A Hokousai,
D'abord, je voudrais dire que de mon point de vue vous montrez une profondeur qui s'approche de celle de l'essentiel, lui-même étant infiniment pur, et simple.
Note : Pour l'anecdote, ceci fait contraste avec les petites trivialités qui ont émaillé ce fil (et auxquelles j'ai participé...)
En la matière, j'ai tendance à ne pas intervenir avant de percevoir franchement le sens. Mais comme il s'agit de l'essentiel... je vais lâcher quelques "idées", dont je ne cherche pas l'ultime cohérence ici, ni une suite linéaire en un tout explicité (je pourrais donc avoir à les tempérer, voire les renier, le cas échéant...) :
Préliminaires :
- Je suis d'accord avec vous que le simple fait que Spinoza n'utilise pas le mot "conscience" n'autorise en aucune façon à en exclure le sens de son propos. Spinoza est très clairement dans le champ de la Spiritualité universelle, et celle-ci fait en général un usage intensif du mot "conscience." Cela mérite pour le moins un examen attentif et scrupuleux. Reste à savoir 1) si ce sens est effectivement présent chez Spinoza - Histoire de la Philosophie - (une définition explicite de "conscience" est peut-être déjà à avancer), et 2) si non, s'il s'agit d'une lacune ou non - Philosophie.
- Je suis aussi d'accord pour ne pas accorder aux commentateurs de Spinoza la même place qu'à Spinoza (traduire c'est trahir), même s'il me semble tout en même temps sain aussi de regarder ce qu'ils ont à en dire, du moins si un doute persiste. Certaines formules à base d'hyper-substantivation telles que "les ... du conatus" tendent à me hérisser le poil spontanément...
- Pour Jourdain, il n'est pas possible de s'en tenir à quelques phrases, car les mots n'étant pas la chose (et il en est très conscient et même prêt à tout jeter si ne serait-ce qu'un soupçon d'intellectualisme stérile pointe son nez), il peut contredire ensuite ce qu'on croit avoir compris... En passant, un entretien ancien (son premier livre, très bref et "aérien", datant des années 60 ; j'en ai un exemplaire dédicacé - mais pas pour moi...
) est disponible
ici. Il a publié pas mal de livres ensuite, nettement plus tard pour l'essentiel, certains étant tout aussi "aériens" - comme seul auteur -, d'autres didactiques (avec un co-auteur interrogateur, ou tirés d'une conférence.)
- Pour Spinoza, il ne faut pas oublier – j’ose le dire comme cela – que certaines de ses démonstrations sont sévèrement alourdies par la gestion du « parallélisme » : une idée, rappelons-le, n’est pas produite par un corps, mais le parallèle d’un corps et de ses affections, englobant les corps affectant. Plus justement, la « facies totius universi » pensée est en premier lieu le miroir de l’ensemble des corps ET de leurs interactions sur l’infinité de l’étendue (« facies totius universi » étendue.) En particulier,
l’application de E1P28 (qui affirme l’interdépendance, le Mouvement étant posé pour ce qui concerne l’Etendue) aux idées c’est E2P9, … qui n’est pas d’une évidence immédiate à mon goût (j’en ai déjà fait état plusieurs fois)… Quand deux corps s’entrechoquent, « leurs » idées ne s’entrechoquent pas – à proprement parler, car il y a forcément quand-même de cela – : il y a une idée en Dieu du choc, qui englobe les idées des deux corps
dans un même ensemble indissociable. L’idée du choc « vue par un seul corps » est inadéquate par nature, de ce fait…
- Spinoza dit lui-même que Dieu n’a pas du tout le même Entendement que les hommes (c'est pour Dieu lui-même "en un seul bloc" vs inadéquation, ou adéquation par notions communes (intuition) + démonstrations (logique, aux règles intuitives) + sublimation par l'intuition.)
Sur le fond :
- Il est très clair qu’à partir du moment où Dieu-Nature est mis en amont de tout (et pour cause…) toute conception du « sujet », ou autre mot mais équivalent, qui engloberait une notion « d’être en soi », de « forme substantielle », de « libre-arbitre », etc. pour un mode est totalement exclue chez Spinoza (outre d’être indéfendable). Je pense que tout le monde en est d’accord ici.
- Nous semblons quand-même oublier l'essentiel, qui est l'alpha (principale prémisse de tout l'édifice, E1) et l'omega (la puissance ultime accessible à l'homme qui exprime purement son essence propre, E5) – et qui comme prémisse première n’entre qu’à la marge dans le « more geometrico » :
l'idée (connaissance) de Dieu. Nous pouvons concéder
a priori, comme une hypothèse comme une autre, pourquoi pas, que « tout le monde a l’idée de l’être parfait », puis passer au reste en oubliant qu’
il ne s’agit pas du tout d’une hypothèse dans l’esprit de Spinoza, mais d’une réalité absolue.
En passant, que des « petits moi » hypertrophiés se manifestent de temps en temps ne nous exonère de rien d’essentiel : la quasi-totalité de l’humanité se comporte de même à un degré ou à un autre…
- Qu’elle ajoute « personnel » comme avec Jourdain – et il y a d’autres nuances, comme la conscience réflexive qui n’est pas première mais seconde, etc. –, ou non, la Spiritualité dit que la réalité suprême est JE = CONSCIENCE = DIEU. Bien évidemment le JE en question, le seul véritable, n’a rien à voir avec le « petit moi. »
Je passe brièvement dessus ici, mais il y a quand-même quelques précisions à apporter à cela : ceci est la vision ultime, mais il reste quand-même que
la réalité humaine est au croisement de cette vision ultime et de l’existence modale, dans le temps et l’espace (et c’est de là que vient le « personnel » - qui n’est ni ceci ni cela pour autant - de Jourdain, sauf erreur.) Et Spinoza le dit bien comme cela (E5P29S p.ex. Il me semble qu’il le dit ailleurs – communauté avec les autres modes vs communauté en Dieu –, mais je ne remets pas le doigt dessus.) Simplement, au lieu d’obnubiler la conscience standard (identification aux pensées) cette seconde façon se ramène à celle de simple manière d’être de Dieu (ou en équivalent qu'une pensée n'est qu'une "bulle", forme émanée de et dans la conscience pure et sans forme qui "se tient derrière", qui est silence, vide plein de tout, impersonnelle et non soumise au temps - éternelle, donc. Dieu, quoi...)
- Donc distinguer le « sujet » de la « conscience » et de « Dieu » cela n’a pas de sens, en fait, si ce n’est que l’existence modale m’indique, par la conscience de la distinction entre modes - venant évidemment du point de vue de mode -, de l’altérité, que Dieu est plus grand que Je, tout en étant Je… (cela rejoint la possibilité de la conscience du Tout par la partie ; sinon il n’y aurait rien de tel.)
- Certes chez Spinoza en premier lieu l’esprit est la sensation (pour faire court, ou la perception de la sensation), mais ce n’est qu’en premier lieu. En second lieu (mais immédiatement toujours ; Spinoza utilise même le terme d’ « inné » en quelques endroits) le commun entre « mon » corps et les corps extérieurs, etc. (parallélisme) me fait percevoir l’unité de tout (quelle que soit la nature exacte de la qualité des idées liées aux modes interagissant dans la sensation pris en particulier, en l’occurrence inadéquates : ce n’est pas du tout important - en totale opposition avec de ce que voudraient les tenants de l’ « essence singulière » - ; ce qui est important c’est la perception de la chose en acte, donc de la perception de l’être en général – ce qui ne veut pas dire que c'est une simple généralité.)
- Il y a autre chose que les sensations, ou la pensée discursive (elle aussi plus ou moins basée sur la mémoire, les mots étant des auxiliaires de l’imagination) : l’idée de Dieu, ou… conscience, ou… véritable Je, impersonnel en tant que Dieu, personnel en tant que mode, et seulement en tant que cela.
- Il y a déjà tout le temps des intervalles entre deux pensées discursives sans perte de la conscience de Dieu, de soi et des choses. Je passe ici sur l’examen du cas où il n’y aurait en outre aucune sensation et sur le sommeil profond (ou l’anesthésie générale sans assistance respiratoire, qui y ressemble fort…), etc.
- Si l’on regarde bien de toute façon : rien de ce qui est identifié comme être ne se situe en dehors de l’esprit, de la conscience. Tout est dans la conscience… au moins. Comment dans ces conditions différencier Dieu, l’Être, de la conscience ? C’est seulement la relation entre modes qui fonde la conscience et la distinction sujet-objet (dans cette acception réduite, on peut très bien accepter la notion de « sujet »), ce truc bizarre qui fait que tout est dans la conscience, et qu’il y aurait pourtant du vu hors de la conscience…
- Cela rejoint quelque chose que j’ai déjà dit (au sujet du parallélisme et du concept d’attribut, non défendable selon moi) et transparaît dans ce que dit Vanleers : il n’y a pas la pensée d’un côté et la matière de l’autre ; cela se sont des pensées (forcément) que je qualifie donc d’inadéquates : il y a pensée-de-la-matière à la base… Et Dieu pour tous…
P.S. La connaissance du troisième genre est essentiellement de tout voir, "soi-même" inclus bien-sûr, quoi que cela soit comme forme, intuitivement, directement, en Dieu-Nature (qui se place irréductiblement avant, par nature, et donc pas après, par l'imagination.)
Concernant le cogito : le "je" est évidemment un "mot pour rien" ; si "je" était déjà posé comme prémisse (de surcroît avant "pensée" et "être"...) le cogito serait purement superflu. Le cogito dit donc "conscience" (l'être-pensé, indépendamment de la particularité de ses manifestations) = "être" (et finalement quand-même, en intégrant secondairement la nature modale de l'individu humain = Je d'un côté, et = Dieu de l'autre.)
Connais-toi toi-même.