marcello a écrit :Je crois avoir compris que Spinoza, recherchant le bonheur (félicité) et constatant que tout ce qui semble apporter du bonheur est instable et ne dépend pas de soi, décide de rechercher une base stable et dépendant de lui afin de construire un bonheur véritable.
Pas de lui, pour commencer, mais de la chose elle-même, en l'occurrence de la substance.
La félicité est le sentiment d'être "à sa place", là où on est. Et connaître le fond en soi et par soi de tout ce qui est, c'est tout de même bien pratique pour savoir quelle peut être cette place.
Ce qui lui parait stable, c'est la substance, c'est-à-dire ce qui justement est permanent et sous-tend les "sources de bonheur" qui l'ont déçu.
Dans E1D3, la substance n'est encore qu'un concept, comme ces instruments qui servent à fabriquer d'autres instruments pour parvenir à un accomplissement complet (
TRE §30 à 32). On ne sait pas si elle existe, quoique ce sera assez vite établi, mais c'est un autre débat, ni ce à quoi elle correspond concrètement (ce sera l'étendue ou la pensée), ni comment se comporter à son égard (ce sera l'amour intellectuel, mais il y a du chemin d'ici là).
La substance est simplement à ce stade, ce qu'il
faudrait pour qu'une félicité durable et même éternelle soit, ne serait-ce qu'envisageable, un peu comme si on définissait l'habitation qui résisterait aux intempéries et aux températures trop éloignées de celles du corps humain, en disant, "c'est celle dont les murs et le toit seraient à la fois solides et capables de conserver la chaleur en hiver et la fraîcheur en été" : on en aurait pas encore dessiné les plans (Parties 1 et 2 de l’Éthique), trouvé les matériaux, on ne l'aurait pas non plus encore construite (parties 3 et 4) ni même encore déterminé comment on allait y habiter (partie 5) pour autant.
Ce qui lui a apporté du bonheur, c'est ce qui est commun à ces sources de bonheur et qui reste lorsqu'elles disparaissent.
Et qui est aussi commun à tout ce qui existe.
Pourquoi ce qui est commun à tout ce qui existe serait-il source de bonheur véritable ?
La suite de l’Éthique y répondra en détail, on ne peut pas tout demander à une définition de 2 lignes. Mais pour l'indiquer sommairement, ce qui est source de malheur, ce n'est pas ce qui nous arrive mais ce que nous
pensons de ce qui nous arrive (jusque là c'est stoïcien) parce que nous ne le comprenons pas (là c'est surtout l'apport de Spinoza, qui fait ainsi l'économie de l'idée mystérieuse de libre arbitre). Or nous ne comprenons pas ce que nous ne pouvons ramener à un principe déjà connu. Et si nous comprenons les choses en les ramenant à des principes divers et contradictoires, nous ne comprendrons en fait pas grand chose. Si donc nous pouvons comprendre globalement tout ce qui arrive à partir d'un seul et même principe, alors il n'y aura plus de souffrance morale (ce qui bien sûr n'enlèvera pas les douleurs du corps mais nous permettra de les supporter d'une âme égale).
D'autre part, si vous pouvez trouver un sentiment de félicité non pas seulement dans tel paysage, tel climat, telle compagnie mais dans "ce qui est commun à tout ce qui existe", alors il est facile de voir que vous pourrez éprouver la félicité suprême, la béatitude, au contact de n'importe quel paysage, climat ou compagnie, et donc dans tous les moments de votre vie, y compris jusque dans les derniers, qui pour vous apparaîtront clairement comme une transformation de la nature qui vous constitue non comme une cessation de la vie proprement dite.
Votre introduction à la substance me convient bien car elle est liée à la recherche du bonheur et non à la recherche d'une compréhension du monde qui ne correspond pas à mon Désir.
Le fait de savoir pourquoi les nuages existent et disparaissent n'est pas en haut de ma liste de priorités. Mais s'il est nécessaire de comprendre pourquoi ce qui est est et en quoi est ce qui est, je suis disposé à faire le chemin.
Avec un guide qui a déjà fait le voyage, bien sûr et qui comprend les difficultés auxquelles un débutant en Ethique est confronté d'emblée
Comprendre pourquoi les nuages existent et disparaissent est du même ordre que trouver du sens à son existence (pas au sens de finalité mais de cohérence) si tout ce qui existe procède d'une seule et même nature.
Quant au guide qui peut vous accompagner dans votre voyage, c'est avant tout votre capacité de raisonner. Pour ma part, je ne suis pas toujours disponible et je suis loin d'avoir déjà terminé le voyage, mais c'est toujours plaisant de trouver des compagnons de route à qui on peut être un peu utile.
En fait, vous n'avez pas été plus loin que cela dans votre explication de la substance et cela ne me pose plus de problème puisque je n'essaie pas de comprendre plus que ce qu'il y a dans la définition ni où elle mène.
Oui, je n'ai expliqué que ce qu'il y avait dans la définition, non tout ce qu'on pouvait en tirer et encore moins toutes les objections qu'on pouvait traiter à propos de ces conséquences et que nous réserve la suite de l’Éthique.
Hokousai a écrit :Quel est le statut du stable ? A mon avis il tient plus du désir de stabilité que d'une réalité.
Mais ce désir n'a-t-il pas déjà par lui-même une réalité ? Et si je peux désirer quelque chose, n'est-ce pas parce que cela peut avoir quelque rapport avec la réalité ? Comment désirer une chose dont nous n'aurions pas la moindre idée ? On peut certes désirer voler comme un oiseau sans que cela soit réalisable. A 12 ans, c'était mon désir et puis, petit à petit, j'ai pu comprendre qu'avec la culture de mon intelligence, je pouvais aller beaucoup plus haut et beaucoup plus vite que ne le peut un oiseau. Après cela, je n'ai plus désiré voler comme un oiseau. Ce que je veux dire, c'est que dans ce désir confus de voler, il y avait en fait le désir de voir de façon synoptique et de ne plus me sentir limité par la pesanteur de mon corps. Le désir impossible contenait en fait un désir parfaitement possible beaucoup plus satisfaisant.
L'idée de substance rend compte du stable alors que d 'expérience on ne rencontre que de l'instable.
Quand vous voyez un morceau de cire qui de solide passe à liquide etc. vous ne percevez donc pas toujours de l'étendue et donc aussi vous ne voyez en fait qu'une succession d'objets sans rapports les uns avec les autres ? Mais alors, comment savez vous donc ce que c'est que ce corps que vous pouvez voir chaque matin en vous rasant, qui n'est jamais tout à fait le même que la veille ? Je ne dis pas qu'une telle ignorance vous rende nécessairement malheureux, si vous vous en trouvez bien, profitez en bien ! Je suggère seulement que vous passez à côté d'un aspect de votre existence plaisant qui vous serait beaucoup plus directement accessible pourtant que n'importe quelle expérience sensible.