hokousai a écrit : Je repose ma question :Est-ce que l' écran de l'ordinateur ou tel objet dans la pièce où vous vous trouvez change quand vous chaussez des lunettes ( à supposé que vous en ayez besoin ). En première instance et justement sans rien présupposer on vous répondra ( probablement ) que non l' écran est toujours le même. <b>Je n'en disais pas plus</b> .
Justement, je posais un problème, parce que je pense que vous en dites plus que vous ne croyez, que sous ce "on vous répondra" se trouvent tout un tas de présupposés non explicités.
Votre métaphore de la vision me semble à côté de la question, il ne s'agit pas de voir passivement des objets, que ce soit de manière flou ou claire, il s'agit de réaliser un acte de compréhension. La vérité ne se voit pas comme on voit un tableau, elle se voit comme on voit une évidence dans une démonstration mathématique, quand l'esprit en vient à CQFD.
En arriver à CQFD et dire en même temps qu'on n'est pas dans la vérité est effectivement un jeu mental, comme disait Sescho.
Quand vous dites "Il est du moins impossible d'avoir une certitude absolue d'avoir donné une définition complète de telle ou telle chose et très exactement une description complète", vous dites en gros qu'il est impossible de dire CQFD, comme si au prétexte qu'on ne peut pas tout savoir on ne pouvait rien savoir. Personnellement, j'ai la certitude absolue que de la nature du triangle dans un espace euclidien il résulte que la somme des angles est égale à celle de deux droits...
Il y a bien des choses dont vous êtes sûr, des choses que vous avez comprises et dont vous ne pouvez douter ? Peut-être même des choses dont vous jugerez que personne ne peut douter raisonnablement comme la somme des angles d'un triangle ?
hokousai a écrit :Donc qu'est -ce qui change ?
Et bien c'est l'accommodation du cristallin ( ou l' optique par le truchement des lunettes )
Il existe donc un phénomène subjectif ( du coté du sujet percevant ) producteur d' une vision nette claire et distincte. L' appréciation de la clarté de la vision est subjective. L' ophtalmologiste vous demande : et là est-ce que vous voyez net ?
Si il s'agit de dire autant de tête autant d'avis, certes.
E1 Appendice : "On répète sans cesse : "Autant de têtes, autant d'avis ; tout homme abonde dans son sens ; il n'y a pas moins de différence entre les cerveaux des hommes qu'entre leurs palais :" toutes ces sentences marquent assez que les hommes jugent des choses suivant la disposition de leur cerveau et exercent leur imagination plus que leur entendement. Car si les hommes entendaient vraiment les choses, ils trouveraient dans cette connaissance, sinon un grand attrait, du moins (les mathématiques en sont la preuve) des convictions unanimes."
Quand l'appréciation ne se base pas sur l'imagination elle est plus facilement commune. Et on peut être d'accord avec son ophtalmo sur les raisons de la myopie à défaut de pouvoir la corriger, on peut se contenter d'admettre qu'on ne comprend pas quelque chose plutôt que d'affirmer que ce qu'on ne comprend pas est faux.
hokousai a écrit :Ce dont je parlais c'est de l affirmation:"<b> la vérité est norme d'elle même </b>"
C'est archi fondamental chez Spinoza.Tout ce qu'il écrit est fondé sur une idée de la vérité comme s'apparaissant certaine à elle même.
La justification est extrêmement fragile.
Si je vous dis :
La certitude est une activité particulière de l'esprit.
Qu' en pensez vous ?
Vous allez peut- être me répondre que oui, mais que c'est une activité supérieure de l'esprit .
Je vais faire un détour par l'anglais pour préciser les choses.
On a le terme "Certainty" où les deux sens de connaissance positive et d'état d'esprit, de sentiment, sont clairement évoqués.
A la même époque que Spinoza, John Wilkins écrit : "That kind of Asset which does arise from such plain and clear Evidence as doth not admit of any raisonable cause of doubting is called Knowledge or Certainty".
Quand vous dites "certitude", j'ai l'impression que vous parlez de l'aspect sentiment, d'une croyance, d'une impression.
Quand Spinoza parle de "certitude", il faut plutôt entendre une compréhension, une "évidence", terme qui a le bon goût de signifier "preuve" en anglais. Une preuve mathématique, une évidence mathématique, une démonstration interdit le doute. Les idées vraies enveloppent une évidence laquelle s'accompagne du sentiment d'être certain même si la relation n'est pas bijective et qu'on peut avoir le sentiment alors qu'on n'a pas du tout d'évidence sous les yeux, qu'on n'a pas de compréhension, qu'on n'a pas ces raisonnements qui enchaînent les idées de telle manière qu'on ne peut en douter.
E2p49 corol. scolie : "quand nous disons qu'un homme acquiesce à l'erreur ou qu'il y croit sans mélange de doute, nous ne disons pas pour cela qu'il est certain, mais seulement qu'il acquiesce à l'erreur ou qu'il n'en doute pas, aucune cause ne jetant son imagination dans l'incertitude. Du reste on peut sur ce point consulter le Schol. de la Propos. 44, partie 2. Ainsi donc, nous ne dirons jamais d'un homme qu'il est certain, si grande que puisse être son erreur ; nous entendons en effet, par certitude, quelque chose de positif (voyez la Propos. 43, partie 2, et son Schol.) et non une simple privation de doute ; or l'erreur, c'est pour nous la privation de certitude".
Quelle est cette chose positive qui constitue la certitude ?
E2p43 scolie : "Il n'est personne, en effet, qui, ayant une idée vraie, ignore qu'une idée vraie enveloppe la certitude ; car qu'est-ce qu'avoir une idée vraie ? c'est connaître parfaitement, ou aussi bien que possible, une chose. On ne peut donc nous contredire ici, à moins de s'imaginer qu'une idée est une chose muette et inanimée, comme une peinture, et non un mode de la pensée, et l'acte même du penser. D'ailleurs, je le demande, qui peut savoir qu'il comprend une certaine chose, si déjà il ne l'a comprise ? En d'autres termes, si déjà vous n'êtes certain d'une chose, comment pouvez-vous savoir que vous en êtes certain ? Et puis, quelle règle de vérité trouvera-t-on plus claire et plus certaine qu'une idée vraie ? Certes, de même que la lumière se montre soi-même et avec soi montre les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son criterium et elle est aussi celui de l'erreur."
La partie soulignée montre bien cette équivalence de sens entre "connaître" ("intelligere" en latin, "intelliger", comprendre) et "être certain".
En résumé : le terme "certitude" ne correspond pas chez Spinoza au sentiment de savoir, à une conviction ou à l'absence de doute, il correspond à une compréhension effective, le genre d'effet que produit une démonstration mathématique. Si on comprend quelque chose, alors on a des certitudes. Et si on ne comprend rien...
hokousai a écrit : Ce sur quoi je dirais que parfois douter est plus utile à la vie que d'avoir des certitudes et qu'en ce sens douter est supérieur à être certain .
Comprendre est encore plus utile que douter, et on ne doute pas de ce qu'on a compris même si on le juge secondairement comme inexact, incomplet ou faux. Si on a compris et si on pense qu'il y a une erreur alors on sait généralement dire où, et parfois même on a quelque chose de positif à proposer pour corriger l'erreur.