Messagepar ShBJ » 28 févr. 2008, 08:38
A Amstel, salut!
1) Ce qui me déplaît, c'est l'usage du terme de réconciliation, qui me semble flou, voire trompeur (en ce qu'il sonne stoïcien) et réducteur : comprendre, pour un surfeur, la façon dont il peut composer son corps, prolongé par la planche, avec la vague, en quoi serait-ce une réconciliation ? Je désire de surfer la vague de telle ou telle façon, c'est entendu... voilà que la vague ne se compose pas avec moi, ainsi que je le voudrais, parce qu'elle obéit à ses lois propres de mouvement et de repos... il n'est dès lors que de la connaître, ainsi que la façon dont je puis l'épouser, ce qui exige un travail (autant théorique que pratique : les surfeurs, pour ceux que je fréquente souvent, ont e.g. des connaissances météorologiques, qui pour être restreintes, n'en sont pas moins très précises et efficaces).
La réconciliation pourrait passer par un renoncement tout autant que par un travail - le terme ne rend donc pas compte de la nécessité de l'augmentation de ma puissance d'agir et de penser : persévérer dans mon être, c'est non seulement vivre ou exister, mais encore travailler à produire tous les effets qui se peuvent déduire des propriétés de mon essence (E, III, 6-7).
Pour reprendre notre exemple, je veux surfer et n'y parviens pas pour l'heure : a) poursuivre lors qu'il n'appartient pas à mon essence de surfer, c'est de l'obstination... b) renoncer lors qu'il appartient à mon essence de surfer, c'est un manque de force d'âme et de l'humilité (E, III, déf. des affects, 26). Dans les deux cas, le rapport à la vague et au surf est passionnel... c) poursuivre mes efforts à juste titre ou d) comprendre mon impuissance foncière à surfer, c'est marquer autant de force d'âme à éviter les dangers qu'à les affronter (E, IV, 69 et son corollaire), qui est d'un homme libre.
Or, la réconciliation passe plus sûrement par le renoncement que par l'effort pour surmonter un obstacle : le cas (b) est une réconciliation du désir et de la réalité qui n'est aucunement libre, quand le cas (c) lorsque je ne parviens pas encore à surfer relève d'un désaccord entre mon désir et le réel qui pourtant est raisonnable et concourt à ma libération.
2) La question du statut de l'homme libre au sein de la cité vivant selon le décret commun est des plus délicates, et les propositions de l'Ethique qui en donnent la description, à la fin de la quatrième partie, sont rien moins qu'aisées à comprendre - je ne suis pas persuadé que le "citoyen des villes" puisse accéder au bonheur personnellement en présence d'hommes vivant au plus haut point sous la conduite de la passion (à l'exception de notre philosophe et en faisant preuve de beaucoup de prudence). Certainement, il le peut moins aisément qu'en compagnie d'hommes vivant sous la conduite de la raison, qui seuls sont très reconnaissants les uns envers les autres (E, IV, 71).
L'analogie entre la vie sociale et le surf est alors pleinement justifiée - mais reste à déterminer si, en tant qu'hommes libres, nous devons renoncer à raison à fréquenter les hommes passionnés (E, IV, 70), ne les fréquenter qu'au cas où (E, IV, 70, scolie), obéir à leur décret dont nous connaissons pourtant la radicale insuffisance (E, IV, 73 en lien avec E, IV, 63), etc.
La position de Spinoza est à cet égard fort délicate (j'ai déjà eu des discussions avec hokousai à ce propos, à la rubrique actualités et à propos entre autres de la peine de mort, et nous ne lisons absolument pas la même chose). Mais quoi qu'il en soit, elle ne saurait consister en un renoncement à l'action politique, puisqu'il appartient à l'essence de l'homme de communiquer le bien raisonnable aux autres hommes. Elle pourrait consister en une évaluation des possibilités concrètes de l'action politique - poursuivons l'analogie : si la mer est trop forte, ou à l'inverse d'huile, il est temps de ranger sa planche et d'aller prendre un pot, en attendant des conditions favorables... ou de chercher un autre spot...
Il me semble au reste que Spinoza, historiquement, a peu ou prou agi de la sorte.
Tiens-toi en joie bonne et contentement serein.
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ShBJ le 31 déc. 2009, 01:44, modifié 2 fois.