Bruno a écrit :Merci beaucoup pour ta réponse, Louisa.
Je suis tout à fait d'accord avec toi sur la critique que tu émets à propos de l'image que j'ai utilisée. Disons donc, qu'il s'agirait d'une "machine" qui serait "cause de soi" : il n'y aurait rien en dehors d'elle qui lui apporte de l'énergie pour fonctionner, cette énergie, elle la trouverait en elle-même.
Je reviens sur quelques points de ton texte :
Louisa a écrit:
Cela signifie que Dieu n'est rien d'autre que la nature elle-même, autrement dit que toute chose singulière est "du Dieu".
Je comprends ce que tu veux dire et je pense la même chose : il n'y a qu'une Substance et tout découle d'elle, donc tous les modes participent de cette substance.
Cela dit, je suis intrigué par une phrase que j'ai lue dans l'ouvrage : "La philosophie pour les nuls" de C. Godin, à l'article consacré à Spinoza.
Voilà le passage en question :
"Il y eut en Allemagne, dans la seconde moitié du XVIII' siècle une célèbre controverse philosophique appelée querelle du panthéisme et qui impliqua l'interprétation donnée alors de Spinoza. Le panthéisme est la conception selon laquelle l'univers est de nature divine dans la moindre de ses parties : de même que l'étincelle est du feu, la plus humble des créatures (ver de terre, moustique, microbe) est une parcelle de divinité. Spinoza est on ne peut plus éloigné de telles considérations. Chez lui la Nature n'est pas d'abord l'ensemble des éléments et des êtres vivants, et l'infinité de Dieu n'implique pas que tout soit divin. Enfin, il n'y a pas de divine nature chez Spinoza au sens où le panthéisme l'entend."
- Je ne comprends pas bien la phrase que j'ai soulignée : pour moi, tout participe forcément du Dieu-Nature, puisqu'il est tout : le Dieu de Spinoza c'est l'ensemble de ce qui existe, c'est l'ensemble de l'Etre. Comment, ainsi, certaines choses pourraient ne pas être "divines", elles seraient alors hors de l'Etre, hors de la Substance unique... ce qui n'a pas de sens.
bonjour Bruno,
merci à toi pour tes réflexions et questions.
En effet, je ne crois pas que ce que Godin cite ci-dessus soit correcte, et cela précisément pour la raison que tu indiques toi-même: chez Spinoza il n'y a rien hors de Dieu. Une chose qui existe réellement et qui ne serait pas divine est donc inconcevable.
Ce qu'il y a, il me semble, c'est que de temps en temps on ne prend pas en compte la différence entre l'essence de la substance et l'essence d'un mode de la substance. On pense alors que l'essence de tel ou tel mode n'est rien d'autre que l'essence de la substance elle-même, ce qui est absurde (puisqu'une essence d'un mode est un degré limité ou une quantité limité de puissance, tandis que l'essence de Dieu possède la puissance infinie). Et c'est lorsqu'on identifie les deux types d'essence que l'on obtient une espèce de panthéïsme qui n'est plus celui de Spinoza, car alors on pourra dire que Dieu n'est rien d'autre que l'ensemble des modes, l'ensemble des choses singulières qui existe. Là on fait comme si les modes pourraient être modes sans être modes d'une substance, donc d'une essence qu'ils affectent, et qui n'est pas leur propre essence à eux. Si Dieu n'est pas l'ensemble de tout ce qui existe, c'est uniquement dans le sens où tout ce qui existe est ou bien une affection de l'essence de la Nature, ou bien l'essence de la Nature elle-même. Dieu n'est pas juste l'ensemble des modes, il est aussi le "support" de ces modes. Sans son essence, les modes ou choses singulières ne pourraient être. Cela implique que les modes sont divins, mais seulement divins en tant que mode, pas divin au sens d'avoir la même essence que Dieu.
Bref, ce n'est pas parce que tout est divin que tout a l'essence de Dieu. Les modes ont une autre essence, mais ne sont pas pour autant moins divins, puisqu'ils sont tout à fait "en Dieu" donc "du Dieu" eux aussi. C'est lorqu'on oublie cela que le spinozisme a l'air de réduire le divin infini à un ensemble de modes ou choses finies. On reproche alors à Spinoza d'abolir l'infini, propriété divine par excellence, tandis que Spinoza ne l'abolit pas, il le situe uniquement dans l'essence même de Dieu (et de ce qui en découle directement, à savoir les modes infinis), et non pas dans l'essence des modes finis. Inversement, c'est parce qu'on craint devoir identifier l'essence de Dieu aux essences de modes qu'on propose d'enlever toute divinité aux modes, tandis que le rapport "substance - mode d'une substance" permet précisément de penser modes et substance comme étant divins tout en maintenant une distinction radicale entre l'essence divine et l'essence de n'importe quelle chose singulière. Dire qu'un mode est divin n'est donc pas dire que son essence est la même que l'essence divine. C'est dire qu'il est en Dieu et exprime Dieu, autrement dit, qu'il est "du Dieu", et non pas l'essence de Dieu, si tu vois ce que je veux dire ... ?
Bruno a écrit :Louisa a écrit :Cette force, ils la recoivent de l'essence de la machine en tant que telle (Dieu comme cause immanente et non pas transitive de toute essence singulière).
J'ai toujours un peu de mal à comprendre ce que signifie "transitif". Si Dieu était cause transitive d'une essence singulière, cela voudrait-il dire que Dieu a créé cette essence et qu'il a donné à cette essence la possibilité d'être autonome vis-à-vis de lui ? d'être "un empire dans un empire" ? Est-ce bien cela que signifie transitif ?
pour autant que je l'aie comprise, la causalité transitive serait une causalité où la cause est extérieure à l'effet. C'est en ce sens que les parents sont la cause transitive de leurs enfants. Ils créent quelque chose en dehors d'eux-mêmes. Cela ne veut pas forcément dire que l'effet est autonome, cela signifie juste que l'effet est externe à la cause.
C'est le cas pour tout ce que la mécanique classique étudie habituellement: lorsqu'un corps A est en mouvement avec une vitesse x, et qu'un corps B étant en mouvement avec une vitesse y heurte A, alors A va se mouvoir différemmment, mais B reste toujours extérieure à A.
Ce n'est pas le cas pour une causalité immanente, où l'effet "demeure" (=
immanere en latin) à l'intérieur même de la cause. C'est pourquoi Spinoza peut dire que la cause de l'existence dans un temps et un lieu précis de tel ou tel mode fini, c'est un autre mode fini (causalité transitive), tandis que Dieu est la cause immanente de l'essence même de ce mode. Si la cause d'un effet est un mode, alors en règle générale l'effet est extérieur à la cause. Si en revanche l'effet est une essence, alors la cause ne peut qu'être Dieu, et puisque tout ce que Dieu produit ne peut qu'être des modifications de la Nature, ces effets nécessairement se produisent en lui, et non pas en dehors de lui. Raison pour laquelle tout corps, par exemple, "enveloppe" le concept de l'attribut de l'Etendue: cet attribut (= l'essence de Dieu) se trouve à l'intérieur même de ce corps. On pourrait de nouveau se dire qu'alors l'attribut (et donc l'essence de Dieu) ce n'est rien d'autre que l'ensemble des choses singulières, ne fût-ce que c'est cette essence divine ou cet attribut qui est la cause des choses. Il y a donc une distinction entre la cause et l'effet, mais cette distinction n'est pas un rapport d'extériorité spatiale, c'est plutôt un rapport de divergence "qualitative" (l'essence divine étant d'une autre "qualité" donc ayant d'autres propriétés (infinie, éternelle, unique, cause de tout etc) que l'essence modale.
Bruno a écrit :Louisa a écrit :Enfin, parmi les Joies actives il faut encore distinguer deux catégories: celles du deuxième genre de connaissance (connaissance adéquate de propriétés communes) et celles du troisième genre de connaissance (connaissance adéquates d'essences des choses).
Là, j'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre ce que signifie la connaissance du troisième genre. Quelle différence fais-tu entre les propriétés communes et l'essence des choses ?
comme tu l'auras peut-être lu dans le fil "le sentiment même de soi", pour l'instant il y sur ce forum tout un débat pour essayer de comprendre en quoi il y aurait oui ou non une différence. En gros, il y a ceux qui trouvent que chez Spinoza il n'y a pas "réellement" des essences singulières (essence propre à un seul Individu), ceux qui trouvent qu'il n'y pas réellement des essences dites "de genre", et puis ceux qui défendent une position intermédiaire (toute essence est singulière, mais ce qui lui appartient ce sont majoritairement des propriétés communes à tous les Individus d'une même espèce ou d'un même genre).
Ceux qui trouvent qu'il y a réellement des essences de genre se basent - si j'ai bien compris - principalement sur le fait que Spinoza parle sans cesse de l'essence de l'homme. Comme il s'agit clairement de tout homme, il doit parler de l'homme en tant qu'espèce, pas de l'homme en tant tel ou tel individu particulier. Les propriétés communes à tout homme doivent donc appartenir à l'essence de l'Homme en tant qu'espèce, et ainsi aussi à l'essence de chaque homme particulier. La définition d'Aristote de l'homme est un bel exemple de cela: elle nous donne "l'eidos" de l'homme, donc si l'on dit que l'homme est un animal rationnel, alors il faut que l'essence de Socrate soit la même que l'essence de Platon et de n'importe qui d'autre. L'essence elle-même n'est donc pas "individuée" (pas d'essence singulière propre uniquement à telle ou telle personne singulière).
Ceux qui trouvent l'inverse disent que toute essence doit être singulière. Pour l'instant, c'est ce qui me semble être le plus probable. On se base alors sur le fait que dans la définition 2 de l'
Ethique livre 2 (E2D2), Spinoza ne s'en tient pas à la définition habituelle de l'essence (ce qui constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être), mais y ajoute une deuxième condition (ce qui constitue une essence est ce qui sans la chose ne peut être). Supposons qu'une esssence est constituée de deux composantes: être un animal, et être rationnel. Alors il est évident que lorsque Socrate meurt, l'essence de Socrate, qui n'est rien d'autre que l'essence de tout homme, continuera à exister, et cela aussi longtemps qu'il y a des hommes. Par conséquent, ni "être animal", ni "être rationnel" ne répond au deuxième critère de Spinoza, qui était que si la chose meurt, ce qui la constitue doit lui aussi disparaître.
C'est sur base de cela que pas mal de commentateurs de Spinoza disent que chez Spinoza toute essence est singulière, c'est-à-dire n'est constituée que par ce qui appartient à l'essence de telle ou telle chose singulière et à aucune autre. Les propriétés communes à différentes choses peuvent par là même jamais constituer une essence (c'est ce que dit l'E2 proposition 37).
Qui plus est, on retrouve cette distinction entre "essence" et "propriétés communes" dans les définitions mêmes des différentes genres de connaissance, E2P40 scolie II: la connaissance du deuxième genre se fait à partir de "
notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses", tandis que celle du troisième genre (science intuitive) "
procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de dieu vers la connaissance adéquate de l'essence des choses". On peut en conclure que le deuxième genre porte sur les propriétés communes des choses (et donc, par l'E2D2 et l'E2P37) non pas sur les essences singulières des choses, tandis que le propre du troisième genre de connaissance est précisément de porter sur les essences singulières.
Bruno a écrit :Louisa a écrit :Et c'est cela qui me semble être assez différent de ce que tu dis: la liberté spinoziste ne consiste pas à se concevoir soi-même comme n'étant "que" un rouage dans une machine, d'abord parce que contempler son impuissance pour Spinoza est source de Tristesse et non pas source de Joie, et ensuite parce qu'un rouage dans une machine est précisément ce qui est entièrement "mis en mouvement" donc déterminé par d'autres rouages.
Certes, mais, de toute façon, même si nous supprimons les déterminismes "extérieurs à nous", c'est-à-dire les contraintes que peuvent nous faire subir d'autres modes, nous restons malgré tout déterminé par la Nature (le mécanisme de la "machine"), donc jamais libre ?
aussi longtemps que l'on veut définir la liberté par l'absence de toute détermination, donc par l'indétermination, on doit à mon sens dire que dans le spinozisme et dans n'importe quel autre système déterministe, il n'y a aucune liberté possible.
Il se fait qu'aujourd'hui, l'opinion commune a appris à définir la liberté ainsi (mais, comme c'est toujours le cas avec une opinion, elle ne se base que sur une expérience vague, un ouï-dire, bref sur le premier genre de connaissance). Cette idée en tant que telle n'est ni vraie ni fausse. Elle est "imaginaire", c'est-à-dire nous l'avons reçue d'autres, de notre culture, et pour cette raison même la trouvons évidente (on pourrait dire que de ce point de vue, la culture occidentale actuelle est kantienne, et non pas spinoziste). Par conséquent, tout autre conception de la liberté va être ressentie comme étant "fausse"', puisque contraire à ce dont on ne doute pas.
Or la philosophie jamais ne s'est tenue à l'opinion commune, elle a toujours inventé d'autres idées. Au XVIIe, on a donc des philosophes qui inventent une liberté qui se produit au sein même d'un système déterminé. Ils proposent donc d'appeler "libre" tout autre chose qu'une indétermination "ontologique".
Spinoza par exemple va définir la liberté par le fait d'être la seule cause de quelque chose. Alors on voit qu'il y a très peu d'actes dont on est la cause tout seul. La liberté consiste alors avant tout dans le fait d'être soi-même seul la cause d'une
augmentation durable de sa propre puissance. C'est lorsqu'on subit un changement de puissance qui fait qu'après ce changement on a une plus grande puissance qu'avant, et lorsque la seule cause de ce changement, c'était nous-même (autrement dit, la puissance qu'on avait juste avant ce changement), qu'on est librement, et uniquement à ce moment-là (donc pas du tout à n'importe quel moment, la liberté n'est pas une condition humaine, elle ne caractérise que certains Actions, donc certaines Joies).
Bien sûr, rien ne nous oblige à concevoir la liberté ainsi. Mais la seule chose qui aujourd'hui nous oblige à ne pas la concevoir ainsi, c'est l'habitude de la concevoir autrement. Or, comme le disait déjà Wittgenstein, la philosophie est là pour combattre les "crampes mentales", les habitudes conceptuelles qu'on a un jour contractées, les façons de pensées qui déterminent le cours de notre vie mais qu'on n'a jamais questionnées, qu'on prend pour évident uniquement parce qu'on ne les a jamais questionnées. Tandis que rien ne prouve qu'elles sont plus vraies que des conceptions alternatives, ou qu'elles nous mènent mieux au bonheur.
Bruno a écrit :Louisa a écrit :La liberté spinoziste consiste dans le fait de changer le monde, au sens où l'on peut déterminer donc changer soi-même sa propre puissance, au sens où l'on peut réussir à augmenter durablement sa propre puissance, et ainsi les effets que l'on produit sur le monde, sur les choses singulières hors de nous.
Hum... Mais, si j'ai bien compris, nous n'avons pas le pouvoir de décider de changer le monde. Car si ce pouvoir de décision existait il impliquerait l'existence du libre-arbitre : nous aurions le "choix" de décider de changer le monde. Donc, si nous entrepenons effectivement de changer le monde c'est que, de toute façon, nous y étions déterminés ; de même que c'est par déterminisme que d'autres sont tristes, etc. D'où tout un tas de paradoxes : par exemple, à l'instant présent, si je prends l'ensemble de ce qui existe dans le monde, toutes les causes sont déjà réunies pour que, demain à la même heure, je fasse ceci ou cela et je n'y peux rien changer, car si je pouvais changer mon futur cela voudrait dire qu'il existe un libre arbitre, que tout n'est pas déterminé... notamment, je ne vois plus la différence entre le déterminisme et le fatalisme. Je ne sais pas si je suis clair...
je crois que la différence entre le déterminisme qui travaille avec un concept de liberté et le déterminisme où aucune liberté n'est possible (= le fatalisme) réside précisement dans le fait d'accepter ou non l'identificatin entre pouvoir changer le monde et être déterminé à changer le monde.
Du point de vue du spinozisme (tel que je le comprends pour l'instant), avoir le pouvoir de changer le monde, ce n'est jamais une "potentialité". C'est lorque je change le monde que j'ai le pouvoir de le changer. Sinon je ne l'ai pas. Pouvoir changer le monde, c'est changer effectivement le monde. Le problème avec l'idée du libre arbitre ce n'est pas que sans lui aucun changement du monde ne serait possible, le problème est plutôt l'inverse, on ne voit pas très bien comment le monde pourrait changer s'il y avait une telle indétermination. Car indétermination veut dire absence de cause, absence de raison pro telle ou telle option. Or s'il n'y a aucune raison pour choisir l'option X ou l'option Y, qu'est-ce qui fera que X ou Y se produisent réellement ... ? Pour Spinoza, s'il n'y a aucune raison pour que X ou Y se produisent, ils ne se produiront tout simplement pas. Invoquer le libre arbitre pour "choisir" entre les deux, c'est déjà invoquer une cause, c'est déjà postuler une raison qui va faire que ce sera X ou Y qui se produit. Cette raison, c'est alors mon "libre arbitre", plus concrètement, le fait que moi je trouve avoir suffisamment de raisons pour faire X et non pas Y.
Par conséquent, on voit que le libre arbitre ainsi compris n'est pas propre à un monde où il y aurait de l'indétermination, le libre arbitre est plutôt lui-même la cause d'un effet. Le libre arbitre est donc une façon très précise de produire un effet: quand je dis que je fais X sur base de mon libre arbitre, je veux dire que c'est moi qui a compris qu'il vaut mieux faire X et non pas Y, c'est donc en ce sens-là moi qui ai décidé. Puisque c'est moi qui ai décidé, c'était moi-même seul qui était la cause de X. Ce qui n'est pas le cas lorsque je ne décide pas seul.
Autrement dit, même si l'on veut travailler avec l'idée d'un libre arbitre, il y a moyen de le penser au sein même d'un système déterministe. Il faut juste accepter que lorsque j'exerce mon libre arbitre, je ne suis pas en train de me retirer des chaînes causales dans ce monde, je suis plutôt en train de produire un effet précis c'est-à-dire "déterminé", seulement ici il s'agit d'un effet que je produis moi seul, sans le concours d'autres causes. Je suis donc la seule "détermination" de cet effet.
Et du fait même que mon essence est un degré de puissance, j'ai un certain pouvoir "à moi". Ce pouvoir peut causer des choses dans le monde. Si ce n'est que ce pouvoir qui cause un effet, et non pas mon pouvoir ensemble avec d'autres, alors, dit Spinoza, j'ai produit cet effet librement. Que pour un tas d'autres choses ce n'est pas moi seul qui détermine un effet mais d'autres êtres avec moi n'y change rien. Je peux être 9 fois sur 10 déterminé par d'autres choses à agir, sur une journée, si la dixième fois je fais quelque chose qui ne s'explique que par ma puissance à moi comme cause prochaine, alors, dit Spinoza, à ce moment-là je suis libre.
Puis il y ajoute que cela ne se produit pas n'importe comment. Cela ne se produit que lorsque j'ai une idée adéquate, et surtout lorsque j'ai une idée adéquate d'une essence d'une chose (moi-même ou autre chose).
Bruno a écrit :Louisa a écrit :Par quel moyen obtenir une telle augmentation? Pas en s'imaginant qu'on est tout-puissant ou identique à l'essence même de Dieu
Mais, pourtant, en tant que mode, nous sommes bien une affection de la Substance, c'est-à-dire de Dieu. Donc, nous partagons l'essence de Dieu... non ? Une question me vient à l'esprit : notre essence est-elle bien une partie de l'essence de Dieu ?
non je ne crois pas. Qu'est-ce qui te fait penser cela?
N'oublions pas que pour Spinoza nous ne pâtissons qu'en tant que nous sommes une partie de la Nature (E3P3 scolie et autres), c'est-à-dire en tant que nous avons des idées inadéquates. Etre une affection de la Substance, justement, ce n'est pas "partager" l'essence de Dieu, ou y "participer" (comme le proposent les néoplatoniciens), c'est affecter l'essence de Dieu, et par là même avoir une autre essence que l'essence de Dieu. Nous ne sommes une partie de la Nature qu'en tant que nous avons des idées dont nous ne sommes pas seuls la cause, dont d'autres modes sont aussi la cause. Mais en tant que nous avons des idées adéquates, nous sommes nous-mêmes la seule cause de nos idées. Là nous ne sommes pas une "partie" de la Nature, nous sommes plutôt une "expression" de l'essence de la Nature. Or être une expression de l'essence de la Nature, ce n'est pas être l'essence de la Nature. L'exprimé n'est jamais le même que ce qui exprime.
Bruno a écrit :Dans ce cas, lorsque nous prenons conscience d'être une partie de la Nature-Dieu, nous ne nous sentons certes pas l'égal de Dieu, mais nous ressentons en nous la part de "divinité" dont nous sommes fait et, à travers cette part, nous éprouvons la liberté du Dieu-Nature, non ?
j'aurais tendance à dire non. Dieu n'a pas de parties, il est indivisible. Prendre conscience du fait que nous sommes une partie de la Nature, c'est prendre conscience de nos Affects-Passions. C'est prendre conscience du fait qu'en tant que mode, nous sommes inévitablement en partie pas libre, pas nous-mêmes la seule cause de tout ce que nous pensons et faisons. Or la partie éternelle de notre essence, celle qui est de toute éternité en Dieu, c'est l'ensemble de nos idées adéquates, autrement dit de tout ce que nous avons causé seuls. C'est pourquoi le troisième genre de connaissance commence par la prise de conscience de notre propre éternité (E5P31).
Donc je dirais: il n'y a pas une "part" de divinité en nous, nous sommes entièrement divins, seulement:
1. notre essence est une autre essence que l'essence divine (différence entre l'essence d'une substance et l'essence d'un mode)
2. nos idées inadéquates ne sont pas moins divines que notre idées adéquates, mais elles sont en partie causées par des choses hors de nous, et ainsi ne nous rendent pas "maître" de nous-mêmes, ne nous rendent pas libres.
Bruno a écrit :Par liberté, j'entends la définition qui en est donnée dans E1D7 :
" Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée. "
Suivant cette définition, seul Dieu est libre car seul Dieu (ou la Nature) existe par la seule nécessité de sa nature. Pour nous autres modes, l'essence n'enveloppe pas l'existence, nous existons par autre chose. Cependant, ce qui fait notre essence n'est pas différent de l'essence de Dieu. Donc lorsque nous nous mettons à exister uniquement d'après notre essence propre (sans être "contraints" par d'autres modes), nous vivons la liberté de Dieu. (Liberté, au sens de libre nécessité et non de libre volonté bien sûr).
Qu'en penses-tu ?
je ne suis pas certaine d'avoir tout à fait compris ce que tu veux dire par là. En attendant, je dirais qu'exister par la seule nécessité de sa nature ne vaut pas seulement pour Dieu, cela vaut aussi pour nos idées adéquates (ce qui était peut-être déjà ce que tu voulais dire ... ?). Nos idées adéquates n'existent que par la nécessité de notre nature à nous, et en même temps constituent notre essence. Il se fait que Dieu n'a pas d'idées inadéquates, donc tout ce qu'il fait existe en lui et par la nécessité de sa nature. Ce n'est pas le cas pour l'homme, raison pour laquelle ce n'est pas juste le "nombre" d'idées adéquates qui fait notre liberté à nous, mais la proportion d'idées adéquates par rapport au nombre d'idées inadéquates. Plus le total est grand, plus notre essence (constituée des deux) est dite "libre" car plus les idées que notre Esprit formera ensuite dépenderont de notre puissance ou essence seule, et donc plus nos nouvelles idées augmenteront notre puissance, au lieu de la laisser stable ou de la voir diminuer, si tu vois ce que je veux dire?
A bientôt,
L.