Sescho a écrit :Qu'appelez-vous "singularités" et comment justifiez-vous l'emploi de ce terme précis ?
- Une singularité, c'est quelque chose qui est distingué à parti du divers, de la multiplicité du divers, par différenciation (elle se singularise). Le terme (deleuzien) s'oppose donc à l'identité ou aux essences qu'il est question de reconnaître. Quand je dis que les lois que vous envisagez comme éternelles devraient s'appliquer aux singularités, ça veut dire qu'elles devraient comprendre, inclure le mouvement des choses, y compris la création de nouveauté, pour être crédibles.
Sescho a écrit :Chez Spinoza, les choses singulières sont les choses particulières (essence de mode) existant en acte (existence, modale.) L'existence est donc sans rapport avec les modes en tant que pris "en eux-mêmes", autrement dit il n'appartient pas à leur nature d'exister : exister n'appartient qu'à la nature de Dieu.
- Jusque là, je crois comprendre. Il me semble à peu près concevoir l'existence de "modes" et leur place vis-à-vis de la Substance, sans que rien ne me choque dans cette façon de présenter les choses. Pas grand chose à dire donc, si ce n'est que je profite de cet espace pour vous demander pourquoi ne pas rendre Spinoza accessible en disant "la Vie" plutôt que Dieu ou la Nature ? (et continuer de la même façon à "remettre à jour" ses concepts : "modes de vie" au lieu de modes etc)
Sescho a écrit :Les choses particulières ne sont PAS concevables en elles-mêmes, elles ne le sont qu'en Dieu, qui apparaît donc nécessairement avant (ou contenant) ontologiquement (c'est juste dire la même chose.) Ceci implique beaucoup plus d'empêchement à poser les choses de certaines manières qu'on ne semble le comprendre très généralement. Par exemple, dire qu' "une chose change" est déjà largement invalidé...
- J'entends bien ce que vous dites mais je vous réponds en dehors de l'aspect conceptuel. Et donc que la perception première des choses est faites d'éléments qui nous entourent (c'est là que j'ai mis "d'abord" en lieu et place de "avant") ; et donc que la relation directe qu'on en a à travers l'expérience empirique se fait (d'abord) à partir de cette perception. Il y a donc un double processus, le premier empirique, expérimental ; le second pensé, où il est effectivement difficile d'avoir beaucoup à dire quant à la supposée identité de chaque éventuelle chose (choses sur lesquelles il est déjà impossible de s'entendre quant à une définition : on ne parle jamais de la même chose).
Sescho a écrit :Les choses singulières ne sont pas connaissables adéquatement en tant que singulières (c'est-à-dire non pas en généralité, mais telles qu'elles sont de fait, en acte, présentement.) En fait, comme elles changent en permanence, elles n'existent même pas (en tant que "choses") : il y a juste : cela, maintenant. Ce n'est qu'en passant à l'essence de genre qu'on peut raisonner dessus, mais nous sommes alors passés aussi aux notions générales et autres concepts, et la "singularité"(mais pas l'individualité en général) a alors déjà disparu...
- Chez Deleuze, les choses sont envisagées par différentiation (à travers donc les singularités distinguées) et non recognition. Deleuze n'est pas phénoménologue, il n'envisage pas de concepts dans un système sujet/objets. Il y a d'un côté le rapport direct, empirique, à base d'un sujet et de son "extérieur" ; de l'autre la pensée qui conceptualise ces expériences à partir "d'
événements" (et non depuis un sujet toujours problématique). L'événement est ce qui fait sens, ses manifestations sont ce que nous expérimentons. Sujets et objets sont deux inconnus qui ne se croisent que sur le plan de l'expérience. Il n'y a pas d'essence chez Deleuze, ni dans l'identité ni dans le mouvement (pas de cause première, pas de finalité). Les concepts deleuziens ne sont pas identitaires, mais issus de la différence.
Sescho a écrit :Dans l’Étendue, le Mouvement - dont ses lois éternelles - est la cause (englobante) de toutes les choses particulières (corps) ; autrement dit, il n'y a pas de différence de nature entre le Mouvement dans l’Étendue et l'infinité des corps et mouvements de corps "effectivement possibles" (inclus dans la nature de la Nature.) Dans la Pensée, la structure est différente (malgré le parallélisme) : l'Entendement infini est statique et comprend en une unique idée simple la nature même de Dieu (ce qui englobe évidemment - en un Tout unique simple, toujours - toutes les idées des corps et mouvements de corps, en interaction globale.)
- Oui le mouvement comme cause première, pourquoi pas pour le coup. Le mouvement, la vie... Mais quand vous dites que "l'entendement infini est statique", je m'interroge : comment l'entendement pourrait-il être statique si les choses changent, si on prend en compte l'idée de nouveauté ? (la nouveauté étant ce à quoi que vous ne répondez pas vraiment malgré tout : y a-t-il oui ou non création de nouveauté pour vous ?).
Sescho a écrit :Le problème est celui qu'on se pose effectivement ; sinon, il n'y a tout simplement pas de problème.
- oui enfin bon, c'est vite dit
Sescho a écrit :Sur le "en réalité (sic)" : je parle de la réalité de l'état de connaissance (adéquate ou non) d'un individu, rien de plus. (Et je vous conseille aimablement en passant de faire un usage modéré des "(sic)".)
- Désolé pour le sic. Il n'était pas ironique mais se voulait simplement marquer la reprise de votre
en réalité dans les mêmes termes (je m'explique plus bas sur le reste).
Sescho a écrit :La contemplation - qui est en fait la conscience se voyant elle-même - est certainement un
état supérieur de conscience, et même ce n'est pas un état : c'est la conscience même. Louis Lavelle, qui se situe par rapport à Spinoza - sans forcément le contredire absolument - dans une position plus centrée sur le sujet en direct "live" : "acte", "création de soi-même dans le présent", etc. (mais tout cela inscrit dans une participation au Tout), dirait je pense que la contemplation ne recouvre pas tout : il semble (effectivement) manquer quelque part la volonté, l'action motrice, etc.
- Ça se discute. C'est effectivement une tradition courante en Orient que de dire que la contemplation serait conscience, conscience pure. Ça ne me satisfait pas. De deux choses l'une ; ou bien la contemplation est conscience et alors rien n'interdit de définir ce qu'est la conscience ; ou bien elle est une forme particulière de conscience (un état de conscience) et alors on peut la définir sans tant recourir que ça à ce terme de
conscience, trop ambigu à mon goût (la meilleure preuve étant que vous n'arrivez pas vous accorder avec hks dessus). Je ne m'attarde pas à développer ici sur la contemplation, on pourra en reparler... on est en tous cas d'accord pour dire qu'elle ne semble pas recouvrir une totalité de la pensée.
Sescho a écrit :Il n'y a pas de différence entre Dieu et la Conscience pure (éternelle, infinie, et bien sûr impersonnelle) mais tout en même temps, en second niveau (ontologique ou non), vient la conscience réflexive du sujet (c'est a priori celle que retient hokousai), celle de l'objet comme "séparé" (distinct), et donc d'un Dieu plus grand que moi. Pour moi, la Conscience pure ne peut s'identifier chez Spinoza qu'à l'attribut Pensée (vu par lui-même en tant que pensée directe, intuitive - non théorique donc), ce qui correspond parfaitement à ce qui précède.
- A mon tour de répondre qu'une Conscience pure ne me parle pas. Sinon je peux envisager (je crois) la pensée et l'étendue en tant qu'attributs d'une Substance (la Vie). De là à parler d'une Conscience Pure qui serait la Pensée, sans vous manquer de respect, ça ne fait pas du tout sens pour moi. Quelle pensée impersonnelle serait "conscience pure" ? Sur la base de la contemplation ? Mais peut-être pouvez-vous développer ?
Sescho a écrit :"Futur précédant le passé" ne "tenant pas" : je ne comprends pas vos arguments. Par ailleurs, comme Lavelle, qui dit cela, outre d'être un grand esprit en général de mon point de vue, tend plus que Spinoza à mettre en avant la "nouveauté" (sorte de "création continuée", dans le cadre de la participation au Tout), peut-être faudrait-il regarder d'abord ses arguments.
- J'ignore le processus de pensée qui amène Lavelle à mettre le futur avant le passé. Ce que je dis est plutôt simple : la contingence fait partie du futur, or dans le futur,
il y a de la contingence (en tous cas en l'état actuel de nos connaissances). Par conséquent aucun possible d'ordre humain n'est susceptible d'envisager sérieusement le futur : quelque chose intervient toujours (et déjà l'évolution du contexte) qui fait que le futur n'est jamais ou presque tel qu'imaginé (ou alors, c'est que les causes sont mécaniques) ; même si, après coup, on pourra peut-être définir les causes qui ont modifié les états des choses.
Et pour aller un peu plus loin : ce qui n'apparaît pas, jamais dans les possibles, c'est justement la nouveauté, ce qui fait que de deux éléments en présence surgisse un troisième, qui n'est ni contenu dans le premier ni dans le second. C'est l'événement de la rencontre en tant que création... soit le fer de lance de l'interrogation deleuzienne.
PS : j'ai modifié ce texte plusieurs fois après l'avoir trouvé souvent confus... désolé - c'est fait !