Pourquoipas a écrit :Je crois bien que Sinusix, du point de vue logique, ait raison. Dans la démonstration de la IV 4, Spinoza se place du point de vue de l'entendement divin (où toutes les idées sont adéquates et vraies, et où il n'existe ni possibilité ni contingence, qui ne sont valables que pour nous humains et notre examen des choses – voir IV Df 3 et 4). Nous n'avons que deux choix logiques : ou il est nécessaire que x (= il est impossible que non-x) ou il est impossible que x (= il est nécessaire que non-x).
Bonjour Pourquoipas,
merci de ta réponse. Disons-le d'emblée: je ne vois pas comment être d'accord avec ce que tu dis.
Tu dis que
du point de vue logique l'idée proposée par Sinusix est vraie. Or ensuite tu ne donnes pas du tout une explication
logique de la démonstration (ce qui implique une explication
formelle du mouvement même de la démo), tu passes déjà à de l'interprétation.
Tu dis: il faut comprendre la démo du point de vue de l'entendement divin, où toutes les idées sont adéquates. Je veux bien, au sens où toute démonstration est censée démontrer la vérité donc porter sur des idées adéquates. Seulement, il se fait que l'E4P4 porte sur l'homme en tant qu'il
pâtit, c'est-à-dire ... en tant qu'il a des idées
inadéquates.
Deuxième problème: si tu ne veux travailler qu'avec les modalités du nécessaire et de l'impossible,
comment expliquer la structure même de cette démonstration ... ?
Car si tu es d'accord pour dire que la deuxième partie de la proposition procède par une preuve par l'absurde, il faut bien dire que la démo tient dans la négation de ce qui suit de la contradictoire de ce qui est à démontrer. Or ce qui suit de cette contradictoire, c'est: "l'homme ne pourrait périr" autrement dit "l'homme existe nécessairement toujours". Prétendrais-tu que nier cela, donc nier une nécessité, c'est déjà démontrer une impossibilité ... ? Si oui, tu es en train de dire que d'un point de vue de l'entendement divin (alors que, rappelons-le, cette proposition démontre précisément la nécessité de l'existence d'idées
inadéquates chez l'homme ...), la logique modale perd toute consistance. Pourquoi serait-ce le cas ... ?
Personnellement, je pense que Spinoza accepte entièrement la logique modale. Preuve: l'E2P31. Le possible et le contingent ne désignent que notre ignorance à nous, mais ainsi comprise, ce sont des idées tout à fait adéquates.
Pourquoipas a écrit :Précision : x ici = toute chose singulière rencontrera sa fin dans la durée.
Il s'agit donc de savoir si x est impossible ou nécessaire.
non, pas du tout. Cette question
ne se pose pas dans l'E4P4. La proposition dit
uniquement qu'inévitablement toute chose singulière pâtira, c'est-à-dire aura des idées inadéquates. Mais on peut avoir un tas d'idées inadéquates sans en mourir, toi et moi nous en sommes bel et bien la preuve ... !
X est donc ici : toute chose singulière pâtira de changements autres que ceux qui se comprennent par sa nature seule. Il suffit que mon message ne te plaît pas pour qu'il crée en toi une petite Tristesse donc idée inadéquate, mais ce serait tout de même exagéré de dire que lire mon message c'est rencontrer ta fin dans la durée, non ... ?
Pourquoipas a écrit :Pour cela, il fait appel essentiellement à III 6 qui nous dit : « Nulla res, nisi à causà externâ, potest destrui — Aucune chose ne peut être détruite que par une cause extérieure. », proposition qui est en fait un axiome déguisé, car que nous dit la « démonstration » : « Haec propositio per se patet – Cette proposition par elle-même est évidente. » (Ou alors je ne sais pas ce que c'est qu'un axiome.)
en effet
Pourquoipas a écrit :S'ensuivent des considérations qui, à mon humble avis, ne font qu'expliquer cette évidence (et qui, soit dit en passant, posent quelques problèmes : celui des rapports définition-essence par exemple, et on ne peut pas ne pas penser à la déf. de l'essence de II 2 + celui du rapport entre la chose elle-même, son intériorité, et les choses qui lui sont extérieures) — mais il n'y est fait explicitement appel à aucun axiome, définition ou proposition précédents. « Proposition » fondamentale qui va fonder la IV 6, à savoir la démonstration-définition du conatus.
Donc, il est acquis qu'une chose par elle-même (quantum in se est) ne peut trouver sa fin et qu'il est nécessaire qu'elle existe toujours.
ok (quant à l'extérieur-intérieur ... j'y ai pas mal réfléchi, pour l'instant je pense qu'il faut dire qu'il ne vaut que pour l'Etendue, pas pour toute chose... mais c'est un autre sujet).
Pourquoipas a écrit :Mais intervient un léger inconvénient, ajouta Dieu en un léger sourire : chaque chose singulière (dont toi, coco) est environnée d'autres choses singulières sur lesquelles tu agis, qui agissent sur toi, parfois les deux simultanément, mais, je te rassure, il en reste quelques-unes sur lesquelles tu n'as aucun effet, et qui n'en ont aucun sur toi, non plus. Et il m'est impossible de ne pas me modifier en une infinité de ces choses singulières, car c'est là ma nature. J'ajoute d''ailleurs que j'ai ma petite idée de chacune.
Jusque-là, tout va bien.
très bien même
Pourquoipas a écrit :Mais, et là je te le dis – sans cesser de sourire, les divins sourcils se froncèrent –en un explicite axiome, toutes ces choses en lesquelles je me modifie sont toutes plus et moins puissantes les unes que les autres, et chacune pourra être détruite par l'une ou l'autre de ces autres choses. Quand je dis « pourra », c'est façon de parler, car moi, je ne ne veux rien et je n'ai pas le choix : je fais, j'agis, c'est tout, parce que je ne peux pas faire autrement, et ce parce que je suis ce que je suis et que je suis le seul à être nécessairement, sans qu'il y ait quoi que ce soit d'extérieur à moi qui m'y contraigne. Chacune de mes modifications rencontrera nécessairement une autre de mes modifications qui, plus puissante, la détruira. Un point, c'est tout.
non. Tout ceci ne vaut que d'un point de vue de la durée. Pas d'un point de vue de l'éternité, où toute essence donc toute chose nécessairement convient avec toute autre essence. Or l'E4P4 parle des choses en tant qu'ils durent.
Pourquoipas a écrit :Ah, si tu étais seul au monde, ajouta-t-il à l'une de ses modifications (appelons-la « Marcel Proust »), bien sûr que tu ne serais jamais détruit par quoi que ce soit, mais tu le seras nécessairement par quelque chose de plus fort que toi, un de ces jours...
faux. Il faut bien plutôt dire que la destruction n'existe que d'un point de vue temporel (or le temps est produit de notre imagination ... !).
Pourquoipas a écrit :En attendant, on m'a dit que tu écrivais un bouquin, dont toi seul serait la cause : alors comme ça, on essaie de m'imiter et d'être libre ? Alors, vas-y, mon gars, et tu seras sauvé et bienheureux... J'ai hâte qu'une ou l'autre de mes autres modifications (mais je ne pense pas que ce sera celle qui t'abattra) puisse lire cette autre modification que tu vas leur créer (où il est question, je crois, de cattleyas, de madeleines, de pédés, de gouines, de guerres et de sonates, et d'amour et de mort, justement, entre autres) et tu n'auras pas perdu ton temps...
faux. Tu penses ici en tant que bon chrétien (voire thomiste), où toute liberté/béatitude humaine ne serait qu'une "imitation" de la liberté divine (imitation rendue possible par le fait que l'homme est la seule chose singulière créée "à l'image" de Dieu son Créateur). Chez Spinoza en revanche, cette béatitude ou liberté, on l'a toujours déjà en soi, il suffit d'en prendre "conscience" pour que ce soit elle et non plus non idées adéquates qui dirige nos actes. On ne peut pas ne pas être sauvé, chez Spinoza. La seule question qui se pose, c'est: est-ce que je vais réussir à
augmenter la mesure dans laquelle j'éprouverai le salut ou non?
Autrement dit, il est très important de distinguer le plan de l'éternité du plan de la temporalité (alors que les chrétiens (que quelque part nous sommes tous) ont l'habitude de distinguer le plan de la divinité du plan de ses créatures ... ).
Pourquoipas a écrit :PS – J'ai mis beaucoup de temps à écrire ce dernier message. Louisa, je viens de lire rapidement le tien avant de m'en aller. Je pense que le début de ce que je viens d'écrire répond à ta question : nous sommes ici les invités de Dieu, donc pas de possible qui tienne...
on peut avoir une idée adéquate ou une idée inadéquate du possible. Je crois que toi et Sinusix, en voulant évacuer le possible là où Spinoza le mentionne
explicitement et où on a tout à fait
besoin de cette modalité pour que la démonstration tienne la route, vous vous trompez. Mais je ne demande pas mieux qu'on me montre que c'est moi qui ai tort. Pour ce faire, il suffit de donner une interprétation alternative de cette démo ... .
Pourquoipas a écrit :Il est évident que mes doigts n'ont pas tourné autour du clavier 77 fois 7 fois, mais bon, un certain nombre de fois quand même.
tu en penses ce que tu veux, bien sûr, mais je crois que si on appliquait tous ta "règle d'or", il n'y aurait plus de forum de discussion. C'est le fait de partager les questions qu'on se pose au moment où on se les pose, et les réponses provisoires qu'on a tendance à y donner, qui nous fait progresser tous, et qui nous fait progresser plus vite que si l'on continuait à réfléchir chacun dans son coin. Mais enfin, ceci n'est que mon opinion personnelle, sans plus.
Pourquoipas a écrit :
Mais pourquoi, pourquoi, la III 4, sur laquelle tout repose, n'est-elle pas présentée comme l'un des axiomes de la III ? Mais vous allez sans doute me répondre
Pourquoi pas ?
parce qu'on n'est pas omniscient ...
Réponse un peu plus "terre à terre": les axiomes par définition
ne peuvent pas être démontrés, alors qu'il est tout à fait possible de démontrer l'E3P4. La preuve: Spinoza l'a fait ... .
Ceci étant dit, j'espère vraiment que tu vas essayer de nous montrer comment faire fonctionner la démo de l'E4P4 en supposant
fausse toute logique modale. Si tu y arrives, il faut dire que la démo de l'E4P4 contient une preuve de l'inéluctablité de la mort. En attendant, je ne vois pas comment comprendre la démo autrement qu'en respectant la logique modale ... .
Porte-toi bien,
L.