Sinusix a écrit :Comme vous voulez. Vous revenez à la charge avec votre essence singulière.
Alors expliquez-moi la cohérence de cet extrait de E1P17 que vous connaissez bien:
Spinoza a écrit :
Par exemple, un homme est cause de l’existence et non de l’essence d’un autre homme ; car celle-ci est une vérité éternelle : et c’est pourquoi selon l’essence ils peuvent tout à fait convenir ; mais, dans l’exister, ils doivent différer ; et c’est la raison pour laquelle, vienne à périr l’existence de l’un, celle de l’autre n’en périra pas pour autant ; mais si l’essence de l’un pouvait être détruite et devenir fausse, se trouverait détruite aussi l’essence de l’autre.
Pouvez-vous m'expliquer par quelle miracle, l'essence de Louisa, si elle est aussi singulière que vous le dîtes, venait à être détruite et devenir fausse, celle de Sinusix le serait et le deviendrait ipso facto, et celles du reste des humains singuliers !
Je m'etais toujours pose la meme question. C'est donc avec a certain interet que j'ai entendu la reponse de Louisa.
Je dois avouer, sa reponse m'a un peu surpris. Je n'avais jamais concu, etant donne le contexte de E1P17, que Spinoza puisse dans cette scholie comprendre 'essence' comme 'essence d'espece ou genre'. Apres tout, la destruction d'une essence de genre ne fait aucun sens. Mais bon, nous sommes souvent dans l'erreur parce-que nous sommes incapable de realiser les limites et contradictions de notre propre imagination. Donc, je me suis dit: c'est une idee a explorer ...
Voyons son raisonnement:
Louisa a écrit :"Le passage que vous citez se situe avant la définition spinoziste de l'essence (avant l'E2D2), donc là il s'agit du mot essence au sens tout à fait scolastique, traditionnel (et encore aujourd'hui habituel, d'ailleurs), c'est-à-dire l'essence d'espèce ou de genre."
Louisa ne presente pas vraiment d'evidence qui supporte son idee. Elle assume simplement, et de facon implicite, qu'un certain canon (mais qui la decide?) de toute methode "d'ordre geometrique" naturellement supporte sa conclusion ?????
Il y a quelques problemes avec sa position
1) A plusieurs egards, la forme de l'Ethique fut un choix ambitieux, un project piege par les ambivalences de la pensee discursive, et a mon avis et plusieurs niveaux un echec (mais aussi une reussite a plusieurs niveaux bien qu'ils ne soient ceux que Spinoza avait envisages). En particulier, la dimension sur laquelle Louisa specule. L'inference ebouchee par Louisa n'est qu'une pure speculation (et elle semble avoir echouer a reconnaitre ce fait).
2) Peut etre le plus important, qu'elle que soit l'ideal personelle de Louisa sur ce que l'ordre geometrique doit etre, Spinoza ne l'a pas respecte. Evidence: E1P24
Spinoza a écrit :L'essence des choses produites par Dieu n'enveloppe pas l'existence.
Démonstration : Cela est évident par la Déf. 1. En effet, une chose, dont la nature (prise en soi) enveloppe l'existence, est cause de soi, et existe par la seule nécessité de sa nature.
Corollaire : Il suit de là que Dieu n'est pas seulement la cause par qui les choses commencent d'exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l'existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l'être des choses (causa essendi). En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu'elle n'enveloppe ni l'existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l'une ni de l'autre, mais Dieu seul, parce qu'il est le seul à qui il appartienne d'exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.
Spinoza discute une idee de l'essence ("les fait persévérer dans l'existence") qui n'est pas "L'essence d'espece" speculee par Louisa, et cela avant d'avoir enonce E2D2!!! Ou est la police de l'ordre geometrique lorsque nous avons besoin d'elle!!!!
Je crois que les speculations de Louisa sont clairement inconsistentes avec E1P24, ce qui nous ramene au point de depart de E1P17: son idee d'essence singuliere est inconsistente avec certains passages de l'Ethique.
Personnellement, je ne vois aucune raison irrefutable dans l'Ethique qui m'amene a penser que Spinoza ait change d'avis de facon drastique entre le court traite et l'Ethique.
Spinoza a écrit :En tant que sous la désignation d'une chose on n'entend que l'essence de cette chose sans son existence, l'idée de l'essence ne peut pas être considérée comme quelque chose de particulier : mais cela ne peut arriver que lorsque l'existence est donnée avec l’essence, c'est-à-dire lorsqu’un objet commence à exister qui n'existait pas auparavant. Par exemple, lorsque la mur est blanc, il n’y a rien là que l’on puisse appeler ceci ou cela, etc. (CT,2/20)
Ou bien
Spinoza a écrit :
"En outre, il est à remarquer que les modifications sus-nommées, quoique aucune d'elles ne soit réelle, sont également contenues dans leurs attributs ; et puisqu’il n'y peut avoir d'inégalité, ni dans les modes, ni dans les attributs, il ne peut y avoir non plus dans l'idée rien de particulier qui ne serait pas dans la nature. Mais, si quelques-uns de ces modes acquièrent une existence particulière et par là se séparent de leurs attributs d'une certaine manière (puisqu’alors l'existence particulière qu’elles ont dans leur attribut devient le sujet de leur essence), alors se montre une diversité dans les essences de ces modifications et par conséquent dans les essences objectives, lesquelles essences de ces modifications sont représentées nécessairement dans l'idée." CT(appendice 2)
La particularite d'un mode est directement liee a l'emergence de son existence ...
De plus, si Spinoza a en effet change d'avis entre ses ecrits, comment peut-il changer d'avis de facon aussi radicale au sujet d'un sujet qui ne peut qu'etre que "l'object" d'une connaissance du troisieme order, donc vraie et adequate! Sa connaissance n'etait donc pas si adequate que cela a un certain point si il est vraie, comme Louisa le soutient impliciment, que Spinoza a modifie ses vues sur la puissance d'un mode ...
Finalement, je crois qu'il est important de reconnaitre les ambivalences du concept d'essence d'un mode dans le systeme de Spinoza ... La clarite et rigeur que de nous devons nous attendre de la methode geometrique n'appartient certainement pas a ce concept ...