Sescho a écrit :C'est une leçon de vie, un forum, et comme le Dalaï Lama le dit : je remercie mes ennemis, car eux seuls me permettent de me tester.
Bonjour Sescho,
s'il y a une chose sur laquelle nous sommes d'accord, c'est bien celle-là, peut-être à quelques nuances près.
Ceux qui pensent différemment me permettent non pas de "me" tester mais de tester quelques-unes de mes idées, et par là même ils me permettent d'avancer dans la compréhension, d'être davantage dans le vrai. Par conséquent, jamais je ne pourrais les considérer comme des "ennemis". Ceux qui te font avancer en critiquant certaines idées que tu proposes à mon sens d'un point de vue spinoziste et en général, sont plutôt tes meilleurs amis (pas d'ironie dans cette phrase). D'ailleurs, je ne connais pas un parmi ceux dont le métier consiste principalement à produire de la vérité (les scientifiques expérimentales) qui ne sont pas d'accord avec cela. Critiquer une idée n'est pas tester une personne. L'un n'a rien à voir avec l'autre.
Sescho a écrit :On revient sur des choses que je considère traitées profondément sinon à fond depuis des années, et répétées depuis, et je me vois recevoir des "leçons" avec grande pompe sur le B-A BA.
depuis quand le fait qu'un pseudo sur un forum trouve que lui il a déjà traité de tel ou tel sujet de discussion suffirait-il pour que tous les visiteurs du forum pensent exactement la même chose que lui ... ? Et pourquoi se dire que si quelqu'un lit Spinoza différemment que soi-même cela reviendrait à nous "donner des leçons"? Dire qu'on n'est pas d'accord n'est pas une déclaration de guerre, c'est simplement partager, comme vous le faites, notre propre expérience de lire Spinoza et de vivre avec Spinoza. Ce partage présuppose que l'on accepte que chacun d'entre nous peut se tromper et sans doute se trompe quelque part. Moi autant que vous.
Enfin, comment savoir déjà ce que vous appelez vous le "B-A BA" avant d'en avoir discuté? Pourquoi déjà présupposer que votre lecture ait les mêmes bases que celle de vos interlocuteurs? Je comprends que certains messages vous énervent lorsque vous présupposez cela, bien sûr, mais ce que je comprends moins, c'est cette présuppostion en tant que telle. Pourquoi vous y tenez autant?
Sescho a écrit :Toutes les précisions dûment faites rayées, les propos caricaturés pour pouvoir être démentis (ah ! sacré Schopenhauer, s'il n'était pas mort je croirais qu'il a écrit son bouquin en visitant notre site),
pour moi, vous y allez trop vite. Vous trouvez que votre interprétation de Spinoza ne peut qu'être la seule vraie, et de ce fait même, vous supposez que ceux qui pensent différemment ne peuvent que consciemment déformer vos propos, et cela "pour" le "plaisir" de "vous" réfuter. En réalité, on ne vous connaît pas, on ne pense rien du pseudo Sescho, pas de choses positives, pas de choses négatives, on ne s'intéresse qu'aux idées que ce pseudo soumet au "public" de ce forum, et on témoigne de nos propres lectures, lectures faites indépendamment de la vôtre, bien sûr. Beaucoup d'entre nous ont commencé à lire Spinoza avant de venir sur ce forum, ont déjà formé quelques (hypo)thèses interprétatives, s'y intéressent pour des raisons qui les concernent eux. On n'a pas commencé à fréquenter ce forum et à avoir des idées sur le spinozisme depuis qu'on vous lit, on ne partage pas nos idées ici afin de tester nos interlocuteur, on est ici simplement pour parler et témoigner, chacun tout à fait sincèrement et franchement, de ce qu'on a pour l'instant compris nous. Rappelez-vous que c'est Spinoza lui-même qui dit que lorsqu'on n'aime pas telle ou telle chose qu'on nous fait, lorsqu'on lit par exemple une interprétation de Spinoza qui ne nous plaît pas, nous serons spontanément affectés de Tristesse, et auront la chose qui nous a affecté ainsi (en l'occurrence, tel ou tel pseudo) en Haine, et nous imaginerons que cette chose nous a affecté ainsi "parce que" (cause finale) elle voulait diminuer notre puissance, alors qu'en réalité, comme l'a dit un commentateur, d'un point de vue spinoziste "il est aussi bête de dire que Pierre me veut du mal que de dire que la pierre me veut du mal".
Sescho a écrit : les tenants de la positivité et de la puissance en tout... qui ont de fait la haine au bord des lèvres, d'ampleur égale à celle de leur vanité, comme il se doit...
pour moi, avoir quelqu'un comme vous sur ce forum est une chance. Je considère ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et font un effort pour le dire comme étant mes amis (indépendamment de ce qu'ils pensent de moi, bien sûr). Je ne ressens aucune Haine par rapport au pseudo "Sescho", au contraire, j'apprécie vos contributions, qui lorsqu'elles parlent du spinozisme même, toujours soulèvent des questions intéressantes et souvent très profondes, très stimulantes pour la pensée, et pas faciles à résoudre.
Sescho a écrit :Mais bon, même au niveau professionnel je vois passer des TdC qui ne connaissent pas un millionième du métier et se croient pourtant autorisés à prendre le monde de haut. Vanité et compétence sont opposées. C'est ainsi... E. Tolle raconte que certains lui écrivent en lui disant qu'il n'a rien compris. Alors, pourquoi me plaindrais-je...
en tout respect, je crois qu'effectivement vanité et compétence sont opposées, et partant, vous nous montrez votre compétence lorsque vous parlez du spinozisme, tandis que lorsque vous vous auto-déclarez expert en matière de spinozisme sans que l'on ait déjà compris en quoi et pourquoi vous auriez raison, il est difficile de vous suivre. Pourquoi serait-il nécessaire de se plaindre lorsqu'on rencontre des gens qui lisent Spinoza différemment que vous et qui trouvent que ce qui nous fait avancer c'est d'essayer d'en discuter? Pourquoi ne pas tout simplement essayer d'argumenter, ou plutôt de trouver les arguments capables de convaincre vos interlocuteurs, sachant qu'aussi longtemps que vous n'êtes pas convaincu par leurs arguments à eux, personne ne peut vous demander de changer d'avis, et tout le monde doit respecter l'idée que vous proposez?
Sescho a écrit :Mais en fait il semble qu'il n'y ait là-derrière, le monceau de scories ôté, qu'une querelle de mots (mise à part la configuration mentale qui sous-tend lourdement tout cela.)
vous pouvez toujours utiliser cette hypothèse-là, mais de nouveau, c'est présupposer qu'en matière d'interprétation d'un philosophe, on peut avoir raison tout seul dans son coin, sans soumettre ses idées à la réfexion commune. Je ne vois pas ce qui permettrait de croire en la vérité d'une telle présupposition.
Sescho a écrit :On se demande qui nous commentons. Car les termes impuissance, inadéquation, confusion, bien, mal, haineux, vulgaire, esclave, ignorant, orgueilleux, ne méritant pas le nom d'homme, etc. etc. sont utilisés à foison par Spinoza lui-même (plusieurs centaines d'occurrences au total, je pense.)
bien sûr. Mais quelle est sa conclusion? Que la règle de vie principale, pour atteindre le souverain bien, c'est de ne regarder que ce qui est bon dans toutes les choses (soi-même y compris, bien sûr, car contempler son impuissance rend Triste).
Ne regarder que ce qui est bon: E5P10 scolie: "Donc, le mieux que nous pouvons faire, (...), c'est de concevoir la règle de vie correcte, autrement dit des principes de vie précis, de les graver dans notre mémoire, et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent couramment dans la vie (...). (...) nous devons toujours prêter attention à ce qu'il y a de bon dans chaque chose, afin qu'ainsi ce soit toujours un affect de Joie qui nous détermine à agir."
Il est déconseillé de concevoir les choses sous le signe de l'impuissance: E4P58: "L'Humilité est une Tristesse, qui naît de ce que l'homme contemple sa propre impuissance. Et l'homme, en tant qu'il se connaît par la vraie raison, est supposé comprendre son essence, c'est-à-dire sa puissance. Et donc si l'homme, tandis qu'il se contemple, perçoit en soi quelque impuissance, CELA NE PROVIENT PAS DE CE QU'IL SE COMPREND, mais de ce que sa puissance d'agir se trouve contrarié."
Contempler sa propre impuissance (et, dira Spinoza plus tard, celle des autres) ne peut que rendre Triste, donc diminuer la puissance, tandis que tout bien véritable augmente la puissance, et le souverain bien l'augmente même durablement. C'est pourquoi voir partout de l'inadéquation, des passions, du mal etc. jamais ne pourra nous tirer de l'affaire. On reste alors coincé dans l'idée imaginaire qui veut que ce qui n'est que privation aurait une consistance propre, quelque chose que l'on pourrait détruire. "Et donc l'Humilité, autrement dit LA TRISTESSE QUI NAÎT DE CE QUE L'HOMME CONTEMPLE SON IMPUISSANCE, NE NAÎT PAS de la vraie contemplation, autrement dit DE LA RAISON, et n'est pas une vertu, mais une passion.". C'est parce que parfois vous essayez de vous débarrasser d'interprétations qui ne vous plaisent pas trop en demandant à tous les visiteurs du forum de contempler l'impuissance (présupposée par vous) de votre interlocuteur, que cet interlocuteur va réagir de manière pas toujours trop aimable, car en disant cela, vous diminuez sa puissance, ce qui ne peut que provoquer de la Haine chez votre interlocuteur, comme Spinoza l'explique en l'E3. Cette Haine n'a rien à voir avec vous en tant que personne, elle est simplement l'effet tout à fait "impersonnel" du fait que vous essayer de réduire les idées qu'on vous oppose à de la simple impuissance personnelle de l'autre. C'est ce mécanisme qui crée inévitablement de la Haine, pas vous en tant que personne.
Spinoza dit dans le même scolie : "Par exemple (...) qu'il ne pense pas à (...) sa vanité, ou à l'inconstance des hommes, ni aux autres choses de ce genre, auxquelles nul ne pense sans chagrin; car c'est de telles pensées que les plus ambitieux se désolent le plus (...) il est donc certain que les plus désireux de gloire sont ceux qui crient le plus fort contre son abus et contre la vanité du monde.".
C'est pourquoi je crains qu'au fond Phiphilo ait raison lorsqu'il considère que d'un point de vue spinoziste, celui qui dénonce la recherche de Gloire et la vanité des autres, quelque part montre avant tout sa propre impuissance. Car Spinoza poursuit: "Et cela n'est pas propre aux ambitieux, mais commun à tous ceux à qui la fortune est adverse et qui ont l'âme impuissante." Seulement là où je ne le suis pas du tout, c'est lorsqu'il croit que la meilleure chose à faire par rapport à quelqu'un qui dit chaque jour combien ses interlocuteurs sont vaniteux et impuissants (car pas capable de voir la vérité de ses propres pensées etc.), c'est de lui rappeler publiquement qu'il s'agit d'une impuissance. L'E4P58 nous montre que cela ne peut que diminuer encore plus celui qui dénonce sans cesse la vanité du monde. Spinoza dit bien plutôt que l'impuissance, qui n'est qu'une "privation de connaissance), ne peut être "combattue" que par la Générosité et par l'Amour. Cela signifie qu'on essaie d'arrêter la spirale négative de la Haine et la dépréciation ou inculpation de l'autre, en commençant non pas par dénoncer les défauts de l'autre mais de détruire ses propres passions, afin de pouvoir réellement aimer l'autre. C'est cela, à mon sens, la portée éthique de l'Ethique.
Sescho a écrit :Et je ne vois pas où j'aurais donné à ces mots un autre sens que celui qu'il leur donne. Ou alors en fait nous ne commentons pas Spinoza mais quelqu'un d'autre ; autant le dire, cela évitera les problèmes (seul Spinoza m'intéresse et ceux qui échangent positivement à son sujet et conjointement au sujet de la vie.)
honnêtement, je ne comprends pas très bien cette attitude. Comment pouvez-vous déjà supposer que la façon dont vous lisez Spinoza serait la seule vraie, simplement parce que c'est la vôtre et que vous n'en doutez pas? Ceci n'est pas du tout une critique, c'est une véritable question, et pour moi même un réel énigme. Comment pouvez-vous auto-déclarez que le sens que vous donnez aux mots c'est le même que celui que Spinoza a voulu leurs donner, ce qui rend d'office tous les autres sens proposés faux, sans qu'une réelle argumentation ne soit plus nécessaire? Je n'arrive pas à saisir sur quoi vous vous basez pour pensez cela (si vous voulez, vous pouvez vous dire que moi, louisa, je suis dans l'incapacité/impuissance de vous comprendre par rapport à cela, pour l'instant). Ce n'est absolument pas que je crois que vous, Serge, n'êtes pas capables d'avoir en tout raison en matière de spinozisme (cela est toujours possible). Mon problème c'est que je ne parviens pas à comprendre comment on pourrait adopter l'attitude que vous décrivez ici, et cela de manière tout à fait générale, tout à fait indépendamment du fait qu'ici en l'occurrence c'est Serge qui a écrit cela.
Sescho a écrit :On nous dit : il n'y a que de la puissance, en plus ou en moins, mais pas d'impuissance (corrigeant donc Spinoza lui-même.)
Il est dommage que vous ne citiez pas le "on" dont vous parlez ici, car alors on pourrait voir d'où vient le malentendu. Ce que "on" essaie de dire en réalité, c'est que pour nous, le remède aux affects ne consiste pas dans l'idée d'essayer de voir de l'impuissance partout, elle consiste à s'entraîner à comprendre la puissance des choses et des gens. Bien sûr, il est tout à fait vrai que telle ou telle personne toujours ne sait pas faire x ni y ni z et ainsi à l'infini. De ce point de vue, elle est réellement impuissante. Impuissante à faire tout cela. Mais aussi bien le remède aux affects que la paix sociale ne surgissent que lorsqu'on adopte un autre point de vue, lorsqu'on apprend à voir ce qu'il y a de bon dans les gens, comme le prescrit l'E5P10 scolie cité ci-dessus.
Sescho a écrit : D'accord au plan de Dieu (comme déjà répété cent fois) : Dieu est pure positivité et est tout ce qui existe (y compris donc tout individu humain tel qu'il est.) Tout marque la puissance de Dieu et il n'y a en Dieu aucune impuissance. Dans ce cadre entrent par exemple le viol d'un enfant suivi d'étranglement, les camps de la mort, les massacres à l'arme blanche, la torture, l'agonie par la faim, par la soif, par la chaleur, par le froid, par la maladie qui ronge, etc., la dépression aggravée avec prostration et suicide, la perversion narcissique et son cortège de prétentions à la supériorité sur autrui, de dévaluations d’autrui, de harcèlement moral, toute autre forme de folie, etc., etc., etc. : tout cela appartient à la puissance de la Nature et est parfait de ce point de vue. Dieu n'a pas faim, pas soif, ne souffre pas. Nickel.
je crois qu'ici vous posez le problème en des termes pas très adéquats. Qui a faim, lorsqu'un enfant du Zimbabwe ramasse les grains de maïs tombé d'un camion dans le sable, si ce n'est pas Dieu ... ? Rappelez-vous que les modes sont en Dieu. C'est donc Dieu en tant qu'il s'explique par cet enfant-là qui a faim. Dieu souffre, chez Spinoza, cela est certain. Mais ce qu'il me manque dans votre interprétation, c'est la distinction essence divine - affection de l'essence divine. Jamais l'essence divine ne souffre de quoi que ce soit. Ce n'est que Dieu en tant qu'il est une affection de l'essence divine qui peut souffrir. Vous semblez limiter Dieu à l'essence divine seule, alors que Spinoza dit très clairement qu'il n'y a rien en dehors de Dieu et que les modes sont en Dieu et donc tout à fait divin aussi.
Sescho a écrit :Si on en reste là, alors pour le coup autant ne rien faire (ou quelque chose, ou une autre, c'est égal), aucune éthique dans l'Ethique, aucun sens, rien. C'est Spinoza cela ??? !!!
Si l'on croit que Dieu ce ne sont que les attributs et que les modes sont extérieurs à Dieu, alors en effet, à quoi bon faire quelque chose pour améliorer l'état des modes, puisque lorsqu'un mode souffre, Dieu ne souffre pas ... ? Or tout change lorsqu'on se dit que quand tel ou tel mode souffre, c'est Dieu lui-même qui souffre! C'était bien cela le message du Christ, d'ailleurs, que Spinoza dit être équivalent à la "vraie religion", celle qui se déduit parfaitement de manière purement rationnelle de l'idée de Dieu. Lorsqu'un homme, n'importe quel homme, souffre, c'est Dieu qui souffre. C'est pourquoi aider l'homme souffrant, c'est exactement la même chose qu'aimer Dieu. Et désolée, je n'y peux rien, mais c'est toujours ce côté d'Amour de Dieu qui pour moi manque dans votre interprétation du spinozisme (pour la raison logique que se concentrer sur l'impuissance ne peut pas créer un Amour, cela ne peut créer que du chagrin, comme le dit Spinoza ci-dessus).
Sescho a écrit :Mais non, l'homme, lui, n'est pas la nature dans son entier, il n'en est qu'une partie, et les lois qui le concernent lui fixent un sens, une direction, ce qui implique automatiquement un bien véritable, et a contrario sa négation : le mal. Un axe avec un sens positif et un sens négatif.
oui, tout à fait d'accord là-dessus. Mais la question éthique par excellence c'est : QUE FAIRE AVEC LE MAL? En faire une chose réelle, ayant sa consistance propre, et qu'il faut détruire pour s'en délibérer? Ou en faire un simple point de vue, une privation par rapport au "modèle" qu'on se propose, qui demande à être traité de manière constructive, à être complété au lieu d'être détruite afin de la surmonter? Pour moi, Spinoza opte très clairement pour la deuxième idée (ce qui fait de lui un philosophe "morale" tout à fait originale).
Autrement dit, sachant que le bien véritable n'est pas absolu mais relatif à nous, êtres humains, ce bien véritable consiste-t-il à voir partout des impuissances et à les dénonces sans cesse? Pour moi, Spinoza répond de manière catégorique: non! Il consiste à apprendre à voir partout du bon, à comprendre la puissance des choses et des gens. Et pour pouvoir ce faire, il faut penser au fait qu'eux aussi, en tant que modes, ils sont divins. Ils n'ont pas les caractéristiques de l'essence divine, bien sûr, mais il n'en demeure par moins qu'en tant qu'ils sont produits par Dieu et en Dieu, ils sont nécessaires, donc éternels, et donc divins eux aussi. LE souverain bien, chez Spinoza, c'est cela: pouvoir voir chaque chose non pas isolément ou selon les affects qu'elle nous inspire (ou selon les passions qu'elle subit, autrement dit selon qu'elle est une partie de la Nature, (E4P2), mais en Dieu, c'est-à-dire en sa puissance et éternité à elle. Tâche pas facile, tellement on a l'habitude de ne voir que les défauts des gens (et de nous-mêmes, car l'un ne va pas sans l'autre)... .
Sescho a écrit : L’Homme a faim, soif, chaud, froid, il souffre et il est éventuellement confus, ignorant, haineux, vaniteux, méchant, ... (mots de Spinoza toujours, qui ne sont pas des insultes - penser en insulte c'est encore être attaché au libre arbitre en fait, à l'accusation, comme par ailleurs la vanité l'est - mais dénomment des états réels, qui effectivement sont des manifestations de la Nature en aucun cas critiquables.)
en effet, vous avez compris que dire cela ce n'est pas un insulte, c'est simplement analyser l'impuissance more geometrico. Là-dessus nous sommes d'accord. Mais:
1. dire à quelqu'un qu'il est vaniteux lorsqu'il donne une interprétation du spinozisme divergeante, c'est le mépriser, car c'est déjà présupposer qu'il ne peut pas se baser sur sa propre Raison pour lire Spinoza autrement, alors que rien ne permet de dire qui a raison avant d'en avoir discuter en toute honnêteté. C'est donc l'insulter. A partir de ce moment-là, on peut s'attendre à quelques propos assez haineux par rapport à nous aussi.
2. le problème n'est pas, contrairement à ce que vous pensez, de savoir si l'impuissance est réelle ou non. Bien sûr qu'elle est réelle, sinon tout mode serait tout-puissant, ce qui par définition est impossible. Le problème est ETHIQUE: que faire devant cette impuissance? La concevoir sans cesse comme impuissance, ou abandonner cette idée pour se comporter tout à fait différemment? L'E5 dit à mon avis sans aucune ambiguïté qu'il faut laisser de côté toute recherche d'impuissance, pour commencer à apprendre à aimer le monde et donc Dieu et donc les choses singulières, c'est-à-dire pour commencer à les comprendre dans leur puissance.
Sescho a écrit :On nous dit : il n'y a pas d'impuissance (mot employé de nombreuses fois par Spinoza, donc), il n'y a que plus ou moins de puissance.
non. Ce n'est pas ce qu'on vous dit. C'est pourquoi il serait intéressant que vous reprenez texto les thèses de vos interlocuteurs que vous voulez réfutez, au moins cela nous permettrait de clarifier là où apparement c'est nécessaire. Il ne s'agit pas de nier qu'il y a un tas de choses que l'homme ne peut pas faire. Il s'agit de comprendre qu'un "ne peut pas faire" est de l'ordre de la privation, et non pas de l'ordre du défaut ou du manque, chez Spinoza. L'impuissance n'existe que dans la tête de celui qui aurait voulu que le monde soit différent qu'il ne l'est. Dans la réalité, il y a des degrés ou quantités précises de puissance, et la puissance infinie de Dieu. Connaître les choses, les comprendre, c'est comprendre leur puissance, et non pas penser à tout ce que ces choses ne peuvent pas faire (de toute façon cette liste est infinie, mais Spinoza dit bien que toute définition est affirmation et n'enveloppe pas de négation).
Sescho a écrit :Ah ! si la pompe ne tient qu'à cela, concédons-le : comme on met l'origine où l'on veut nous pouvons remplacer "impuissance" par "bas niveau de puissance."
non non, on remplace "impuissance" par "puissance". Je suis pour l'instant impuissante à vous comprendre à 100%, mais je suis tout à fait puissante à me comprendre moi. Puis vous n'avez pas compris la place qu'une pensée qui met l'accent sur la puissance des choses particulières donne à Dieu. Dieu, dans une telle optique, est l'origine même du monde, non pas en tant qu'il est telle ou telle chose particulière, mais en tant qu'il est l'essence même du monde.
Sescho a écrit :Ou alors il ne faut plus parler de puissance du tout, puisque le terme n'aurait en fait, à l'encontre de toute échelle, aucun sens.
cela, c'est plutôt ce que vous faites vous-mêmes, lorsque vous essayer de parler dans chacun de vos messages de l'impuissance des gens.
Sescho a écrit :Cela rassurera ceux qui ne tolèrent pas qu'on puisse détecter chez eux des défauts (manques, que pourtant Spinoza décrit en termes fleuris.)
je ne crois pas qu'il s'agisse d'une quelconque "tolérance". On a tous spontanément la tendance à ne voir que des défauts, chez nous-mêmes et chez les autres. Mea culpa mea culpa mea grande culpa, comme le disent les catholiques au moins une fois par semaine et de préférence plus, tandis que leurs prêtres n'oublient pas à rappeler que les non chrétiens brûleront dans le feu éternel. L'éthique spinoziste consiste à apprendre à se défaire de cette habitude malsaine.
Sescho a écrit :Les mots auraient donc un réel pouvoir...
mais bien sûr! Si ce n'était pas le cas, pourquoi Spinoza aurait-il écrit l'Ethique ... ?? Les mots sont des mouvements corporels, dit-il dans l'E2. Tout mouvement corporel produit un effet. Donc a un pouvoir.
Sescho a écrit : Ils ne sont pas pervers mais non totalement accomplis (à ajouter au lexique politiquement correct), pas (encore) en pleine puissance ; nuance...
non non, là vous pensez de nouveau à partir de l'idée d'un défaut, ou comme vous le disiez cet après-midi à propos d'un enfant, de "l'incomplétude". Spinoza en revanche ne reconnaît aucune potentialité ou virtualité. Il s'agit d'apprendre que tout est toujours déjà déjà, et qu'en même temps on ne peut pas ne pas désirer d'améliorer encore les choses. Il n'y a rien d'accompli ici, il n'y a que déployement de puissance, production d'effets, causes efficientes. Toute chose est toujours déjà en "pleine" puissance. Il n'y a pas de vide dans la Nature (E1), il n'y a pas de puissance à réaliser ou à "remplir". Tout ce qu'on peut faire, c'est augmenter les puissances qui existent déjà .C'est comprendre cela que nous donne précisément le troisième genre de connaissance!
Sescho a écrit :Pour ceux qui ont froid par les temps qui courent : convertissez les températures dans l'échelle Kelvin, qui vous montre qu'il y a toujours de l'énergie thermique (positive.) Le froid n'existe pas. A -5 °C vous avez froid ? Vous aurez chaud à 268 K ! En slip à –70 °C ? Aucun problème : c’est encore 203 K, pensez donc !
en réalité, dans le spinozisme, le froid existe et est divin. Le froid, c'est Dieu en tant qu'il est ressenti par un sans-abri en hiver à Paris. C'est cela qu'il s'agit de comprendre.
Sescho a écrit :L’éthique et la morale, pour être sous certaine acception distinguables (comme je le fais moi-même généralement), relèvent quand-même largement du même secteur (d’où : « Philosophie morale », « moraliste », « sens moral », etc.) L’éthique c’est la morale non moralisante, c’est-à-dire sans aucune accusation (qui implique la croyance au libre arbitre), ni coercition (encore que celle-ci soit admissible au niveau politique.) Il semble, comme déjà mentionné ci-dessus, que certains soient tentés par jeter l’éthique avec la morale moralisante, en fait. Par assimiler moralisme et moralisation.
non je ne crois pas, il s'agit d'un malentendu. Il faudrait que vous citiez texto les passages qui vous ont fait penser cela, afin qu'on puisse formuler les choses plus clairement.
Sescho a écrit : C’est ce que Paul Diel (que certains jugent "moralisateur", précisément, car ils ne supportent pas qu'on leur associe une quelconque imperfection
Spinoza explique en revanche que l'homme ne supporte pas de contempler sa propre imperfection ou impuissance, et que cela diminue nécessairement sa puissance de penser et d'agir.
Sescho a écrit : et que, comme Spinoza, Diel nomme les choses à hauteur de la souffrance qu'elles représentent) appelle banalisation : non pas se corriger mais éteindre la culpabilité. Ils n’ont pas de défauts, ils sont une puissance naturelle qui éventuellement peut atteindre un niveau encore plus grand. Donc tout va mieux…
où voyez-vous, dans le spinozisme, qu'il faudrait cultiver la culpabilité (ce qu'il appelle à mon sens le "Repentir", et qui pour lui est toujours une Tristesse et une Passion, car alors on s'imagine qu'on aurait pu faire mieux, et donc que le monde aurait pu être différent, par conséquent on oublie que tout est déterminé depuis toute éternité)?
Sescho a écrit :Si tout est toujours positif, c’est à se demander comment le suicide peut exister.
encore une fois, personne n'a dit ici que tout est toujours positif. Ceci étant dit, Spinoza dit très clairement que le suicide toujours vient du dehors, jamais n'est une conséquence de la puissance du suicidé. On ne pourra donc jamais comprendre le suicidé lorsqu'on le pense comme suicidé, il faut le penser effectivement dans sa "positivité" ou essence affirmative, non pas afin de faire comme si le mal n'existe pas, mais simplement pour pouvoir réellement comprendre quelque chose de lui.
Sescho a écrit :Sauf que la tristesse, la haine, l’envie, la vanité, etc., etc., la confusion, la souffrance, en particulier, sont des réalités, pas des êtres de raison, et Spinoza les nomme comme il se doit.
bien sûr, personne n'a nié cela. Seulement, Spinoza ne fait pas que décrire le monde, il propose aussi une éthique. Cette éthique décrit ce qui est censé être le mieux pour nous. Et le mieux pour nous, c'est d'arrêter de se borner à ne voir que des privations, pour apprendre à apprécier de manière purement affirmative, autrement dit pour apprendre à aimer Dieu.
Sescho a écrit : Quand on est vaniteux, on est vaniteux ; ce n’est pas de changer les mots qui y change quoi que ce soit.
il ne faut pas changer de mots, il faut changer d'idées.
Sescho a écrit : Les passions sont la puissance de la Nature, certes, la faim aussi, la souffrance aussi, la haine aussi, l’orgueil aussi… Et de l’autre côté la béatitude n’est donnée qu’au sage ; il ne suffit pas de se dire très bien comme on est pour y atteindre, bien au contraire.
en effet, au contraire! Il s'agit de se dire que la faim, ce n'est pas bien du tout, et que la Charité et la Générosité nous obligé à y mettre fin!
Sescho a écrit :Spinoza appelle les passions par leur nom, et l’impuissance relative par le sien, car son phare est le sage, pas le fou.
Je dirais: Spinoza appelle les passions par leur nom, et l'impuissance relative par le sien, MAIS son phare est le sage, pas l'ignorant, pas celui qui, comme un lapin qui regarde la nuit le phare d'une voiture avant d'être écrasée par lui, ne regarde que ce qui manque et croit qu'il faut détruire ce manque, se laisser aveugle par ce qui n'est que néant, au lieu de réellement penser à la puissance réelle des choses, celle sur laquelle il va falloir se baser si l'on veut non pas juste dénoncer le mal dans le monde, mais véritablement changer le monde, le rendre meilleur pour un maximun de gens. Car mon propre bonheur, dit-il dans le TIE, est tout à fait lié à la félicité donc le bonheur donc l'augmentation de puissance d'un maximum d'autres gens. Pour savoir comment augmenter la puissance de quelqu'un, il ne suffit pas de regarder obsessivement tout ce qu'on peut s'imaginer qu'il lui manque, il faut se demander bien plutôt quelles puissances sont en jeu, comment elles fonctionnent, et ensuite les utiliser afin de provoquer réellement un "surplus" de puissance. C'est une toute autre attitude, à mon avis, une toute autre pensée. Cela n'a rien à voir avec nier la souffrance. C'est diviniser la souffrance pour pouvoir mieux y remédier. Car si la souffrance est divinisée, et si Dieu est entièrement déterminé, alors la souffrance n'appartient pas à un "empire dans l'empire", elle obéit elle aussi à des lois naturelles, ce qui signifie qu'en connaître et comprendre les causes est exactement ce qui nous va permettre d'agir sur ces causes et ainsi changer les effets, remédier à la souffrance.
Amicalement,
L.