voici enfin une tentative de réponse.
davdav a écrit :J'aimerai que tu me confirme que tu penses bien que l'homme est toujours déjà libre, toujours déjà actif, toujours déjà vertueux.
en effet, je crois que pour Spinoza, dans la mesure où vertu et puissance sont la même chose (E4 Déf.8), et où posséder une puissance signifie être actif, produire nécessairement un effet, on est toujours déjà actif et vertueux.
Est-ce dire que l'on est toujours déjà libre? Là j'hésite. Car la Liberté, dit Spinoza en E5P36 sc., c'est un "Amour constant et éternel envers Dieu". Sommes-nous toujours déjà dans ce type d'Amour? Certains éléments peuvent le faire croire.
On sait bien que cet Amour naît du troisième genre de connaissance, ce qui pourrait suggérer qu'il n'est accessible qu'à ceux qui ont atteint ce stade de la connaissance. Or y a-t-il des gens qui n'ont PAS accès au troisième genre de connaissance, des gens dont les idées adéquates ne relèvent que du deuxième genre? Si c'était le cas, il faut comprendre cette "naissance" comme une succession dans le temps: d'abord on est dans le deuxième genre, puis dans le troisième (et certains n'ont pas la chance d'atteindre ce stade). Or Spinoza dit clairement en E5P33 sc. que cet Amour envers Dieu n'a PAS de commencement, puisque par définition, il est éternel.
Conclusion: "... l'Esprit a eu de toute éternité ces mêmes perfections dont nous avons feint qu'elles venaient de s'ajouter à lui, et ce accompagnée de l'idée de Dieu comme cause éternelle. Que si la Joie consiste dans le passage à une plus grande perfection, la béatitude, à coup sûr, doit consister en ce que l'Esprit est doté de la perfection même.".
Je crois qu'on peut donc dire que oui, nous sommes toujours déjà libre. Ce qui n'empêche que nous pouvons toujours devenir davantage libre, davantage actif. Ce devenir passe notamment par la prise de conscience adéquate de l'éternité de son propre Esprit. Car si "l'opinion commune des hommes" nous montre que les gens sont toujours déjà conscient de l'éternité de leur Esprit, ils n'en ont souvent qu'une idée confuse, la prenant pour la durée et donc la subsistance après la mort (E5P34 sc.).
davdav a écrit :Le devenir actif consiste alors à devenir encore plus actif et le moins passif possible.
Pourquoi? Car le mode est un mode de la substance qui est pleine positivité ou activité pure.
Agir, c'est participer de l'activité et absolument pas comme dans les systèmes idéalistes de la subjectivité allemande produire intentionnellement à partir d'un soi pensé comme une causa sui sur le modèle de la substance divine spinoziste.
Est -tu d'accord?
en effet, je crois que c'est tout à fait cela.
Pour les idéalistes allemands c'est effectivement (pour autant que je l'aie compris) le Moi absolu qui fonde toute activité, en tant que causa sui. Cela ne veut pas dire qu'ils croient que mon existence en tant qu'être humain est produite par moi-même (= la causa sui au sens spinoziste du terme), mais plutôt que le Moi ne surgit que produit par la conscience qui se retourne sur elle-même (cette conscience étant donc plutôt une cause adéquate, au sens spinoziste, cause adéquate du Moi). Ici augmenter sa Liberté ne demande effectivement aucune "union" avec le monde, ni une connaissance de cette union, comme c'est le cas chez Spinoza.
Or ceci n'est qu'une impression, qu'il faudrait bien sûr développer.
davdav a écrit :Ensuite, tu dirai donc que devenir actif ne peut se faire dans un "solipsisme du sage".
Justement car le devenir actif c'est participer de l'activité de Dieu qui est toujours déjà donnée ou en acte.
Devenir actif c'est devenir actif avec d'autres modes.
Effectivement, on peut se demander ce que sont ces modes dans ce rapport de devenir actif que j'entretiens avec eux.
Doit-on parler des essences singulières ou un conatus "universel" ou bien alors un conatus singulier?
si devenir DAVANTAGE actif consiste à comprendre davantage la Nature, alors en effet, une connaissance "solipsiste" me semble être tout à fait exclus, et cela pour deux raisons:
- dans le deuxième genre de connaissance, nous produisons des idées adéquates de ce que nous avons en commun avec d'autres choses, mais cela seulement après qu'une de ces autres choses nous a affecté. Sans contact avec elles, aucune affection n'est possible, donc aucune connaissance adéquate non plus. Rappelons aussi que Spinoza dit que la puissance de penser et d'agir augmente au fur et à mesure que nous pouvons être affecté de plus de manières. C'est bel et bien parce que cela nous permet de connaître davantage de choses différentes.
- dans le troisième genre de connaissance, nous produisons des idées adéquates des essences singulières des choses. Ici aussi, le contact direct avec ces choses est nécessaire, sinon cela ne peut jamais arriver. Pour prendre l'exemple que donne Bernard Pautrat: le troisième genre de connaissance consiste notamment à voir l'essence singulière de CETTE dame aux lunettes et sac noir dans le bus (c'est-à-dire de voir en quoi elle aussi est "du Dieu", était éternellement nécessaire et déterminée à être telle qu'elle est). Puis il faut répéter l'exercice pour une autre personne, puis une autre encore, et ainsi de suite, pour un maximum de choses singulières possibles. Donc oui, ici aussi, il faut bien aller "dans le monde" pour pouvoir augmenter sa connaissance adéquate et donc sa Liberté et sa Béatitude, sa Perfection, sa Puissance.
davdav a écrit :
La question du devenir dans une philosophie de la pleine positivité est assez complexe.
(Et je comprend que certains commentateurs ait eu recours au concept d'aliénation pour lire le devenir actif.)
je crois qu'il s'agit d'une erreur. L'idée d'aliénation a besoin de l'idée d'une puissance non actualisée. Quand on dit que le travail aliène, par exemple, on veut dire par là qu'il empêche aux gens de s'épanouir tel qu'ils l'auraient pu si le travail était organisé différemment. Mais cet "aurait pu" n'a aucun sens dans le spinozisme, puisque tout est déjà déterminé de toute éternité, rien n'aurait pu être autre que ce qu'il n'est. Notre essence est toujours déjà en acte, toujours déjà actuelle. Nous réalisons donc à chaque instant de notre vie toute notre puissance, sans reste. La seule chose qui peut arriver, c'est que le degré de puissance qui nous caractérise en tant que chose singulière, varie. Mais si demain je suis moins puissante qu'aujourd'hui, cela n'a pas de sens de dire qu'une quelconque "aliénation" ait eu lieu. Je ne suis tout simplement plus la même personne aujourd'hui que hier, mon essence même a changé (au cas où cela t'intéresse: Pascal Sévérac l'explique d'une façon très claire dans Le devenir actif chez Spinoza, quand il commente l'interprétation de Pierre Macherey, qui lui parle effectivement d'aliénation).
davdav a écrit :Quel rapport entretient le devenir actif avec l'amour intellectuel de Dieu?
Est ce que l'amour intellectuel rend actif, ou est-ce le devenir actif qui permet l'amor intellectualis Dei?
j'espère que ma première réponse ci-dessus répond aussi déjà à cette question? Les deux se font donc simultanément: l'Amour est une Action, quand il s'agit de l'Amour intellectuel de Dieu. Il n'a pas pour "effet" de rendre plus actif, je crois, il EST plutôt ce devenir plus actif lui-même.
(PS: je n'oublie pas tes autres messages, j'y réponds sous peu.)