFFIRMATION (tandis que comme tu l'avais dit avec Engel, dans ton exemple toute vérité est une affirmation). Ces vérités sont chez Descartes de productions de l'entendement seul, elles décrivent la "lumière naturelle et son opérativité, autrement dit l'évidence comme telle". Les opérations logiques ne nous donnent dès lors PAS encore une certitude (puisque le jugement ou la volonté n'intervient pas, et que seule la volonté, ou l'affirmation/négation, peut produire une certitude). La certitude ne se produit, et la volonté n'intervient, que dans le cas où les choses perçues passivement par l'entendement sont des choses réelles, hors de nous. L'affirmation et la négation proprement cartésiennes (c'est-à-dire la volonté) ne concernent dès lors que les idées de choses singulières, jamais des vérités logiques telles que ton analogie nous en présente.

Or comme le dit déjà Olivo (si je l'ai bien compris), dans le cas d'une idée vraie, jugée ainsi, évidence (entendement, perception passive) et certitude (volonté, jugement active) sont comme les deux côtés d'une même médaille: l'un ne va pas sans l'autre. Et en effet, de la 4e Méditation Descartes on peut bel et bien conclure qu'une dissociation entre les deux facultés n'est pas du tout ce qui est nécessaire pour être libre. La reconnaissance du vraie abolit l'indifférence mais produit en même temps une évidence qui ne peut qu'être sue de façon certaine.

A mon sens, c'est là qu'il faut éventuellement chercher une raison pour comprendre pourquoi Spinoza a préféré abandonner ce dédoublement un peu étrange d'une passion accompagnée simultanément d'une action, pour faire coïncider évidence et certitude, et aussi certitude et action, tandis que seule le doute et la perception confuse reçoivent chez lui la marque de la passivité.

L'identification spinoziste entre volonté et entendement me semble dès lors plutôt relever d'une sorte de "penser jusqu'au bout" de ce que Descartes a inventé à ce sujet, au lieu d'être tout à fait contradictoire, comme tu le suggères, tandis que ton exemple syntaxique (et les définitions de l'affirmation et de la négation qu'il implique) me semble être difficilement conciliable avec le point de vue cartésien.

En te remerçiant par avance de toute critique/...!
cordialement,
louisa


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