Henz a écrit :Je suis sincèrement navré de vous faire vous répéter, n'étant pas familier avec les notions abordées, j'ai bien du mal à tirer les conclusions qui semblent s'imposer de vos propos. Je ne puis interroger que des bouts de phrases, pas encore l'ensemble qui m'apparaît bien flou -mon imagination est bien trop polluée de scories .
Mon exposé n'a pas non plus toutes rigueur et construction souhaitables... J'essaye de traiter la question et de donner en même temps une idée générale mais néanmoins fidèle de la pensée de Spinoza ; c'est beaucoup en peu de temps (quoique non négligeable), et je fais en tout état de cause selon mes dispositions propres. Ce sera suffisamment positif, cela dit, si une part significative passe, sans rebuter.
Note : sinon c'est l'imagination (plus ou moins assimilée à la mémoire chez Spinoza) elle-même qui est génératrice de scories.
Henz a écrit :Est-ce à dire que sous prétexte que ces vérités apparaissent immédiatement telles des certitudes, nous pouvons faire l'économie d'en interroger la validité/pertinence ?
Non, il est de bonne pratique de tout tester à fond. Maintenant s'il s'agit non d'examen objectif de la chose même mais de doute systématique plaqué pour le doute lui-même, je mets cela clairement dans la colonne "nuisible."
Henz a écrit :En quoi clarté et distinction sont elles gage de vérité ? Je peux percevoir clairement et distinctement, sans doute possible, l'éclat d'une étoile qui a pourtant cessé d'exister et par conséquent, avoir immédiatement la certitude que cet astre existe bel et bien.
Non, vous extrapolez alors largement, et ce n'est pas clair et distinct. La seule chose "vraie" c'est que vous percevez une lumière dans le ciel. Ajoutons qu'en plus Spinoza n'accorde même pas à la sensation pure prise en elle-même le qualificatif de "clair et distinct" : E2P28 ("clair et distinct" s'applique à des vérités éternelles uniquement : prémisses et lois). Spinoza illustre ce sujet avec l'exemple de la distance du soleil dans E2P35S.
Henz a écrit :Mon problème est ici : Je ne comprends pas comment Spinoza tel que vous m'en parlez, passe de :
- Tout homme a primitivement l'idée de Dieu.
- Dieu est cause immanente de toute chose.
Que l’Homme a primitivement l’idée de Dieu suppose (ce n’est évidemment pas qu’un mot) que c’est en tant que quelque chose. E2P45Dm, complétée par E2P46-47, indique a posteriori de quoi il s’agit en premier lieu : la dimension de l’être commune à tous les corps, par exemple : l’Etendue, est Dieu (naturant.) Dans le texte de l’Éthique, ceci est placé en tête : Dieu est une substance, c’est-à-dire qui est en soi et conçu par soi (on ne la rapporte d’aucune façon à rien d’autre qu’à elle-même : elle est, point) – c’est le cas de l’Étendue, par exemple – et dont en outre l’essence se développe suivant une infinité de dimensions, ou attributs (« en parallèle » ou « en miroir » ; c’est un point difficile.) La deuxième proposition est démontrée dans E1P14-18 en conséquence de la nature de Dieu ; elle n’est donc pas primitive mais développée suivant l’ordre de l’entendement.
Pour se limiter à l’Étendue, les corps ne peuvent être conçus qu’en elle (définition du « mode » ou « manière ») ; elle est donc cause immanente des corps (E1P15.)
Henz a écrit :Pour ma part, je serais tenté de déduire du premier point que nous sommes tous membres d'une même espèce, non pas que Dieu existe, encore moins qu'il est cause immanente de toute chose. Il doit nécessairement me manquer des étapes.
Une espèce est une notion générale (pertinente et même indispensable au développement de notre entendement, notre plus haute richesse, mais néanmoins…), pas un étant. Elle recouvre effectivement l’essence (nature) commune à des individus "similaires" (et donc indépendante de l'histoire personnelle de chacun de ces individus), laquelle essence est, comme toute essence, essence de Dieu. Dans ces conditions « appartenir à une espèce » est une façon de parler contestable. Par ailleurs, il ne faut effectivement pas brûler les étapes : la base est beaucoup plus simple : Dieu transparaît avant tout comme pure et simple communauté d’être entre les modes (en tant qu’Étendue dans les corps par exemple.) L’idée de Dieu est forcément en premier lieu l’idée de quelque chose de simple, d’éternel et d’infini.
Henz a écrit :Dieu est-il une simple idée humaine ou existe t-il en dehors de l'humain ? Autrement dit, faisons nous autre chose que de marquer la nature du sceau de notre humanité ?
Je ne vois pas que l’existence et la perception de l’Étendue, par exemple, soit indissociablement liée à l’existence des hommes. Pour la perception, je mettrais personnellement à l’examen qu’elle puisse être indépendante des modes pensants, mais pour Spinoza c’est clair : Dieu pense et « a l’idée de lui-même » (je dirais – sous réserve – que tant le Bouddhisme que le Védanta sont sur la même ligne, voire une ligne plus spiritualiste : la conscience sans pensées (soit la Pensée naturante chez Spinoza) – qui est en tout état de cause sous-jacente à l’apparition des pensées individuelles – est Dieu éternel et infini (en fait, il est aussi les pensées individuelles, mais en tant que « fluctuations du vide » – qui n’est pas le néant – de la précédente...)
Henz a écrit :J'espère ne pas abuser de votre patience.
Nullement. C’est avec plaisir, et si je sens qu’il faut que je décroche, je le ferai. Mais c’est aussi avec intérêt : d’une part les interrogations simples et sincères sont un excellent stimulant de la réflexion, d’autre part, essayer d’expliquer est un puissant outil de remise en ordre et en cause de ses propres pensées.
Amicalement
Serge