E T H I C E S
P A R S P R I M A
DE DEO.
DEFINITIONES.
ETHIQUE
Première partie
DE DIEU.
Définitions
I. Per c a u s a m s u i intelligo id, cuius essentia involvit existentiam, sive id, cuius natura non potest concipi nisi existens.
II. Ea r e s dicitur i n s u o g e n e r e f i n i t a , quae alia eiusdem naturae terminari potest. Ex. gr. corpus dicitur finitum, quia aliud semper maius concipimus. Sic cogitatio alia cogitatione terminatur. At corpus non terminatur cogitatione, nec cogitatio corpore.
SN :
I. Par cause de soi, je comprends ce dont l'essence enveloppe l'existence, en d'autres termes, ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.
II. Une chose est dite finie en son genre lorsqu'elle peut être limitée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit fini parce que nous pouvons toujours en concevoir un autre plus grand. De même, une cogitation est limitée par une autre cogitation. Mais un corps n'est pas limité par une cogitation, ni une cogitation par un corps.
[- intelligere : on a dit "comprendre" ; intellectus = intellect.
- Peut-on raisonnablement traduire cogitatio par cogitation ? A la relecture, je ne trouve pas cela si choquant, tout le monde connaît ce terme et il sonne assez bien avec corps]
III. Per s u b s t a n t i a m intelligo id quod in se est et per se concipitur; hoc est id cuius conceptus non indiget conceptu alterius rei, a quo formari debeat.
IV. Per a t t r i b u t u m intelligo id quod intellectus de substantia percipit tamquam eiusdem essentiam constituens.
V. Per m o d u m intelligo substantiae affectiones, sive id quod in alio est, per quod etiam concipitur.
III. Par susbtance, je comprends ce qui est en soi et se conçoit par soi, c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être formé.
IV. Par attribut, je comprends ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence.
V. Par mode, je comprends les affections d'une substance, en d'autres termes, ce qui est en autre chose et se conçoit également par cette autre chose.
[Alors on garde "mode" ? Faut-il privilégier un mot qui ne signifie pas grand chose dans le langage courant, à part "la mode", mais qui est cependant riche de dérivés : modification, modalité, se modifier, modal, modèle, modeler etc. J'avais pensé à "façon d'être" ou "état" mais...]
VI. Per D e u m intelligo ens absolute infinitum, hoc est, substantiam constantem infinitis attributis, quorum unumquodque aeternam et infinitam essentiam exprimit.
EXPLICATIO. Dico absolute infinitum, non autem in suo genere. Quicquid enim in suo genere tantum infinitum est, infinita de eo attributa negare possumus; quod autem absolute infinitum est, ad eius essentiam pertinet, quicquid essentiam exprimit et negationem nullam involvit.
VI. Par Dieu, j'entends un étant absolument infini, c'est-à-dire, une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.
Explication. Je dis absolument infini, et non pas infini en son genre car nous pouvons nier une infinité d'attributs de ce qui est seulement infini en son genre ; alors que tout ce qui exprime une essence et n'enveloppe aucune négation se rapporte à l'essence de ce qui est absolument infini.
[Pertinet : non "appartient à" mais "se rapporte à"]
VII. Ea r e s l i b e r a dicetur, quae ex sola suae naturae necessitate existit et a se sola ad agendum determinatur: n e c e s s a r i a autem, vel potius c o a c t a , quae ab alio determinatur ad existendum et operandum certa ac determinata ratione.
VIII. Per a e t e r n i t a t e m intelligo ipsam existentiam, quatenus ex sola rei aeternae definitione necessario sequi concipitur.
EXPLICATIO. Talis enim existentia, ut aeterna veritas, sicut rei essentia, concipitur, proptereaque per durationem aut tempus explicari non potest, tametsi duratio principio et fine carere concipiatur.
VII. Une chose est dite libre lorsqu'elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée que par elle-même à agir. On appelle au contraire nécessaire, ou plutôt contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à oeuvrer selon une raison précise et déterminée.
VIII. Par éternité, je comprends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme suivant nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.
Explication : Une telle existence est en effet conçue comme vérité éternelle, de même que l'essence de la chose ; c'est pourquoi elle ne peut être expliquée par la durée ou le temps, quand bien même on concevrait une durée sans commencement ni fin.
Trad. Saisset
I. J'entends par cause de soi ce dont l'essence enveloppe l'existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.4
II. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ; mais le corps n'est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps.5
III. J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d'une autre chose.
IV. J'entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.
V. J'entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.
VI. J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.
Explication : Je dis absolument infini, et non pas infini en son genre ; car toute chose qui est infinie seulement en son genre, on en peut nier une infinité d'attributs ; mais, quant à l'être absolument infini, tout ce qui exprime une essence et n'enveloppe aucune négation, appartient a son essence.
VII. Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée.
VIII. Par éternité, j'entends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle.
Explication : Une telle existence en effet, à titre de vérité éternelle, est conçue comme l'essence même de la chose que l'on considère, et par conséquent elle ne peut être expliquée par rapport à la durée ou au temps, bien que la durée se conçoive comme n'ayant ni commencement ni fin.