Messagepar Vanleers » 23 oct. 2014, 12:17
A Lechat
Pour que cela soit plus clair, et bien que cela devienne un peu long, je cite ensemble le paragraphe de Sévérac qui précède ceux cités précédemment ainsi que ces derniers.
Bien à vous
« En premier lieu, l’esprit se dit non seulement de l’idée du corps humain, mais de l’idée de tout corps. Ce qui signifie qu’à n’importe quel corps dans l’étendue correspond un esprit dans la pensée, et que cet esprit « perçoit » ce qui arrive à son objet, le corps. La proposition 12, qui vaut pour l’esprit humain (« Tout ce qui arrive dans l’objet de l’idée constituant l’esprit humain doit être perçu par l’esprit humain… »), repose en fait sur une démonstration qui, recourant à la langue du Deus quatenus, a une valeur universelle : Dieu a connaissance de tout ce qui arrive à l’objet d’une idée quelconque en tant qu’il est affecté par cette idée, c’est-à-dire en tant qu’il constitue cet esprit. Autrement dit, n’importe quelle idée perçoit les événements, ou les affections de son objet ; n’importe quel esprit perçoit ce qui arrive à son corps propre. Ce que résume le scolie de la proposition 13 par une formule frappante qui aura elle aussi une certaine postériorité : les individus, « quoiqu’à des degrés divers, sont pourtant tous animés ». Cela ne signifie nullement, on l’aura compris, que les corps soient animés par des esprits ; mais qu’à tout corps correspond une idée qui a des propriétés communes avec l’esprit humain : notamment celle de percevoir ce qui arrive au corps.
Aussi l’idée d’un corps équin perçoit-elle ce qui arrive au cheval : l’esprit du cheval sent les affections de son corps ; son âme est même, nous l’avons vu, un certain gaudium. Mais cette aptitude à percevoir, à penser donc, vaut aussi pour le chêne ou pour le quartz : de tout corps il y a une idée qui en perçoit les événements. Humains, animaux, végétaux et minéraux ont donc des propriétés communes : à la fois physiques (en tant que corps, ils enveloppent tous l’étendue), mais aussi psychiques (en tant qu’esprits, tous perçoivent ce qui arrive à l’objet corporel auquel ils sont unis). Idée absurde ? Conséquence en tout cas implacable du système, mais qui peut en effet laisser songeur : ainsi, la pierre pense… la pierre en tant qu’idée sent ce qui, en tant que corps, lui arrive. Etrange conséquence en effet, dont on ne sortira pas en affirmant qu’en fait, de la pierre, il y a bien une idée en Dieu (dans l’attribut de la pensée), mais une idée aveugle à son objet : une idée qui ne serait que la formule logique, la loi de comportement du corps en question, et qui serait donc insensible aux événements du corps, même si en partie elle les explique. En somme, se poserait ici de manière fondamentale la question de la distinction entre l’idée que l’on est et l’idée que l’on a : l’idée qu’est la pierre, elle ne l’aurait pas, puisqu’elle ne lui ferait aucun effet. Or le scolie de la proposition 13 dément très clairement une telle disjonction entre l'idée que l’on est et l’idée que l’on a : « tout ce que nous avons dit de l’idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l’idée d’une chose quelconque », puisque ce qui a été dit de l’union psycho-physique, ce sont des « choses communes » (communia). Donc, puisqu’il a été dit avant ce scolie que l’esprit humain perçoit les affections de son corps, il faut le dire de l’esprit de la pierre.
Mais il faut le dire en n’oubliant pas une partie de cette affirmation : tous les individus sont animés, certes, mais à des degrés divers. La perception minérale n’a donc pas la même puissance que la perception humaine ; elle est sans doute d’un bien faible degré, mais ce degré n’est pas nul. » (pp. 125-126)