PROPOSITIO IV. Duae aut plures res distinctae vel inter se distinguuntur ex diversitate attributorum substantiarum, vel ex diversitate earundem affectionum.
DEMONSTRATIO. Omnia, quae sunt, vel in se, vel in alio sunt (per axiom. 1.), hoc est (per defin. 3. et 5.) extra intellectum nihil datur praeter substantias earumque affectiones. Nihil ergo extra intellectum datur, per quod plures res distingui inter se possunt praeter substantias, sive quod idem est (per defin. 4.) earum attributa earumque affectiones. Q. E. D.
Proposition IV
Deux ou plusieurs choses distinctes sont distinguées entre elles ou bien par la diversité des attributs de leurs substances ou bien par la diversité des affections de celles-ci.
Démonstration
Tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose (par l'axiome 1), c'est-à-dire (par les def. 3 et 5) que rien n'est donné hors de l'intellect sauf des substances et leurs affections. Donc rien n'est donné hors de l'intellect par quoi plusieurs choses puissent se distinguer entre elles sauf des substances, ou ce qui revient au même (par la def. 4) les attributs et les affections de celles-ci. C.Q.F.D.
"vel... vel..." : traduit par "ou bien... ou bien" comme ce qui avait été fait pour l'axiome 1, même si je trouve que c'est ici un peu lourd.
per defin. 3. et 5. : j'ai pris l'abbréviation "déf." qui me semble correspondre au français bien que je n'ai pas connaissance d'une règle sur ce sujet.
praeter : sauf. J'ai hésité avec "sinon".
quod idem est : ce qui revient au même. Saisset et Appuhn sont d'accord sur cette traduction. J'ai pas trouvé mieux.
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PROPOSITIO V. In rerum natura non possunt dari duae aut plures substantiae eiusdem naturae sive attributi.
DEMONSTRATIO. Si darentur plures distinctae, deberent inter se distingui vel ex diversitate attributorum, vel ex diversitate affectionum (per prop. praeced.). Si tantum ex diversitate attributorum, concedetur ergo, non dari nisi unam eiusdem attributi. At si ex diversitate affectionum, cum substantia sit prior natura suis affectionibus (per prop. 1.), depositis ergo affectionibus et in se considerata, hoc est (per defin. 3. et axiom. 6.) vere considerata, non poterit concipi ab alia distingui, hoc est (per prop. praeced.) non poterunt dari plures, sed tantum una. Q. E. D.
Proposition V
Au sein de la nature, il ne peut y avoir deux ou plusieurs substances de même nature ou attribut.
Démonstration
Si il y en avait plusieurs de distinctes, elles se distingueraient entre elles ou bien par la diversité de leurs attributs ou bien par la diversité de leurs affections (par la prop. précédente). Si c'est par la diversité des attributs, on accorde donc qu'il n'y en n'a qu'une par attribut.
Si c'est par la diversité des affections, puisque une substance précède par nature ses affections (par la prop. 1) ses affections sont mises de côté pour considérer la substance en elle-même, c'est-à-dire (par def. 3 et axiome 6) pour la considérer véritablement, et on ne pourra donc la concevoir comme se distinguant d'une autre, c'est-à-dire (par la prop. préc.) qu'il ne pourra y en avoir plusieurs mais seulement une. C.Q.F.D.
In rerum natura : il s'agit d'une locution que G. Louïse traduit par "dans tout ce qui existe, dans la réalité" (Cf. http://glouise.club.fr/N.htm ). Appuhn traduit "dans la nature" et Saisset dit "dans la nature des choses".
La version de Saisset me semble mauvaise puisqu'elle perd le sens extensif de la locution pour en faire quelque chose de qualitatif. Le sens qualitatif se retrouverait dans un usage de "rerum natura" en complément d'objet.
J'ai choisi "au sein de la nature" en pensant que cela rendait un peu plus que "dans", l'idée de nature comme composition de choses et pour pouvoir marquer la différence avec "in natura". On retrouvera les deux expressions l'une après l'autre dans dans E1P8 scolie 2 :
"His positis sequitur, quod, si in natura certus aliquis numerus individuorum existat, debeat necessario dari causa, cur illa individua et cur non plura nec pauciora existunt. Si ex. gr. in rerum natura viginti homines existant etc."
"substantia sit prior natura suis affectionibus" : reprise de la traduction de la proposition 1. (à noter dans le lexique que "prior est" et ses dérivés sont traduits par "précéder")
"depositis" : mises de côté. Saisset dit "en faisant abstraction", Appuhn dit "mettant à part".
"ergo" : j'ai déplacé le "donc" pour construire une logique plus linéaire :
puisque la substance précède ses affections, on ne prend pas en considération celles-ci et donc on ne peut distinguer deux substances par leurs affections.
"vere" : véritablement. Appuhn dit "en vérité", Saisset dit "selon sa véritable nature". Je trouvais que "en vérité" avait un petit côté évangélique qui ne collait pas au style qu'on développe, mais c'est à voir.