La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Bruno31415
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Messagepar Bruno31415 » 11 déc. 2008, 23:11

Bonjour,

Merci beaucoup pour ta réponse, Louisa.

Je suis tout à fait d'accord avec toi sur la critique que tu émets à propos de l'image que j'ai utilisée. Disons donc, qu'il s'agirait d'une "machine" qui serait "cause de soi" : il n'y aurait rien en dehors d'elle qui lui apporte de l'énergie pour fonctionner, cette énergie, elle la trouverait en elle-même.

Je reviens sur quelques points de ton texte :


Louisa a écrit :

Cela signifie que Dieu n'est rien d'autre que la nature elle-même, autrement dit que toute chose singulière est "du Dieu".



Je comprends ce que tu veux dire et je pense la même chose : il n'y a qu'une Substance et tout découle d'elle, donc tous les modes participent de cette substance.

Cela dit, je suis intrigué par une phrase que j'ai lue dans l'ouvrage : "La philosophie pour les nuls" de C. Godin, à l'article consacré à Spinoza.

Voilà le passage en question :

"Il y eut en Allemagne, dans la seconde moitié du XVIII' siècle une célèbre controverse philosophique appelée querelle du panthéisme et qui impliqua l'interprétation donnée alors de Spinoza. Le panthéisme est la conception selon laquelle l'univers est de nature divine dans la moindre de ses parties : de même que l'étincelle est du feu, la plus humble des créatures (ver de terre, moustique, microbe) est une parcelle de divinité. Spinoza est on ne peut plus éloigné de telles considérations. Chez lui la Nature n'est pas d'abord l'ensemble des éléments et des êtres vivants, et l'infinité de Dieu n'implique pas que tout soit divin. Enfin, il n'y a pas de divine nature chez Spinoza au sens où le panthéisme l'entend."

--> Je ne comprends pas bien la phrase que j'ai soulignée : pour moi, tout participe forcément du Dieu-Nature, puisqu'il est tout : le Dieu de Spinoza c'est l'ensemble de ce qui existe, c'est l'ensemble de l'Etre. Comment, ainsi, certaines choses pourraient ne pas être "divines", elles seraient alors hors de l'Etre, hors de la Substance unique... ce qui n'a pas de sens.



Louisa a écrit :
Cette force, ils la recoivent de l'essence de la machine en tant que telle (Dieu comme cause immanente et non pas transitive de toute essence singulière).



J'ai toujours un peu de mal à comprendre ce que signifie "transitif". Si Dieu était cause transitive d'une essence singulière, cela voudrait-il dire que Dieu a créé cette essence et qu'il a donné à cette essence la possibilité d'être autonome vis-à-vis de lui ? d'être "un empire dans un empire" ? Est-ce bien cela que signifie transitif ?

Louisa a écrit :Enfin, parmi les Joies actives il faut encore distinguer deux catégories: celles du deuxième genre de connaissance (connaissance adéquate de propriétés communes) et celles du troisième genre de connaissance (connaissance adéquates d'essences des choses).


Là, j'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre ce que signifie la connaissance du troisième genre. Quelle différence fais-tu entre les propriétés communes et l'essence des choses ?


Louisa a écrit :Et c'est cela qui me semble être assez différent de ce que tu dis: la liberté spinoziste ne consiste pas à se concevoir soi-même comme n'étant "que" un rouage dans une machine, d'abord parce que contempler son impuissance pour Spinoza est source de Tristesse et non pas source de Joie, et ensuite parce qu'un rouage dans une machine est précisément ce qui est entièrement "mis en mouvement" donc déterminé par d'autres rouages.


Certes, mais, de toute façon, même si nous supprimons les déterminismes "extérieurs à nous", c'est-à-dire les contraintes que peuvent nous faire subir d'autres modes, nous restons malgré tout déterminé par la Nature (le mécanisme de la "machine"), donc jamais libre ?

Louisa a écrit :La liberté spinoziste consiste dans le fait de changer le monde, au sens où l'on peut déterminer donc changer soi-même sa propre puissance, au sens où l'on peut réussir à augmenter durablement sa propre puissance, et ainsi les effets que l'on produit sur le monde, sur les choses singulières hors de nous.


Hum... Mais, si j'ai bien compris, nous n'avons pas le pouvoir de décider de changer le monde. Car si ce pouvoir de décision existait il impliquerait l'existence du libre-arbitre : nous aurions le "choix" de décider de changer le monde. Donc, si nous entrepenons effectivement de changer le monde c'est que, de toute façon, nous y étions déterminés ; de même que c'est par déterminisme que d'autres sont tristes, etc. D'où tout un tas de paradoxes : par exemple, à l'instant présent, si je prends l'ensemble de ce qui existe dans le monde, toutes les causes sont déjà réunies pour que, demain à la même heure, je fasse ceci ou cela et je n'y peux rien changer, car si je pouvais changer mon futur cela voudrait dire qu'il existe un libre arbitre, que tout n'est pas déterminé... notamment, je ne vois plus la différence entre le déterminisme et le fatalisme. Je ne sais pas si je suis clair...

Louisa a écrit :Par quel moyen obtenir une telle augmentation? Pas en s'imaginant qu'on est tout-puissant ou identique à l'essence même de Dieu


Mais, pourtant, en tant que mode, nous sommes bien une affection de la Substance, c'est-à-dire de Dieu. Donc, nous partagons l'essence de Dieu... :? non ? Une question me vient à l'esprit : notre essence est-elle bien une partie de l'essence de Dieu ?

Dans ce cas, lorsque nous prenons conscience d'être une partie de la Nature-Dieu, nous ne nous sentons certes pas l'égal de Dieu, mais nous ressentons en nous la part de "divinité" dont nous sommes fait et, à travers cette part, nous éprouvons la liberté du Dieu-Nature, non ? Par liberté, j'entends la définition qui en est donnée dans E1D7 :

" Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée. "

Suivant cette définition, seul Dieu est libre car seul Dieu (ou la Nature) existe par la seule nécessité de sa nature. Pour nous autres modes, l'essence n'enveloppe pas l'existence, nous existons par autre chose. Cependant, ce qui fait notre essence n'est pas différent de l'essence de Dieu. Donc lorsque nous nous mettons à exister uniquement d'après notre essence propre (sans être "contraints" par d'autres modes), nous vivons la liberté de Dieu. (Liberté, au sens de libre nécessité et non de libre volonté bien sûr).

Qu'en penses-tu ?

A bientôt et merci encore pour tes réponses bien instructives,
Bruno.

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Messagepar hokousai » 12 déc. 2008, 00:31

"""""""""au sens de libre nécessité""""""""" ça c'est un oxymore que Louisa (par exemple) va s'employer à dissoudre dans la joie .

De toutes façons, que nous soyons libre ou pas , nous n'avons jamais eu le loisir de choisir notre nature ( ou notre essence )
Cela à supposer que nous ayons une nature ou une essence ( ce qui n'est pas si évident ) .
Si Dieu n'avait aucune nature (aucune essence) alors il ne serait pas contraint d'agir selon sa nature . Alors il serait libre .

(ce qui n'est pas du spinozisme je vous l'accorde )

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Messagepar Bruno31415 » 12 déc. 2008, 02:36

hokousai a écrit :"""""""""au sens de libre nécessité""""""""" ça c'est un oxymore que Louisa (par exemple) va s'employer à dissoudre dans la joie .


Hum... "libre nécessité", c'est vrai que ça ne veut rien dire du tout :oops: Je précise (ou tente de le faire compte tenu de mes faibles connaissances) : "au sens de la liberté qui découle nécessairement de sa nature"

...

Au fond, je me fais peut-être une idée fausse de ce que Spinoza entendait par déterminisme, d'où mes énormes difficultés à comprendre ce point. Moi, quand on me parle de déterminisme, je comprends ce mot au sens de Laplace et je ne peux imaginer qu'il en existe un autre sens. Seulement voilà, Laplace c'est un homme du XIX' siècle et son déterminisme est essentiellement scientifique : il pose que, si l'on connaissait, à un instant T, les positions et les vitesses de tous les éléments qui composent le monde, alors on pourrait dire avec certitude ce qui se passera à l'instant T+1. Spinoza, lui est un homme du XVII'siècle et n'a pu avoir connaissance, par exemple, des Principia de Newton, parus en 1687 ; ainsi, le mot déterminisme évoque-t-il, pour lui, peut-être quelque chose d'autre que ce à quoi je pense ?

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Messagepar hokousai » 12 déc. 2008, 16:53

Cher Bruno

Je voudrais insister (mais Serge , Louisa Durtal l’on fait ) sur le basculement de la question de l’ homme libre dans un autre registre que celui de la causalité mécanique .

.....................................................

Spinoza écrit Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. Dieu, par exemple, existe librement (quoique nécessairement)(lettre58 à Schuller )

on comprend que dieu seul est libre non parce qu'il est de sa nature de l'être mais parce qu’il existe et agit selon sa nature
Pour Dieu
1) nécessité d'agir selon sa nature( quand on a une nature elle oblige )
2)ne pas être déterminé par autre chose ( puisqu'il n'existe pas autre chose que Dieu ) Ce qui est une libre nécessité ( dixit Spinoza lui même à propos de Dieu )

Pour Dieu on comprend |b]libre nécessité[/b] mais pas pour les choses créés lesquelles sont contraintes .
...........................................................

Pour une chose créée il est nécessaire d'agir selon les déterminations par d'autres choses .: tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi (modus) précise et déterminée.
Spinoza parle des causes Extérieures qui déterminent mais pas de la nature de la pierre ( il parle d'une pierre )

......................................................

Quant à l' homme libre

On passe dans un tout autre registre que celui des pierres et mêmes que de celui des animaux .
On est donc plus du tout dans des questions de mécanique (cartésienne ou plus tard Laplacienne ).
On sort de toutes ces considérations sur les causes extérieures pertinentes pour dégager un espace où la liberté est maintenant selon qu’il en dit .
Il a fallu dégager un espace contre la croyance au libre arbitre et tout ce qui s’en suit de moralisme culpabilisant contempteur de la vie ( et en ce sens Spinoza est irréligieux, en ce sens seulement )

(Lire le scolie de la prop 68 partie 4)
Les hommes s’étant mis à croire que les bêtes étaient semblables à lui il commença à imiter leurs affects et à laisser échapper sa liberté ,laquelle fut recouvrée par les patriarches conduit par l’esprit du christ, c’est à dire par l’idée de Dieu de laquelle seule dépend que l’homme soit libre et désire pour les autres hommes le bien qu’il désire pour lui même .

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Messagepar Durtal » 12 déc. 2008, 21:22

J'ajoute au message précédent avec lequel je m'accorde sur la plupart des points sauf sur la question du mécanisme (car d'une part le déterminisme Spinoziste à un sens mécanistique (même si c'est un mécanisme "amendé" comme chez Leibniz, du pure géométrisme cartésien, notamment en ce qu'il intègre le mouvement à la substance étendue), et d'autre part l'homme à cet égard n'est pas un" empire dans un empire"), je veux ajouter donc -disais-je- une tentative d'illustration du concept de "liberté" qui est ici en jeu; lequel concept ne me paraît pas à moi si extraordinaire et si incompréhensible qu'il faille s'en remettre au relativisme "linguistico-culturalo-historique" et au postulat de "l'étrangeté foncière" des penseurs du XVII eme siècle qui, cela est prouvé scien-ti-fi-que-ment, étaient en fait des créatures extra-terrestres infiltrés parmi les humains dont les catégories cognitives sont TELLEMENT différentes des nôtres qu'on se demande bien pourquoi nous continuons à les lire plutôt que d'aller chasser les crabes. (j'adore le crabe)

Je demande plutôt si il n'est pas loisible à tout un chacun, et par conséquent à Spinoza aussi, de s'exprimer de cette façon: Je suppose quelqu'un qui m'enserrant de ses bras m'empêche de mouvoir les miens. A force de contorsions ou que sais-je d'autre, en lui écrasant les orteils d'un bon coup de talon par exemple, je parviens à me défaire de son emprise. N'est ce pas à bon droit que je puis dire m'être libéré de cette emprise? Et n'est ce pas également à bon droit que je puis dire eu égard à cette situation précise, que je suis plus libre (de mouvoir mes bras à tout le moins) après qu'il ait lâché prise qu'auparavant?

Je demande en outre: faut-il pour cela (pour que la façon dont je m'exprime pour décrire cette situation en parlant de "libération" ait du sens et soit une description correcte de la situation) que la concaténation causale infinie des états de choses dans la Nature soit pour l'occasion suspendue?

Manifestement non, puisque ce qu'en l'occurrence j'appelle ici "me libérer" et "être plus libre qu'auparavant" (relativement à mon pouvoir de bouger les bras en tout cas) se déroule également conformément à certaines déterminations ( et par force conformément à certaines lois) et constitue le résultat d’une certaine concaténation causale: par exemple le coup de talon que j'ai donné et la douleur induite causent un relâchement momentanée de la tension musculaire dans les bras de l'individu qui me maintenait prisonnier ( et si je suis capable de dire cela et vous de comprendre ce que je dis, c'est que nous avons tous les deux une perception au moins confuse et grossière d'une loi). D'un autre coté, ma propre activité musculaire et mon désir d'échapper à cette étreinte était aussi déterminées par certaines causes (par exemple il me faisait mal, ou j'avais peur etc...) et constituaient l'expression de certaines constantes.

Cette séquence qui rentre dans la description de ce que j'appelle (en la circonstance) "me libérer" est donc de nature causale. Il n'empêche que cette série de causes à eu pour effet que je suis désormais plus libre qu'auparavant et que cela est une façon correcte et sensée (même "pour un homme du XXeme siècle") de s'exprimer. Du moins c’est ce qu'il me semble.

De même (car ce que je cherche à expliquer c'est à dire en quel sens doit être pris un certain concept, ou de quelle manière il est utilisé en la circonstance a une valeur absolument générale) un détenu sortant de sa prison n'est-il pas plus libre d'aller et venir et de faire ce qu'il désire faire, que lorsqu'il était incarcéré? Et le cours de la nature doit-t-il être suspendu pour que nous soyons fondé à dire qu'il l'est (je veux dire: "plus libre") ?

De même encore, une minorité politique opprimée au sein d’une société qui lutte pour l’acquisition de droits ou de libertés civiles et qui y parvient (c'est-à-dire qui parvient à faire reconnaître et exécuter les droits auxquelles elle aspirait) de même, cette minorité est « plus libre » qu’auparavant, mais ni les lois de la nature, ni les lois de l’ état dans lequel elle ont agit ( puisque l’hypothèse est que cette minorité a réussi à faire reconnaître ses droits par l’état en question) ne sont suspendues pour autant, ni n’ont besoin de l’être.

Vous remarquerez j'espère que les emplois du concept de liberté que j'ai donné jusque là ont très peu de chose à voir avec la question du « libre arbitre » ou de la « liberté de la volonté » (lorsque je suis dit être un individu « plus libre » à ma sortie de prison qu’à mon entrée, on ne peut pas se référer ici à ma faculté de libre arbitre, puisque étant donné ce qu’est censé être le « libre arbitre » il est évident que cette faculté reste la même que je sois en prison ou que je n’y sois pas) et en effet ces illustrations avaient pour objectif (avoué) de montrer que le sens du mot « liberté » ne se limite pas au concept de « libre arbitre », mais qu’il y a un concept beaucoup plus courant et si l’on veut moins « technique » de la liberté (j’entends moins marqué par le vocabulaire technique de la philosophie) , qui consiste dans le fait de pouvoir agir avec le moins possible de contraintes extérieures ( ou de choses extérieures qui s’opposent à ce que je désire faire) et qui est le sens auquel Spinoza emploie le mot de « liberté ».

On a dit plus haut que pour Spinoza, par le terme de « liberté » il fallait entendre « joie ». Soit. Je ne veux pas dire que c’est faux, ce n’est pas faux, mais en tout cas c’est incomplet, et ça n’aide pas beaucoup, me semble-t-il à comprendre ce dont il est réellement question étant donné la nature des questions que vous vous posez. Le vrai synonyme du terme de « liberté » chez Spinoza est le terme de « Puissance », et il est vrai que tout exercice de la puissance pour un individu donné s’exprime en un état mental particulier que Spinoza appelle « Joie » (ou « satisfaction », ou « contentement,» ou « béatitude » etc… peu importe les termes). Mais ce qu’il importe de comprendre à mon avis est que par liberté, Spinoza entend notre puissance réelle et effective d’action sur les autres choses et les puissances extérieures et cela n’est jamais une question de « détermination de la volonté ». C'est ainsi que vous aurez beau « vouloir » vous dégager de l’étreinte de l’individu qui vous enserre les bras, que cela ne suffira pas pour vous en dégager effectivement si vous n’en avez le pouvoir (la puissance). Et vous ressentirez au contraire, si vous y parvenez, sur le moment, ce je ne sais quel regain de vitalité, de puissance d'agir et de vivre que Spinoza appelle d'un terme à la fois si générique et si concret "la joie". Bref vous vous sentirez "libéré", en mesure d'agir à nouveau; plus "puissant" (c'est à dire plus libre) que vous ne l'étiez quelques moments auparavant.

Et c’est à la mesure du pouvoir que vous avez (comparé à la puissance que les choses extérieures exercent sur vous) et que vous êtes capable de déployer que vous pouvez être dit « libre ».

D.
Modifié en dernier par Durtal le 12 déc. 2008, 22:51, modifié 4 fois.

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Messagepar hokousai » 12 déc. 2008, 21:46

Cher Durtal

Bien entendu qu’il y a mécanisme dans cet engrenage des causes et des effets qui meuvent la pierre .( et qui meuvent notre corps aussi )

Spinoza dégage de la place en dégageant l’ idée de libre arbitre qui empoisonne plus qu’elle ne sert quand elle est aux mains de bigots qui nous menacent des enfers ou nous promettent le paradis .

Donc Spinoza déplace sur un autre terrain : être libre c’est être au bon endroit au bon moment , dans le bon cours des choses .Pas coincé dans les impasses , pas ramant à contre courant. Il y a de l’esprit de l’ haikido .

Je dirais que l’homme libre ne reste pas focalisé sur des apories consécutives à des questions mal posées telle que celle du déterminisme ou du fatalisme versus la liberté .

( comprendre que quand sur certains fils je défends la liberté , je ne défends pas l’idée de libre arbitre mais celle de l’ union du corps et de l’esprit, union à mon avis malmenée par le parallélisme )

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Messagepar Louisa » 13 déc. 2008, 01:19

Bruno a écrit :Merci beaucoup pour ta réponse, Louisa.

Je suis tout à fait d'accord avec toi sur la critique que tu émets à propos de l'image que j'ai utilisée. Disons donc, qu'il s'agirait d'une "machine" qui serait "cause de soi" : il n'y aurait rien en dehors d'elle qui lui apporte de l'énergie pour fonctionner, cette énergie, elle la trouverait en elle-même.

Je reviens sur quelques points de ton texte :

Louisa a écrit:
Cela signifie que Dieu n'est rien d'autre que la nature elle-même, autrement dit que toute chose singulière est "du Dieu".

Je comprends ce que tu veux dire et je pense la même chose : il n'y a qu'une Substance et tout découle d'elle, donc tous les modes participent de cette substance.

Cela dit, je suis intrigué par une phrase que j'ai lue dans l'ouvrage : "La philosophie pour les nuls" de C. Godin, à l'article consacré à Spinoza.

Voilà le passage en question :

"Il y eut en Allemagne, dans la seconde moitié du XVIII' siècle une célèbre controverse philosophique appelée querelle du panthéisme et qui impliqua l'interprétation donnée alors de Spinoza. Le panthéisme est la conception selon laquelle l'univers est de nature divine dans la moindre de ses parties : de même que l'étincelle est du feu, la plus humble des créatures (ver de terre, moustique, microbe) est une parcelle de divinité. Spinoza est on ne peut plus éloigné de telles considérations. Chez lui la Nature n'est pas d'abord l'ensemble des éléments et des êtres vivants, et l'infinité de Dieu n'implique pas que tout soit divin. Enfin, il n'y a pas de divine nature chez Spinoza au sens où le panthéisme l'entend."

- Je ne comprends pas bien la phrase que j'ai soulignée : pour moi, tout participe forcément du Dieu-Nature, puisqu'il est tout : le Dieu de Spinoza c'est l'ensemble de ce qui existe, c'est l'ensemble de l'Etre. Comment, ainsi, certaines choses pourraient ne pas être "divines", elles seraient alors hors de l'Etre, hors de la Substance unique... ce qui n'a pas de sens.


bonjour Bruno,

merci à toi pour tes réflexions et questions.
En effet, je ne crois pas que ce que Godin cite ci-dessus soit correcte, et cela précisément pour la raison que tu indiques toi-même: chez Spinoza il n'y a rien hors de Dieu. Une chose qui existe réellement et qui ne serait pas divine est donc inconcevable.

Ce qu'il y a, il me semble, c'est que de temps en temps on ne prend pas en compte la différence entre l'essence de la substance et l'essence d'un mode de la substance. On pense alors que l'essence de tel ou tel mode n'est rien d'autre que l'essence de la substance elle-même, ce qui est absurde (puisqu'une essence d'un mode est un degré limité ou une quantité limité de puissance, tandis que l'essence de Dieu possède la puissance infinie). Et c'est lorsqu'on identifie les deux types d'essence que l'on obtient une espèce de panthéïsme qui n'est plus celui de Spinoza, car alors on pourra dire que Dieu n'est rien d'autre que l'ensemble des modes, l'ensemble des choses singulières qui existe. Là on fait comme si les modes pourraient être modes sans être modes d'une substance, donc d'une essence qu'ils affectent, et qui n'est pas leur propre essence à eux. Si Dieu n'est pas l'ensemble de tout ce qui existe, c'est uniquement dans le sens où tout ce qui existe est ou bien une affection de l'essence de la Nature, ou bien l'essence de la Nature elle-même. Dieu n'est pas juste l'ensemble des modes, il est aussi le "support" de ces modes. Sans son essence, les modes ou choses singulières ne pourraient être. Cela implique que les modes sont divins, mais seulement divins en tant que mode, pas divin au sens d'avoir la même essence que Dieu.

Bref, ce n'est pas parce que tout est divin que tout a l'essence de Dieu. Les modes ont une autre essence, mais ne sont pas pour autant moins divins, puisqu'ils sont tout à fait "en Dieu" donc "du Dieu" eux aussi. C'est lorqu'on oublie cela que le spinozisme a l'air de réduire le divin infini à un ensemble de modes ou choses finies. On reproche alors à Spinoza d'abolir l'infini, propriété divine par excellence, tandis que Spinoza ne l'abolit pas, il le situe uniquement dans l'essence même de Dieu (et de ce qui en découle directement, à savoir les modes infinis), et non pas dans l'essence des modes finis. Inversement, c'est parce qu'on craint devoir identifier l'essence de Dieu aux essences de modes qu'on propose d'enlever toute divinité aux modes, tandis que le rapport "substance - mode d'une substance" permet précisément de penser modes et substance comme étant divins tout en maintenant une distinction radicale entre l'essence divine et l'essence de n'importe quelle chose singulière. Dire qu'un mode est divin n'est donc pas dire que son essence est la même que l'essence divine. C'est dire qu'il est en Dieu et exprime Dieu, autrement dit, qu'il est "du Dieu", et non pas l'essence de Dieu, si tu vois ce que je veux dire ... ?

Bruno a écrit :
Louisa a écrit :Cette force, ils la recoivent de l'essence de la machine en tant que telle (Dieu comme cause immanente et non pas transitive de toute essence singulière).


J'ai toujours un peu de mal à comprendre ce que signifie "transitif". Si Dieu était cause transitive d'une essence singulière, cela voudrait-il dire que Dieu a créé cette essence et qu'il a donné à cette essence la possibilité d'être autonome vis-à-vis de lui ? d'être "un empire dans un empire" ? Est-ce bien cela que signifie transitif ?


pour autant que je l'aie comprise, la causalité transitive serait une causalité où la cause est extérieure à l'effet. C'est en ce sens que les parents sont la cause transitive de leurs enfants. Ils créent quelque chose en dehors d'eux-mêmes. Cela ne veut pas forcément dire que l'effet est autonome, cela signifie juste que l'effet est externe à la cause.

C'est le cas pour tout ce que la mécanique classique étudie habituellement: lorsqu'un corps A est en mouvement avec une vitesse x, et qu'un corps B étant en mouvement avec une vitesse y heurte A, alors A va se mouvoir différemmment, mais B reste toujours extérieure à A.

Ce n'est pas le cas pour une causalité immanente, où l'effet "demeure" (= immanere en latin) à l'intérieur même de la cause. C'est pourquoi Spinoza peut dire que la cause de l'existence dans un temps et un lieu précis de tel ou tel mode fini, c'est un autre mode fini (causalité transitive), tandis que Dieu est la cause immanente de l'essence même de ce mode. Si la cause d'un effet est un mode, alors en règle générale l'effet est extérieur à la cause. Si en revanche l'effet est une essence, alors la cause ne peut qu'être Dieu, et puisque tout ce que Dieu produit ne peut qu'être des modifications de la Nature, ces effets nécessairement se produisent en lui, et non pas en dehors de lui. Raison pour laquelle tout corps, par exemple, "enveloppe" le concept de l'attribut de l'Etendue: cet attribut (= l'essence de Dieu) se trouve à l'intérieur même de ce corps. On pourrait de nouveau se dire qu'alors l'attribut (et donc l'essence de Dieu) ce n'est rien d'autre que l'ensemble des choses singulières, ne fût-ce que c'est cette essence divine ou cet attribut qui est la cause des choses. Il y a donc une distinction entre la cause et l'effet, mais cette distinction n'est pas un rapport d'extériorité spatiale, c'est plutôt un rapport de divergence "qualitative" (l'essence divine étant d'une autre "qualité" donc ayant d'autres propriétés (infinie, éternelle, unique, cause de tout etc) que l'essence modale.

Bruno a écrit :
Louisa a écrit :Enfin, parmi les Joies actives il faut encore distinguer deux catégories: celles du deuxième genre de connaissance (connaissance adéquate de propriétés communes) et celles du troisième genre de connaissance (connaissance adéquates d'essences des choses).


Là, j'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre ce que signifie la connaissance du troisième genre. Quelle différence fais-tu entre les propriétés communes et l'essence des choses ?


comme tu l'auras peut-être lu dans le fil "le sentiment même de soi", pour l'instant il y sur ce forum tout un débat pour essayer de comprendre en quoi il y aurait oui ou non une différence. En gros, il y a ceux qui trouvent que chez Spinoza il n'y a pas "réellement" des essences singulières (essence propre à un seul Individu), ceux qui trouvent qu'il n'y pas réellement des essences dites "de genre", et puis ceux qui défendent une position intermédiaire (toute essence est singulière, mais ce qui lui appartient ce sont majoritairement des propriétés communes à tous les Individus d'une même espèce ou d'un même genre).

Ceux qui trouvent qu'il y a réellement des essences de genre se basent - si j'ai bien compris - principalement sur le fait que Spinoza parle sans cesse de l'essence de l'homme. Comme il s'agit clairement de tout homme, il doit parler de l'homme en tant qu'espèce, pas de l'homme en tant tel ou tel individu particulier. Les propriétés communes à tout homme doivent donc appartenir à l'essence de l'Homme en tant qu'espèce, et ainsi aussi à l'essence de chaque homme particulier. La définition d'Aristote de l'homme est un bel exemple de cela: elle nous donne "l'eidos" de l'homme, donc si l'on dit que l'homme est un animal rationnel, alors il faut que l'essence de Socrate soit la même que l'essence de Platon et de n'importe qui d'autre. L'essence elle-même n'est donc pas "individuée" (pas d'essence singulière propre uniquement à telle ou telle personne singulière).

Ceux qui trouvent l'inverse disent que toute essence doit être singulière. Pour l'instant, c'est ce qui me semble être le plus probable. On se base alors sur le fait que dans la définition 2 de l'Ethique livre 2 (E2D2), Spinoza ne s'en tient pas à la définition habituelle de l'essence (ce qui constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être), mais y ajoute une deuxième condition (ce qui constitue une essence est ce qui sans la chose ne peut être). Supposons qu'une esssence est constituée de deux composantes: être un animal, et être rationnel. Alors il est évident que lorsque Socrate meurt, l'essence de Socrate, qui n'est rien d'autre que l'essence de tout homme, continuera à exister, et cela aussi longtemps qu'il y a des hommes. Par conséquent, ni "être animal", ni "être rationnel" ne répond au deuxième critère de Spinoza, qui était que si la chose meurt, ce qui la constitue doit lui aussi disparaître.

C'est sur base de cela que pas mal de commentateurs de Spinoza disent que chez Spinoza toute essence est singulière, c'est-à-dire n'est constituée que par ce qui appartient à l'essence de telle ou telle chose singulière et à aucune autre. Les propriétés communes à différentes choses peuvent par là même jamais constituer une essence (c'est ce que dit l'E2 proposition 37).

Qui plus est, on retrouve cette distinction entre "essence" et "propriétés communes" dans les définitions mêmes des différentes genres de connaissance, E2P40 scolie II: la connaissance du deuxième genre se fait à partir de "notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses", tandis que celle du troisième genre (science intuitive) "procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de dieu vers la connaissance adéquate de l'essence des choses". On peut en conclure que le deuxième genre porte sur les propriétés communes des choses (et donc, par l'E2D2 et l'E2P37) non pas sur les essences singulières des choses, tandis que le propre du troisième genre de connaissance est précisément de porter sur les essences singulières.

Bruno a écrit :
Louisa a écrit :Et c'est cela qui me semble être assez différent de ce que tu dis: la liberté spinoziste ne consiste pas à se concevoir soi-même comme n'étant "que" un rouage dans une machine, d'abord parce que contempler son impuissance pour Spinoza est source de Tristesse et non pas source de Joie, et ensuite parce qu'un rouage dans une machine est précisément ce qui est entièrement "mis en mouvement" donc déterminé par d'autres rouages.


Certes, mais, de toute façon, même si nous supprimons les déterminismes "extérieurs à nous", c'est-à-dire les contraintes que peuvent nous faire subir d'autres modes, nous restons malgré tout déterminé par la Nature (le mécanisme de la "machine"), donc jamais libre ?


aussi longtemps que l'on veut définir la liberté par l'absence de toute détermination, donc par l'indétermination, on doit à mon sens dire que dans le spinozisme et dans n'importe quel autre système déterministe, il n'y a aucune liberté possible.

Il se fait qu'aujourd'hui, l'opinion commune a appris à définir la liberté ainsi (mais, comme c'est toujours le cas avec une opinion, elle ne se base que sur une expérience vague, un ouï-dire, bref sur le premier genre de connaissance). Cette idée en tant que telle n'est ni vraie ni fausse. Elle est "imaginaire", c'est-à-dire nous l'avons reçue d'autres, de notre culture, et pour cette raison même la trouvons évidente (on pourrait dire que de ce point de vue, la culture occidentale actuelle est kantienne, et non pas spinoziste). Par conséquent, tout autre conception de la liberté va être ressentie comme étant "fausse"', puisque contraire à ce dont on ne doute pas.

Or la philosophie jamais ne s'est tenue à l'opinion commune, elle a toujours inventé d'autres idées. Au XVIIe, on a donc des philosophes qui inventent une liberté qui se produit au sein même d'un système déterminé. Ils proposent donc d'appeler "libre" tout autre chose qu'une indétermination "ontologique".

Spinoza par exemple va définir la liberté par le fait d'être la seule cause de quelque chose. Alors on voit qu'il y a très peu d'actes dont on est la cause tout seul. La liberté consiste alors avant tout dans le fait d'être soi-même seul la cause d'une augmentation durable de sa propre puissance. C'est lorsqu'on subit un changement de puissance qui fait qu'après ce changement on a une plus grande puissance qu'avant, et lorsque la seule cause de ce changement, c'était nous-même (autrement dit, la puissance qu'on avait juste avant ce changement), qu'on est librement, et uniquement à ce moment-là (donc pas du tout à n'importe quel moment, la liberté n'est pas une condition humaine, elle ne caractérise que certains Actions, donc certaines Joies).

Bien sûr, rien ne nous oblige à concevoir la liberté ainsi. Mais la seule chose qui aujourd'hui nous oblige à ne pas la concevoir ainsi, c'est l'habitude de la concevoir autrement. Or, comme le disait déjà Wittgenstein, la philosophie est là pour combattre les "crampes mentales", les habitudes conceptuelles qu'on a un jour contractées, les façons de pensées qui déterminent le cours de notre vie mais qu'on n'a jamais questionnées, qu'on prend pour évident uniquement parce qu'on ne les a jamais questionnées. Tandis que rien ne prouve qu'elles sont plus vraies que des conceptions alternatives, ou qu'elles nous mènent mieux au bonheur.

Bruno a écrit :
Louisa a écrit :La liberté spinoziste consiste dans le fait de changer le monde, au sens où l'on peut déterminer donc changer soi-même sa propre puissance, au sens où l'on peut réussir à augmenter durablement sa propre puissance, et ainsi les effets que l'on produit sur le monde, sur les choses singulières hors de nous.


Hum... Mais, si j'ai bien compris, nous n'avons pas le pouvoir de décider de changer le monde. Car si ce pouvoir de décision existait il impliquerait l'existence du libre-arbitre : nous aurions le "choix" de décider de changer le monde. Donc, si nous entrepenons effectivement de changer le monde c'est que, de toute façon, nous y étions déterminés ; de même que c'est par déterminisme que d'autres sont tristes, etc. D'où tout un tas de paradoxes : par exemple, à l'instant présent, si je prends l'ensemble de ce qui existe dans le monde, toutes les causes sont déjà réunies pour que, demain à la même heure, je fasse ceci ou cela et je n'y peux rien changer, car si je pouvais changer mon futur cela voudrait dire qu'il existe un libre arbitre, que tout n'est pas déterminé... notamment, je ne vois plus la différence entre le déterminisme et le fatalisme. Je ne sais pas si je suis clair...


je crois que la différence entre le déterminisme qui travaille avec un concept de liberté et le déterminisme où aucune liberté n'est possible (= le fatalisme) réside précisement dans le fait d'accepter ou non l'identificatin entre pouvoir changer le monde et être déterminé à changer le monde.

Du point de vue du spinozisme (tel que je le comprends pour l'instant), avoir le pouvoir de changer le monde, ce n'est jamais une "potentialité". C'est lorque je change le monde que j'ai le pouvoir de le changer. Sinon je ne l'ai pas. Pouvoir changer le monde, c'est changer effectivement le monde. Le problème avec l'idée du libre arbitre ce n'est pas que sans lui aucun changement du monde ne serait possible, le problème est plutôt l'inverse, on ne voit pas très bien comment le monde pourrait changer s'il y avait une telle indétermination. Car indétermination veut dire absence de cause, absence de raison pro telle ou telle option. Or s'il n'y a aucune raison pour choisir l'option X ou l'option Y, qu'est-ce qui fera que X ou Y se produisent réellement ... ? Pour Spinoza, s'il n'y a aucune raison pour que X ou Y se produisent, ils ne se produiront tout simplement pas. Invoquer le libre arbitre pour "choisir" entre les deux, c'est déjà invoquer une cause, c'est déjà postuler une raison qui va faire que ce sera X ou Y qui se produit. Cette raison, c'est alors mon "libre arbitre", plus concrètement, le fait que moi je trouve avoir suffisamment de raisons pour faire X et non pas Y.

Par conséquent, on voit que le libre arbitre ainsi compris n'est pas propre à un monde où il y aurait de l'indétermination, le libre arbitre est plutôt lui-même la cause d'un effet. Le libre arbitre est donc une façon très précise de produire un effet: quand je dis que je fais X sur base de mon libre arbitre, je veux dire que c'est moi qui a compris qu'il vaut mieux faire X et non pas Y, c'est donc en ce sens-là moi qui ai décidé. Puisque c'est moi qui ai décidé, c'était moi-même seul qui était la cause de X. Ce qui n'est pas le cas lorsque je ne décide pas seul.

Autrement dit, même si l'on veut travailler avec l'idée d'un libre arbitre, il y a moyen de le penser au sein même d'un système déterministe. Il faut juste accepter que lorsque j'exerce mon libre arbitre, je ne suis pas en train de me retirer des chaînes causales dans ce monde, je suis plutôt en train de produire un effet précis c'est-à-dire "déterminé", seulement ici il s'agit d'un effet que je produis moi seul, sans le concours d'autres causes. Je suis donc la seule "détermination" de cet effet.

Et du fait même que mon essence est un degré de puissance, j'ai un certain pouvoir "à moi". Ce pouvoir peut causer des choses dans le monde. Si ce n'est que ce pouvoir qui cause un effet, et non pas mon pouvoir ensemble avec d'autres, alors, dit Spinoza, j'ai produit cet effet librement. Que pour un tas d'autres choses ce n'est pas moi seul qui détermine un effet mais d'autres êtres avec moi n'y change rien. Je peux être 9 fois sur 10 déterminé par d'autres choses à agir, sur une journée, si la dixième fois je fais quelque chose qui ne s'explique que par ma puissance à moi comme cause prochaine, alors, dit Spinoza, à ce moment-là je suis libre.

Puis il y ajoute que cela ne se produit pas n'importe comment. Cela ne se produit que lorsque j'ai une idée adéquate, et surtout lorsque j'ai une idée adéquate d'une essence d'une chose (moi-même ou autre chose).

Bruno a écrit :
Louisa a écrit :Par quel moyen obtenir une telle augmentation? Pas en s'imaginant qu'on est tout-puissant ou identique à l'essence même de Dieu


Mais, pourtant, en tant que mode, nous sommes bien une affection de la Substance, c'est-à-dire de Dieu. Donc, nous partagons l'essence de Dieu... non ? Une question me vient à l'esprit : notre essence est-elle bien une partie de l'essence de Dieu ?


non je ne crois pas. Qu'est-ce qui te fait penser cela?

N'oublions pas que pour Spinoza nous ne pâtissons qu'en tant que nous sommes une partie de la Nature (E3P3 scolie et autres), c'est-à-dire en tant que nous avons des idées inadéquates. Etre une affection de la Substance, justement, ce n'est pas "partager" l'essence de Dieu, ou y "participer" (comme le proposent les néoplatoniciens), c'est affecter l'essence de Dieu, et par là même avoir une autre essence que l'essence de Dieu. Nous ne sommes une partie de la Nature qu'en tant que nous avons des idées dont nous ne sommes pas seuls la cause, dont d'autres modes sont aussi la cause. Mais en tant que nous avons des idées adéquates, nous sommes nous-mêmes la seule cause de nos idées. Là nous ne sommes pas une "partie" de la Nature, nous sommes plutôt une "expression" de l'essence de la Nature. Or être une expression de l'essence de la Nature, ce n'est pas être l'essence de la Nature. L'exprimé n'est jamais le même que ce qui exprime.

Bruno a écrit :Dans ce cas, lorsque nous prenons conscience d'être une partie de la Nature-Dieu, nous ne nous sentons certes pas l'égal de Dieu, mais nous ressentons en nous la part de "divinité" dont nous sommes fait et, à travers cette part, nous éprouvons la liberté du Dieu-Nature, non ?


j'aurais tendance à dire non. Dieu n'a pas de parties, il est indivisible. Prendre conscience du fait que nous sommes une partie de la Nature, c'est prendre conscience de nos Affects-Passions. C'est prendre conscience du fait qu'en tant que mode, nous sommes inévitablement en partie pas libre, pas nous-mêmes la seule cause de tout ce que nous pensons et faisons. Or la partie éternelle de notre essence, celle qui est de toute éternité en Dieu, c'est l'ensemble de nos idées adéquates, autrement dit de tout ce que nous avons causé seuls. C'est pourquoi le troisième genre de connaissance commence par la prise de conscience de notre propre éternité (E5P31).

Donc je dirais: il n'y a pas une "part" de divinité en nous, nous sommes entièrement divins, seulement:
1. notre essence est une autre essence que l'essence divine (différence entre l'essence d'une substance et l'essence d'un mode)
2. nos idées inadéquates ne sont pas moins divines que notre idées adéquates, mais elles sont en partie causées par des choses hors de nous, et ainsi ne nous rendent pas "maître" de nous-mêmes, ne nous rendent pas libres.

Bruno a écrit :Par liberté, j'entends la définition qui en est donnée dans E1D7 :

" Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée. "

Suivant cette définition, seul Dieu est libre car seul Dieu (ou la Nature) existe par la seule nécessité de sa nature. Pour nous autres modes, l'essence n'enveloppe pas l'existence, nous existons par autre chose. Cependant, ce qui fait notre essence n'est pas différent de l'essence de Dieu. Donc lorsque nous nous mettons à exister uniquement d'après notre essence propre (sans être "contraints" par d'autres modes), nous vivons la liberté de Dieu. (Liberté, au sens de libre nécessité et non de libre volonté bien sûr).

Qu'en penses-tu ?


je ne suis pas certaine d'avoir tout à fait compris ce que tu veux dire par là. En attendant, je dirais qu'exister par la seule nécessité de sa nature ne vaut pas seulement pour Dieu, cela vaut aussi pour nos idées adéquates (ce qui était peut-être déjà ce que tu voulais dire ... ?). Nos idées adéquates n'existent que par la nécessité de notre nature à nous, et en même temps constituent notre essence. Il se fait que Dieu n'a pas d'idées inadéquates, donc tout ce qu'il fait existe en lui et par la nécessité de sa nature. Ce n'est pas le cas pour l'homme, raison pour laquelle ce n'est pas juste le "nombre" d'idées adéquates qui fait notre liberté à nous, mais la proportion d'idées adéquates par rapport au nombre d'idées inadéquates. Plus le total est grand, plus notre essence (constituée des deux) est dite "libre" car plus les idées que notre Esprit formera ensuite dépenderont de notre puissance ou essence seule, et donc plus nos nouvelles idées augmenteront notre puissance, au lieu de la laisser stable ou de la voir diminuer, si tu vois ce que je veux dire?
A bientôt,
L.

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Messagepar Louisa » 13 déc. 2008, 01:34

Durtal a écrit :il est vrai que tout exercice de la puissance pour un individu donné s’exprime en un état mental particulier que Spinoza appelle « Joie »


bonjour Durtal,
ne faudrait-il pas plutôt dire que l'exercice ou l'affirmation d'une puissance, c'est ce que Spinoza appelle l'affect du "Désir" tandis que la Joie est l'augmentation de cette puissance?

E3 Définition des Affects I:
"Le Désir est l'essence même de l'homme, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose"

E3 Définition des Affects II:
"La Joie est le passage de l'homme d'une moindre perfection à une plus grande. (...) Je dis passage. Car la Joie n'est pas la perfection elle-même. " (sachant que le degré de perfection d'un homme, c'est le degré de puissance qui le caractérise, bref son essence; la Joie n'est donc pas l'exercice de la puissance elle-même, mais le passage à une plus grande puissance, tandis qu'en vertu même du fait qu'il y a pas de "puissance de la puissance", autrement dit que toute puissance est actuelle et non pas potentielle, il est impossible de ne pas exercer sa puissance, là où il est très bien possible de ne pas être tout le temps Joyeux).

Enfin, prenons la définition de la Joie telle qu'elle figure au début de l'E3 (E3P11 scolie):
"Par Joie j'entendrai donc, dans la suite, une passion par laquelle l'Esprit passe à une plus grande perfection."
L.

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Messagepar Durtal » 13 déc. 2008, 11:48

Louisa a écrit :bonjour Durtal,
ne faudrait-il pas plutôt dire que l'exercice ou l'affirmation d'une puissance, c'est ce que Spinoza appelle l'affect du "Désir" tandis que la Joie est l'augmentation de cette puissance?


Sans blague ? Parce que l'augmentation de la puissance n'est pas un exercice ou une affirmation de cette puissance?


Quel était l'intérêt de cette intervention?

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Messagepar hokousai » 13 déc. 2008, 17:33

chère lousia

il me semble que l'affect du désir , c'est le penser à ceci ou à cela ( Spinoza dit en fin de texte qu'il a ainsi exprimé la nature du désir)

l'affirmation d'une force d'exister concerne l'explication de la joie .

comparer la définition qui est en deux partie comme la fin du texte le dit ( et explique ).

Donc Durtal ne me semble pas être dans l'erreur (relativement à Spinoza) .


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