merci encore de tes précisions. Je n'ai probablement rien de fondamentalement nouveau à apporter par rapport à ce que viennent d'écrire Bardamu, Faun et Durtal, donc voici simplement une petite "variation sur le thème". Quel thème? Justement: à mon avis (et comme déjà dit), il ne s'agit nullement d'un problème LOGIQUE, mais avant tout d'une divergence PHILOSOPHIQUE.
Tu essaies de retraduire une pensée du XVIIe (voire deux pensées, si l'on prend celle de Descartes avec) en une pensée datant d'après le "linguistic turn". Aussi intéressante et potentiellement profonde et féconde qu'une telle retraduction puisse être, pour l'instant j'avoue ne pas être convaincue de sa possibilité/pertinence.
C'est que le concept de vérité tel qu'il circule, abstraction faite de toutes les divergences historiques, dans une "philosophie de la conscience", a peu à voir avec un concept de vérité qui s'ancre entièrement dans une philosophie du langage. La fonction vérificationnelle que la tradition analytique donne au langage est totalement absurde pour un philosophe d'avant le tournant linguistique. Comme déjà dit, pour Spinoza le langage appartient à l'attribut de l'Etendue, n'ayant par là RIEN en commun avec l'attribut de la pensée. Supposer, tel que tu le proposes, que le sens d'une idée puisse dépendre d'une quelconque "well formed formula" est totalement abérrant dans une pensée pré-linguistic turn. Le concept de vérité qu'on y utilise est foncièrement différent, et partant aussi le sens que l'on donne à des termes comme "affirmation" ou "négation". Ce qui constitue la base d'une vérité ou d'une idée vraie, ne dépend pas du tout de la manière dont on peut exprimer cette idée dans le langage (ordinaire ou formel), mais d'un SENTIMENT, d'une EXPERIENCE, en l'occurrence du sentiment de certitude. Chez Spinoza, cela signifie que la vérité est index sui, n'ayant besoin d'AUCUN signe, et partant surtout pas du langage, royaume des signes par excellence.
Joseph a écrit :Ce qui est très surprenant, dans ce passage, est que Spinoza semble reconnaître que l'essence adéquate de l'affirmation (et donc, implicitement, de la négation), certes conçue abstraitement, est la même dans chaque idée. Or il n'en faut pas plus effectivement pour reçonnaître ce que Descartes désigne comme le caractère formellement infini de la volonté.
comment passer de l'idée d'une affirmation tout à fait abstraite, commune à toutes les idées, à l'idée d'une volonté, si ce n'est en identifiant volonté et affirmation ... ??????
Sinon je crois que tu écartes trop vite le fait que Spinoza écrit que TOUTE idée enveloppe l'affirmation. Cela ne nous permet pas encore de passer immédiatement à la négation, car si toute idée enveloppe l'affirmation, a priori il ne reste plus aucune idée pour envelopper la négation. Et effectivement, Spinoza nous dira qu'aucune essence n'enveloppe la négation. La négation a donc un statut tout à fait particulier dans le spinozisme (celui d'une privation, qu'on ne peut abstraire d'un niveau proprement ontologique, et pas seulement logique).
Pour la même raison, je ne vois pas comment faire rimer cette "affirmation universelle" et abstraite avec l'idée d'une volonté formellement infinie telle que tu la présentes. Si je l'ai bien compris, cette volonté impliquerait la possibilité de nier n'importe quelle idée. Cela est tout à fait inconcevable dans le spinozisme, où toute idée est affirmative par essence.
Joseph a écrit : Cette volonté n'est cependant pas libre, pour Spinoza, car les volitions sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle.
cette volonté est avant tout un être de raison. Seules les volitions singulières sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle. Et tout phénomène naturel est déterminé par une cause, sachant que seul Dieu est causa sui.
Joseph a écrit :Mais le simple fait que l'on puisse, abstraitement, nier toute idée qui fait sens, ou, ne considérer que sa signification (en la mettant entre guillemets) et s'abstenir de l'affirmer, montre bien que l'on a, via les opérations logiques, une idée formelle de la liberté de la volonté.
j'avoue ne pas du tout voir comment expliciter une telle démonstration. Nier une idée d'une telle façon, ce n'est pas la nier "abstraitement". Ce qui est abstrait, chez Spinoza, c'est l'idée d'une négation séparée/abstraite d'une idée singulière. Nier une idée qui fait sens (sachant, d'ailleurs, que dans le spinozisme TOUTE idée fait sens; utiliser un critère purement langagière pour ôter le sens d'une idée quelconque ne pourrait jamais marcher), c'est s'imaginer qu'elle soit fausse. C'est donc en former une "idée fictive", comme le stipule le TIE. Il est évident que l'imagination peut tout faire, aussi s'imaginer que ce qui est vrai est faux. Or pour Spinoza, affirmer quelque chose ce n'est pas DU TOUT imaginer la chose. L'affirmation exprime le fait qu'on ADHERE à l'idée, qu'on n'en doute pas. Cette définition de l'affirmation n'a plus rien à voir avec celle qu'en donne la philosophie analytique, pour qui, depuis Frege, affirmer une idée c'est asserter, ajouter une barre d'assertion à, un jugement bien formé. Par conséquent, ce n'est pas du tout parce qu'on s'imagine un instant l'idée x comme étant vrai/affirmé, qu'on va réellement y adhérer. Je peux certes m'imaginer que le soleil tourne autour de la Terre. Mais je ne pourrai jamais y croire. Je pourrai donc l'affirmer en un sens wittgensteinien-frégéen-analytique, je ne pourrai JAMAIS l'affirmer en un sens proprement spinoziste du terme.
Joseph a écrit : Le problème, à mes yeux, est que Spinoza nie à la fois une évidence naturelle (la spontanéité du libre arbitre)
j'irais plus loin que Bardamu: il est un fait que dans pas mal de cultures non occidentales et dans une culture occidentale non kantienne ou post-kantienne, le libre abitre est une absurdité. En l'absence de toute preuve ontologique (et non pas purement grammaticale/logique), je ne vois pas ce qui permettrait d'affirmer la vérité du libre arbitre.
Joseph a écrit : et le fait que des idées claires et distinctes exprimées dans la logique du langage puissent traduire une réalité
pour moi, il est plutôt fort étrange que quelqu'un puisse croire en une "ressemblance" voir "homologie" entre les règles du langage humain et la réalité physique non humaine. Le langage humain sert à communiquer entre nous. Pourquoi y aurait-il un lien avec le réel non humain???? Puis rappelons que déjà avant Platon, Héraclite nous avertissait du danger associé à l'habitude commune de prendre les mots pour les choses ... .
Joseph a écrit :en l'occurrence l'infinité formelle de la volonté ne traduit pas pour lui la réalité du libre arbitre. Le fait que je puisse nier n'importe quel énoncé doué de sens ne traduit que l'illusion de la liberté de la volonté
à mon sens cela n'est pas très spinoziste. Pour Spinoza ce n'est pas le fait que l'on puisse nier n'importe quelle idée qui est la cause de la croyance au libre arbitre. Car dans la pratique, tout le monde sait bien qu'on ne va pas du tout CROIRE n'importe quelle idée, mais que la croyance est tout sauf libre. L'origine du postulat du libre arbitre se situe donc ailleurs: dans le fait d'IGNORER les causes de nos décisions. Dans le fait d'être pendant un certain temps dans l'incertitude, dans l'hésitation quant à l'acte que nous voulons poser. C'est ce manque de savoir qui pour Spinoza est la cause du postulat du libre arbitre, pas du tout le fait qu'on peut s'imaginer en théorie n'importe quelle idée vraie ou fausse, puisque dès que nous parlons un peu sérieusement, on sait qu'une idée est fausse ou vraie, et jamais les deux à la fois.
Joseph a écrit :mais, en revanche, les théorèmes de l'arithmétique élémentaire ne sont pas douteux.
Spinoza fait une distinction très importante entre ce qui n'est pas douteux d'une part, et ce qui est certain ou vrai d'autre part. Les théorèmes de l'arithmétique sont bien entendu certain, et non seulement "pas douteux".
Joseph a écrit :Il y a là comme une pétition de principe que je ne m'explique que par l'adoption d'un déterminisme strict dans lequel Spinoza voit des conséquences morales avantageuses: miséricorde pour tous. Pour Descartes au contraire on ne peut être loué ou blâmé que pour nos actions volontaires.
comme d'autres l'ont déjà souligé avant moi: le déterminisme absolu n'est pas un parti pris morale, chez Spinoza, mais découle logiquement de sa définition de Dieu.
Joseph a écrit :Se déterminer sur cette question, c'est faire un choix philosophique.
en effet. C'est pourquoi la logique jamais ne pourra nous aider à trancher à ce sujet.
Joseph a écrit :Mais si l'on ne juge qu'en fonction des raisons, je ne crois pas que la clarté et la disctinction puissent être des normes qui fassent pencher la balance en faveur de Spinoza (sur ce point précis du moins), car je ne vois vraiment pas pourquoi, même dans le système de Spinoza, ce qui exprimerait l'essence adéquate d'une idée, à savoir ici l'affirmation et la négation, même d'un point de vue abstrait, ne devrait pas être ce quoi doit être pris en compte par la connaissance philosophique.
comme tu le dis: il s'agit d'une "croyance". On ne pourra jamais trouver une preuve absolue de la nécessité de considérer les rélations (telle que l'affirmation ou la négation) comme étant indépendant des termes ou non. Il s'agit d'un parti pris. Si l'on part de l'idée que jamais les relations peuvent être indépendantes des termes, alors on considérera l'affirmation en tant que telle comme quelque chose d'abstrait, c'est-à-dire dépourvue de toute réalité. Si en revanche on opte pour l'idée que les relations constituent les termes, chaque affirmation réelle est singulière, liée inévitablement à telle ou telle idée singulière, et n'ayant qu'une ressemblance superficielle, abstraite, avec une autre affirmation.
Cela ne veut pas dire que d'un point de vue moniste il ne faut pas prendre en compte les abstractions. Cela signifie simplement que de ce point de vue, considérer les relations en tant que telles sera toujours simplement les considérer abstraitement, sans jamais les considérer dans leur réalité à elles.
Cordialement,
louisa