Shub-Niggurath a écrit :Il me semble qu'au contraire l'existence même des religions et des Etats engendre dans l'âme des passions bien plus violentes et plus fortes que dans les sociétés sans religion ni Etat, comme dans les anciennes cultures des Indiens d'Amérique.
Les amérindiens n'avaient certes pas d’État mais ils avaient des croyances religieuses de type chamanique. Elle pouvait être beaucoup plus pure de tout sectarisme, qui est une certaine perversion de la raison par la croyance. Mais pas beaucoup plus pure en termes de superstition que nos religions.
Il me parait tout à fait clair que le fanatisme religieux et le patriotisme aveugle sont à l'origine de bien plus de guerres et de massacres que dans les sociétés restés plus proches de la Nature.
Les amérindiens pouvaient se livrer à des guerres sanglantes entre eux. En Papouasie, il y avait encore il y a peu des pratiques de cannibalisme. Dans un reportage où on voit une star de la chanson venir visiter les bons sauvages dans leur jungle, avec plein de bons sentiments et l'idée que proches de la nature, ils doivent forcément être meilleurs, on voit à un moment le chef de la tribu dire que son père avait mangé des ennemis de la tribu d'en face une fois. Mais depuis que l’État de Nouvelle Guinée a dit que maintenant c'était interdit, qu'il ne fallait pas manger des êtres humains et que sinon il allait envoyer des hommes armés de fusils pour les punir, ce n'était finalement pas si mal d'obéir à ces hommes ; sortir dans la jungle était devenu beaucoup plus tranquille.
Jamais on ne vit, sauf dans les sociétés fortement hiérarchisés par les religions et les Etats, d'aussi grandes différences de richesses, ni une cupidité plus aveugle et plus insatiable.
Plus de moyens pour assurer la sécurité et la liberté, ce qu'indéniablement l'Etat apporte comme le démontre Spinoza, c'est aussi plus de moyens pour créer de l'insécurité et de la servitude. Après c'est une question de consentement des peuples à la domination ou non.
La cause de ces passions violentes est donc à rechercher non dans l'état de nature, mais dans l'existence des religions et des Etats.
Mais dis moi, tu ne serais pas le regretté Faun qui intervint ici pendant quelques années avant de disparaître dans la nature ?
En tout cas, tu te reconnais manifestement plus dans la vision romantique d'un Rousseau sur l'état de nature plutôt que dans celle, plus classique, de Spinoza. Ce rousseauisme signifie notamment que les hommes sont plus libres et meilleurs dans l'état de nature que dans l'état civil. Spinoza montre au contraire que les hommes ne naissent pas libres (E4P68), et que "l'homme qui se dirige d'après la raison est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune, que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même." (prop. 73) et il est bien question ici de cité et non de communauté comme la tribu.
Sur la notion d'obéissance, que tu sembles voir comme entièrement négative, je rappellerai ce passage célèbre du TTP :
On pense que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire esclavage, et la liberté n'est qu'à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire à l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c'est la raison déterminante de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un sujet. Ainsi cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison. "
Traité théologico-politique, chap. XVI.