AUgustindercrois a écrit :(...)
@Pourquoipas: Si tu n'aimes pas Heidegger, je t'invite à lire Eckhart chez GF. On comprend que Martin H. est un gros copieur, et on ne peut soupçonner Eckhart de nazisme. Comme cela, on voit ce qu'il convient de retenir et d'éliminer dans ce courant.
Pourqoipas a écrit :Cher Augustin,
J'avais écrit une longue intervention sur ce que tu dis là, mais, comme, d'une part, elle a disparu lors d'un incident informatique qui me l'a supprimé, et que, d'autre part, elle sortait du cadre initial du sujet, je vais essayer de la reprendre dans un nouveau fil.
Cher Augustin,
Une précision : tu parles bien de Maître Eckhart, le célèbre penseur mystique dominicain. Et non d’un auteur contemporain qui aurait écrit contre Heidegger en l’accusant de plagiat. S’il s’agit du premier cas, pourrais-tu me donner deux ou trois exemples (des titres suffiront) montrant cela – car s’il s’agit de commentaires, ou même de paraphrases, je n’y vois pas vraiment d’inconvénients. Après tout, beaucoup de penseurs reprennent souvent ce qu’ont pu dire leurs prédécesseurs, souvent en les transformant, en donnant un autre sens à ce qu’ils ont dit, etc. S’il s’agit de pur et simple copiage, c’est une autre affaire… S’il s’agit du second cas (un auteur moderne critiquant Heidegger), peux-tu me donner les références de son ouvrage ?
Non, disons ma « haine » (tristesse avec Martin H. comme cause) vient surtout d’un ouvrage dont j’ai eu à m’occuper dans le cadre de mon boulot (une histoire du IIIe Reich vue du côté du peuple allemand à l’époque), où il est montré, avec références à l’appui, que, en tant que recteur de l’université de Fribourg, il s’est activement occupé, et assez tôt (en 1933-1934) de « dé-juiver » le personnel professoral et administratif, sinon estudiantin, dont il avait la charge. Et donc il ne s’est pas agi de sa part, disons de faiblesse, d’obéissance, ou de lâcheté.
A quoi s’ajoute le fait que, sauf erreur, toujours possible, les Leçons de phénoménologie sur la conscience intime du temps de Husserl, éditées d’après les notes de, et en collaboration avec, Edith Stein, l’assistante de Husserl (également, je le note au passage tant que j’y suis, connue depuis sous le nom de « sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix », et qui d’ailleurs, soit dit en passant, a écrit vers la fin de sa vie un ouvrage sur Denys l’Aréopagite, puis un autre sur Jean de la Croix – j’ajoute que cette philosophe devenue carmélite mourut peu après, en 1942, lors d’un petit voyage d’agrément à Oświęcim, en Pologne…), MH a, semble-t-il, tout fait pour ne pas mentionner correctement sa contribution à l’édition de l’ouvrage de Husserl, paru en 1928.
Sans oublier que lors de la réédition de Sein und Zeit dans les années 30, il élimina sa dédicace à Husserl (juif comme Stein)…
A l’inverse, je note qu’un savant, qui le valait largement intellectuellement, Max Planck (dont le fils participa – et en mourut – à l’attentat, bien trop tardif, contre Hitler de Stauffenberg en 1944), eut lui le courage de demander un entretien à Hitler, où il lui dit qu’il y avait des juifs dans son équipe, et qu’il en avait besoin pour mener à bien ses travaux scientifiques : à quoi Hitler aurait répondu en substance : « L’avancée de la science peut attendre, la première chose à faire est de s’occuper des juifs… »
— En aparté, j’ajoute une idée qui me vient à propos des « rapports » Hitler et nazis-judaïsme, une idée d’ordre disons métaphysique ou religieux : il ne s’est pas agi dans la Shoah d’un gigantesque pogrom, mais du fait que, les nazis considérant le peuple allemand comme un peuple élu, il ne pouvait y en avoir deux : il s’agissait d’un combat à mort où il fallait éliminer jusqu’au dernier représentant de cet autre peuple élu qu’ils considéraient comme voulant dominer le monde (et donc les tuer eux-mêmes), et ne pouvant s’assimiler, étant juif avant d’être de n’importe quelle nationalité… Et je ne suis pas si sûr que MH füt si éloigné de cette idée… Bon, maintenant tout cela demande bien plus ample réflexion. Je pense donc qu'on n'en a pas fini avec ce qu'on peut appeler la pensée (sinon la philosophie) nazie et ses rapports avec celle de Martin H.
Pour revenir à celui-ci, j’en suis d’autant plus "haineux" que j’ai apprécié certaines de ses analyses et pas mal de ses commentaires de textes : notamment les Holzwege (fort mal traduits par Chemins qui ne mènent nulle part, car les Holzwege sont des chemins forestiers, qui mènent donc quelque part…) et Le principe de raison, etc. Il y a d'ailleurs une étrange absence dans son œuvre, lui qui parle de tous les grands philosophes : et c'est celle de Spinoza, sauf une fois, et dans une courte allusion aux penseurs du système, si j'ai bonne mémoire... (et je ne pense pas que ce soit par antisémitisme).
Il est probable que, si je parviens à dominer cet affect, j’arriverai à relire et lire calmement ce penseur, car, je le répète, j’avais apprécié pas mal de ses analyses et de ses manières de lire les textes. Et, peut-être et même sans doute, m’aidera-t-il à comprendre ce que c’est que le nazisme et sa philosophie, et plus largement le monde technicisé contemporain.
Donc, en fait, au fur et à mesure que j'y réfléchis et que je me renseigne un peu plus, sans doute ma position se nuance-t-elle quelque peu.
Et maintenant, j’ai quand même une question, naïve mais fondamentale : peut-on être un salaud et un philosophe en même temps ? A cette question, il me paraît clair que Platon, et les Grecs en général, ainsi que Spinoza, répondraient non (pour les chrétiens, Thomas d’Aquin compris, j’en suis moins sûr). Mais, qu’en est-il de la philosophie contemporaine sur ce point ?
Ce sera tout pour aujourd’hui.
Portez-vous bien.