La notion de Beau dans la Nature et dans l'Homme

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 15 févr. 2009, 00:47

à Louisa

Ce qui implique que l'art est inévitablement "politique", au sens où il crée une "communauté", au sens où il y a invention d'un nouveau lien grâce à l'oeuvre d'art.


Vous pouvez dire qu'il est inévitablement sensoriel .

Vous ne diriez pas qu'il est inévitablement subjectif ( production d' un sujet individuel ) dommage .

Mais qu'importe, l 'art est irréductible et au politique ( cette persistance de l'option soviétique en art m' effraie )

Dernière hypothèse: il est impossible de restreindre l'expérience artistique au beau.


peut être…. mais Flumigel a axé sur le beau .
Laisser les artistes s’exprimer et les spectateurs élire . Tout le monde est artiste ,certes, comme tous le monde est mathématicien , mais tout le monde ne l’est pas éminemment .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 15 févr. 2009, 00:47

Phiphilo a écrit :Je ne commenterai pas le propos de François Jullien tant il me semble être limpide. Mais que l'on se demande simplement si l'art moderne, dans ses différentes composantes, sous ses différents aspects, ne se signale précisément pas par le fait qu'il assume, voire qu'il revendique désormais explicitement son inachèvement : que l'on songe par exemple au mouvement impressionniste influencé par Hokusai, spécialiste de l'ukiyo-e ("image du monde flottant" en japonais), ou au théâtre de Beckett que Deleuze qualifie de "théâtre de l'épuisé" qui a renoncé à tout but, besoin, préférence ou signification.


je ne suis pas tout à fait certaine que pour Deleuze l'art (ou l'art moderne) se caractérise par un certain "inachèvement", inachèvement qui à son tour se caractériserait par une absence de tout but.

Lorsque dans son commentaire de la pièce Squad de Beckett, Deleuze introduit la distinction entre le fatigué et l'épuisé, n'est-ce pas pour dire que justement, l'épuisé a effectué toutes les possibilités, au point où il ne lui reste plus aucun "possible", alors que le "fatigué" sait bien qu'il pourrait encore essayé ceci ou cela, mais que pour l'instant il n'a pas la force requise pour parcourir de tels trajets? Si oui, on pourrait croire qu'on ait là l'achèvement en ce qu'il a d'absolu, d'indépassable, non?

Dans ce cas, la pièce en tant que telle ne serait pas du tout dépourvue de toute signification, au contraire même: son "sens" résiderait précisément dans le fait de faire ressentir cette figure même de l'épuisé, de rendre palpable cette situation proprement humaine où l'on a l'impression d'avoir fait le tour de tout ce qui est possible, pour constater que non, plus aucune autre possibilité ne nous est accessible (tout en assumant cette situation ... on pourrait penser aussi à la pièce Oh les beaux jours de Beckett, où l'on retrouve la même idée d'assumer pleinement le fait d'être totalement emprisonné dans un monde sans issu, sans autre "devenir" possible que celui qui consiste à assumer cet "achèvement").

Phiphilo a écrit :Je voudrais néanmoins tenter d'en tirer une conséquence concernant la réception de l'oeuvre d'art : si l'oeuvre d'art est l'objet essentiellement (et non accidentellement) inachevé, alors nous ne pouvons que l'admirer. En même temps, cela me permet de répondre à Louisa lorsqu'elle écrit :

Louisa a écrit :
je ne suis pas certaine que le mot "admiration" soit le terme le plus approprié lorsqu'on essaie de penser l'art en des termes spinozistes. Spinoza ne dit-il pas que ce qu'il décide d'appeler "Admiration" n'est pas un Affect à proprement parler?


Or, que dit Spinoza ?

Spinoza a écrit :
Nous avons montré par quelle cause l’Esprit va de la pensée d’un certain objet à la pensée d’un autre objet, savoir, parce que les images de ces objets sont ainsi enchaînées l’une à l’autre et dans un tel ordre que celle-ci suit celle-là. Or cela ne peut arriver quand l’Esprit considère une image qui lui est nouvelle. Elle doit donc y rester attachée jusqu’à ce que d’autres causes la déterminent à de nouvelles pensées. On voit par là que la représentation d’une chose qui nous est nouvelle n'est pas de la même nature, quand on la considère en elle-même, que toutes les autres représentations ; et c’est pourquoi je ne compte pas l’admiration au nombre des passions, ne voyant aucune raison de l’y comprendre, puisque cette surprise de l’Esprit ne vient d’aucune cause positive, mais seulement de l’absence d’une cause qui détermine l’imagination à passer d’un objet à un autre. Je ne reconnais donc que trois passions primitives ou principales, qui sont la joie, la tristesse et le désir ; et si j’ai parlé de l’admiration, c’est que l’usage a donné à certaines passions qui dérivent des trois passions primitives des noms particuliers quand elles ont rapport aux objets que nous admirons. (Spinoza, Ethique, III, 59, déf.4)


L'ordre et la connexion des représentations sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses représentées. Donc, une représentation nouvelle sera, par définition, non connectée aux autres représentations, et parallèlement, la chose représentée ne le sera pas non plus avec les autres choses. Donc la représentation (la chose) nouvelle est inachevée en ce sens : elle ne possède pas de connexion avec les autres représentations (ou choses).


qu'est-ce qui vous fait penser que ce serait le cas?

En ce qui me concerne, l'idée de ne pas pouvoir lier une expérience esthétique aux idées que l'on possède déjà me fait plutôt penser à des critiques d'art tels que Clement Greenberg ou en France Yves Michaud ou Jean Clair, qui chacun à leur manière refusent d'appeler "art" tout ce qui est art contemporain. Ils le font parce qu'ils ne parviennent plus à voir le lien entre l'art occidental du Moyen Âge jusqu'aux années 1960 et l'art dit contemporain.

De même, on constate qu'aujourd'hui toujours, malgré le fait que le public soit venu en foule à de grandes expositions comme celle de Picasso à Paris, la majorité des citoyens ne se rendent jamais de leur vie au musée, et cela précisément, me semble-t-il, parce qu'ils n'arrivent pas à connecter ce qu'ils peuvent y voir à leur vie quotidienne à eux.

Dès lors, j'aurais tendance à identifier la "nouveauté" qu'accompagne toute grande oeuvre d'art non pas à un certain "inachèvement" au sens où l'on ne serait plus capable de lier cette perception à d'autres perceptions plus anciennes, mais plutôt à l'idée que l'oeuvre d'art ouvre l'horizon de nos perceptions, l'étend, y ajoute une nouvelle perception et un nouvel affect (en créant un lien avec ce qui pré-existait déjà), et ainsi nous donne une nouvelle compréhension du monde et de nous-même, ce qui expliquerait le sentiment de Joie active.

Mais peut-être n'ai-je pas tout à fait compris ce que vous vouliez dire par "inachèvement" ... ?

Phiphilo a écrit : Certes, l'oeuvre d'art n'est pas le seul objet qui réponde à cette qualification, mais, avons-nous dit, l'oeuvre d'art est inachevée par essence, et non par accident. Et c'est précisément cet inachèvement des connexions qui suscite une sorte de fluctuatio animi que Sinoza appelle "admiration" (d'autres l'ont appelée "perplexité" comme Wittgenstein, ou "ravissement" comme Schopenhauer) et qui, précise-t-il, ne détermine ni renforcement, ni affaiblissement de notre puissance d'être, par conséquent qui n'affecte nullement notre désir, c'est-à-dire notre conatus.


ne faudrait-il pas dire que chez Spinoza la fluctuatio animi consiste plutôt en le fait d'osciller sans cesse entre un état de Joie passive et de Tristesse? Si oui, elle désignerait un affaiblissement "net" de notre puissance d'être, et cela par le fait même qu'il y ait instabilité, et non pas augmentation durable de notre puissance (tandis que la Joie passive et la Tristesse sont toutes les deux des affections de notre puissance, alors qu'effectivement, l'admiration n'est pas un affect).

Puis diriez-vous que la Passion de Matthieu de Bach, par exemple, est "inachevée"? Si oui: en quoi?

Phiphilo a écrit : En ce sens, ce que Spinoza nomme "admiration", c'est ce qui suspend momentanément notre enchaînement causal au monde qui nous entoure : nous sommes en face d'un objet inachevé qui n'a aucune utilité (aucune connexion, c'est-à-dire aucun rapport de moyen à fin, avec les autres objets), qui ne suscite aucun désir.


je crois qu'on risque ainsi de confondre le niveau ontologique avec le niveau épistémologique. L'admiration désigne certes un état où l'esprit ne voit aucune cause concernant ce qui l'affecte. Mais il s'agit là avant tout d'un manque de compréhension "épistémologique". Je ne crois pas que cela signifie qu'il y aurait réellement un manque dans l'objet contemplé (l'un n'a rien à voir avec l'autre), surtout que dans le spinozisme rien n'est sans cause. Si être inachevé voulait dire être sans cause, je dirais donc que rien n'est inachevé. Mais encore une fois, il se peut que je ne vous ai pas bien compris?

Phiphilo a écrit :C'est donc, me semble-t-il, justement parce que nous "admirons" (au sens de Spinoza) l'oeuvre d'art comme essentiellement inachevée, que celle-ci, d'une part n'est pas destinée à nous faire éprouver des émotions, d'autre part n'est pas vouée à être belle.


oui, on pourrait le dire, seulement cela signifie qu'on renonce à ce qui me semble précisément être essentiel en matière d'art: le fait qu'une oeuvre d'art par définition est capable de nous émouvoir très intensément, et que beaucoup d'oeuvres d'art sont incroyablement belles.
Cordialement,
L.

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Messagepar Louisa » 15 févr. 2009, 02:39

Hokousai a écrit :
louisa a écrit :Ce qui implique que l'art est inévitablement "politique", au sens où il crée une "communauté", au sens où il y a invention d'un nouveau lien grâce à l'oeuvre d'art.


Vous pouvez dire qu'il est inévitablement sensoriel .

Vous ne diriez pas qu'il est inévitablement subjectif ( production d' un sujet individuel ) dommage .

Mais qu'importe, l 'art est irréductible et au politique ( cette persistance de l'option soviétique en art m' effraie )


en effet, je ne dirais pas que l'art est inévitablement subjectif, parce qu'à mon sens pour Spinoza seul le beau est subjectif, tandis que l'art dépasse largement le domaine du beau, alors qu'un tas de choses purement naturelles sont au moins aussi belles que certaines oeuvres d'art, donc le beau ne suffit pas pour définir l'art.

Puis dire que l'art est éminemment "politique" (au sens où le propose Rancière) à mon avis n'a pas grand-chose à voir avec le communisme soviétique. Dans le communisme soviétique, et dans toute forme de dictature, le champ artistique est limitée par les politiciens d'une telle façon que les oeuvres d'art ne font plus que véhiculer le message ou les idées favorisés par la classe politique dominante.

Dire que tout art est politique, en revanche, signifie qu'en-deça de tout immixion de la classe "politique", toute oeuvre d'art a essentiellement la capacité de "faire communauté", de produire un collectif. La différence, c'est que dans le premier cas (dictature), l'initative vient de la classe politique (elle espère pouvoir utiliser l'art pour "faire communauté") alors que dans le deuxième cas (art "pur") l'initiative vient de l'oeuvre d'art elle-même (c'est elle qui crée un collectif, et cela sur base d'une idée qui peut plaire à la classe politique dominante, ou pas .. ).
L.

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Messagepar Joie Naturelle » 15 févr. 2009, 10:29

Louisa a écrit :
on peut certes voir les choses ainsi. Mais ne faudrait-il pas dire que dans ce cas, tu donnes un autre sens au mot "admiration" que celui que Spinoza a décidé de lui donner?


Eh bien voilà, tout le problème est là. Lorsqu'on discute d'un sujet, il faut être sûr que l'on parle de la même chose et qu'on donne les mêmes définitions et le même sens aux mots. Ce point est à l'origine de nombre de mes difficultés pour écrire ici, puisqu'un certain nombre de références philosophiques me font (encore) défaut.


Louisa a écrit :Est-ce que l'art "révèle ce qui est en moi"? A première vue, je ne vois pas très bien comment cela pourrait être possible.


Pourquoi ? L'Art émane de nous. Comment ne pourrait-il pas dès lors révéler ce qui est en nous ?


Louisa a écrit :Bien sûr, il y a toujours un sentiment de "reconnaissance" qui se produit lorsqu'on est devant une oeuvre d'art qui nous touche profondément (comme si on avait déjà vaguement perçu le monde ainsi, mais qu'il nous fallait l'oeuvre d'art pour s'en rendre compte, pour en devenir conscient). Mais il me semble néanmoins que la "Joie", la "jubilation" que l'on peut ressentir devant une oeuvre d'art, va plus loin que cela, et est tout de même lié à un aspect de "nouveauté radicale". La nouveauté consisterait-elle dans le fait de ressentir que quelqu'un d'autre a non seulement éprouvé des sentiments semblables aux nôtres, mais a même réussi à les exprimer et communiquer? La nouveauté consisterait-elle dans le fait de pouvoir pour la première fois non seulement avoir conscience de sa propre façon de percevoir certaines choses, mais surtout de pouvoir créer une communauté proprement humaine sur base de cet "affect"?


La joie, la jubilation ressenties, pour moi, peuvent également être provoquées par d'autres causes que le Beau. Mais ce sont des joies d'une autre nature, que je juge en principe moins "profondes" (quoique tout aussi réelles), qui peuvent accompagner la joie suscitée par le Beau, voire s'y substituer carrément. Exemple : Les concerts qu'ont donné les Beatles dans les années 1960 ont donné lieu à des scènes d'hystérie collective. Les personnes dans le public se sont retrouvées dans des états incroyables de transe, dont on ne peut nier l'importance. Mais l'origine de cet état n'était pas le Beau, puisque les cris du public couvraient et rendaient presque inaudible la musique jouée. L'origine, c'était le phénomène de groupe, associé au phénomène "Beatles" qui faisait rêver les adolescents de l'époque.

L'aspect de nouveauté dont tu parles suscite sans doute la joie. Une joie qui me semble accompagner celle provoquée par le Beau.


Louisa a écrit :Dernière hypothèse: il est impossible de restreindre l'expérience artistique au beau. Certes, il est difficile de ne pas trouver "beau" telle ou telle oeuvre de Bach, mais justement, est-ce qu'en même temps l'émotion ne vient pas aussi des multiples "dissonances" que Bach a introduites dans ses oeuvres? Autrement dit, ne faudrait-il pas dire que l'émotion propre à l'art dépasse l'opposition beau-laid, pour aller vers une manière d'affecter et d'être affecté plus profonde ... ?
L.


Qui te dit que les dissonances sont laides, surtout chez Bach ? Le laid que tu évoques n'est-il pas un "faux laid" ? Quelque chose qui pourrait présenter les apparences du laid, mais qui ne ferait en réalité que renforcer le Beau dans lequel il s'inscrit ?

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Messagepar hokousai » 15 févr. 2009, 13:43

A Louisa

J’emploie soviétique par provocation ( je connais un peu les thèses de Rancière. Je ne le tiens pas pour un stalinien….mais je ne suis pas certain d’être en communauté de pensée avec lui sur l art )

Que l’oeuvre d’art puisse faire « communauté » certes mais ce n’est pas essentiel ,c’est accidentel .Puisque nous vivons en communauté la plupart des activités individuelles sont intégrables a posteriori dans des contextes sociaux.

Que ce soit la communauté qui désigne telle ou telle activité comme de l’art n implique pas en amont que n’importe quelle activité puisse être désignée ainsi . L’activité artistique est donc essentiellement irréductible à la désignation .

Je comprends l’art par l’artiste ( pas par le concept ). Certains artistes ( la plupart ) tendent à faire du beau , si ce n’est pas le cas général effectivement on ne peut lier essentiellement l’ art au beau .Tout comme pour la philosophie , on ne peut la lier essentiellement à la recherche de la vérité .

Je comprends l’art par l’artiste et pas par le spectateur lequel est postérieur, passif sur le versant de la création ,consommateur.

Mais sur le versant de la consommation il n’est pas passif . Le consommateur d’ art est très actif, il exerce son jugement , il discrimine , il choisit , il élimine ,il ignore. Il jouit du spectacle, il est ému ou étonné voire horrifié , que sais je … la réception est fort diversifiée .

Je ne vais pas confondre l’artiste et le spectateur des œuvres .Donc pas l’art et le spectacle. certains arts ont vocation a être des arts spectaculaires, pas tous .

hokousai

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Messagepar Louisa » 16 févr. 2009, 02:22

Flumigel a écrit :
louisa a écrit :on peut certes voir les choses ainsi. Mais ne faudrait-il pas dire que dans ce cas, tu donnes un autre sens au mot "admiration" que celui que Spinoza a décidé de lui donner?


Eh bien voilà, tout le problème est là. Lorsqu'on discute d'un sujet, il faut être sûr que l'on parle de la même chose et qu'on donne les mêmes définitions et le même sens aux mots. Ce point est à l'origine de nombre de mes difficultés pour écrire ici, puisqu'un certain nombre de références philosophiques me font (encore) défaut.


en fait, je crois que ce problème est tout à fait central et inévitable dans un forum de discussion comme celui-ci. C'est même, peut-être, un atout: avant de pouvoir discuter de quoi que ce soit, il faut déjà investir pas mal de temps dans la discussion concernant le sens que l'on donne à tel ou tel mot. Etre sûr que l'on parle de la même chose en utilisant tel ou tel mot, cela n'est possible que si l'on est prêt à discuter aussi longtemps qu'il faut pour pouvoir établir une telle certitude.

Appliqué au mot "admiration": à partir du moment où l'on redéfinit ce mot en disant que l'on n'admire que lorsqu'on ne sait pas lier telle ou telle imagination (= idée d'image ou idée d'affection du corps) à d'autres idées, je crois qu'il faut dire que l'art n'a rien à voir avec l'admiration, puisque pour pouvoir être touché par une oeuvre d'art, il faut pouvoir la "situer", il faut pouvoir lui donner un sens, c'est-à-dire il faut pouvoir associer d'autres idées à l'idée de l'image provoquée en nous par telle ou telle oeuvre. Exit donc l'admiration, au sens spinoziste du terme.

Flumigel a écrit :
Louisa a écrit :Est-ce que l'art "révèle ce qui est en moi"? A première vue, je ne vois pas très bien comment cela pourrait être possible.


Pourquoi ? L'Art émane de nous. Comment ne pourrait-il pas dès lors révéler ce qui est en nous ?


que comprends-tu par ce "nous"? Lorsque Picasso invente les Demoiselles d'Avignon, est-ce qu'il crée quelque chose qui émane de "nous", ou est-ce qu'il est plutôt en train d'inventer une nouvelle perception des choses, perception qui n'émane de personne, à strictement parler, mais qui s'est imposée à lui, une fois qu'il a essayé de regarder les choses à nouveaux frais?

Flumigel a écrit :
Louisa a écrit :Bien sûr, il y a toujours un sentiment de "reconnaissance" qui se produit lorsqu'on est devant une oeuvre d'art qui nous touche profondément (comme si on avait déjà vaguement perçu le monde ainsi, mais qu'il nous fallait l'oeuvre d'art pour s'en rendre compte, pour en devenir conscient). Mais il me semble néanmoins que la "Joie", la "jubilation" que l'on peut ressentir devant une oeuvre d'art, va plus loin que cela, et est tout de même lié à un aspect de "nouveauté radicale". La nouveauté consisterait-elle dans le fait de ressentir que quelqu'un d'autre a non seulement éprouvé des sentiments semblables aux nôtres, mais a même réussi à les exprimer et communiquer? La nouveauté consisterait-elle dans le fait de pouvoir pour la première fois non seulement avoir conscience de sa propre façon de percevoir certaines choses, mais surtout de pouvoir créer une communauté proprement humaine sur base de cet "affect"?


La joie, la jubilation ressenties, pour moi, peuvent également être provoquées par d'autres causes que le Beau. Mais ce sont des joies d'une autre nature, que je juge en principe moins "profondes" (quoique tout aussi réelles), qui peuvent accompagner la joie suscitée par le Beau, voire s'y substituer carrément. Exemple : Les concerts qu'ont donné les Beatles dans les années 1960 ont donné lieu à des scènes d'hystérie collective. Les personnes dans le public se sont retrouvées dans des états incroyables de transe, dont on ne peut nier l'importance. Mais l'origine de cet état n'était pas le Beau, puisque les cris du public couvraient et rendaient presque inaudible la musique jouée. L'origine, c'était le phénomène de groupe, associé au phénomène "Beatles" qui faisait rêver les adolescents de l'époque.

L'aspect de nouveauté dont tu parles suscite sans doute la joie. Une joie qui me semble accompagner celle provoquée par le Beau.


ok. Mais dans ce cas, comment définir le "beau"?

Flumigel a écrit :
louisa a écrit :Dernière hypothèse: il est impossible de restreindre l'expérience artistique au beau. Certes, il est difficile de ne pas trouver "beau" telle ou telle oeuvre de Bach, mais justement, est-ce qu'en même temps l'émotion ne vient pas aussi des multiples "dissonances" que Bach a introduites dans ses oeuvres? Autrement dit, ne faudrait-il pas dire que l'émotion propre à l'art dépasse l'opposition beau-laid, pour aller vers une manière d'affecter et d'être affecté plus profonde ... ?


Qui te dit que les dissonances sont laides, surtout chez Bach ? Le laid que tu évoques n'est-il pas un "faux laid" ? Quelque chose qui pourrait présenter les apparences du laid, mais qui ne ferait en réalité que renforcer le Beau dans lequel il s'inscrit ?


oui, on peut certainement concevoir les choses ainsi. D'ailleurs, peu de gens se rendent compte du nombre de dissonances présentes dans les oeuvres de Bach. Donc oui, ces dissonances renforcent certainement le sentiment de beauté que l'on peut avoir en écoutant Bach.

Mais quid de la dodécaphonie, par exemple? Dirait-on toujours que les "dissonances" y sont au service d'une quelconque beauté? Ou est-ce que l'idée de beauté a été remplacée par une autre idée, pas moins esthétique pour autant?
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Messagepar Louisa » 16 févr. 2009, 02:43

Hokousai a écrit :J’emploie soviétique par provocation ( je connais un peu les thèses de Rancière. Je ne le tiens pas pour un stalinien….mais je ne suis pas certain d’être en communauté de pensée avec lui sur l art )

Que l’oeuvre d’art puisse faire « communauté » certes mais ce n’est pas essentiel ,c’est accidentel .Puisque nous vivons en communauté la plupart des activités individuelles sont intégrables a posteriori dans des contextes sociaux.

Que ce soit la communauté qui désigne telle ou telle activité comme de l’art n implique pas en amont que n’importe quelle activité puisse être désignée ainsi . L’activité artistique est donc essentiellement irréductible à la désignation .


serait-ce le cas ... ? Est-ce que l'urinoir de Duchamp n'a pas précisément mis en question de telles idées? Est-ce que l'art du XXe siècle ne nous dit pas plutôt que ce qui est appelé "art" dépend autant du spectateur que de l'artiste (ou comme le disait Oscar Wilde: "beauty is in the eyes of the beholder")?

Hokousai a écrit :Je comprends l’art par l’artiste ( pas par le concept ). Certains artistes ( la plupart ) tendent à faire du beau , si ce n’est pas le cas général effectivement on ne peut lier essentiellement l’ art au beau .Tout comme pour la philosophie , on ne peut la lier essentiellement à la recherche de la vérité .

Je comprends l’art par l’artiste et pas par le spectateur lequel est postérieur, passif sur le versant de la création ,consommateur.

Mais sur le versant de la consommation il n’est pas passif . Le consommateur d’ art est très actif, il exerce son jugement , il discrimine , il choisit , il élimine ,il ignore. Il jouit du spectacle, il est ému ou étonné voire horrifié , que sais je … la réception est fort diversifiée .

Je ne vais pas confondre l’artiste et le spectateur des œuvres .Donc pas l’art et le spectacle. certains arts ont vocation a être des arts spectaculaires, pas tous .


à mon sens, l'art contemporain a le mérite de nous faire prendre conscience de l'apport crucial du "spectateur" dans la définition de l'oeuvre d'art. Par conséquent, est "artiste" celui qui réussit à créer une oeuvre capable d'affecter des gens "informés" d'une manière précise et nouvelle. On ne peut plus définir l'art de façon purement "romantique", où l'oeuvre d'art n'est qu'une expression de l'individualité de l'artiste. On a besoin d'invoquer l'effet que l'oeuvre d'art produit sur un "consommateur" informé avant de pouvoir parler d'art. Est "art" ce qui est capable de produire un effet affectif précis et déterminé sur un "spectateur" (ou auditeur) "informé".

En ce sens, le "spectateur" n'est pas postérieur. Il est présent dès le premier moment de la création de l'oeuvre, en tant que celui qui doit être susceptible de se laisser affecter par l'oeuvre. N'est oeuvre d'art que cet objet capable de réellement affecter des spectateurs informés. Pour cette raison même, l'artiste est obligé de penser dès le début au "public" (ne fût-ce qu'un "public-à-venir"). L'un et l'autre sont indissociables, je crois. Une expression purement individuelle d'un sentiment n'est pas encore de l'art. Raison pour laquelle l'"autofiction" de par exemple Christine Angot n'est pas nécessairement de l'art: elle sait très bien décrire sa propre vie à elle, mais une description n'est pas nécessairement ce qui est capable de produire chez le lecteur des affects tout à fait nouveaux et inédits... .
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Messagepar DGsu » 16 févr. 2009, 11:26

Mais quid de la dodécaphonie, par exemple? Dirait-on toujours que les "dissonances" y sont au service d'une quelconque beauté? Ou est-ce que l'idée de beauté a été remplacée par une autre idée, pas moins esthétique pour autant?

Salut Louisa.

Pouvons-nous nous entendre sur le sens de "dissonances" ?

Est-ce une harmonie qui conduit à une résolution, la consonance ?
Est-ce ce qui, subjectivement, déplaît aux oreilles de l'auditeur moyen ?

Ou n'est-ce rien, c'est-à-dire une manière de nommer un certain stade dans la conjonction harmonique des sons qui est toujours harmonique où que l'on se trouve. En ce sens, n'est disharmonique que ce qui s'éloigne de l'harmonie fondamentale: l'unisson.

En effet, tout son naturel produit aussi des sons harmoniques qui lui sont associés et qui forment le timbre de ce son particulier.
On constate que les harmoniques naturelles d'un son sont dans l'ordre: l'octave, la quinte, la tierce, la septième, la seconde (pas celles du tempérament égal bien sûr). Manifestement, plus on s'éloigne du son fondamental, plus on s'éloigne de l'harmonie, mais on n'en sort jamais. Dès lors, la dissonance n'existe pas en tant que telle, mais seulement au sein d'un système qui l'aurait définie arbitrairement.

Ce en quoi, on rejoint la question de la beauté, où la tentative de définition d'une beauté (absolue ?) ne peut en musique en aucun cas être associée à un jugement sur la consonance ou la dissonance.

A bientôt. DG
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar bardamu » 16 févr. 2009, 16:59

DGsu a écrit :Salut Louisa.

Pouvons-nous nous entendre sur le sens de "dissonances" ?

Bonjour DGsu,
juste en passant, pour ceux qui n'ont pas tes compétences musicales, un petit "cours" sur la dissonance par un pianiste : "Qu'est-ce qu'une dissonance ?".

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Messagepar Joie Naturelle » 16 févr. 2009, 22:06

Louisa a écrit :
que comprends-tu par ce "nous"? Lorsque Picasso invente les Demoiselles d'Avignon, est-ce qu'il crée quelque chose qui émane de "nous", ou est-ce qu'il est plutôt en train d'inventer une nouvelle perception des choses, perception qui n'émane de personne, à strictement parler, mais qui s'est imposée à lui, une fois qu'il a essayé de regarder les choses à nouveaux frais?


Avec les Demoiselles d'Avignon, Picasso a créé quelque chose qui émane de lui, même si son acte créatif lui échappe au moins en partie. Même si son oeuvre s'est imposée à lui, elle est tout de même née de lui, de ce qu'il était, de ce qui le constituait lorsqu'il vivait. Et ce tout en tenant compte des influences qui ont pu l'affecter.

Ce "nous", c'est nous les hommes. C'est l'homme, le créateur, de qui émane l'oeuvre créée.

Louisa a écrit : ok. Mais dans ce cas, comment définir le "beau"?


Personnellement, je le définis par rapport à l'homme, et par rapport au temps. Le Beau est donc relatif. Relatif à ce qui existe parfois en l'homme. Pas relatif dans le sens où il serait susceptible de varier d'un individu à un autre. Non. Car alors, c'est de goût personnel qu'il s'agirait. Au contraire, le Beau a quelque chose de stable, qui s'inscrit dans la durée. C'est cette pérennité, garantie par un ensemble d'individus se transmettant le témoin d'une époque à une autre, qui rend le Beau tangible.


louisa a écrit :
Mais quid de la dodécaphonie, par exemple? Dirait-on toujours que les "dissonances" y sont au service d'une quelconque beauté? Ou est-ce que l'idée de beauté a été remplacée par une autre idée, pas moins esthétique pour autant?
L.


Puisque le Beau est inextricablement lié à l'essence de l'individu (en réalité de certains individus, pas de tous), je le juge (ce Beau) à l'aune de l'émotion qu'il fera naître en lui (l'individu). Si le dodécaphonisme est capable de procurer des émotions d'une intensité et d'une sincérité comparables à ce qu'une grande oeuvre de Bach (par exemple) pourra de son côté dispenser, alors ce dodécaphonisme-là méritera tout autant le nom de Beau. S'il procure une émotion moindre, mais malgré tout réelle, il aura probablement parcouru une partie du chemin menant vers le Beau, sans atteindre complètement ce dernier. S'il ne produit que des émotions faibles et superficielles, le terme de Beau me paraîtra alors totalement inapproprié à son endroit. Pour moi, ce n'est pas une question de dissonances. Ce qui compte est ce que peut dans l'absolu ressentir l'homme face à l'oeuvre, qui soit la conséquence directe de cette oeuvre.


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