Faun a écrit :Il me semble que toute la philosophie de Spinoza consiste en une libération, un chemin vers la liberté. Seulement il oppose sa liberté comme nécessité bien comprise à la liberté illusoire des théologiens et des autres philosophes. En effet, vous avez raison de dire que même les actes de l'homme libre sont strictement causés, et à ce titre expriment des lois ou règles d'effectuation précises et déterminées, qui sont celles de la Nature entière, et qui s'appliquent à tous les existants, libres ou esclaves.
Pour ce qui est de la paresse, je ne vois toujours pas le problème, mais je vais tenter de préciser un peu.
Utiliser son intelligence implique un effort, tandis que suivre ses désirs aveugles, qui mènent vers des choses facilement appréciables, n'en neccessite aucun ou très peu.
Par suite celui qui vit dans le premier genre de connaissance, soumis à ses passions, peut bien avoir l'illusion d'agir, il ne fait aucun effort, et il est à peu près totalement passif, quand bien même il s'agiterait énormément.
C'est pour cela qu'il est paresseux.
Tandis que le philosophe, qui constamment cherche à comprendre le monde et toutes choses, agit réellement, même si extérieurement il ne bouge pas et reste parfaitement calme et détaché de tout, son esprit est constamment en éveil, et lui seul est véritablement actif.
C'est pour cela qu'il n'est pas paresseux.
Merci pour ces précisions.
Disons que le problème me semble être le suivant: comment s'imaginer une chose particulière (un homme, en l'occurrence) qui "ne fait aucun effort", comme vous le dites, si pour Spinoza, c'est l'
effort qui définit notre essence même (c'est-à-dire ce que
nous sommes éternellement, donc constamment)?
Puis l'effort que selon Spinoza nous faisons constamment est pour lui tout à fait de la même 'grandeur' ou quantité que la puissance de penser qui elle aussi n'est qu'un autre nom pour notre essence même. D'ailleurs, apparemment nous sommes bien d'accord pour dire que chez Spinoza, tout est nécessaire et déterminé. Notre degré de puissance lui aussi est donc déterminé de toute éternité. Comme il le dit dans le De Deo: nous ne pouvons pas changer ce à quoi Dieu nous a déterminé.
Impossible donc de faire un plus grand effort ou un moindre effort que la puissance de penser qui nous définit depuis toujours.
Donc voilà, je ne vois pas comment concilier les deux: comment dire que quelqu'un ne fait aucun effort quand Spinoza dit que nous sommes essentiellement effort et que nous faisons nécessairement autant d'effort que le degré de puissance qui nous définit?
Ce problème se pose précisément pour la notion de la paresse, car effectivement, comme vous le dites la paresse suppose inévitablement de ne pas faire d'effort.
Enfin juste une petite remarque concernant tout autre chose: je crois qu'il s'agit d'une erreur si l'on pense que le sage spinoziste est un 'détaché', comme vous le dites. C'est au contraire lui qui, beaucoup plus que l'ignorant, réussit à s'UNIR à un nombre de choses singulières très élevé, et cela en en ayant une idée vraie. L'ignorant, n'en ayant que des idées inadéquates, confondant l'effet sur son propre Corps avec l'essence du corps extérieur, est celui qui est réellement beaucoup plus 'seul' dans le monde, beaucoup plus 'coupé' du monde, beaucoup moins uni au monde. Ce qui me permet de répondre également à Ulis:
Ulis a écrit :Pour la solitude, je pense que Faun à raison, il vaut mieux vivre à distance de la multitude puisqu'elle développe chez nous surtout des passions tristes: hypocrisie... et choisir ses amis, avec qui nous pouvons développer toute notre énergie à tenter de parler juste.
on peut bien sûr dire cela, mais je ne crois pas que ce soit très 'spinoziste'. Comme déjà dit, pour Spinoza notre puissance réelle est ZERO sans la société. Celui qui croit qu'il vaut mieux vivre parmi les bêtes que parmi les hommes, n'est rien d'autre qu'un IMPATIENT, pour Spinoza (ce sont bien ses mots que j'utilise; pour les citations exactes: voire les discussions dans les deux autres sujets).
Or il est évident qu'il vaut mieux aller vivre 'parmi les bêtes' si par hasard on est une fille iranienne violée par son mari futur et qu'un tribunal local a condamnée à la mort par lapidation. Seulement, ce n'est pas parce que physiquement on ne vit pas constamment au plein milieu d'une foule, qu'on peut déjà dire qu'on vit seul et sans la société. Spinoza pe avait une correspondance très intense avec tous les grands savants et un tas de 'petits savants intéressés' de son époque, tout en vivant hors des grandes villes. Si physiquement il y était sans doute plus seul qu'au plein milieu des quarties commerciaux d'Amsterdam, il avait probablement davantage de contacts avec le monde monde et la société que celui qui vivait dans ce quartier et n'y faisait rien d'autre que vendre ses légumes. En ce sens, si l'on veut absolument dire que Spinoza vivait seul, il vaut mieux parler avec Deleuze d'une 'solitude énormément peuplée', je crois.
Inversement, je ne vois aucun obstacle à devenir sage tout en occupant un petit appartement situé au plein milieu d'une grande métropole d'aujourd'hui. Il suffit d'avoir des voisins tranquilles pour pouvoir réfléchir autant qu'il le faut pour arriver à avoir des idées adéquates (et de sortir de temps en temps pour se laisser affecter par 'la société': les gens, les livres, ... ; car n'oublions pas que le sage est celui qui est apte à être affecté de beaucoup de manières différentes, chose assez difficile à réaliser si l'on vit seul dans le désert ...).
Ulis a écrit :J'ai mis "déterminé à être libre" car c' est bien sûr pour moi une contradiction dans les termes mais, pour Louisa c'est le signe d'une évolution !
pourtant, on retrouve exactement la même idée chez Leibniz: le monde est déterminé, mais il existe un type de détermination qui correspond entièrement à notre sentiment de liberté. Et alors il ne s'agit pas du tout d'un 'être déterminé à avoir un libre choix', liberté qui serait un genre de 'condition humaine' et se définirait de nouveau par une indétermination au sein même d'un monde déterminé. Chez Leibniz comme chez Spinoza, la liberté ne qualifie pas une condition générale d'une espèce (l'humanité pe), mais un acte, un acte seul. Chez Leibniz, c'est l'acte qui exprime à un certain moment toute l'amplitude de notre âme. Chez Spinoza, c'est l'acte qui n'est déterminé/causé que par notre nature ou notre raison, qui correspond à notre raison.
Tout ceci est seulement contradictoire quand on veut définir la liberté par l'indétermination. Or il se fait qu'au XVIIe, on avait tellement l'impression que la science montrait que tout est déterminé et que l'indétermination n'existe pas, est une illusion humaine, qu'ils étaient bien obligé d'inventer un AUTRE concept de la liberté. Je ne sais pas s'il faut appeler cela 'le signe d'une évolution', s'il fallait comprendre par là quelque chose de positif. Tout dépend de la position de départ: SI on croit que tout est déterminé, alors il vaut mieux définir la liberté autrement que par l'indétermination, si nous voulons donner un sens au fait que nous expérimentons que parfois nous sommes libres. Si au contraire on croit qu'il existe de l'indétermination dans la nature elle-même (telle que certaines parties des sciences aujourd'hui le font soupçonner), alors il n'y a bien sûr aucun problème a priori pour identifier liberté et indétermination.
Amitiés,
louisa