Hokusai,
hokousai a écrit :
je vous demande de me répondre honnêtement
Avez vous une idée ( assez précise )de la chambre chinoise imaginée par Searle ?
Est- ce que ça vous dit quelque chose ?
Je crois avoir en tout cas une idée suffisamment précise de l’argument de Searle pour suspecter un malentendu. La cible de Searle et ce qu’il critique au travers de l’expérience de pensée susdite est le physicalisme ou la réduction des états mentaux à des états de systèmes physiques. Mais s’agit-il de cela pour ce qui nous concerne ?
Je disais par exemple :
durtal a écrit :La perception visuelle est à l’image rétinienne et aux dispositions internes de l’œil comme l’esprit est au corps (si l’on accepte toutefois l’idée qu’il y a quelque chose comme un esprit pour un corps).
Sauf erreur donc mes arguments reposent sur l’admission de l’esprit et des états mentaux, de leur irréductibilité à des états physiques ou dans la langue de Spinoza « à des modifications de la substance étendue. » Je ne nie donc pas la spécificité qualitative, intentionnelle, du mental négation qui est seule en cause dans la critique de Searle.
J’en viens maintenant, espérant avoir levé ce malentendu s’il est bien toutefois la cause du problème, à vos remarques.
hokousai a écrit : Expliquez -moi cette traduction .
Quelqu’un qui traduit possède deux corpus de signification .
Vous supposez donc ici que les modifications physico-chimique sont traduites en perceptions vécues.
Une table perçue devant moi est traduite de telle modification neuronale. Les deux corpus correspondent ( comme arbeit signifie travail et inversement )
Ce qui peut signifier que l’esprit connaît ce que c’est qu’ une table perçue( existentiellement ) en même temps (ou simultanément) qu’il connaît l’activité neuronale .
Mais si l’explication est bonne cela signifie que ce n’est pas vraiment une traduction
Je vous disais tantôt que je ne comprenais pas. Pourquoi exactement estimez-vous que le terme de « traduction » ne convient pas ici ? Je ne dis pas que vous avez tort forcément, après tout c’est une analogie qui doit bien rencontrer certaines limites, mais enfin elle ne me paraît pas ici tout à fait impropre à l’expression de ce que j’ai en tête, en tout cas je ne saisis pas le coté selon vous par lequel elle pècherait appliquée au présent cas ni pourquoi.
Vous dites par ailleurs, et cela semble donné pour une reformulation de mon opinion :
« l’esprit connaît ce que c’est qu’une table perçue en même temps qu’il connaît l’activité neuronale ». Mais je n’exprimerais pas moi-même les choses de cette manière car c’est parfaitement ambiguë et égarant.
L’esprit ne connaît pas ou ne perçoit pas au même sens des mots « connaître » et « percevoir » la table et les modifications du cerveau supposées sous-jacente.
Je dis plutôt:
« la forme spécifique sous laquelle l’esprit connaît cette activité neuronale est (consiste en) la perception même d’une table». Ou d’après ce que je soutiens: si vous désiriez savoir en l’espèce « ce que c’est » pour l’esprit que de percevoir cette affection de son corps (ou de son cerveau) ma réponse sera : « cela consiste en la perception d’une table ».
Le corollaire immédiat de ceci est que l’esprit ne perçoit pas les affections de son corps par lesquels il se représente des objets sous la forme d’affections de son corps. Je veux vraiment insister non pas tant sur le fait en lui-même, qui est évident, que sur la raison de ce fait. Que l’esprit ne puisse pas percevoir les affections du corps sous la forme d’affection du corps qui est la leur, peut être dérivé de cette théorie (ou du moins du sens que je donne à cette théorie) selon laquelle l’esprit perçoit les choses parce qu’il représente des affections du corps. La raison en est en effet que les images corporelles sur le fondement desquelles l’esprit se représenterait si la chose était possible, les images corporelles (par lesquelles il se représente ordinairement disons une table), devraient nécessairement différer (ne pas avoir la même structure) que les images corporelles par lesquelles il se représente la table en question.
On pourrait imaginer afin d’illustrer ceci la petite histoire suivante. Supposons que je puisse percevoir très précisément et très exactement les affections de mon corps (de mon cerveau) lorsque je perçois une table. Par « les percevoir » j’entends ici sous la « forme spécifique » d’affections du corps. Cela se ferait par exemple en réalisant un enregistrement via des dispositifs d’imagerie appropriés (faisons un peu de science fiction) de l’activité de mon cerveau tandis que je perçois une table, enregistrement que je visionnerais ensuite. Ce que je verrais alors –à savoir ce genre de film me montrant l’activité de certaines parties de mon cerveau- consisterait en un contenu perceptif spécifique différent de celui en lequel consiste la vision d’une table. Je veux dire : même si cette image que je vois (celle de mon cerveau sur cet écran) me donne à voir les modifications et les mouvements qui ont eu lieu lorsque je perçois ou ait perçu une table, ce que je vois alors n’est pas moins différent d’une table, que ne le sont entre elles la vision d’une table et celle disons… d’un éléphant. Donc (si l’on suit la théorie) cette perception engage, pour son propre compte de nouvelles images corporelles qui ne sont pas les mêmes que celles par lesquelles je perçois une table (de la même façon que la vision d’une table doit avoir pour correspondant corporel des images différentes de celles qui conditionnent la vision d’un éléphant) car si elles étaient les mêmes je ne percevrais pas une image de mon cerveau comme demandé, mais bien sûr… une table.
Comme précisément une perception vécue est la forme même sous laquelle l’esprit perçoit une affection du corps, il ne peut en même temps et simultanément (comme si c’étaient là possiblement deux contenus l’un à coté de l’autre ou juxtaposés) percevoir l’objet qu’il perçoit par cette affection (la table représentée) et cette affection elle-même comme objet de perception, car la seconde chose ( percevoir les affections du corps comme affections du corps) suppose un nouvel acte de perception au contenu spécifique qui diffère toto coelo du premier.
Pour répondre enfin à votre question sur ce que j’entends par le terme de « traduction ».
On pourrait dire et pour suivre l’exemple que vous avez choisi: le mot « travail » est la forme sous laquelle se dit dans la langue française le mot « arbeit », et le mot « arbeit » est de son coté la forme sous laquelle se dit dans la langue allemande le mot « travail ». D’accord ?
D’une manière analogue dis-je, une perception -une modification de la pensée- est la forme sous laquelle se produit dans ou pour l’esprit (seulement), un mouvement -une modification de l’étendue- survenant dans ou pour le corps (seulement) et inversement.
L’analogie repose sur deux propriétés : a) la différence entre (les mots) «
travail » et «
arbeit », n’est pas du tout du même ordre que celle qui existe entre «
travail » et (par ex) «
loisir » d’un coté et entre «
arbeit » et «
freizeit » de l’autre, b) il existe cependant un rapport de correspondance (réglé) entre ces différences elles mêmes d’une des langues à l’autre.
Hokusai a écrit :Vous me parlez de traduction et qui plus est à sens unique .
Le problème est que s’il y a traduction et si elle est à sens unique (admettons ) c’est toujours dans l’autre sens .
Bon en principe, vous devriez voir maintenant (enfin j’espère !) que ce reproche est injustifié. Sans un corps et sans affection de ce corps l’esprit ne se représente rien (il n’y a rien
à représenter), sans un esprit et sans la production d’idées dans cet esprit rien n’est représenté (il n’y a rien
qui représente). L’affection du corps et son idée, sont deux composantes du phénomène perceptif, aussi essentielles l’une à l’autre qu’elles différent l’une de l’autre. Donc pas de « sens unique ». C’est réellement impossible dans ce que je soutiens.
Hokusai a écrit :La traduction se fait toujours du corpus des objet perçus existentiellement vers le physico chimique .
Vous ne comprendrez rien en regardant des modifications neuronales de ce qu’elles signifient si vous n’avez pas la perception vécue en présence .
Le corpus physico-chimique dont on suppose qu il est traduit en images perçues (vécue ) n’ apparaît pas .
C’est en fait la traduction d’un texte inapparent .
Le traducteur traduit sans avoir un savoir de ce qu’il traduit .
Tout ceci est bien vrai mais :
a) cela marche aussi dans l’autre sens, (à savoir : je ne connais pas les affections de mon corps qui sont engagées dans la perception vécue d’une table, de ce que je contemple simplement cette table.)
b) Cela étant admis et accordé et ce « dans les deux sens », je ne vois pas que ce soit une objection. Pas plus du moins que n’est une objection à l’énoncé
« le mot allemand « arbeit » se traduit en français par le mot « travail » » le fait que par exemple moi, personnellement, je l’ignore parce que je ne connaîtrais pas du tout la langue allemande. En d’autres termes l’incapacité dans laquelle nous sommes de décrire précisément les corrélations ne semble pas constituer un argument contre l’existence de telles corrélations.
Je reconnais cependant que votre remarque peut déboucher à terme sur une question intéressante mais difficile qui est celle de savoir si les corrélations entre contenus mentaux et états physiques sont motivées (si elles ont une justification) ou si elles doivent être conçues au contraire comme quelque chose de tout à fait arbitraire. Mais comme vous n’aimez pas trop les longueurs et que j’ai conscience d’avoir déjà beaucoup abusé de votre temps, je tacherai de dire ce que je pense là-dessus en réponse à Sinuxis qui pose, me semble-t-il, une question du même genre. Mystère et « boîte noire »- (et non « boule de gomme »). Mais je ne garantis rien… c’est un problème réellement difficile à manipuler (de plus je dispose d’assez peu de « freizeit »).
Hokusai a écrit : Votre thèse conduit à l’idéalisme absolu . Le cerveau ( même s’il est matériel ) fabrique un monde d’images ressenties comme vécues .Ce monde d’images vécues ne peut rejoindre une source extérieur à ce qui le fabrique . Ce qui le fabrique , le cerveau, est lui même une image fabriquée par lui-même (ce que disait Bergson )
On a donc une machine dont on ne connait que l’image qu’il veut bien donner de lui même ( en l’occurrence physico- chimique ) et qui fabrique le supposé monde vécu .
Ecoutez tout cela me semble un peu excessif ou en tout cas injustifié. (sauf erreur)
Dernière chose : ne perdez pas de vue qu’il est question d’une interprétation des théories de Spinoza, pas de régler comme ça sur le pouce la question générale de l’âme et du corps. ( je n’ai rien contre Bergson comprenez moi bien, mais enfin il faut quand même savoir de quoi on discute)
D.
Je n’oublie pas Sinuxis qui en dehors de la question de la « black box » repose la question initiale de la liberté de l’imagination (que j’ai largement contribué à faire dévier) sous un angle qui mérite un examen sérieux, auquel j’essaye de me consacrer… mais comme je l’ai dit le temps manque etc…