La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 23 déc. 2008, 03:01

Sescho a écrit :C'est une leçon de vie, un forum, et comme le Dalaï Lama le dit : je remercie mes ennemis, car eux seuls me permettent de me tester.


Bonjour Sescho,
s'il y a une chose sur laquelle nous sommes d'accord, c'est bien celle-là, peut-être à quelques nuances près.

Ceux qui pensent différemment me permettent non pas de "me" tester mais de tester quelques-unes de mes idées, et par là même ils me permettent d'avancer dans la compréhension, d'être davantage dans le vrai. Par conséquent, jamais je ne pourrais les considérer comme des "ennemis". Ceux qui te font avancer en critiquant certaines idées que tu proposes à mon sens d'un point de vue spinoziste et en général, sont plutôt tes meilleurs amis (pas d'ironie dans cette phrase). D'ailleurs, je ne connais pas un parmi ceux dont le métier consiste principalement à produire de la vérité (les scientifiques expérimentales) qui ne sont pas d'accord avec cela. Critiquer une idée n'est pas tester une personne. L'un n'a rien à voir avec l'autre.

Sescho a écrit :On revient sur des choses que je considère traitées profondément sinon à fond depuis des années, et répétées depuis, et je me vois recevoir des "leçons" avec grande pompe sur le B-A BA.


depuis quand le fait qu'un pseudo sur un forum trouve que lui il a déjà traité de tel ou tel sujet de discussion suffirait-il pour que tous les visiteurs du forum pensent exactement la même chose que lui ... ? Et pourquoi se dire que si quelqu'un lit Spinoza différemment que soi-même cela reviendrait à nous "donner des leçons"? Dire qu'on n'est pas d'accord n'est pas une déclaration de guerre, c'est simplement partager, comme vous le faites, notre propre expérience de lire Spinoza et de vivre avec Spinoza. Ce partage présuppose que l'on accepte que chacun d'entre nous peut se tromper et sans doute se trompe quelque part. Moi autant que vous.

Enfin, comment savoir déjà ce que vous appelez vous le "B-A BA" avant d'en avoir discuté? Pourquoi déjà présupposer que votre lecture ait les mêmes bases que celle de vos interlocuteurs? Je comprends que certains messages vous énervent lorsque vous présupposez cela, bien sûr, mais ce que je comprends moins, c'est cette présuppostion en tant que telle. Pourquoi vous y tenez autant?

Sescho a écrit :Toutes les précisions dûment faites rayées, les propos caricaturés pour pouvoir être démentis (ah ! sacré Schopenhauer, s'il n'était pas mort je croirais qu'il a écrit son bouquin en visitant notre site),


pour moi, vous y allez trop vite. Vous trouvez que votre interprétation de Spinoza ne peut qu'être la seule vraie, et de ce fait même, vous supposez que ceux qui pensent différemment ne peuvent que consciemment déformer vos propos, et cela "pour" le "plaisir" de "vous" réfuter. En réalité, on ne vous connaît pas, on ne pense rien du pseudo Sescho, pas de choses positives, pas de choses négatives, on ne s'intéresse qu'aux idées que ce pseudo soumet au "public" de ce forum, et on témoigne de nos propres lectures, lectures faites indépendamment de la vôtre, bien sûr. Beaucoup d'entre nous ont commencé à lire Spinoza avant de venir sur ce forum, ont déjà formé quelques (hypo)thèses interprétatives, s'y intéressent pour des raisons qui les concernent eux. On n'a pas commencé à fréquenter ce forum et à avoir des idées sur le spinozisme depuis qu'on vous lit, on ne partage pas nos idées ici afin de tester nos interlocuteur, on est ici simplement pour parler et témoigner, chacun tout à fait sincèrement et franchement, de ce qu'on a pour l'instant compris nous. Rappelez-vous que c'est Spinoza lui-même qui dit que lorsqu'on n'aime pas telle ou telle chose qu'on nous fait, lorsqu'on lit par exemple une interprétation de Spinoza qui ne nous plaît pas, nous serons spontanément affectés de Tristesse, et auront la chose qui nous a affecté ainsi (en l'occurrence, tel ou tel pseudo) en Haine, et nous imaginerons que cette chose nous a affecté ainsi "parce que" (cause finale) elle voulait diminuer notre puissance, alors qu'en réalité, comme l'a dit un commentateur, d'un point de vue spinoziste "il est aussi bête de dire que Pierre me veut du mal que de dire que la pierre me veut du mal".

Sescho a écrit : les tenants de la positivité et de la puissance en tout... qui ont de fait la haine au bord des lèvres, d'ampleur égale à celle de leur vanité, comme il se doit...


pour moi, avoir quelqu'un comme vous sur ce forum est une chance. Je considère ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et font un effort pour le dire comme étant mes amis (indépendamment de ce qu'ils pensent de moi, bien sûr). Je ne ressens aucune Haine par rapport au pseudo "Sescho", au contraire, j'apprécie vos contributions, qui lorsqu'elles parlent du spinozisme même, toujours soulèvent des questions intéressantes et souvent très profondes, très stimulantes pour la pensée, et pas faciles à résoudre.

Sescho a écrit :Mais bon, même au niveau professionnel je vois passer des TdC qui ne connaissent pas un millionième du métier et se croient pourtant autorisés à prendre le monde de haut. Vanité et compétence sont opposées. C'est ainsi... E. Tolle raconte que certains lui écrivent en lui disant qu'il n'a rien compris. Alors, pourquoi me plaindrais-je...


en tout respect, je crois qu'effectivement vanité et compétence sont opposées, et partant, vous nous montrez votre compétence lorsque vous parlez du spinozisme, tandis que lorsque vous vous auto-déclarez expert en matière de spinozisme sans que l'on ait déjà compris en quoi et pourquoi vous auriez raison, il est difficile de vous suivre. Pourquoi serait-il nécessaire de se plaindre lorsqu'on rencontre des gens qui lisent Spinoza différemment que vous et qui trouvent que ce qui nous fait avancer c'est d'essayer d'en discuter? Pourquoi ne pas tout simplement essayer d'argumenter, ou plutôt de trouver les arguments capables de convaincre vos interlocuteurs, sachant qu'aussi longtemps que vous n'êtes pas convaincu par leurs arguments à eux, personne ne peut vous demander de changer d'avis, et tout le monde doit respecter l'idée que vous proposez?

Sescho a écrit :Mais en fait il semble qu'il n'y ait là-derrière, le monceau de scories ôté, qu'une querelle de mots (mise à part la configuration mentale qui sous-tend lourdement tout cela.)


vous pouvez toujours utiliser cette hypothèse-là, mais de nouveau, c'est présupposer qu'en matière d'interprétation d'un philosophe, on peut avoir raison tout seul dans son coin, sans soumettre ses idées à la réfexion commune. Je ne vois pas ce qui permettrait de croire en la vérité d'une telle présupposition.

Sescho a écrit :On se demande qui nous commentons. Car les termes impuissance, inadéquation, confusion, bien, mal, haineux, vulgaire, esclave, ignorant, orgueilleux, ne méritant pas le nom d'homme, etc. etc. sont utilisés à foison par Spinoza lui-même (plusieurs centaines d'occurrences au total, je pense.)


bien sûr. Mais quelle est sa conclusion? Que la règle de vie principale, pour atteindre le souverain bien, c'est de ne regarder que ce qui est bon dans toutes les choses (soi-même y compris, bien sûr, car contempler son impuissance rend Triste).

Ne regarder que ce qui est bon: E5P10 scolie: "Donc, le mieux que nous pouvons faire, (...), c'est de concevoir la règle de vie correcte, autrement dit des principes de vie précis, de les graver dans notre mémoire, et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent couramment dans la vie (...). (...) nous devons toujours prêter attention à ce qu'il y a de bon dans chaque chose, afin qu'ainsi ce soit toujours un affect de Joie qui nous détermine à agir."

Il est déconseillé de concevoir les choses sous le signe de l'impuissance: E4P58: "L'Humilité est une Tristesse, qui naît de ce que l'homme contemple sa propre impuissance. Et l'homme, en tant qu'il se connaît par la vraie raison, est supposé comprendre son essence, c'est-à-dire sa puissance. Et donc si l'homme, tandis qu'il se contemple, perçoit en soi quelque impuissance, CELA NE PROVIENT PAS DE CE QU'IL SE COMPREND, mais de ce que sa puissance d'agir se trouve contrarié."

Contempler sa propre impuissance (et, dira Spinoza plus tard, celle des autres) ne peut que rendre Triste, donc diminuer la puissance, tandis que tout bien véritable augmente la puissance, et le souverain bien l'augmente même durablement. C'est pourquoi voir partout de l'inadéquation, des passions, du mal etc. jamais ne pourra nous tirer de l'affaire. On reste alors coincé dans l'idée imaginaire qui veut que ce qui n'est que privation aurait une consistance propre, quelque chose que l'on pourrait détruire. "Et donc l'Humilité, autrement dit LA TRISTESSE QUI NAÎT DE CE QUE L'HOMME CONTEMPLE SON IMPUISSANCE, NE NAÎT PAS de la vraie contemplation, autrement dit DE LA RAISON, et n'est pas une vertu, mais une passion.". C'est parce que parfois vous essayez de vous débarrasser d'interprétations qui ne vous plaisent pas trop en demandant à tous les visiteurs du forum de contempler l'impuissance (présupposée par vous) de votre interlocuteur, que cet interlocuteur va réagir de manière pas toujours trop aimable, car en disant cela, vous diminuez sa puissance, ce qui ne peut que provoquer de la Haine chez votre interlocuteur, comme Spinoza l'explique en l'E3. Cette Haine n'a rien à voir avec vous en tant que personne, elle est simplement l'effet tout à fait "impersonnel" du fait que vous essayer de réduire les idées qu'on vous oppose à de la simple impuissance personnelle de l'autre. C'est ce mécanisme qui crée inévitablement de la Haine, pas vous en tant que personne.

Spinoza dit dans le même scolie : "Par exemple (...) qu'il ne pense pas à (...) sa vanité, ou à l'inconstance des hommes, ni aux autres choses de ce genre, auxquelles nul ne pense sans chagrin; car c'est de telles pensées que les plus ambitieux se désolent le plus (...) il est donc certain que les plus désireux de gloire sont ceux qui crient le plus fort contre son abus et contre la vanité du monde.".

C'est pourquoi je crains qu'au fond Phiphilo ait raison lorsqu'il considère que d'un point de vue spinoziste, celui qui dénonce la recherche de Gloire et la vanité des autres, quelque part montre avant tout sa propre impuissance. Car Spinoza poursuit: "Et cela n'est pas propre aux ambitieux, mais commun à tous ceux à qui la fortune est adverse et qui ont l'âme impuissante." Seulement là où je ne le suis pas du tout, c'est lorsqu'il croit que la meilleure chose à faire par rapport à quelqu'un qui dit chaque jour combien ses interlocuteurs sont vaniteux et impuissants (car pas capable de voir la vérité de ses propres pensées etc.), c'est de lui rappeler publiquement qu'il s'agit d'une impuissance. L'E4P58 nous montre que cela ne peut que diminuer encore plus celui qui dénonce sans cesse la vanité du monde. Spinoza dit bien plutôt que l'impuissance, qui n'est qu'une "privation de connaissance), ne peut être "combattue" que par la Générosité et par l'Amour. Cela signifie qu'on essaie d'arrêter la spirale négative de la Haine et la dépréciation ou inculpation de l'autre, en commençant non pas par dénoncer les défauts de l'autre mais de détruire ses propres passions, afin de pouvoir réellement aimer l'autre. C'est cela, à mon sens, la portée éthique de l'Ethique.

Sescho a écrit :Et je ne vois pas où j'aurais donné à ces mots un autre sens que celui qu'il leur donne. Ou alors en fait nous ne commentons pas Spinoza mais quelqu'un d'autre ; autant le dire, cela évitera les problèmes (seul Spinoza m'intéresse et ceux qui échangent positivement à son sujet et conjointement au sujet de la vie.)


honnêtement, je ne comprends pas très bien cette attitude. Comment pouvez-vous déjà supposer que la façon dont vous lisez Spinoza serait la seule vraie, simplement parce que c'est la vôtre et que vous n'en doutez pas? Ceci n'est pas du tout une critique, c'est une véritable question, et pour moi même un réel énigme. Comment pouvez-vous auto-déclarez que le sens que vous donnez aux mots c'est le même que celui que Spinoza a voulu leurs donner, ce qui rend d'office tous les autres sens proposés faux, sans qu'une réelle argumentation ne soit plus nécessaire? Je n'arrive pas à saisir sur quoi vous vous basez pour pensez cela (si vous voulez, vous pouvez vous dire que moi, louisa, je suis dans l'incapacité/impuissance de vous comprendre par rapport à cela, pour l'instant). Ce n'est absolument pas que je crois que vous, Serge, n'êtes pas capables d'avoir en tout raison en matière de spinozisme (cela est toujours possible). Mon problème c'est que je ne parviens pas à comprendre comment on pourrait adopter l'attitude que vous décrivez ici, et cela de manière tout à fait générale, tout à fait indépendamment du fait qu'ici en l'occurrence c'est Serge qui a écrit cela.

Sescho a écrit :On nous dit : il n'y a que de la puissance, en plus ou en moins, mais pas d'impuissance (corrigeant donc Spinoza lui-même.)


Il est dommage que vous ne citiez pas le "on" dont vous parlez ici, car alors on pourrait voir d'où vient le malentendu. Ce que "on" essaie de dire en réalité, c'est que pour nous, le remède aux affects ne consiste pas dans l'idée d'essayer de voir de l'impuissance partout, elle consiste à s'entraîner à comprendre la puissance des choses et des gens. Bien sûr, il est tout à fait vrai que telle ou telle personne toujours ne sait pas faire x ni y ni z et ainsi à l'infini. De ce point de vue, elle est réellement impuissante. Impuissante à faire tout cela. Mais aussi bien le remède aux affects que la paix sociale ne surgissent que lorsqu'on adopte un autre point de vue, lorsqu'on apprend à voir ce qu'il y a de bon dans les gens, comme le prescrit l'E5P10 scolie cité ci-dessus.

Sescho a écrit : D'accord au plan de Dieu (comme déjà répété cent fois) : Dieu est pure positivité et est tout ce qui existe (y compris donc tout individu humain tel qu'il est.) Tout marque la puissance de Dieu et il n'y a en Dieu aucune impuissance. Dans ce cadre entrent par exemple le viol d'un enfant suivi d'étranglement, les camps de la mort, les massacres à l'arme blanche, la torture, l'agonie par la faim, par la soif, par la chaleur, par le froid, par la maladie qui ronge, etc., la dépression aggravée avec prostration et suicide, la perversion narcissique et son cortège de prétentions à la supériorité sur autrui, de dévaluations d’autrui, de harcèlement moral, toute autre forme de folie, etc., etc., etc. : tout cela appartient à la puissance de la Nature et est parfait de ce point de vue. Dieu n'a pas faim, pas soif, ne souffre pas. Nickel.


je crois qu'ici vous posez le problème en des termes pas très adéquats. Qui a faim, lorsqu'un enfant du Zimbabwe ramasse les grains de maïs tombé d'un camion dans le sable, si ce n'est pas Dieu ... ? Rappelez-vous que les modes sont en Dieu. C'est donc Dieu en tant qu'il s'explique par cet enfant-là qui a faim. Dieu souffre, chez Spinoza, cela est certain. Mais ce qu'il me manque dans votre interprétation, c'est la distinction essence divine - affection de l'essence divine. Jamais l'essence divine ne souffre de quoi que ce soit. Ce n'est que Dieu en tant qu'il est une affection de l'essence divine qui peut souffrir. Vous semblez limiter Dieu à l'essence divine seule, alors que Spinoza dit très clairement qu'il n'y a rien en dehors de Dieu et que les modes sont en Dieu et donc tout à fait divin aussi.

Sescho a écrit :Si on en reste là, alors pour le coup autant ne rien faire (ou quelque chose, ou une autre, c'est égal), aucune éthique dans l'Ethique, aucun sens, rien. C'est Spinoza cela ??? !!!


Si l'on croit que Dieu ce ne sont que les attributs et que les modes sont extérieurs à Dieu, alors en effet, à quoi bon faire quelque chose pour améliorer l'état des modes, puisque lorsqu'un mode souffre, Dieu ne souffre pas ... ? Or tout change lorsqu'on se dit que quand tel ou tel mode souffre, c'est Dieu lui-même qui souffre! C'était bien cela le message du Christ, d'ailleurs, que Spinoza dit être équivalent à la "vraie religion", celle qui se déduit parfaitement de manière purement rationnelle de l'idée de Dieu. Lorsqu'un homme, n'importe quel homme, souffre, c'est Dieu qui souffre. C'est pourquoi aider l'homme souffrant, c'est exactement la même chose qu'aimer Dieu. Et désolée, je n'y peux rien, mais c'est toujours ce côté d'Amour de Dieu qui pour moi manque dans votre interprétation du spinozisme (pour la raison logique que se concentrer sur l'impuissance ne peut pas créer un Amour, cela ne peut créer que du chagrin, comme le dit Spinoza ci-dessus).

Sescho a écrit :Mais non, l'homme, lui, n'est pas la nature dans son entier, il n'en est qu'une partie, et les lois qui le concernent lui fixent un sens, une direction, ce qui implique automatiquement un bien véritable, et a contrario sa négation : le mal. Un axe avec un sens positif et un sens négatif.


oui, tout à fait d'accord là-dessus. Mais la question éthique par excellence c'est : QUE FAIRE AVEC LE MAL? En faire une chose réelle, ayant sa consistance propre, et qu'il faut détruire pour s'en délibérer? Ou en faire un simple point de vue, une privation par rapport au "modèle" qu'on se propose, qui demande à être traité de manière constructive, à être complété au lieu d'être détruite afin de la surmonter? Pour moi, Spinoza opte très clairement pour la deuxième idée (ce qui fait de lui un philosophe "morale" tout à fait originale).

Autrement dit, sachant que le bien véritable n'est pas absolu mais relatif à nous, êtres humains, ce bien véritable consiste-t-il à voir partout des impuissances et à les dénonces sans cesse? Pour moi, Spinoza répond de manière catégorique: non! Il consiste à apprendre à voir partout du bon, à comprendre la puissance des choses et des gens. Et pour pouvoir ce faire, il faut penser au fait qu'eux aussi, en tant que modes, ils sont divins. Ils n'ont pas les caractéristiques de l'essence divine, bien sûr, mais il n'en demeure par moins qu'en tant qu'ils sont produits par Dieu et en Dieu, ils sont nécessaires, donc éternels, et donc divins eux aussi. LE souverain bien, chez Spinoza, c'est cela: pouvoir voir chaque chose non pas isolément ou selon les affects qu'elle nous inspire (ou selon les passions qu'elle subit, autrement dit selon qu'elle est une partie de la Nature, (E4P2), mais en Dieu, c'est-à-dire en sa puissance et éternité à elle. Tâche pas facile, tellement on a l'habitude de ne voir que les défauts des gens (et de nous-mêmes, car l'un ne va pas sans l'autre)... .

Sescho a écrit : L’Homme a faim, soif, chaud, froid, il souffre et il est éventuellement confus, ignorant, haineux, vaniteux, méchant, ... (mots de Spinoza toujours, qui ne sont pas des insultes - penser en insulte c'est encore être attaché au libre arbitre en fait, à l'accusation, comme par ailleurs la vanité l'est - mais dénomment des états réels, qui effectivement sont des manifestations de la Nature en aucun cas critiquables.)


en effet, vous avez compris que dire cela ce n'est pas un insulte, c'est simplement analyser l'impuissance more geometrico. Là-dessus nous sommes d'accord. Mais:
1. dire à quelqu'un qu'il est vaniteux lorsqu'il donne une interprétation du spinozisme divergeante, c'est le mépriser, car c'est déjà présupposer qu'il ne peut pas se baser sur sa propre Raison pour lire Spinoza autrement, alors que rien ne permet de dire qui a raison avant d'en avoir discuter en toute honnêteté. C'est donc l'insulter. A partir de ce moment-là, on peut s'attendre à quelques propos assez haineux par rapport à nous aussi.
2. le problème n'est pas, contrairement à ce que vous pensez, de savoir si l'impuissance est réelle ou non. Bien sûr qu'elle est réelle, sinon tout mode serait tout-puissant, ce qui par définition est impossible. Le problème est ETHIQUE: que faire devant cette impuissance? La concevoir sans cesse comme impuissance, ou abandonner cette idée pour se comporter tout à fait différemment? L'E5 dit à mon avis sans aucune ambiguïté qu'il faut laisser de côté toute recherche d'impuissance, pour commencer à apprendre à aimer le monde et donc Dieu et donc les choses singulières, c'est-à-dire pour commencer à les comprendre dans leur puissance.

Sescho a écrit :On nous dit : il n'y a pas d'impuissance (mot employé de nombreuses fois par Spinoza, donc), il n'y a que plus ou moins de puissance.


non. Ce n'est pas ce qu'on vous dit. C'est pourquoi il serait intéressant que vous reprenez texto les thèses de vos interlocuteurs que vous voulez réfutez, au moins cela nous permettrait de clarifier là où apparement c'est nécessaire. Il ne s'agit pas de nier qu'il y a un tas de choses que l'homme ne peut pas faire. Il s'agit de comprendre qu'un "ne peut pas faire" est de l'ordre de la privation, et non pas de l'ordre du défaut ou du manque, chez Spinoza. L'impuissance n'existe que dans la tête de celui qui aurait voulu que le monde soit différent qu'il ne l'est. Dans la réalité, il y a des degrés ou quantités précises de puissance, et la puissance infinie de Dieu. Connaître les choses, les comprendre, c'est comprendre leur puissance, et non pas penser à tout ce que ces choses ne peuvent pas faire (de toute façon cette liste est infinie, mais Spinoza dit bien que toute définition est affirmation et n'enveloppe pas de négation).

Sescho a écrit :Ah ! si la pompe ne tient qu'à cela, concédons-le : comme on met l'origine où l'on veut nous pouvons remplacer "impuissance" par "bas niveau de puissance."


non non, on remplace "impuissance" par "puissance". Je suis pour l'instant impuissante à vous comprendre à 100%, mais je suis tout à fait puissante à me comprendre moi. Puis vous n'avez pas compris la place qu'une pensée qui met l'accent sur la puissance des choses particulières donne à Dieu. Dieu, dans une telle optique, est l'origine même du monde, non pas en tant qu'il est telle ou telle chose particulière, mais en tant qu'il est l'essence même du monde.

Sescho a écrit :Ou alors il ne faut plus parler de puissance du tout, puisque le terme n'aurait en fait, à l'encontre de toute échelle, aucun sens.


cela, c'est plutôt ce que vous faites vous-mêmes, lorsque vous essayer de parler dans chacun de vos messages de l'impuissance des gens.

Sescho a écrit :Cela rassurera ceux qui ne tolèrent pas qu'on puisse détecter chez eux des défauts (manques, que pourtant Spinoza décrit en termes fleuris.)


je ne crois pas qu'il s'agisse d'une quelconque "tolérance". On a tous spontanément la tendance à ne voir que des défauts, chez nous-mêmes et chez les autres. Mea culpa mea culpa mea grande culpa, comme le disent les catholiques au moins une fois par semaine et de préférence plus, tandis que leurs prêtres n'oublient pas à rappeler que les non chrétiens brûleront dans le feu éternel. L'éthique spinoziste consiste à apprendre à se défaire de cette habitude malsaine.

Sescho a écrit :Les mots auraient donc un réel pouvoir...


mais bien sûr! Si ce n'était pas le cas, pourquoi Spinoza aurait-il écrit l'Ethique ... ?? Les mots sont des mouvements corporels, dit-il dans l'E2. Tout mouvement corporel produit un effet. Donc a un pouvoir.

Sescho a écrit : Ils ne sont pas pervers mais non totalement accomplis (à ajouter au lexique politiquement correct), pas (encore) en pleine puissance ; nuance...


non non, là vous pensez de nouveau à partir de l'idée d'un défaut, ou comme vous le disiez cet après-midi à propos d'un enfant, de "l'incomplétude". Spinoza en revanche ne reconnaît aucune potentialité ou virtualité. Il s'agit d'apprendre que tout est toujours déjà déjà, et qu'en même temps on ne peut pas ne pas désirer d'améliorer encore les choses. Il n'y a rien d'accompli ici, il n'y a que déployement de puissance, production d'effets, causes efficientes. Toute chose est toujours déjà en "pleine" puissance. Il n'y a pas de vide dans la Nature (E1), il n'y a pas de puissance à réaliser ou à "remplir". Tout ce qu'on peut faire, c'est augmenter les puissances qui existent déjà .C'est comprendre cela que nous donne précisément le troisième genre de connaissance!

Sescho a écrit :Pour ceux qui ont froid par les temps qui courent : convertissez les températures dans l'échelle Kelvin, qui vous montre qu'il y a toujours de l'énergie thermique (positive.) Le froid n'existe pas. A -5 °C vous avez froid ? Vous aurez chaud à 268 K ! En slip à –70 °C ? Aucun problème : c’est encore 203 K, pensez donc !


en réalité, dans le spinozisme, le froid existe et est divin. Le froid, c'est Dieu en tant qu'il est ressenti par un sans-abri en hiver à Paris. C'est cela qu'il s'agit de comprendre.

Sescho a écrit :L’éthique et la morale, pour être sous certaine acception distinguables (comme je le fais moi-même généralement), relèvent quand-même largement du même secteur (d’où : « Philosophie morale », « moraliste », « sens moral », etc.) L’éthique c’est la morale non moralisante, c’est-à-dire sans aucune accusation (qui implique la croyance au libre arbitre), ni coercition (encore que celle-ci soit admissible au niveau politique.) Il semble, comme déjà mentionné ci-dessus, que certains soient tentés par jeter l’éthique avec la morale moralisante, en fait. Par assimiler moralisme et moralisation.


non je ne crois pas, il s'agit d'un malentendu. Il faudrait que vous citiez texto les passages qui vous ont fait penser cela, afin qu'on puisse formuler les choses plus clairement.

Sescho a écrit : C’est ce que Paul Diel (que certains jugent "moralisateur", précisément, car ils ne supportent pas qu'on leur associe une quelconque imperfection


Spinoza explique en revanche que l'homme ne supporte pas de contempler sa propre imperfection ou impuissance, et que cela diminue nécessairement sa puissance de penser et d'agir.

Sescho a écrit : et que, comme Spinoza, Diel nomme les choses à hauteur de la souffrance qu'elles représentent) appelle banalisation : non pas se corriger mais éteindre la culpabilité. Ils n’ont pas de défauts, ils sont une puissance naturelle qui éventuellement peut atteindre un niveau encore plus grand. Donc tout va mieux…


où voyez-vous, dans le spinozisme, qu'il faudrait cultiver la culpabilité (ce qu'il appelle à mon sens le "Repentir", et qui pour lui est toujours une Tristesse et une Passion, car alors on s'imagine qu'on aurait pu faire mieux, et donc que le monde aurait pu être différent, par conséquent on oublie que tout est déterminé depuis toute éternité)?

Sescho a écrit :Si tout est toujours positif, c’est à se demander comment le suicide peut exister.


encore une fois, personne n'a dit ici que tout est toujours positif. Ceci étant dit, Spinoza dit très clairement que le suicide toujours vient du dehors, jamais n'est une conséquence de la puissance du suicidé. On ne pourra donc jamais comprendre le suicidé lorsqu'on le pense comme suicidé, il faut le penser effectivement dans sa "positivité" ou essence affirmative, non pas afin de faire comme si le mal n'existe pas, mais simplement pour pouvoir réellement comprendre quelque chose de lui.

Sescho a écrit :Sauf que la tristesse, la haine, l’envie, la vanité, etc., etc., la confusion, la souffrance, en particulier, sont des réalités, pas des êtres de raison, et Spinoza les nomme comme il se doit.


bien sûr, personne n'a nié cela. Seulement, Spinoza ne fait pas que décrire le monde, il propose aussi une éthique. Cette éthique décrit ce qui est censé être le mieux pour nous. Et le mieux pour nous, c'est d'arrêter de se borner à ne voir que des privations, pour apprendre à apprécier de manière purement affirmative, autrement dit pour apprendre à aimer Dieu.

Sescho a écrit : Quand on est vaniteux, on est vaniteux ; ce n’est pas de changer les mots qui y change quoi que ce soit.


il ne faut pas changer de mots, il faut changer d'idées.

Sescho a écrit : Les passions sont la puissance de la Nature, certes, la faim aussi, la souffrance aussi, la haine aussi, l’orgueil aussi… Et de l’autre côté la béatitude n’est donnée qu’au sage ; il ne suffit pas de se dire très bien comme on est pour y atteindre, bien au contraire.


en effet, au contraire! Il s'agit de se dire que la faim, ce n'est pas bien du tout, et que la Charité et la Générosité nous obligé à y mettre fin!

Sescho a écrit :Spinoza appelle les passions par leur nom, et l’impuissance relative par le sien, car son phare est le sage, pas le fou.


Je dirais: Spinoza appelle les passions par leur nom, et l'impuissance relative par le sien, MAIS son phare est le sage, pas l'ignorant, pas celui qui, comme un lapin qui regarde la nuit le phare d'une voiture avant d'être écrasée par lui, ne regarde que ce qui manque et croit qu'il faut détruire ce manque, se laisser aveugle par ce qui n'est que néant, au lieu de réellement penser à la puissance réelle des choses, celle sur laquelle il va falloir se baser si l'on veut non pas juste dénoncer le mal dans le monde, mais véritablement changer le monde, le rendre meilleur pour un maximun de gens. Car mon propre bonheur, dit-il dans le TIE, est tout à fait lié à la félicité donc le bonheur donc l'augmentation de puissance d'un maximum d'autres gens. Pour savoir comment augmenter la puissance de quelqu'un, il ne suffit pas de regarder obsessivement tout ce qu'on peut s'imaginer qu'il lui manque, il faut se demander bien plutôt quelles puissances sont en jeu, comment elles fonctionnent, et ensuite les utiliser afin de provoquer réellement un "surplus" de puissance. C'est une toute autre attitude, à mon avis, une toute autre pensée. Cela n'a rien à voir avec nier la souffrance. C'est diviniser la souffrance pour pouvoir mieux y remédier. Car si la souffrance est divinisée, et si Dieu est entièrement déterminé, alors la souffrance n'appartient pas à un "empire dans l'empire", elle obéit elle aussi à des lois naturelles, ce qui signifie qu'en connaître et comprendre les causes est exactement ce qui nous va permettre d'agir sur ces causes et ainsi changer les effets, remédier à la souffrance.
Amicalement,
L.

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 23 déc. 2008, 11:23

1 Spinoza est une sorte de "notion commune" aux participants de ce forum

2 Toute idée émise par un participant contient une part de vérité (le baton parait bien rompu quand il trempe dans l'eau) qui mérite d'être reconnue

3 Tant qu'il y a débat nous sommes en partie dans l'imagination.

4 Les tonalités affectives (ironie, colère, etc.), sont bien évidemment des indices de passions. Et je me demande souvent pourquoi il faut en arriver là pour que ça devienne intéressant !

Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 23 déc. 2008, 14:43

,,,
Modifié en dernier par Pourquoipas le 04 janv. 2009, 13:07, modifié 1 fois.

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Bruno31415
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Messagepar Bruno31415 » 23 déc. 2008, 17:19

Bonjour,

Merci pour vos réponses au sujet de la proposition 49 de Ethique II. Dur dur quand même..., je m'y perds un peu avec le vocabuaire.

De façon plus générale, que pensez vous des ouvrages de R. Misrahi sur Spinoza ? Ce sont les seuls que je posède pour essayer de m'initier à la pensée de Spinoza. Ils m'ont l'air très bien faits mais je m'y perds quand même...

--> Louisa, je t'ai envoyé un mp.

Bonnes fêtes à tous,
Bruno.

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bardamu
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Messagepar bardamu » 23 déc. 2008, 23:31

Bonjour Louisa,
j'allais faire une longue réponse pour préciser quelques points et signaler là où ton expression pouvait facilement apparaître contradictoire mais finalement je crois que le fond du problème par rapport à la perception de Serge serait : qu'est-ce qu'on peut légitimement comparer ? peut-on dire que l'enfant est plus faible que le sage, que par comparaison il souffre d'un manque de puissance ? est-ce que comparer c'est juger au sens moralisateur ou simplement comprendre les justes rapports, comprendre ce que l'on peut et ce que peut l'autre ? le sommet de l'éthique consiste-t-il à se passer de ces échelles qui peuvent par exemple être une manière de concevoir les chemins à parcourir, d'adapter son comportement à ce qu'on peut et ce que peut l'autre ?

P.S. : L'impuissance imaginée provoque une tristesse (cum mens suam impotentiam imaginatur, eo ipso contristatur E3p55), mais comprendre la limite de sa puissance et sa nécessité dans l'ordre naturel ne le fait pas.
Et puis "Le vulgaire devient terrible dès qu'il ne craint plus" (E4p54 scolie), un peu de honte et de peur ne peut pas faire de mal pour le tenir en bride :twisted: .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 24 déc. 2008, 06:04

A Bruno

en ce qui concerne la proposition 49 de l'Ethique II: pour l'instant je n'ai pas voulu répondre aux questions que tu posais à ce sujet puisque à mon sens Sescho t'avait très bien répondu et que je ne voyais pas quoi y ajouter encore. Sinon en effet il y a pas mal de vocabulaire "technique" à explorer/acquérir pour pouvoir bien comprendre de quoi il s'agit, je crois, donc n'hésite pas à poser des questions plus précises par rapport à cette proposition ou par rapport à ce que Sescho en a déjà dit!

Bardamu a écrit :j'allais faire une longue réponse pour préciser quelques points et signaler là où ton expression pouvait facilement apparaître contradictoire mais finalement je crois que le fond du problème par rapport à la perception de Serge serait : qu'est-ce qu'on peut légitimement comparer ? peut-on dire que l'enfant est plus faible que le sage, que par comparaison il souffre d'un manque de puissance ? est-ce que comparer c'est juger au sens moralisateur ou simplement comprendre les justes rapports, comprendre ce que l'on peut et ce que peut l'autre ? le sommet de l'éthique consiste-t-il à se passer de ces échelles qui peuvent par exemple être une manière de concevoir les chemins à parcourir, d'adapter son comportement à ce qu'on peut et ce que peut l'autre ?


bonjour Bardamu,
je ne suis pas certaine d'avoir bien compris ce que tu dis (surtout dans la dernière phrase) donc voici juste quelques "associations".

En effet, Spinoza dit régulièrement que telle ou telle chose est ou rend plus puissant(e) que telle autre. En ce sens, il compare des puissances. Puis la force d'une Passion se laisse précisément "mesurer" au résultat d'une comparaison entre deux puissances. Mais le sommet de l'éthique, à savoir la Béatitude ou Liberté, aurait-elle à voir avec de telles comparaisons? Pour l'instant, j'aurais plutôt tendance à croire que non. Il s'agit plutôt de saisir l'essence d'une chose dans son éternité, en tant qu'elle existe éternellement en Dieu, en tant qu'elle aussi est divine, donc causée par Dieu en tant que cause non pas prochaine ou lointaine mais immanente, en tant qu'elle est, "considérée en soi", "du Dieu", en tant qu'elle est pure affirmation. C'est pourquoi je crois que l'idée, suggérée par certains commentateurs, de concevoir l'essence comme une "intensité" plutôt que comme une "quantité" mesurable, me semble être potentiellement intéressante. Dans ce cas, une puissance peut devenir plus ou moins intense (donc est susceptible du plus et du moins) tout en étant "qualitative", donc constituée de qualités singulières, et non pas de quantités "uniformes", "accumulables", homogènes, pareilles chez tous (des "unités"). Une chose est alors "plus" puissante dans la mesure où elle a plus de qualités (tout comme une substance est plus puissante ou a plus de réalité si elle a plus d'attributs, E1P9). Comprendre une chose, c'est comprendre quelles sont ces qualités, c'est comprendre ce qu'elle peut. On rencontrera la "limite" une fois que l'on comprend tout ce qu'elle peut (mais qui peut savoir tout ce que peut une autre chose que soi-même, voir tout ce qu'on peut soi-même, si on ne sait même pas encore ce que peut un corps?). Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas voir tout ce que cette chose ne peut pas. Mais ce qu'elle ne peut pas ne peut pas la constituer, donc en fin de compte ne dit rien d'elle (puisque sa "définition" doit être affirmative).

D'un point de vue éthique, cela signifierait éventuellement que le "comportement" à adopter, c'est "simplement" celui d'essayer de comprendre (mettre cette "règle de vie" en pratique de façon radicale, de façon à ce que dans chaque situation on essaie de discerner les "puissances" en jeu, n'est peut-être pas facile du tout, on a beaucoup plus tendance à voir ce qui manque). C'est donc peut-être cela vivre "sous la conduite de la raison", puisque la raison, "autrement dit la vraie contemplation", ce n'est rien d'autre que comprendre la puissance des choses (E4P53 démo). Je me demande si ce type de "vie" n'est pas en soi-même la meilleure "adaptation" que l'on puisse faire aux autres, aux autres puissances (à vérifier). Cela signifie en effet s'adapter à ce que l'autre peut, seulement la difficulté principale résiderait non pas dans l'adaptation en tant que telle, mais dans la compréhension même de ce que l'autre peut (et de ce qu'on peut soi-même). Dans la mesure où on a compris cela, on "convient" déjà, on a déjà un rapport social basé sur la compréhension, on s'est déjà adapté. Ce qui dans ce cas nous "isolerait" des autres, ce sont précisément nos Passions, qui indiquent plus l'état de notre Corps que la nature de la chose/personne qui nous a affecté (au lieu de nous faire comprendre réellement la nature de l'autre). Raison pour laquelle avoir bien compris quel est le remède aux affects est nécessaire non seulement pour pouvoir détruire avant tout ses propres Passions, mais surtout aussi pour pouvoir réellement comprendre l'autre, celui par qui on est affecté. Enfin, je ne suis qu'en train de développer quelques hypothèses, à vérifier/tester.

Bardamu a écrit :P.S. : L'impuissance imaginée provoque une tristesse (cum mens suam impotentiam imaginatur, eo ipso contristatur E3p55), mais comprendre la limite de sa puissance et sa nécessité dans l'ordre naturel ne le fait pas.


qu'est-ce qui te fait penser que "comprendre" la limite de sa puissance ne provoquerait pas une Tristesse? Ou plutôt: en quoi comprendre des "limites" serait-il possible, dans le spinozisme? Pour l'instant, j'ai l'impression que ce qu'il s'agit de comprendre, ce sont les qualités mêmes qui constituent une puissance/essence, et une qualité ne se définit pas par des "limites" (quelle serait la limite de la qualité "rouge", par exemple (si l'on s'abstient un instant à la quantifier en termes de longueur d'ondes)?). Cela ne veut pas dire qu'il faut s'imaginer que l'essence des choses soit illimitéé, sans limites. Cela signifie plutôt penser en termes de "consistance", "intensité", "qualité", "affirmation", "singularité", et non pas en termes de "moins que".

Sinon en général pour l'instant je suis en train de tester l'"hypothèse de travail" selon laquelle l'imagination en soi n'a rien à voir avec l'illusoire, chez Spinoza. Comme c'était longtemps le cas en philosophie, l'imagination spinoziste me semble être une simple "faculté de temporalisation", un pouvoir de "rendre présent", sans plus, en tant que tel "neutre" par rapport à la question de la vérité (une imagination n'est ni vraie ni fausse (E4P1)). Pour pouvoir penser à quelque chose, il faut qu'il est rendu présent à l'Esprit. Faire cela est le propre de l'imagination ou du premier genre de connaissance. Si ceci est correcte, alors c'est le fait même de penser à notre impuissance qui rend Triste, et cela non pas parce que cette pensée est imaginaire (rend l'idée de notre impuissance présente à notre Esprit), mais parce l'idée d'impuissance en tant que telle est une idée inadéquate, cause d'une diminution de la puissance. Raison pour laquelle Spinoza nous donne comme "règle de vie" de toujours ne penser qu'à ce qu'il y de bon dans toute chose.

Enfin, quant à comprendre sa nécessité dans l'ordre naturel: dans l'E1 Spinoza dit que l'ordre dans la nature, c'est nous qui l'imaginons. En effet, pour avoir un ordre causal entre les différents modes, il faut les concevoir "sous l'aspect du temps", donc les imaginer. D'un point de vue de l'éternité, en revanche, tout est donné "immédiatement", uno intuitu. Par conséquent, concevoir une chose comme nécessaire ce n'est pas la concevoir "dans l'ordre commun de la nature" (d'ailleurs en tant qu'elle suit cet ordre commun, elle pâtit), c'est à mon sens (à vérifier) concevoir son essence même comme nécessaire, donc comme effet immanent de Dieu, et non pas comme effet d'autres modes.

Bardamu a écrit :Et puis "Le vulgaire devient terrible dès qu'il ne craint plus" (E4p54 scolie), un peu de honte et de peur ne peut pas faire de mal pour le tenir en bride.


oui d'accord, mais ne faut-il pas en conclure que faire contempler l'impuissance n'est que de l'ordre d'un "dernier recours"? Car là on se sert d'idées inadéquates, on provoque dans l'Esprit des autres des idées inadéquates (puisque la vraie contemplation, dit Spinoza, c'est contempler une puissance et non pas une impuissance) simplement pour diminuer la force de quelqu'un, et cela parce qu'on sait (craint?) que sans cela il pourra constituer un danger pour nous (tout comme les citoyens hollandais étaient devenus un danger pour les frères De Witt, et cela précisément à cause de leur ignorance). Lorsqu'on voit qu'un ignorant, par ignorance, va commettre un crime odieux, de prime abord il vaut mieux diminuer sa puissance (et donc sa connaissance) encore afin de lui ôter tout pouvoir "de frappe" réel. Mais si le but est de construire une "société libre", il faut faire exactement l'inverse: augmenter maximalement la puissance de chaque citoyen. Règner par la crainte et autres passions encore n'est donc que le "degré zéro" du pouvoir politique, me semble-t-il. Ou comme Spinoza le dit dans le TP, qui règne par la crainte, n'a pas une société constituée de véritables citoyens, mais ne fait que règner sur des "esclaves", et dispose ainsi d'un Etat qui lui-même est très peu libre/puissant/stable:

"Une Cité dont les sujets, paralysés par la crainte, ne prennent pas les armes, doit être dite plutôt sans guerre qu'en paix. La paix en effet n'est pas l'absence de guerre: c'est une vertu, qui naît de la force d'âme (...) une Cité dont la paix dépend de l'inertie de sujets conduits comme du bétail pour n'apprendre rien que l'esclavage mérite le nom de "désert" mieux encore que celui de "Cité". (...) Par conséquent, (...) l'Etat le meilleur est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, j'entends par là une vie humaine, qui se définit non par la seule circulation du sang et par les autres fonctions communes à tous les animaux, mais avant toute chose par la raison, véritable vertu de l'âme, et sa vraie vie. Notons-le cependant: l'Etat institué, comme je l'ai dit, en vue d'une telle fin est pour moi l'institution d'une multitude libre, et non une acquisition arrachée par droit de guerre à la multitude. Une multitude libre est en effet conduite par l'espoir plus que par la crainte; une multitude soumise, par la crainte plus que par l'espoir. L'une s'applique à cultiver la vie, l'autre seulement à éviter la mort; l'une, dis-je, s'applique à vivre pour elle-même, l'autre est contrainte d'être au vainqueur: d'où vient que nous disons l'une libre et l'autre esclave. Ainsi, la fin d'un Etat acquis par droit de guerre est de dominer, et d'avoir des esclaves plutôt que des sujets."
TP ch.V par. 4-6.

Conclusion: oui parfois il est nécessaire de (ou parfois on est déterminé à) inspirer de la Crainte à quelqu'un, mais tout cela à mon sens n'a rien à voir avec la Liberté.
L.

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Bruno31415
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Messagepar Bruno31415 » 25 déc. 2008, 01:11

Bonsoir,

Je reviens sur deux points que j'avais proposés dans un message antérieur et auxquels Serge a répondu :


sescho a écrit :
Bruno31415 a écrit :... La liberté s'exprime quand, effectivement, nous mangeons le fromage ou le dessert et que cette activité n'est conditionné que par nous-mêmes (il n'y a rien ni personne qui nous contraint à manger le fromage ou le dessert).

L'exemple me semble bon comme illustration, comme le voulait Durtal, de ce qu'est la libération d'une emprise extérieure. En revanche il ne s'extrapole pas : ce n'est pas parce que je me libère d'une contrainte strictement extérieure (qui va totalement contre mon désir) que je n'ai pas par ailleurs de contraintes qui vont selon "mon" désir (porté en l'occurrence par des idées inadéquates.)

Tout ce qui relève d'autre chose que de la connaissance claire et distincte est - lapalissade - flou, et donc porte un potentiel de servitude. Ceci inclut la part de dessert. Ce n'est pas parce que personne ne me force à manger du dessert que je ne suis pas asservi par la gourmandise, par exemple (les choses seraient infiniment plus simples, sinon) ; dans ce cas, Spinoza dit que je suis vaincu par la force de la part de dessert.

Évidemment je ne saurais pour autant me priver de manger (ce serait contre la Raison, même si manger en soi n'appartient pas à la Raison.) Je dois donc m'accommoder de cette part incontournable de moi-même faite d'interdépendance et d'impermanence (les deux vont ensemble.) Je concède librement ce que la Raison m'indique quoique le geste lui-même ne relève pas de la connaissance claire et distincte. En outre, dans la paix de l'âme, je me contente assez bien de pain sec (même si flatter le goût n'est pas mauvais en soi), je ne ressens aucune frustration si la part de dessert me passe sous le nez, ou s'avère moisie, et je mange avec modération dans cette connaissance (du premier genre) que les excès se payent ensuite (c'est pourquoi on les appelle excès.)


Si je te suis bien, dans cet exemple (fromage ou dessert) il ne suffit pas, pour être libre, que notre "choix" ne soit contraint par rien d'extérieur à nous mais il faut également examiner s'il existe des contraintes internes (la gourmandise par exemple). Or, quoi que nous fassions (prendre le fromage ou le dessert ou aucun des deux), en admettant que ce "choix" ne soit dicté par rien d'extérieur à nous, n'obéissons-nous cependant pas toujours à un désir ? Donc à une "contrainte" interne ? Supposons que je mange le fromage parce que j'en ai eu le désir : comment est-ce que je peux savoir si je ne suis pas sous l'emprise d'une contrainte interne ? D'autre part, un tel examen systématique (suis-je sous l'emprise de a gourmandise, etc.) ne mène-t-il pas à une certaine forme de mortification : je ne dois manger pour que me nourrir et tout plaisir que j'éprouverais à le faire serait suspect... en plus, même la mortification peut devenir une contrainte interne (je n'agis plus librement puisque je suis contraint par mon obsession d'agir librement qui me commande de ne pas être dominé par un affect --> oui, mais ce désir est lui-même un affect qui me domine...)

Un autre exemple qui me pose question. Je me dis que celui qui est libre n'est déterminé agir que par lui-même. Autrement dit, ses émotions ne doivent pas être conditionnées par les agissements des autres. Mais que dire alors, par exemple, d'une mère de famille : elle aime ses enfants et elle sera malheureuse, inquiète s'ils font des bêtises ou sont malades et sera heureuse si ses enfants lui apportent du bonheur : bref, elle n'est pas libre puisque son bonheur dépend de la façon dont agissent ses enfants. Une mère "libre" devrait ainsi ne rien ressentir par rapport à ses enfants ? Comment concilier la liberté avec l'amour maternel ?



sescho a écrit :
Bruno31415 a écrit : E2P49 " Il n'y a dans l'âme aucune autre volitions, c'est-à-dire aucune autre affirmation ou négation, que celle que l'idée, en tant qu'idée, enveloppe." ... Que veut dire "en tant qu'elle est idée" dans le passage : "... l'idée en tant qu'elle est idée." ?

Cette proposition est très importante, et encore plus à l'époque : comme il l'a fait au sujet de Dieu (pour lequel une erreur de conception au sujet de la volonté de l'homme, précisément, est doublée d'une erreur de projection sur lui : savoir qu'il aurait une volonté de faire ou de ne pas faire, ce qui en ruine toute conception claire), Spinoza dénie que l'Homme puisse affirmer quelque chose qui ne relève pas de l'idée même. Autrement dit, il nie qu'on doive introduire une faculté "volonté" en plus de l'entendement (notion générale pour l'homme). "Volonté" est ici entendu non comme "impulsion à l'action" (ce que Spinoza appelle "désir"), mais comme "force d'affirmation". Spinoza emploie sur le plan des déterminants premiers le rasoir d'Occam en toute rigueur, principe d'économie qui est économie de principes, ce qui est un élément incontournable du sérieux de la démarche. Il dit qu'il n'y a pas l'idée d'un côté et l'affirmation que cette idée est vraie ou fausse d'un autre, mais que l'idée même contient toujours une affirmation (ou une négation) et toute affirmation.


Si je comprends bien, ce que veut dire Spinoza, c'est qu'il n'existe pas d'affirmation et de négation "en soi", c'est-à-dire en dehors d'une idée ? Oui, mais n'existe-t-il pourtant pas "l'idée d'affirmation" et "l'idée de négation" qu'on pourrait combiner avec d'autres idées ?

J'ai lu le texte de jvidal que tu cites et il est très troublant : est-ce à dire que ce qu'écrit Spinoza concernant l'inexistence d'une capacité à vouloir au sens de libre abitre est faux ? (je n'ai peut-être pas tout compris...) Par exemple, jvidal écrit : " La théorie spinoziste de la volonté est manifestement fausse, parce qu'elle ne correspond ni à notre usage intuitif de la négation, ni à la manière dont on décrit l'usage logique de celle-ci."


A bientôt,
Bruno.

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Messagepar Louisa » 25 déc. 2008, 02:37

Bruno a écrit :Si je te suis bien, dans cet exemple (fromage ou dessert) il ne suffit pas, pour être libre, que notre "choix" ne soit contraint par rien d'extérieur à nous mais il faut également examiner s'il existe des contraintes internes (la gourmandise par exemple). Or, quoi que nous fassions (prendre le fromage ou le dessert ou aucun des deux), en admettant que ce "choix" ne soit dicté par rien d'extérieur à nous, n'obéissons-nous cependant pas toujours à un désir ? Donc à une "contrainte" interne ? Supposons que je mange le fromage parce que j'en ai eu le désir : comment est-ce que je peux savoir si je ne suis pas sous l'emprise d'une contrainte interne ?


Bonjour Bruno,
je ne crois pas que dans le spinozisme il existe des "contraintes internes", toute contrainte par définition vient du dehors, parce que être con-trainte, co-acta, littéralement "co-agi", c'est être le résultat de plusieurs causes, et non pas de soi-même dans son essence en tant que cause seule.

Je ne crois pas non plus que la Liberté soit une question de fromage ou dessert. Ce n'est que lorsqu'on pense la Liberté en termes d'indétermination que même des questions par rapport au dessert deviennent un enjeu qui a trait à la Liberté. Mais lorsqu'on pense la Liberté au sein même d'un système déterministe (spinoziste, leibnizien, stoïcien ou autre), celle-ci ne concerne plus n'importe quelle situation de choix (c'est-à-dire d'ignorance de causes), elle ne concerne que certaines situations très précises: celles où la cause peut être notre "nature" même (c'est-à-dire la Raison, comme le disait déjà Sescho).

Tu prendras sans doute du fromage ou un dessert en fonction de ton passé et de ce que tu as appris à associer imaginairement ou par habitude à l'un et à l'autre. Et je ne crois pas que ce soit très grave. La Liberté" spinoziste consiste plutôt à produire des idées adéquates, et cela ne se fait pas à n'importe quelle occasion (comme le disait Deleuze: lorsque je suis en train de me raser le matin, je ne suis pas en train d'exprimer ma Liberté, faut pas exagérer quand même ... ).

Bruno a écrit :D'autre part, un tel examen systématique (suis-je sous l'emprise de a gourmandise, etc.) ne mène-t-il pas à une certaine forme de mortification : je ne dois manger pour que me nourrir et tout plaisir que j'éprouverais à le faire serait suspect... en plus, même la mortification peut devenir une contrainte interne (je n'agis plus librement puisque je suis contraint par mon obsession d'agir librement qui me commande de ne pas être dominé par un affect - oui, mais ce désir est lui-même un affect qui me domine...)


oui en effet. Par conséquent, je ne crois pas que cette idée de "contrainte interne" soit très féconde, hormis le fait qu'on ne la trouve pas chez Spinoza.

Bruno a écrit :Un autre exemple qui me pose question. Je me dis que celui qui est libre n'est déterminé agir que par lui-même. Autrement dit, ses émotions ne doivent pas être conditionnées par les agissements des autres. Mais que dire alors, par exemple, d'une mère de famille : elle aime ses enfants et elle sera malheureuse, inquiète s'ils font des bêtises ou sont malades et sera heureuse si ses enfants lui apportent du bonheur : bref, elle n'est pas libre puisque son bonheur dépend de la façon dont agissent ses enfants. Une mère "libre" devrait ainsi ne rien ressentir par rapport à ses enfants ? Comment concilier la liberté avec l'amour maternel ?


en fait, pour Spinoza la Liberté c'est un "Amour" (E5P36). Seulement il s'agit d'un Amour de Dieu. Cela signifie notamment que dans l'exemple que tu proposes, la mère n'aimera pas ses enfants simplement parce que ce sont ses enfants, mais aussi parce que ce sont des "modes divins", des choses singulières qui sont causées par Dieu lui-même (et non pas seulement par elle), qui expriment Dieu. Tout cela peut avoir l'air très vague, bien sûr, donc il faut aller voir ce que c'est que Dieu, chez Spinoza, pour mieux comprendre cela. Or une mère "spinoziste", je crois, ne sera pas tellement "malheureuse" lorsque ses enfants font des bêtises, mais essayera de comprendre ce qui a fait qu'ils les ont faites, afin de pouvoir prévenir de la façon la plus efficace possible que la prochaine fois ils ne fassent plus la même bêtise. Elle assumera le fait que jamais elle ne puisse empêcher ses enfants d'avoir des idées inadéquates (donc de faire des bêtises), puisque tout être humain en a. Elle pourra juste être là, avec ses conseils, son amour, sa chaleur, lorsqu'ils ont fait quelque chose déterminé par une Passion et non pas par une Action, afin de leur apprendre comment construire une idée adéquate de ces idées inadéquates, comment devenir plus libre.

Bruno a écrit :Si je comprends bien, ce que veut dire Spinoza, c'est qu'il n'existe pas d'affirmation et de négation "en soi", c'est-à-dire en dehors d'une idée ? Oui, mais n'existe-t-il pourtant pas "l'idée d'affirmation" et "l'idée de négation" qu'on pourrait combiner avec d'autres idées ?


on peut très bien concevoir les choses ainsi, mais Spinoza propose de les concevoir autrement, supposant qu'on devienne plus heureux en liant affirmation et idée.

Bruno a écrit :J'ai lu le texte de jvidal que tu cites et il est très troublant : est-ce à dire que ce qu'écrit Spinoza concernant l'inexistence d'une capacité à vouloir au sens de libre abitre est faux ? (je n'ai peut-être pas tout compris...) Par exemple, jvidal écrit : " La théorie spinoziste de la volonté est manifestement fausse, parce qu'elle ne correspond ni à notre usage intuitif de la négation, ni à la manière dont on décrit l'usage logique de celle-ci."


à mon avis, jvidal se trompe. J'ai essayé d'expliquer pourquoi dans l'autre lien que Sescho a envoyé ci-dessus (celui qui reprend la discussion que nous avons eue concernant la propostion de jvidal). En gros, je dirais que jvidal pose, de façon purement "arbitraire" (car il ne se base que sur l'usage habituel du langage, ce qui n'est qu'une convention et rien de plus, surtout pas une source de vérités), que l'affirmation doit être différente de l'idée. A partir de là, bien sûr, la théorie de l'affirmation de Spinoza n'est plus "vraie", puisque Spinoza part de l'idée inverse. Jvidal se base pour ce dire sur les Méditations métaphysiques de Descartes, mais à mon sens mêmes celles-ci reconnaissant déjà l'idée que lorsqu'une idée est vraie, elle enveloppe indéniablement sa propre affirmation (et partant, on n'est pas "libre" de l'affirmer ou nier, on est obligé de l'affirmer). Mais n'hésite pas à revenir sur cette discussion si tu as l'impression que tu ne la comprends pas très bien!
L.

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Messagepar hokousai » 25 déc. 2008, 11:09

JVIdal est à côté du sujet .Il n' y a dans l'esprit que des idées . Des idées de négation comme des idées d'affirmation.Il n'y a rien en plus ou antérieurement .

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Messagepar Louisa » 25 déc. 2008, 17:58

Bonjour Bruno,
en fait, je crois que ma réponse précédente a été écrite trop vite pour pouvoir être claire. Voici donc une deuxième tentative. Je le fais en deux fois pour ne pas rendre ce message trop long (ou encore plus long ...).

Bruno a écrit :Si je te suis bien, dans cet exemple (fromage ou dessert) il ne suffit pas, pour être libre, que notre "choix" ne soit contraint par rien d'extérieur à nous mais il faut également examiner s'il existe des contraintes internes (la gourmandise par exemple). Or, quoi que nous fassions (prendre le fromage ou le dessert ou aucun des deux), en admettant que ce "choix" ne soit dicté par rien d'extérieur à nous, n'obéissons-nous cependant pas toujours à un désir ? Donc à une "contrainte" interne ? Supposons que je mange le fromage parce que j'en ai eu le désir : comment est-ce que je peux savoir si je ne suis pas sous l'emprise d'une contrainte interne ?


Comme déjà dit, je ne crois pas que la notion de "contrainte interne" ait un sens, chez Spinoza. Pourquoi pas?

On pourrait se dire que nos Passions constituent des "contraintes internes". C'est ce que beaucoup de philosophes pensent. Pour de nombreux chrétiens, par exemple, ces contraintes internes sont à chercher du côté du Corps (l'Esprit peut avoir la foi en Dieu, vouloir faire le bien, être "fort", mais le Corps est "faible" et cause de corruption et de mal). Pour d'autres, les Passions ont un aspect tout à fait "spirituel" ou "psychologique". On pourrait penser à la psychanalyse, pour qui certains de nos désirs sont à la fois entièrement les nôtres, causés essentiellement par nous-mêmes, et en même temps "mauvais" ou honteux etc. (la thérapie consiste alors à apprendre à "assumer" ces désirs, à ne plus les refouler mais à s'identifier ouvertement à eux, au lieu d'essayer de ne pas les voir).

Or Spinoza écrit ceci concernant nos Passions:

"L'essence d'une passion ne peut s'expliquer par notre seule essence (par les Défin. 1 et 2 partie 3), c'est-à-dire (par la Prop.7 p.3), la puissance d'une passion ne peut se définir par la puissance avec laquelle nous nous efforçons de persévérer dans notre être (...)." (E4P5 démo)

Ceci vaut pour toutes nos Passions: par définition, une Passion est un Affect dont nous ne sommes pas la seule cause. Une cause extérieure à nous est toujours elle aussi cause partielle de nos Passions.

Par ailleurs, nous savons que les Passions sont des Affects de Tristesse et de Joie qui lorsqu'ils sont très puissants ou très présents à l'Esprit, vont affecter notre essence d'une telle façon que ce sont eux qui nous déterminent à agir, et non pas notre nature à nous (= la Raison, ou l'ensemble de nos idées adéquates) seule. Du coup, nous ne font pas nécessairement ce qui est rationnellement le mieux pour nous (puisque cela on ne peut le faire que lorsque c'est la raison ou notre nature qui nous détermine à agir), et en cela ils sont "mauvais".

Inversement, définir l'essence d'une Passion par le fait d'être "co-agi" par une cause extérieure, signifie que nécessairement, lorsque notre essence est déterminée à faire quelque chose uniquement par elle-même, ce qu'elle fait doit être indubitablement bon pour nous. C'est ce que Spinoza résume dans le chapitre 6 à la fin de l'E4:

"Mais, parce que tout ce dont l'homme est la cause efficiente est nécessairement bon, il ne peut donc rien arriver de mauvais à l'homme, sinon par des causes extérieures (...)."

A mon avis, ceci signifie clairement que parler d'une "contrainte interne" dans le spinozisme est une contradiction dans les termes: ou bien un acte n'est déterminé que par notre essence elle-même, et alors cet acte est nécessairement bon pour nous, tandis que sa cause doit nécessairement être une idée adéquate ou un Affect-Action (appelé par certains "affect actif"), ou bien un acte que nous posons a été causé par l'une de nos idées inadéquates ou Affects-Passions (affects passifs), et alors il risque d'avoir un effet négatif sur notre puissance (remarquons que ce n'est pas toujours le cas, puisqu'il y a des affects de Joie passive, qui augmentent tout de même notre puissance, voir l'E4 chapitre 3). Dans ce deuxième cas, la cause de cet acte, par définition, n'est pas notre essence même, c'est la combinaison de notre essence avec l'essence d'une chose extérieure. En cela, nous "pâtissons". Raison pour laquelle toute Passion est toujours due à quelque chose d'extérieure à nous, et ne peux jamais s'expliquer par notre nature ou essence seule.

C'est en ce sens qu'une "contrainte interne" est inconcevable, dans le spinozisme. Ou bien un acte est déterminé par notre essence mais alors il est libre, ou bien il est déterminé aussi par une cause extérieure, et alors il est contraint. Les Passions relèvent de cette deuxième catégorie: même si elles sont "en" nous, elles sont les effets d'une cause extérieure sur nous, jamais des effets de notre propre essence seule, jamais des effets de quelque chose d'entièrement d'interne à nous.

Pourtant, je crois que Sescho a raison de ne pas limiter la problématique de la Liberté spinoziste à l'idée d'éviter les contraintes extérieures. Car à la fin de l'E4 Spinoza dit bel et bien que "Tout ce que nous jugeons, dans la nature des choses, être mauvais, autrement dit, pouvoir nous empêcher d'exister et de jouir de la vie rationnelle, il nous est permis de l'éloigner de nous par la voie qui semble la plus sûr (...)" (autrement dit, il est permis de nous débarrasser des contraintes extérieures, si l'on veut, seulement toute contrainte a toujours son origine hors de nous). Mais justement, ceci n'a un sens que dans le cadre du livre 4, qui ne parle que des forces des Affects, et pas encore des vrais remèdes aux Affects-Passions, ni de la Liberté à proprement parler.

Pour entamer le sujet de la Liberté, il faut passer au livre 5, consacré aux véritables remèdes aux Affects et à la Liberté. Cette partie de l'Ethique va d'abord nous dire de quelle manière on doit éloigner de nous ce qui est mauvais: non pas en éloignant la chose extérieure qui en a été la cause, mais en éloignant l'idée de cette chose comme cause extérieure.

Cela, c'est très important, parce que plus tôt Spinoza a dit que nous ne pâtissons qu'en tant que nous sommes une partie de la Nature, or nous sommes toujours "en partie" une partie de la Nature, donc on ne pourra pas éviter les idées inadéquates ou les causes extérieures de manière absolue. Le remède aux affects ne peut donc consister à éloigner ces causes extérieures elles-mêmes (sauf dans des cas extrêmes, bien sûr; si une bombe tombe sur ma maison, il vaut mieux fuir), puisque si c'était cela, on n'en finirait jamais (d'ailleurs à d'autres endroits Spinoza confirme qu'on a besoin du monde extérieur, et qu'abordé de la bonne façon, celui-ci peut même être utilisé pour former davantage d'idées adéquates; dans le spinozisme le monde extérieur n'est donc pas une source absolue de misère et de mal). Et parce qu'on ne peut pas vivre sans être affecté (et donc déterminé) par le monde extérieur, Spinoza propose un remède beaucoup plus efficace que d'essayer simplement de s'éloigner maximalement de ce monde extérieur, remède qui consiste à faire quelque chose avec nos propres idées inadéquates. Il ne s'agit pas de les "chasser" ou supprimer, mais d'apprendre à en former une idée adéquate ou vraie (car "Rien de ce qu'a de positif une idée fausse n'est ôté par la présence du vrai, en tant que vrai", E4P1). Il s'agit de les "comprendre". C'est ce qu'il dit dans le scolie de l'E5P4:

"Telle est donc la chose à quoi il faut avant tout s'appliquer, à connaître clairement et distinctement, autant que faire se peut, chacun de nos affects (...) ".

En effet, une Passion étant une idée inadéquate, elle véhicule nécessairement une idée fausse de la cause extérieure. Par exemple lorsque quelqu'un m'insulte, il provoquera en moi une Tristesse, et je m'imaginera facilement que mon interlocuteur en théorie était "libre" de ne pas m'insulter mais a néanmoins "choisi" de le faire et cela "pour" me rendre Triste. Et plus on s'imagine l'autre libre, plus on s'imaginera qu'il aurait pu ne pas le faire mais qu'il a vraiment voulu nous faire du mal, que cette idée était même la "fin", la "finalité", la "cause finale" de son comportement. Or, dit Spinoza dans l'E5P5 démo: "imaginer une chose comme libre ne peut être rien d'autre qu'imaginer la chose simplement, en ignorant les causes qui l'ont déterminée à agir", et plus nous font cela, plus notre Affect par rappport à lui sera grand. Le remède aux Affects consiste donc notamment à comprendre que lorsque l'autre se fâche, ce n'est pas lui seul qui est en train d'agir, il est plutôt mû par une cause extérieure à lui, que dans la plupart des cas je ne connais pas et ne peut pas connaître. Et c'est cela la véritable cause de son action, et non pas le but de me nuire en tant que tel (tandis que concevoir les Passions comme des "contraintes internes" risque d'occulter le fait que lorsque mon interlocuteur se fâche sur moi, il est en train d'agir en fonction de causes extérieures à lui, il n'est pas tout à fait "lui-même", comme on dit d'habitude, il est "hors" de lui).

Plus on pense à ce genre de choses, dit Spinoza, plus on se calmera, moins on aura tendance à se fâcher à son tour (c'est-à-dire à lui faire du mal, à l'éloigner de nous; on aura même le temps de comprendre que seul un Affect d'Amour pourra contrarier un Affect de Haine ou Colère, et qu'il vaut donc mieux essayer de l'Aimer si l'on veut qu'il arrête de se fâcher sur nous; car s'il se fâche, il est d'abord lui-même la première "victime" de quelque chose hors de lui, donc pour surmonter cette diminution de sa puissance, il a besoin de puissance, ce que peut lui donner un Amour, puisque l'Amour augmente la puissance de celui qui est aimé).

On pourrait bien sûr se dire qu'ici on est en train de "combattre" l'Affect de Colère provoqué par l'autre en nous, et donc qu'on est train de lutter contre une "contrainte interne", au sens où l'Affect de Colère est bel et bien notre Affect, donc "interne" à nous. Mais c'est oublier que l'essence même de l'Affect n'est pas provoqué par nous seuls, tandis que le remède ne consiste pas à contempler tristement notre impuissance, il consiste plutôt à penser maximalement à notre propre puissance afin de pouvoir déterminer notre Esprit par un Affect de Joie active, seul Affect capable de faire augmenter de nouveau notre puissance (et seul Affect capable de nous déterminer à Aimer celui qui nous insulte au lieu de le Haïr à notre tour, ou de vouloir l'éloigner de nous).

C'est pour ça que la question qu'il faut se poser lorsqu'on doit décider, dans telle ou telle situation, ce qu'on va faire, n'est pas vraiment "si je fais X y aura-t-il une absence de contraintes externes et internes?" (il est d'ailleurs probable qu'on ignore toujours en partie les causes de telle ou telle décision). La question à poser est plutôt: "est-ce que cet Affect est bon ou mauvais pour moi?". Supposons par exemple que tu sens un plus grand plaisir en pensant à l'idée que tu vas manger tel dessert et non pas tel autre. Ce plaisir est-il un Affect mauvais pour toi ou non?

Le critère que Spinoza propose dans ce genre de situation est claire, et il n'y en a qu'un seul: si se donner ce type de plaisir n'entrave pas ta puissance de penser et de comprendre, alors il n'y a aucun problème, tu peux manger à ton goût. E4 Chapitre 5: "Il n'y a donc pas de vie rationnelle sans intelligence, et les choses ne sont bonnes qu'en tant qu'elles aident l'homme à jouir de la vie de l'Esprit, laquelle se définit par l'intelligence. Et celles qui, au contraire, empêchent l'homme de parfaire la raison et de jouir de la vie rationnelle, celles-là seulement nous les disons mauvaises.".

Conclusion: est-ce que si tu prends un dessert au lieu d'un fromage, cela va t'empêcher de penser et de raisonner? En règle générale, non (cela n'est le cas que si tu commences à verser dans l'excès, dans l'un sens ou dans l'autre (manger des tonnes de desserts, ou fuir rigoureusement tout plaisir lié à l'activité de manger)). Donc l'envie de manger un dessert est un désir qui n'est pas mauvais, tu peux te donner ce plaisir sans aucun problème.

La seule chose qu'il y a, c'est que ce faisant, tu ne seras pas forcément plus libre qu'avant (ni moins, bien sûr). Car ce n'est pas vraiment en mangeant un dessert (ni en mangeant un fromage, d'ailleurs), que tu es en train de parfaire ton intellect, que tu développes ton intelligence. Il n'y a qu'un certain type de plaisirs qui sont capables d'obtenir ce résultat, il n'y a que certaines Joies qui peuvent le faire maximalement. Ce sont ces plaisirs-là que Spinoza appelle "Liberté" ou "Béatitude" (c'est-à-dire Joie suprême). C'est pourquoi la Liberté est ailleurs que dans le choix entre un fromage et un dessert. Il y a plein de situations dans la vie et plein de situations agréables où la question de la Liberté ne se pose tout simplement pas. Et c'est très bien ainsi, car essayer chaque seconde de sa vie de parfaire son intellect, ce serait bien épuisant! On a besoin aussi de moments de repos, de plaisirs plus "simples", d'aller se ressourcer physiquement et mentalement etc.

C'est ici aussi qu'on voit que la Liberté spinoziste n'est ni une "condition humaine" (le fait "humain trop humain" de régulièrement devoir choisir sans savoir que faire car étant trop dans l'ignorance des causes et de leurs effets pour pouvoir le savoir), ni une affaire de combat contre quelque chose, contre les plaisirs quotidiens par exemple, ou contre le monde extérieur. La Liberté spinoziste est une Action, un Affect, elle consiste à faire quelque chose, et à faire quelque chose de très précis, à construire (plutôt que de détruire) quelque chose de très précis, que Spinoza résume pour une première fois dans le chapitre 4 à la fin de l'E4:

"Il est donc, dans la vie, utile au premier chef de parfaire l'intellect, autrement dit la raison, autant que nous pouvons, et c'est en cela seul que consiste pour l'homme la suprême félicité, autrement dit la béatitude; car la béatitude n'est rien d'autre que la satisfaction même de l'âme qui naît de la connaissance intuitive de Dieu; or parfaire l'intellect n'est également rien d'autre que comprendre Dieu, ainsi que les attributs et actions de Dieu, qui suivent de la nécessité de sa nature. Et donc, la fin ultime de l'homme que mène la raison, c'est-à-dire son plus haut Désir, par lequel il s'emploie à maîtriser tous les autres, c'est celui qui le portee à se concevoir adéquatement lui-même, ainsi que toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence.".

Le Désir le plus haut, qui peut nous rendre le plus heureux possible, c'est donc le Désir de comprendre, de comprendre un maximum de choses différentes. Plus nous éprouvons ce Désir, plus nous réussissons à réellement comprendre davantage (au lieu de mépriser, de ridiculiser, de s'affliger etc.), plus nous sommes Libres. Et plus nous sommes Libres, plus nous sommes puissants, donc plus nous pourrons analyser calmement nos Passions et en former des idées adéquates au lieu de continuer d'en pâtir.
L.
Modifié en dernier par Louisa le 25 déc. 2008, 19:28, modifié 5 fois.


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