Captain-Troy a écrit :Quelles craintes suscité-je donc ? Quelles phobies éveillé-je ? Quelles peurs représenté-je ? J'ai ma petite idée. Et toi ?
Donc, si la peur est à l'origine de la haine, pour maîtrise sa haine, il faut maîtriser sa peur. Vaste programme, mais dont la mise en œuvre n'est pas sans intérêt, un intérêt universel je crois.
Bonjour Captain-Troy,
juste une réponse déjà à ceci.
Je crois que la peur comme origine de la haine est certainement une idée intéressante, qui mérite d'être davantage étudiée. En attendant, je ne pense pas qu'elle est spinoziste, je pense que Spinoza propose autre chose, qui en ce qui me concerne pour l'instant ne m'intéresse pas moins.
Chez lui la peur ou, comme il l'appelle la "Crainte", c'est une Tristesse (c'est-à-dire une diminution de notre puissance). D'où vient-elle, quelle en est l'origine? Elle naît de l'idée d'une chose future ou passée, sur l'événement de laquelle nous avons quelques doutes. Ainsi est-ce l'inverse de l'Espérance (idem, mais Joie).
La Haine est une Tristesse aussi, mais accompagnée de l'idée d'une chose extérieure comme cause de cette Tristesse.
Tentative d'exemples:
- CRAINTE: je pense à l'idée que mon ami, dans le futur, va me quitter pour une autre (car je m'imagine que ma soeur est en train de le séduire), mais je n'en ai pas encore la preuve, donc cela reste incertain. Je sentirai donc une Tristesse dès que je pense à l'idée qu'il va m'abandonner, et cela précisément parce j'ai encore des doutes. J'ai donc peur qu'il me quitte (et de temps en temps j'espère que je me trompe: Joie; mais souvent je passe de la Crainte à l'Espoir, "flottement d'âme" qui n'est guère agréable (même si c'est
beaucoup mieux que de ne rien sentir du tout, bien sûr, comme le disait déjà (beaucoup mieux que moi) Fernando Pessoa; au moins lorsqu'on sent ce genre de flottement on se sent vraiment vivre, ce qui est fondamental pour les animaux que nous sommes).
- HAINE: quelqu'un insulte mon ami que j'aime beaucoup, et cela m'attriste. "Je me sens Triste en pensant au fait qu'on l'insulte" signifie je me sens Triste lorsque j'ai d'une part l'idée de mon ami insulté, d'autre part l'idée de la personne qui l'a insulté comme cause extérieure. Cela, d'un point de vue spinoziste, suffit pour dire que je haïs cette personne (chose assez remarquable tout de même, car il suffit de penser qu'il y a une cause extérieure à ma Tristesse pour que
déjà, pour Spinoza, il faut dire qu'on est en train de haïr).
Je dirais donc que chez Spinoza la Haine et la Crainte sont deux types de Tristesse différents, si bien que l'un ne peut pas vraiment être la cause ou l'origine de l'autre.
Mais en quoi est-ce important ... ?
Cela a une importance au niveau du "traitement" qu'on va vouloir "prescrire" ou essayer d'appliquer.
Lorsqu'on se dit que la cause de la Haine doit être la Peur, alors il faut essayer d'apaiser cette Peur, sinon la Haine continuera à être là. Il faut donc savoir de quoi on a peur, puis essayer de rassurer (soi-même si c'est nous qui avons peur, ou l'autre si c'est l'autre). Si tu as l'impression qu'une telle piste peut être efficace, quels types de peur seraient selon toi plus précisément à l'origine de la haine, et comment les apaiser?
Lorsqu'on se dit en revanche que la cause de la Haine (qu'on ressent par exemple soi-même) est toujours double, d'une part soi-même (= cause partielle 1) et d'autre part autre(s) chose(s) (= cause(s) partielle(s) 2), et que notre imagination a tendance à l'attribuer surtout à l'autre alors que quelque part elle en dit plus sur l'état dans lequel on est soi-même, le remède consiste à aller voir ce qui de nous-mêmes s'affirme tout à fait positivement dans la Haine. On "contemplera" ainsi sa propre force ou essence, ce qui nous rendra Joyeux, et brisera le sentiment de Haine qu'on avait par rapport à la supposée cause extérieure.
Et quand il s'agit d'essayer de diminuer la haine qu'un autre semble ressentir, il s'agit avant tout de lui faire comprendre qu'on ne va pas identifier son essence même, qui il est essentiellement, à cette haine, qu'on a plutôt compris qu'il exprime à sa manière une puissance de vie singulière extraordinaire. C'est pourquoi le remède à la Haine de l'autre chez Spinoza ne me semble pas être entièrement différente du remède chrétien (
mutatis mutandis): il dit même quelque part littéralement que les âmes ne sont jamais vaincus par les armes mais seulement par l'Amour. Or, par "Amour" il faut ici comprendre la capacité de voir ce qu'il y a de vraiment bon pour moi chez quelqu'un d'autre, ce en quoi l'autre pourra être pour moi source de Joie (l'Amour étant l'inverse de la Haine, elle se définit par la Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure).
Exemple: lorsque dans certains messages Korto écrivait combien ce qu'il associait au spinozisme faisait de celui-ci quelque chose de complètement absurde, il écrivait parfois d'une telle façon qu'il réussissait à évoquer cette absurdité d'une manière si créative/littéraire et si bien trouvée, que je ne pouvais qu'éclater de rire et le trouver un instant tout aussi absurde. A partir de ce moment-là, c'était difficile de ne pas quelque part commencer à l'"Aimer", au sens spinoziste du terme, même si au fond je n'étais pas du tout d'accord avec son idée du spinozisme. On pourrait donc dire que là Korto avait réussi à m'affecter d'une telle façon qu'il devenait difficile de le haïr, puisqu'il venait de provoquer chez moi une Joie, tout en montrant en quoi consistait notamment sa puissance à lui, ses talents à lui (au sens où si je pouvais un jour écrire un français tel qu'il pouvait le faire lui, je serais très contente ..
), tandis qu'en même temps je ne pouvais qu'être totalement d'accord avec l'idée que si l'on associait cela au spinozisme, alors au nom même de la vie et de tout ce qui vaut la peine dans la vie, rejettons-le avec la plus grande force possible!
Mais enfin, je ne sais pas si c'est clair ce que je veux dire .. ?
Bien à vous,
L.