volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 11 juil. 2008, 00:49

Bonjour Joseph,

merci encore de tes précisions. Je n'ai probablement rien de fondamentalement nouveau à apporter par rapport à ce que viennent d'écrire Bardamu, Faun et Durtal, donc voici simplement une petite "variation sur le thème". Quel thème? Justement: à mon avis (et comme déjà dit), il ne s'agit nullement d'un problème LOGIQUE, mais avant tout d'une divergence PHILOSOPHIQUE.

Tu essaies de retraduire une pensée du XVIIe (voire deux pensées, si l'on prend celle de Descartes avec) en une pensée datant d'après le "linguistic turn". Aussi intéressante et potentiellement profonde et féconde qu'une telle retraduction puisse être, pour l'instant j'avoue ne pas être convaincue de sa possibilité/pertinence.

C'est que le concept de vérité tel qu'il circule, abstraction faite de toutes les divergences historiques, dans une "philosophie de la conscience", a peu à voir avec un concept de vérité qui s'ancre entièrement dans une philosophie du langage. La fonction vérificationnelle que la tradition analytique donne au langage est totalement absurde pour un philosophe d'avant le tournant linguistique. Comme déjà dit, pour Spinoza le langage appartient à l'attribut de l'Etendue, n'ayant par là RIEN en commun avec l'attribut de la pensée. Supposer, tel que tu le proposes, que le sens d'une idée puisse dépendre d'une quelconque "well formed formula" est totalement abérrant dans une pensée pré-linguistic turn. Le concept de vérité qu'on y utilise est foncièrement différent, et partant aussi le sens que l'on donne à des termes comme "affirmation" ou "négation". Ce qui constitue la base d'une vérité ou d'une idée vraie, ne dépend pas du tout de la manière dont on peut exprimer cette idée dans le langage (ordinaire ou formel), mais d'un SENTIMENT, d'une EXPERIENCE, en l'occurrence du sentiment de certitude. Chez Spinoza, cela signifie que la vérité est index sui, n'ayant besoin d'AUCUN signe, et partant surtout pas du langage, royaume des signes par excellence.

Joseph a écrit :Ce qui est très surprenant, dans ce passage, est que Spinoza semble reconnaître que l'essence adéquate de l'affirmation (et donc, implicitement, de la négation), certes conçue abstraitement, est la même dans chaque idée. Or il n'en faut pas plus effectivement pour reçonnaître ce que Descartes désigne comme le caractère formellement infini de la volonté.


comment passer de l'idée d'une affirmation tout à fait abstraite, commune à toutes les idées, à l'idée d'une volonté, si ce n'est en identifiant volonté et affirmation ... ??????

Sinon je crois que tu écartes trop vite le fait que Spinoza écrit que TOUTE idée enveloppe l'affirmation. Cela ne nous permet pas encore de passer immédiatement à la négation, car si toute idée enveloppe l'affirmation, a priori il ne reste plus aucune idée pour envelopper la négation. Et effectivement, Spinoza nous dira qu'aucune essence n'enveloppe la négation. La négation a donc un statut tout à fait particulier dans le spinozisme (celui d'une privation, qu'on ne peut abstraire d'un niveau proprement ontologique, et pas seulement logique).

Pour la même raison, je ne vois pas comment faire rimer cette "affirmation universelle" et abstraite avec l'idée d'une volonté formellement infinie telle que tu la présentes. Si je l'ai bien compris, cette volonté impliquerait la possibilité de nier n'importe quelle idée. Cela est tout à fait inconcevable dans le spinozisme, où toute idée est affirmative par essence.

Joseph a écrit : Cette volonté n'est cependant pas libre, pour Spinoza, car les volitions sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle.


cette volonté est avant tout un être de raison. Seules les volitions singulières sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle. Et tout phénomène naturel est déterminé par une cause, sachant que seul Dieu est causa sui.

Joseph a écrit :Mais le simple fait que l'on puisse, abstraitement, nier toute idée qui fait sens, ou, ne considérer que sa signification (en la mettant entre guillemets) et s'abstenir de l'affirmer, montre bien que l'on a, via les opérations logiques, une idée formelle de la liberté de la volonté.


j'avoue ne pas du tout voir comment expliciter une telle démonstration. Nier une idée d'une telle façon, ce n'est pas la nier "abstraitement". Ce qui est abstrait, chez Spinoza, c'est l'idée d'une négation séparée/abstraite d'une idée singulière. Nier une idée qui fait sens (sachant, d'ailleurs, que dans le spinozisme TOUTE idée fait sens; utiliser un critère purement langagière pour ôter le sens d'une idée quelconque ne pourrait jamais marcher), c'est s'imaginer qu'elle soit fausse. C'est donc en former une "idée fictive", comme le stipule le TIE. Il est évident que l'imagination peut tout faire, aussi s'imaginer que ce qui est vrai est faux. Or pour Spinoza, affirmer quelque chose ce n'est pas DU TOUT imaginer la chose. L'affirmation exprime le fait qu'on ADHERE à l'idée, qu'on n'en doute pas. Cette définition de l'affirmation n'a plus rien à voir avec celle qu'en donne la philosophie analytique, pour qui, depuis Frege, affirmer une idée c'est asserter, ajouter une barre d'assertion à, un jugement bien formé. Par conséquent, ce n'est pas du tout parce qu'on s'imagine un instant l'idée x comme étant vrai/affirmé, qu'on va réellement y adhérer. Je peux certes m'imaginer que le soleil tourne autour de la Terre. Mais je ne pourrai jamais y croire. Je pourrai donc l'affirmer en un sens wittgensteinien-frégéen-analytique, je ne pourrai JAMAIS l'affirmer en un sens proprement spinoziste du terme.

Joseph a écrit : Le problème, à mes yeux, est que Spinoza nie à la fois une évidence naturelle (la spontanéité du libre arbitre)


j'irais plus loin que Bardamu: il est un fait que dans pas mal de cultures non occidentales et dans une culture occidentale non kantienne ou post-kantienne, le libre abitre est une absurdité. En l'absence de toute preuve ontologique (et non pas purement grammaticale/logique), je ne vois pas ce qui permettrait d'affirmer la vérité du libre arbitre.

Joseph a écrit : et le fait que des idées claires et distinctes exprimées dans la logique du langage puissent traduire une réalité


pour moi, il est plutôt fort étrange que quelqu'un puisse croire en une "ressemblance" voir "homologie" entre les règles du langage humain et la réalité physique non humaine. Le langage humain sert à communiquer entre nous. Pourquoi y aurait-il un lien avec le réel non humain???? Puis rappelons que déjà avant Platon, Héraclite nous avertissait du danger associé à l'habitude commune de prendre les mots pour les choses ... .

Joseph a écrit :en l'occurrence l'infinité formelle de la volonté ne traduit pas pour lui la réalité du libre arbitre. Le fait que je puisse nier n'importe quel énoncé doué de sens ne traduit que l'illusion de la liberté de la volonté


à mon sens cela n'est pas très spinoziste. Pour Spinoza ce n'est pas le fait que l'on puisse nier n'importe quelle idée qui est la cause de la croyance au libre arbitre. Car dans la pratique, tout le monde sait bien qu'on ne va pas du tout CROIRE n'importe quelle idée, mais que la croyance est tout sauf libre. L'origine du postulat du libre arbitre se situe donc ailleurs: dans le fait d'IGNORER les causes de nos décisions. Dans le fait d'être pendant un certain temps dans l'incertitude, dans l'hésitation quant à l'acte que nous voulons poser. C'est ce manque de savoir qui pour Spinoza est la cause du postulat du libre arbitre, pas du tout le fait qu'on peut s'imaginer en théorie n'importe quelle idée vraie ou fausse, puisque dès que nous parlons un peu sérieusement, on sait qu'une idée est fausse ou vraie, et jamais les deux à la fois.

Joseph a écrit :mais, en revanche, les théorèmes de l'arithmétique élémentaire ne sont pas douteux.


Spinoza fait une distinction très importante entre ce qui n'est pas douteux d'une part, et ce qui est certain ou vrai d'autre part. Les théorèmes de l'arithmétique sont bien entendu certain, et non seulement "pas douteux".

Joseph a écrit :Il y a là comme une pétition de principe que je ne m'explique que par l'adoption d'un déterminisme strict dans lequel Spinoza voit des conséquences morales avantageuses: miséricorde pour tous. Pour Descartes au contraire on ne peut être loué ou blâmé que pour nos actions volontaires.


comme d'autres l'ont déjà souligé avant moi: le déterminisme absolu n'est pas un parti pris morale, chez Spinoza, mais découle logiquement de sa définition de Dieu.

Joseph a écrit :Se déterminer sur cette question, c'est faire un choix philosophique.


en effet. C'est pourquoi la logique jamais ne pourra nous aider à trancher à ce sujet.

Joseph a écrit :Mais si l'on ne juge qu'en fonction des raisons, je ne crois pas que la clarté et la disctinction puissent être des normes qui fassent pencher la balance en faveur de Spinoza (sur ce point précis du moins), car je ne vois vraiment pas pourquoi, même dans le système de Spinoza, ce qui exprimerait l'essence adéquate d'une idée, à savoir ici l'affirmation et la négation, même d'un point de vue abstrait, ne devrait pas être ce quoi doit être pris en compte par la connaissance philosophique.


comme tu le dis: il s'agit d'une "croyance". On ne pourra jamais trouver une preuve absolue de la nécessité de considérer les rélations (telle que l'affirmation ou la négation) comme étant indépendant des termes ou non. Il s'agit d'un parti pris. Si l'on part de l'idée que jamais les relations peuvent être indépendantes des termes, alors on considérera l'affirmation en tant que telle comme quelque chose d'abstrait, c'est-à-dire dépourvue de toute réalité. Si en revanche on opte pour l'idée que les relations constituent les termes, chaque affirmation réelle est singulière, liée inévitablement à telle ou telle idée singulière, et n'ayant qu'une ressemblance superficielle, abstraite, avec une autre affirmation.

Cela ne veut pas dire que d'un point de vue moniste il ne faut pas prendre en compte les abstractions. Cela signifie simplement que de ce point de vue, considérer les relations en tant que telles sera toujours simplement les considérer abstraitement, sans jamais les considérer dans leur réalité à elles.
Cordialement,
louisa

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 01:36

Je signale à toutes fins utiles que mes remarques concernant le fait qu'il ne s'agissait pas d'un problème logique étaient strictement d'ordre technique.

Je n'ai personnellement aucun problème avec la logique ou le "linguistic turn" ou encore "la philosophie analytique". J'en ai en revanche un peu plus avec les thèses fumeuses de MM Gattari et Deleuze sur la "création de concept" et le désastreux relativisme "psycho-socio-historio-géographique"qu'elles semblent avoir entraîné dans leur sillage. Quant aux déclarations impressionnistes sur l'éternel combat de la "vie" et de la logique, dont Spinoza ,bien sûr, est forcément le plus éminent des représentants (bah oui... il est du coté des gentils Spinoza)... je préfère ne même pas commenter.

En d'autres termes la question de Joseph me semble parfaitement intéressante, posée du point de vue qui convient (du point de vue du test de la cohérence d'une doctrine philosophique), elle est exposée avec clarté et compétence (même si elle est assez difficile), et même si je ne m'accorde pas avec ses conclusions, je me désolidarise de ceux qui prétendent que la question n'a pas de sens ou qui croient pouvoir instruire au nom de Spinoza le procès de la logique en général et de la philosophie anglo-saxonne contemporaine en particulier.

Voilou.

D.
Modifié en dernier par Durtal le 11 juil. 2008, 17:15, modifié 2 fois.

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Messagepar Louisa » 11 juil. 2008, 02:00

Durtal a écrit :En d'autres termes la question de Joseph me semble parfaitement intéressante, posée du point de vue qui convient (du point de vue du test de la cohérence d'une doctrine philosophique), elle est exposée avec clarté et compétence (même si elle est assez difficile), et même si je ne m'accorde pas avec ses conclusions, je me désolidarise de ceux qui prétendent que la question n'a pas de sens ou qui croient pouvoir instruire au nom de Spinoza le procès de la logique en général et de la philosophie anglo-saxonne contemporaine en particulier.


je ne crois pas que quelqu'un ici ait voulu instruire "le procès de la logique en général". Il s'agissait simplement de rappeler le rôle que la logique revêt dans le spinozisme (préface E5): la logique est pour Spinoza une "gymnastique" de l'Esprit, et surtout pas une discipline capable de nous donner un index veritatis.

En ce qui me concerne, je n'ai point voulu suggérer une quelconque "infériorité" de la philosophie analytique par rapport au spinozisme. J'ai bien plutôt voulu signaler une "incommensurabilité" fondamentale, tenu compte des présupposés philosophiques soujacents.

Bien cordialement à vous tous,
L.

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 03:23

Ben voyons...

Une "gymnastique de l'esprit"...Et naturellement les "choses sérieuses", et dignes d'intérêt, commencent avec les "intuitions métaphysiques"....

D.

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Messagepar jvidal » 11 juil. 2008, 10:11

Bonjour à tous et merci à tous pour vos envois,

Je voudrais avant tout dire que c'est à dessein que je n'ai jamais répondu directement aux appréciations concernant mon angle d'attaque "analytique", ou "linguistic turn". Non que je ne l'assume pas, mais surtout parce que je considère que cela ne fait pas avancer la question que je voulais soulever.

En réponse à l'échange qui vient d'avoir lieu, j'insiste sur le fait que je ne me suis jamais senti attaqué, ni sur ma ou mes positions, ni personnellement, cela va sans dire. Merci à tous pour le caractère très cordial de la discussion. C'est à mon avis la condition sine qua non du débat rationnel.

Je pense en revanche que la philosophie en France (en Europe probablement), souffre d'une vraie maladie qui n'existait pas à l'époque de Spinoza. Un des symptômes de cette maladie est de répondre à un problème soulevé en renvoyant l'interlocuteur à son camp: "vous, vous faites de la philosophie analytique", ou bien "vous vous adhérez à la philosophie continentale, ou à l'idéalisme allemand", etc. Ce type de réflexe produit des effets désastreux. Evidemment il y a des causes à cela. On peut en discuter, et faire des liens avec le spinozisme, mais dans un autre sujet et dans un autre champ du Forum, car je pense que ça serait plus judicieux.

On peut enfin évidemment toujours trouver dans n'importe quel système philosophique des manières d'éviter de répondre avec précision aux problèmes précis que l'on peut poser. Dire que toute idée pour Spinoza est essentiellement affirmative, mais aussi dire que l'affirmation et la négation ne se conçoivent pas indépendamment de l'idée, est ou bien problématique car contradictoire, ou bien trivial: j'affirme une négation, ou je nie une affirmation. Spinoza est un philosophe pour lequel j'ai beaucoup d'intérêt, mais qui, de manière assez étrange à mes yeux, n'échappe pas à une sorte de "divinisation", comme s'il n'avait jamais pu énoncer des thèses faibles ou contestables ou fausses ou inacceptables pour des raisons logiques ou scientifiques. Peut-on sérieusement penser qu'un philosophe, même un philosophe de l'envergure de Spinoza, puisse écrire LE système dont on puisse dériver toutes les vérités fondamentales pour la connaissance humaine? Qui peut croire cela sérieusement? Mais j''anticipe sur mes propos que je réserve pour ailleurs dans la forum.

Encore merci vivement à tous,

Joseph

PS: j'ouvre une autre discussion ailleurs, pour poursvuire la discussion. Dans le Forum -> Questions transversales -> Spinoza et la philosophie analytique

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Faun
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Re: appel au calme

Messagepar Faun » 11 juil. 2008, 11:15

jvidal a écrit :Je pense en revanche que la philosophie en France (en Europe probablement), souffre d'une vraie maladie qui n'existait pas à l'époque de Spinoza. Un des symptômes de cette maladie est de répondre à un problème soulevé en renvoyant l'interlocuteur à son camp: "vous, vous faites de la philosophie analytique", ou bien "vous vous adhérez à la philosophie continentale, ou à l'idéalisme allemand", etc. Ce type de réflexe produit des effets désastreux.


Cela me paraît sans doute aussi vrai de l'époque de Spinoza que de la nôtre. Les philosophes du XVIIe siècle se disaient facilement cartésiens pour attaquer Spinoza. Ces luttes entre différentes écoles philosophiques remontent même à l'antiquité, et se sont aggravées à cause de la prétention des prêtres à faire de la philosophie, sous le nom de théologie. Les théologiens qui n'étaient d'ailleurs pas les derniers à critiquer Spinoza au nom de leur propre doctrine. On trouve un tableau amusant de cette lutte entre écoles philosophiques dans un livre de l'antiquité chinoise. Dans le dernier chapitre du Zhuang zi, ce philosophe y examine les différentes écoles en les renvoyant à leur partialité.

"Nombreux sont ceux qui se consacrent aux méthodes et aux disciplines. Chacun d'eux est convaincu que sa méthode et sa discipline sont la perfection même. (...) Trop de gens se complaisent dans leurs vues fragmentaires. (...) Mais les cent écoles dont aucune ne possède de vision synoptique représentent l'oeuvre d'esprits bornés. En brisant la splendeur de l'univers, en morcelant la structure des êtres et en réduisant la vision intégrale des anciens, rares sont ceux qui arrivent à embrasser les beautés de l'univers et le vrai visage de l'esprit.(...) Tous ne font que ce qu'ils veulent en inventant leurs méthodes personnelles. Quelle tristesse ! Les cent écoles dévelloppent leurs systèmes à l'infini comme s'ils allaient de l'avant sans revenir et ne peuvent jamais rencontrer la vérité. Les savants d'époque ultérieure ont le malheur de ne pas voir l'univers dans sa simplicité originelle et de ne plus saisir l'intuition globale des anciens."

Zhuang zi, chapitre 33.

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utile correction

Messagepar jvidal » 11 juil. 2008, 12:15

Faun a tout à fait raison de me corriger sur ce point.

Je trouves ces quelques mots de Voltaire sur le sujet sont particulièrement bien écrits:



S’il y avait encore quelqu’un assez absurde pour soutenir la matière subtile et la matière cannelée; pour dire que la terre est un soleil encroûté, que la lune a été entraînée dans le tourbillon de la terre, que la matière subtile fait la pesanteur; pour soutenir toutes ces autres opinions romanesques substituées à l’ignorance des anciens, on dirait: Cet homme est cartésien; s’il croyait aux monades, on dirait: Il est leibnitzien; mais on ne dira pas de celui qui sait les Éléments d’Euclide, qu’il est euclidien; ni de celui qui sait d’après Galilée en quelle proportion les corps tombent, qu’il est galiléiste: aussi, en Angleterre, ceux qui ont appris le calcul infinitésimal, qui ont fait les expériences de la lumière, qui ont appris les lois de la gravitation, ne sont point appelés newtoniens; c’est le privilège de l’erreur de donner son nom à une secte. Si Platon avait trouvé des vérités, il n’y aurait point eu de platoniciens, et tous les hommes auraient appris peu à peu ce que Platon aurait enseigné; mais parce que, dans l’ignorance qui couvre la terre, les uns s’attachaient à une erreur, les autres à une autre, on combattait sous différents étendards: il y avait des péripatéticiens, des platoniciens, des épicuriens, des zénonistes, en attendant qu’il y eût des sages.


"c’est le privilège de l’erreur de donner son nom à une secte."... à méditer...

Joseph

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 22:35

A tous,

Je suis un peu responsable de la tournure "hors sujet" qu'a pris le fil de discussion et c'est d'autant plus regrettable que ladite discussion m'intéresse.

Au delà de la discussion générale sur la pertinence ou de la logique en général, question assez peu intéressante, et en tout état de cause, sans pertinence pour la question qui nous occupe, je voudrais donc revenir au sujet et préciser en quel sens je crois comme je l'ai dit "qu'il ne s'agit pas d'un problème proprement logique".

Le point de vue que j'ai essayé de défendre est que Spinoza n'a pas une thèse telle ( sur le problème du rapport entre la représentation et le jugement) qu'elle nous contraigne à réviser les conceptions standards relatives à a négation. Et je pense que si c'était le cas ce serait en effet intenable. En d'autres termes j'ai la conviction que lui même refuserait une théorie entraînant les conséquences exposées par Jvidal, et c'est pourquoi je trouve parfaitement vain et absurde de chercher à montrer qu'elle est cohérente "avec son système" ou parce que c'est un philosophe du XVIIem siècle ou encore parce qu'il était fréquemment sujet à la fièvre ou je ne sais quoi d'autre ... Un théorie absurde est une théorie absurde point.

Ma ligne de défense (inspirée d'ailleurs, non par une sorte de vénération, que je n'éprouve nullement, mais par cette méthode/ attitude de lecture qu'on appelle "le principe de charité") consiste à dire que Spinoza ne peut pas soutenir une telle thèse (parce qu'elle est trop manifestement absurde), et donc qu'il faut avant toute chose essayer de voir si nous ne nous sommes pas trompés dans l'interprétation de ce qu'il dit réellement. Et c'est pourquoi j'ai dit que le point de vue auquel il se plaçait n'était pas celui de la logique mais celui de la psychologie, et qu'il reproche précisément à Descartes d'avoir confondu les deux choses.

On peut ensuite toujours dire que Descartes n'a pas forcément tort, mais cela dépendra de la philosophie de la logique (et de la métaohysique sous-jacente) que l'on reconnaît. Spinoza à une philosophie de la logique "nominaliste" au sens où je pense, selon lui, les symboles des constantes logiques ( comme la négation) ne "représentent rien" exprime des règles et non des faits, ou en d'autres termes sont des "abstractions". On peut trouver cette position insuffisante, fausse, tout ce que l'on voudra... mais le point sur lequel j'insiste est qu'elle n'implique aucune révision des standards logiques en vigueur et que le fait de dire que la thèse selon laquelle n'importe quelle proposition peut être indifféremment niée ou affirmée, procède d'une abstraction, n'entraîne pas que Spinoza soutient que l'énoncé "n'importe quelle proposition est susceptible d'être niée ou affirmée" est faux.

Ce qu'il conteste est que le jugement ou le processus cognitif soit séparé en deux moments réellement distincts qui seraient a) d'abord je me représente ma représentation "dans le vide' en quelque sorte, b) j'affirme ou je nie quelque chose à propos d'elle. Or en dehors de sa doctrine concernant la liberté je pense qu'il y a des raisons tout à fait sérieuses de contester cela. Car se "représenter sa représentation", ou le contenu de représentation, implique que ce contenu soit déterminé d'une manière ou d'une autre, si je me représente que je suis assis à une table, je peux bien mettre à distance cette représentation et me représenter que je me la représente, cela ne change rien au fait que le contenu de ma représentation affirme que je suis assis à une table plutôt que l'inverse.

Ce qu'il dit selon moi est que les représentations sont d'emblée structurées comme des propositions, qu'elles ont nécessairement un contenu propositionnel, et je n'ai pas l'impression que ce soit tout à fait une thèse arbitraire. J'ose même dire qu'elle me semble beaucoup plus fidèle à ce que nous sommes susceptibles de reconnaître par introspection que la thèse cartésienne, qui suppose une espèce de "suspension" laquelle a la rigueur n'arrive jamais. Je veux dire par cette expression "à la rigueur" que même dans le cas limite du doute, nous n'éprouvons pas cette "neutralité" complète que suppose la liberté d'indifférence, nous passons d'une position du jugement à une autre, revenons ensuite à la première et ainsi de suite, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs l'âne de Buridan meurt de faim et de soif...

D.

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Messagepar jvidal » 11 juil. 2008, 23:42

Merci encore à Durtal pour ces précisions,

Quelques précisions à mon tour:

1) Je ne soutiens pas que Spinoza défende une théorie de la volonté qui soit fondée sur la logique et je suis d'accord pour dire que c'est avant tout à la psychologie qu'il pense. Je ne soutiens pas non plus qu'il défende une conception non-standard de la négation.
2) Mon argument a simplement pour fonction de montrer qu'il y a de solides raisons logiques pour croire au bien fondé de l'idée cartésienne selon laquelle la volonté est infini formellement en raison de cette capacité que nous avons de nier ou d'affirmer n'importe quelle idée.
3) Spinoza n'apporte pas de réfutation acceptable de cette théorie.

J'ajoute un dernier point. Spinoza nie que nous ayons en nous le pouvoir de suspendre librement notre jugement. Or de la même façon que l'on montre que l'on peut nier tout énoncé doué de sens et engendrer par cette négation un énoncé négatif doué de sens, on peut aussi montrer que l'on peut isoler le contenu représentatif d'un énoncé en le mettant entre guiilemets pour ne considérer que sa signification et non sa référence, ce qui revient bien à suspendre son jugement.

Bref, la syntaxe est capable de fournir des contre-arguments à certains arguments spinozistes. On est libre ensuite de considérer que ces arguments sont superficiels. je pense qu'on doit au contraire les prendre au sérieux.

à bientôt,

Joseph

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Messagepar bardamu » 12 juil. 2008, 01:29

jvidal a écrit :(...)
2) Mon argument a simplement pour fonction de montrer qu'il y a de solides raisons logiques pour croire au bien fondé de l'idée cartésienne selon laquelle la volonté est infini formellement en raison de cette capacité que nous avons de nier ou d'affirmer n'importe quelle idée.
3) Spinoza n'apporte pas de réfutation acceptable de cette théorie.

Bonjour Joseph,
est-ce que tu vois quand même pourquoi il ne peut que conclure ce qu'il conclut à partir de son système ?

Peut-être n'avons-nous pas été assez clair alors je reprends brièvement :
- pour affirmer une idée, il faut avoir cette idée
- l'idée contient d'elle-même sa vérité/fausseté, sa qualité de correspondance à son objet, sa valeur sémantique
- avoir cette idée, cela relève de l'entendement
- l'affirmation première de cette idée ne peut aller plus loin (ou moins loin) que cette idée
- un jugement, une affirmation ou négation secondaire (p.e. mettre des guillemets) relèverait d'une 2e idée qui elle-même s'est déjà affirmée avec sa valeur sémantique
- si on veut une volonté "formellement infinie", on peut au mieux imaginer un homme "infini" passant en revue toutes les idées, c'est-à-dire concevoir que l'homme a à sa disposition un infini potentiel d'affirmation/négation correspondant à un infini de perception d'idées, c'est-à-dire que l'entendement/volonté infini actuel en Dieu est potentiel chez l'homme, mais toujours avec une correspondance entre la valeur sémantique de l'idée, sa vérité, et sa forme

Si Descartes ne pense pas ainsi, est-ce parce qu'il considère que les idées sont vides de valeur sémantique en dehors d'un jugement secondaire ? Ce serait cohérent avec la conception d'une faculté libre, complètement détachée de celle de former des idées. A priori, il rattache cette faculté à la substance spirituelle qui aura son fonctionnement propre, qui pourra d'un côté produire/voir des idées et de l'autre les juger.
Spinoza ne peut pas procéder ainsi puisque chez lui il n'y a qu'une substance et que de même qu'il n'y a pas de libre-arbitre dans l'Etendue, il n'y en a pas dans la Pensée. La pensée ne juge pas plus que les corps, et c'est donc tout le langage sur ces questions qui est revu. D'où mon observation sur le "isolément fait sens", proposition qui n'est pas du tout évidente. Si Spinoza réfute Descartes, c'est au moins en prenant en compte tout un bloc de concepts : substance, attributs, rapport esprit/corps, entendement/volonté.

jvidal a écrit :on peut aussi montrer que l'on peut isoler le contenu représentatif d'un énoncé en le mettant entre guiilemets pour ne considérer que sa signification et non sa référence, ce qui revient bien à suspendre son jugement.

Bref, la syntaxe est capable de fournir des contre-arguments à certains arguments spinozistes.

Quel est l'équivalent corporel d'une mise entre guillemets ?
Qu'affirme notre cerveau quand il met entre guillemets ?
Un article de Scientific American que vieordinaire nous avait signalé : Adam's Maxim and Spinoza's Conjecture
Extrait :
The researchers presented the subjects with a series of statements designed to be plainly true, false or undecidable. In response, the volunteers were to press a button indicating their belief, disbelief or uncertainty. (...) What do these results tell us? “Several psychological studies appear to support [17th-century Dutch philosopher Benedict] Spinoza’s conjecture that the mere comprehension of a statement entails the tacit acceptance of its being true, whereas disbelief requires a subsequent process of rejection,” report Harris and his collaborators on the study in their paper, published in the December 2007 Annals of Neurology. “Understanding a proposition may be analogous to perceiving an object in physical space: We seem to accept appearances as reality until they prove otherwise.” So subjects assessed true statements as believable faster than they judged them as unbelievable or undecidable. (...)

L'affirmation est le processus de base, quand un processus d'idéation se produit il affirme quelque chose. C'est un autre processus d'idéation qui affirmera son contraire mais qui affirmera malgré tout quelque chose. Et dans tout ceci, il n'y a pas plus de libre-arbitre qu'il n'y en a dans une activation ou non-activation neuronale.


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