Louisa a écrit :Est-ce que tu es d'accord avec tout ça?
Bonjour Louisa,
je ne suis pas du tout d'accord avec ça...
Tu reprends le schéma aristotélicien pour partir d'une matière (bois) et aller à une matière formée (table). Du point de vue spinozien, c'est partir d'une essence pour en faire une autre complètement hétérogène. Le bois se définit par ses fibres etc., la table par ses 4 pieds etc., et tout ceci n'a rien à voir l'un avec l'autre.
Je vais revenir à l'origine de la question.
On parle du Traité de la
Réforme de l'Entendement, du passage qui évoque la recherche du souverain bien.
Spinoza part d'un état de malaise et se lance par ses propres forces à la recherche d'un souverain bien. Cela donnera l'Ethique,
une voie de libération vers la Béatitude.
Je crois qu'on peut considérer que Sescho ne fait qu'exprimer ce qui,
in fine, est la proposition de Spinoza pour le salut de l'homme : chaque homme est dans un état affaibli par rapport à ce qu'on peut en tant qu'homme, à ce qu'on est vraiment en tant qu'homme.
Ce que peut l'homme, c'est la béatitude par l'exercice de la raison, Spinoza en étant la preuve par l'exemple.
Maintenant, si on veut faire un peu de technique, parler d'essence, d'actualité etc., voilà comment je vois les choses :
1- essence selon l'éternité
2- essence dans l'existence, affectée à l'instant t
3-
conatus : effort pour persévérer dans son être, effort qui n'est que l'essence actuelle, l'expression dans l'existence de l'essence selon l'éternité
4- essence dans l'existence libérée des affections : l'effort devient minimal, on vit librement ce que l'on est, reposé parce que dans l'état correspondant à son essence selon l'éternité
Le potentiel est l'essence selon l'éternité qui s'exprime comme force, comme effort dans l'existence pour être ce qu'elle est. Effort de résistance, de libération, d'extension, de développement dans la durée.
Je reprends l'exemple du ressort :
1- ressort de 10 cm au repos
2- ressort de 10 cm affecté, faisant 5 cm à l'instant t
3- conatus du ressort : il pousse pour que son expression dans l'existence corresponde à sa nature propre, pour trouver le repos (de l'âme ?) en se libérant des affections contraires
4- le ressort se libère, son essence dans l'existence correspond à son essence selon l'éternité
Le cas humain :
1- l'esprit en tant qu'expression de l'entendement infini
2- esprit affecté, confus, poussé de-ci de-là par l'imagination, les passions
3- conatus de l'esprit : en tant qu'entendement, il combat les passions, lutte pour que son expression dans l'existence corresponde à sa nature propre, pour trouver le repos en se libérant des affections contraires et en affirmant sa nature de partie de l'entendement infini ; il fait aussi effort pour se développer et affirmer autant d'entendement que possible :
4- l'esprit se libère, son essence dans l'existence correspond à son essence selon l'éternité, il est entendement, union mentale avec toute la nature
Donc :
- il n'y a pas de "finalité" autre que d'être dans la durée ce que l'on est selon l'éternité, que de vivre ce que l'on est ;
- il n'est pas question qu'une chose soit en germe dans une autre chose puisqu'on est toujours soi-même, une partie de l'entendement infini en tant qu'esprit, toute l'évolution possible concernant le fait que l'ordre de la nature tout entière fasse que dans la durée on vive plus ou moins ce que l'on est selon l'éternité, en fonction de l'exercice qu'on fait de notre raison, de la force intrinsèque de celle-ci et des conditions externes.
- ce Souverain Bien qui est d'être soi-même est renvoyé par Spinoza à la puissance de comprendre qui constitue la nature de l'esprit. L'homme est d'autant plus libre que son esprit est entendement. Spinoza invite les hommes à suivre leur nature d'être d'entendement, c'est-à-dire à emprunter la voie de la compréhension, à faire que la puissance de l'entendement mène à la liberté.
- l'essence particulière de chaque homme reste une essence d'homme en général ("
humanae natura in genere", cf E1p8 scolie 2). Si les affects de l'ivrogne se distinguent de ceux du sage autant que leur essence se distingue, ils sont encore les affects d'une nature humaine. C'est pour cela que cette voie vers le Souverain Bien peut être communiqué aux autres hommes, c'est pour cela qu'il y a une sorte d'Homme Parfait (pour faire écho au "
al-Insan al-kamil" d'Ibn Arabi) chez lequel tout l'esprit existe dans la durée comme dans l'éternité, pur entendement qui notamment ne connaît ni le bien ni le mal.
Questions sur ta position
> Je ne te vois pas parler de libération, des effets de l'effort de la raison, du cheminement que propose Spinoza pour le salut des hommes.
> Que signifie "persévérer dans son être" dès lors qu'on change d'essence à chaque instant ?
Est-ce à dire que les êtres échouent à chaque instant à persévérer ?
Distingues-tu entre l'essence selon l'éternité et l'essence affectée par autre chose dans l'instant ?
En fait, en ramenant l'essence à un état actuel, instantané, tu me sembles évacuer cet effort, le fait que l'essence actuelle est
conatus et qu'en tant que telle elle dure.
> Et comment se fait-il que Spinoza parle de la nature humaine, de la nature de l'enfant, de l'ivrogne, du sage, si la singularité des essences ne concerne que le niveau d'un individu ?
Si c'est bien ce que tu fais pour nier la pertinence d'un discours sur l'homme en général, pourquoi ne pas descendre au niveau de la singularité cellulaire, moléculaire, atomique pour nier la pertinence d'un discours sur l'individu ? Pourquoi ne pas considérer tel homme particulier comme une abstraction faite à partir d'un ensemble de cellules et nier la pertinence de la notion d'humain particulier ?
P.S. : je n'ai pas repris ton message avec la typologie des arguments vu que je n'y retrouvais pas ma pensée.