Messagepar Miam » 28 mars 2013, 11:20
Bonjour.
L'influence néoplatonicienne sur Spinoza semble évidente mais elle reste très difficile à démêler.
Spinoza n'aurait pas lu Plotin. D'aucuns comparent les trois premières hypostases plotiniennes, l'Un suressentiel, L'intellect et l'Ame, à la Substance (l'Etant), son essence constituée par les attributs et les modes infinis. Mais on pourrait aussi bien y trouver une tripartition stoïcienne, d'autant que le néoplatonisme hérite d'une partie de la pensée stoïcienne via le médioplatonisme.
Le système de Proclus, avec ses "séries" semblables aux attributs spinoziens (une série pour l'Un, une autre pour l'Intellect, une autre pour l'Ame, une autre pour les Intelligibles, etc...) , est lui aussi souvent mentionné comme un ancêtre du spinozisme, d'autant que, chez lui aussi, hormis le "Premier", les termes de la série vont du plus complexe au plus simple. Toutefois ces mentions se trouvent seulement dans les études sur Proclus et non pas dans celles qui examinent la métaphysique spinozienne.
Le néoplatonisme des Juifs médiévaux, de Gabirol à Léon l'Hébreu en passant par Crescas, est très certainement aussi une filière pertinente. Wolfson tente d'en tracer les linéaments, mais hélas il en demeure à une lecture aristotélicienne classique. Car il ne faut pas oublier que ce qu'on nomme habituellement l'aristotélisme a lui-aussi intégré de nombreux éléments néoplatoniciens via le Livre des Causes (faux d'Aristote attribué à Proclus), Avicenne et Averroes. A l'époque d'Albert le Grand, on ne distinguait pas encore le néoplatonisme de l'aristotélisme. Thomas lui-même intègre des éléments néoplatoniciens pour asseoir la tradition aristotélicienne occidentale contre Gabirol les averroïstes, sans oublier l'exploitation faite par l'Eglise du néoplatonicien Pseudo Denys.
Enfin, l'influence sur Spinoza du néoplatonisme infinitiste de la Renaissance (De Cues, Bruno), ne fait aucun doute.
Mais cela ne suffit pas à déterminer l'influence néoplatonicienne sur Spinoza. Ce dernier use plutôt du langage scolastique de son époque et l'"expression" spinozienne, quoiqu'en dise Deleuze, ne suffit pas pour lire Spinoza au moyen d'une grille néoplatonicienne.
L'Etant spinoziste est bien suressentiel mais il est appelé Etant et non pas Un.
La causa sui spinozienne renvoie-t-elle à celle des néoplatoniciens ou à celle des méditations et réponses de Descartes ? A moins que la causa sui cartésienne soit elle-aussi un ballon d'essai d'origine néoplatonicienne pour dépasser une logique ramiste devenue insuffisante (c'est la thèse de Robinet) ?
L'autoconstitution de l'Etant absolument infini au début de l'Ethique s'inscrit-elle dans une problématique aristotélicienne de l'essence et de l'être ou dans celle de l'Un néoplatonicien ? Ou les deux ?
Personne n'a encore pu répondre convenablement à ces questions.
La chose est d'autant plus difficile que nous connaissons le néoplatonisme selon une perspective occidentale et latine qui, après en avoir intégré une partie, rejette cette école dans les affres de la spiritualité orientale gréco-arabe. Or, s'il y a une filiation néoplatonicienne de Spinoza, celle-ci passe forcément par l'Orient et non par la lecture thomiste des néoplatoniciens.
Cet imbroglio fait en sorte que jusqu'ici on peut trouver autant de filiations néoplatonicienne de Spinoza qu'on voudra par analogie ou ressemblance ou, au mieux, selon une identité de structure (par exemple pour Gabirol ou Bruno) mais fort rarement en s'appuyant sur une véritable étude philologique.