L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 juin 2008, 01:42

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
ok, j'avais effectivement compris que cela c'est la thèse que tu défends. Puisqu'elle est différente de la mienne, j'aimerais bien savoir sur quoi tu te bases pour obtenir une telle interprétation, puisque si tes arguments sont solides, je serai obligée d'abandonner la mienne, ce qui me ferait avancer beaucoup, et donc m'intéresse.

Sescho:
Bien. Bien. Ta modestie t'honore.


juste un petit commentaire de ceci, je reviens bientôt en détail sur l'entièreté de ton message.

Je ne crois pas que d'un point de vue spinoziste, on peut dire qu'il s'agit ici de modestie. Le degré de puissance qui caractérise une chose est exactement équivalent au désir de comprendre. Je ne me considère pas DU TOUT comme un sage spinoziste (non pas par modestie, mais parce qu'en réalité, les moments de Béatitude dans ma vie sont encore assez rares), mais la façon dont Spinoza_Powa a exprimé son désir de comprendre s'apparente à ce qui est le cas chez moi, je crois. Cela signifie que la plus grande Joie que l'on peut éprouver, c'est de découvrir la vérité. Or qui dit Joie dit augmentation de puissance. Si donc on arrive à une situation où je suis convaincue de la vérité de ton interprétation, j'aurai réellement accès à une vérité concernant le spinozisme qui m'obligera à repenser pas mal de choses. Cette conviction, en tant que telle, me donnera une plus grande puissance de penser et d'agir. Il est donc évident que je la désire (je n'ai même pas le choix). Il ne faut pas être "modeste" pour désirer cela, il faut simplement désirer la vérité - en l'occurence, la vérité concernant le texte de Spinoza.

Or la mesure dans laquelle on désire la vérité est équivalente au degré de puissance qui caractérise notre essence. Tandis que nous ne sommes PAS nous-mêmes la cause de notre essence. Nous ne sommes dès lors pas responsable de notre degré de puissance, ou de la mesure dans laquelle nous désirons comprendre. Par conséquent, le fait que je désire comprendre n'est pas vraiment un "mérite" à moi. Et partant, cela ne peut "m'honorer", je crois ... .

Sinon il n'est pas nécessaire, en effet, de retaper mot à mot tout le texte spinoziste auquel tu réfères. J'ai ici le TIE sous la main, je relirai volontiers les passages que tu m'invites à reprendre.
A bientôt,
L.

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Faun
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Messagepar Faun » 17 juin 2008, 02:17

sescho a écrit :
Mais je pense maintenant deviner ce que tu as en tête : pour toi seule une chose singulière a une essence (sauf Dieu, bien sûr, qui n'est pas une chose singulière.) Le contraire absolu de la Tradition.


L'essence de Dieu est précisée par Spinoza définition 6 partie 1.

sescho a écrit :L'entendement humain vis-à-vis de l'entendement divin est comme le chien, animal aboyant, et le chien signe céleste, etc. (E1P17S) Pour le reste, à nouveau tous les extraits que j'ai reproduits à la suite plus haut. Il me semble en outre de la première évidence qu'on ne connaît aucune chose singulière dans tout son être. Dieu connaît tout comme il est, l'Homme non ; il ne connaît adéquatement que les lois, outre la réalité de Dieu-la Nature, les attributs, les modes infinis et l'existence modale (si on ne la considère pas impliquée par les modes infinis.)


Ce scolie sert à démontrer que Dieu, en tant qu'il est infini, n'a pas d'intellect. Par suite Dieu, en tant qu'il est infini, ne raisonne sur rien, ne comprend aucune chose, ne connaît personne.
L'intellect est seulement dans les modes, et l'ensemble infini des intellects singuliers constitue l'intellect infini de Dieu.
C'est cela l'essence éternelle de l'homme, l'intellect.

"L'essence de notre esprit consiste dans la seule connaissance".
scolie proposition 36 partie 5, et cela sera répété dans la démonstration de la proposition 38 partie 5, dans laquelle Spinoza se réfère la proposition 11 de la partie 2.

"De là suit que l'esprit humain est une partie de l'intellect infini de Dieu."
corollaire proposition 11 partie 2

Si l'on cherche maintenant quelle est l'essence de l'homme, non en tant qu'il est seulement un Esprit, mais en tant qu'il est également un Corps, on trouvera que pour Spinoza cette essence est le Désir, par la première définition du livre des définitions des affects qui est à la fin de la partie 3 de l'Ethique. "J'entends sous le nom de Désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme". (scolie de la définition)

"Cet effort, quand on le rapporte à l'Esprit seul, s'appelle volonté ; mais, quand on le rapporte à la fois à l'Esprit et au Corps, on le nomme Appétit, et il n'est, partant, rien d'autre que l'essence même de l'homme (...)
scolie proposition 9 partie 3

Or par le corollaire de la proposition 49 de la partie 2, la volonté et l'intellect sont une seule et même chose.

Et ces volontés, ces appétits, ces impulsions et ces efforts naissent de la puissance des choses singulières, qui n'est rien d'autre qu'une partie de la puissance infinie de Dieu. Cette puissance est également l'essence des choses singulières.

"(...)la puissance d'une chose quelconque, autrement dit l'effort par lequel, seule ou avec d'autres, elle fait ou s'efforce de faire quelque chose (...) n'est rien à part l'essence donnée, autrement dit actuelle, de cette chose."
démonstration de la proposition 7 de la partie 3.

Et la puissance des choses singulières est la puissance même de Dieu.

"(...)la puissance par laquelle est et agit un être quelconque de la nature, n'est autre chose en effet que la puissance même de Dieu (...)"
paragraphe 3 du chapitre 2 du Traité Politique.

Cette puissance qui à son tour n'est rien d'autre que l'essence de Dieu, par la proposition 34 de la partie 1 de l'Ethique.

Il serait donc surprenant que l'on parvienne à démontrer que pour Spinoza, ni Dieu ni les choses singulières n'ont d'essence.

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Messagepar Louisa » 17 juin 2008, 15:57

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
non, dans ce cas tu parles d'une loi générale qui vaut pour toute vague, tu ne parles pas d'essences. Ton idée, dans ce cas-ci, porte sur ce que toutes les vagues ont en commun.

Sescho:
Oui, cela me va assez bien : il ne s'agit pas de l'essence d'une chose singulière, mais seulement (partiellement) de celle de Dieu.

Mais il est difficile de penser que ce que toutes les vagues ont en commun ne fait partie de l'essence d'aucune...


oui en effet. Cette idée d'essence commune suit assez logiquement de ta manière de présenter la connaissance de la vague. Il y aurait alors une sorte de "vaguéité", qui reprend ce que toutes les vagues ont en commun. Or voici ce que Spinoza en dit dans le scolie de l'E2P48:

"D'où il suit que ces facultés et leurs semblables sont purement fictives, soit rien que des étants Métaphysiques, autrement dit des universaux que nous avons coutume de former à partir des particuliers. En sorte que l'intellect (...) [a] avec telle et telle idée (...) le même rapport que la pierrité avec telle et telle pierre, ou que l'homme avec Pierre et Paul."

Spinoza ne nie pas que nous pensons regulièrement en termes d'universaux (ou d'essences communes). Seulement, pour lui il s'agit d'une fiction et non d'une vérité, fiction que l'on forme par habitude.

Sescho a écrit :Mais je pense maintenant deviner ce que tu as en tête : pour toi seule une chose singulière a une essence (sauf Dieu, bien sûr, qui n'est pas une chose singulière.) Le contraire absolu de la Tradition. Ce sera l'occasion de revenir sur les essences de genre, mais pour autant ne prouve en rien que Spinoza ait dit qu'on pouvait en avoir connaissance adéquate (du troisième genre.) Donc nous ne sommes pas plus avancés.


quant aux essences de genre: à mon avis le passage que je viens de citer (scolie ci-dessus) montrent que pour Spinoza, les essences de genre de sont fictions, non?

Quant à l'idée d'une chose singulière: en effet, je crois que chez Spinoza, seules les choses singulières et Dieu ont une essence. Et l'essence d'une chose singulière est elle-même singulière. Il n'y a donc que des essences singulières (y compris celle de Dieu, il me semble, mais cela est à vérifier).

Si tu veux dire par "Tradition" la tradition des commentateurs de Spinoza, alors non, comme déjà dit ils travaillent tous avec l'idée que chez Spinoza les essences sont singulières et non pas communes, l'idée que seules les choses singulières ont des essences. C'est pourquoi c'est intéressant que tu t'écartes de cela, car cela permet d'approfondir la question.

Si tu voulais par "Tradition" plutôt dire l'histoire de la philosophie: en effet, pour autant que je sache il n'y a qu'une minorité de philosophes qui travaillent avec la notion d'essence singulière. Il y a Guillaume d'Ockham, par exemple (XIVe). Sinon je m'y connais trop peu pour savoir s'il n'y a que lui et Spinoza ou s'il y en a encore d'autres. Spinoza lui-même semble en tout cas être conscient de son innovation, quand il dit que dans sa définition de l'essence il n'en reste pas à la façon dont on la définit habituellement (et qui revient à tes essences communes), pour y ajouter un deuxième critère, celui-ci étant vraiment "révolutionnaire": l'essence d'une chose est ce qui sans la chose ne peut exister.

Enfin, pour la connaissance adéquate des choses singulières par le troisième genre: j'espère avoir prouvé sa possibilité dans mon avant-dernier message de hier soir.

A mon avis c'est parce que tu en restes à la connaissance des lois naturelles (en général ou appliqué à l'une ou l'autre chose singulière) que tu ne vois pas comment une connaissance de l'essence d'une chose singulière pourrait être possible, dans le spinozisme. En même temps, cela t'oblige, il me semble, de faire de la connaissance de ces lois une connaissance de l'essence même de Dieu. Puis comme si tu sens déjà que quelque chose ne peut pas être correcte là-dedans, tu y ajoutes qu'ainsi nous ne connaissons cette essence de Dieu que partiellement. Je crois qu'effectivement, dans ton optique il faut y ajouter cela.

Or en raisonnant ainsi, j'ai l'impression que tu fais ce que Spinoza dit qu'on fait d'habitude, dans le scolie du corollaire de l'E2P10: tu abordes l'essence de Dieu en te basant sur une connaissance particulière de la nature, au lieu de "contempler avant toute chose" la nature divine elle-même. C'est précisément en faisant cela, dit Spinoza, que l'on rate la connaissance vraie de ces mêmes choses (on en reste à une connaissance superficielle, si j'ose dire, c'est-à-dire qui ne touche pas l'essence singulière de la chose). On n'apprend même RIEN (même pas partiellement) de l'essence de Dieu, car (même proposition) l'être de la substance n'appartient pas à l'essence d'une chose singulière (la proposition dit plus précisément: à l'essence de l'homme, mais je crois que cela vaut pour toute chose particulière). Ce n'est donc pas en étudiant la nature et ses lois que nous apprendrons quelque chose d'une essence, fût-elle de Dieu ou d'une chose singulière. Tandis que pour Spinoza, nous avons TOUS la connaissance adéquate de l'essence de Dieu (E2P47 dit littéralement cela).

Or le troisième genre de connaissance est défini par le fait de nous donner une idée adéquate de l'essence des choses. Déjà en E2P47 scolie, Spinoza annonce son programme de la 5e Partie de l'Ethique: c'est parce que l'essence infinie de Dieu et son éternité sont toujours déjà connues adéquatement par l'Esprit humain, que nous pouvons ensuite "déduire de cette connaissance un TRES GRAND NOMBRE de choses, que nous connaissons adéquatement, et par suite former ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé dans le Scolie 2 de la Prop. 40 de cette Partie, et dont nous aurons lieu de dire dans la 5e Partie l'éminence et l'utilité".

Il faut donc d'abord passer par la connaissance adéquate de l'essence de Dieu, puis (comme le montrera l'E5) sentir l'éternité de notre propre essence, avant de pouvoir avoir une connaissance du troisième genre des essences des choses singulières. On ne voit effectivement pas comment tout cela serait encore possible si l'on commence par la connaissance des lois communes de la nature, pour ensuite essayer d'en déduire une partie de l'essence de Dieu. Une fois que l'on philosophe dans cet ordre - pour utiliser les termes de Spinoza - on ne peut jamais arriver à la connaissance adéquate et parfaite d'une essence, ni de l'essence de Dieu, ni de l'essence d'une chose singulière. On en reste au niveau des propriétés communes, bref au deuxième genre de connaissance. Tandis que dès le TIE, Spinoza dit qu'il faut en venir le plus vite possible à la connaissance de l'essence de Dieu, et déduire toutes choses de cela, si nous voulons suivre la bonne Méthode de connaissance ou le bon ordre.

Sescho a écrit :Deux questions, en passant, si tu veux bien :

Cela apporte quoi d'après toi le deuxième genre (c'est à dire toute l'Ethique intégralement) ?

Les lois existent-elles ou pas ?


Le deuxième genre a d'abord, du point de vue spinoziste, le grand avantage de nous donner des idées adéquates donc des affects actifs, des Joies actives. Il augmente donc notre puissance d'agir et de penser. Puis de la connaissance du deuxième genre peut naître le désir d'une connaissance du troisième genre. Comme ce n'est que celui-ci qui peut nous donner la Félicité Suprême, la Béatitude, le Salut, la Liberté, l'Ethique montre également more geometrico comment l'homme peut passer de ce type de connaissance à un tout autre genre de connaissance adéquate, connaissance intuitive des essences des choses singulières, ou, comme le disent les commentateurs de Spinoza, connaissance intuitive des essences singulières.

Pour l'existence des lois: voir un de mes messages précédents, où je cite Spinoza quand il dit que l'Ordre de la nature est plutôt une idée dans l'Esprit de l'homme que d'être quelque chose de réel. Je crois que s'il faut donner la perfection ou réalité suprême à l'essence de Dieu, alors oui, les lois de la nature, c'est-à-dire les enchaînements causals entre modes doivent être moins réelles que l'essence de Dieu, puisqu'elles ne sont présentes que dans ce que les modifications des attributs (et leurs modifications) ont en commun. Elles doivent donc aussi être moins réelles que les essences singulières de ces mêmes choses. Disons que ces lois existent donc avant tout du point de vue modal.

Sescho a écrit :Eh bien, peut-être, puisque nous sommes embourbés sur le scholie de E5P36, pourrais-tu avancer un commentaire des phrases de Spinoza plus courtes que j'ai reproduites plus haut. Mettons celle-ci (mais toutes vont dans le même sens, et clairement, nous le verrons) :

E2P46Dm : … ce qui donne la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu est commun à toutes choses, et se trouve également dans la partie et dans le tout : d’où il suit (par la Propos. 38, partie 2) que cette connaissance est adéquate. C. Q. F. D.

Bien évidemment tout "argument" du type "oui, mais cela c'est le deuxième genre", qui n'explique rien, est exclu. La phrase commence par "la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu", ce qui est pour le moins du "lourd." Je rappelle aussi que Spinoza met en équivalence (avec éventuellement quelques nuances) "adéquate", "claire et distincte" et "vraie." Les extraits correspondants ont déjà été donnés par moi-même sur le forum.


notre exploration du scolie de l'E5P36 nous a tout de même permis de déjà découvrir sur quoi nos différentes interprétations se base, à un niveau plus profond. Comme je crois qu'il faut effectivement en passer par là avant de pouvoir trouver ensemble les arguments qui nous permettrons de sélectionner l'une des deux interprétations, cette exploration me semble avoir été utile, même si nous ne sommes pas encore arrivé au moment qui permet de trancher. Poursuivons donc.

Pour l'équivalence entre "claire et distincte", "adéquate" et "vraie": d'accord. Je me souviens que Miam était plus ou moins le seul, lors d'une des dernières discussions à ce sujet, à ne pas être d'accord avec cette idée, mais je ne me souviens malheureusement plus de ses arguments (que déjà à l'époque je n'avais d'ailleurs pas très bien compris). Donc oui: quand Spinoza parle ici de connaissance adéquate, nous sommes d'accord pour y lire "connaissance vraie".

Puis je suppose que pour toi ce que tu viens de citer suggère qu'une connaissance de ce qui est commun à tout peut néanmoins être une connaissance d'une essence? Si c'est ainsi que tu l'interprètes, je ne suis effectivement pas d'accord.

C'est qu'il faut d'abord se demander ce qui donne cette connaissance de l'essence éternelle et infinie de Dieu. Si cela était de l'ordre du commun, alors tu aurais raison. Mais ce n'est pas le cas. De nouveau, Spinoza se base sur la chose singulière pour arriver à une connaissance d'une essence. Contrairement à ce que tu disais concernant les vagues, ce n'est pas que chaque chose singulière, étant une partie de Dieu, nous donne une "fenêtre" partielle sur l'essence de Dieu. Dans la même démo que tu cites, Spinoza le dit explicitement: "que l'on considère la chose comme partie ou comme tout, son idée, que ce soit celle d'un tout ou celle d'une partie, enveloppera (par la prop. précédente) l'essence éternelle et infinie de Dieu".

La prop. précédente dit effectivement que "CHAQUE idée d'un corps quelconque ou d'une chose singulière (...) enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu". Au lieu de nous montrer une partie de l'essence de Dieu, chaque chose singulière (et même chaque idée de chaque corps individuel qui compose le Corps humain) contient TOUTE l'essence de Dieu. Envelopper l'essence de Dieu, c'est donc une propriété commune de toute chose. Et donc oui, bien sûr qu'il est possible de nous faire comprendre cela more geometrico, donc par le deuxième genre de connaissance, parce que justement, celui-ci peut nous montrer ce que chaque chose a un commun avec d'autres. En même temps, cette idée enveloppée dans toute chose ne constitue l'essence singulière d'aucune d'entre elles (puisque l'être de la substance ne constitue pas l'essence d'une chose singulière).

On pourrait aussi référer à l'E2P45 pour montrer pourquoi nous ne sommes pas, ici, dans le troisième genre de connaissance, mais seulement dans le deuxième, même si c'est précisément ici que Spinoza explicite déjà davantage comment passer du deuxième au troisième. Dans la démo il rappelle que les choses singulières ont pour cause Dieu, en tant qu'on le considère sous l'attribut dont les choses sont elles-mêmes des manières. Il s'ensuit que ces choses enveloppent nécessairement le concept de leur attribut, et donc l'essence éternelle et infinie de Dieu. Cela, nous pouvons savoir more geometrico, donc par le deuxième genre de connaissance. Mais justement, le troisième genre ne s'en tient pas à cela (car alors il s'en tiendrait à quelque chose que toutes les choses ont en commun). Le troisième genre S'APPUIE sur cela pour ensuite (si l'on veut, dans un deuxième temps) former une idée adéquate de l'essence singulière de telle ou telle chose. Pour ce faire, nous dira l'E5, il faudra d'abord avoir une idée de l'éternité de notre propre essence singulière, puis se rappeler l'idée du deuxième genre que toute chose enveloppe l'essence de Dieu, pour ensuite pouvoir intuitionner l'essence singulière d'une autre chose.

Louisa a écrit:
"Je ne peux pas! C'est une grande subtilité française". Que veux-tu dire par là???

De mémoire (mon allemand est très pauvre, résidu de quelques cours d'un passé lointain, je croyais même que c'était à moitié de l'allemand de cuisine) "kann" veut dire aussi "comprendre" (verstand.) Ce que je voulais dire c'est que je ne comprenais fichtre rien à ton développement.


comprendre c'est plutôt "verstehen" ("ich verstehe" = "je comprends", "der Verstand" = "l'entendement/intellect") ou "begreifen" (d'où "der Begriff"). Tu pensais peut-être à "kennen" ("ich kenne" = "je connais")? Sinon il y à l'expression "da kenne ich nichts!", qui ressemble à ce que tu avais écrit ("Ich kann nicht!") mais cela signifie: "cela ne va pas me retenir!". Enfin, toujours est-il qu'entre-temps je crois déjà avoir abordé le passage qui n'était pas très clair autrement, donc il n'est peut-être pas nécessaire de revenir là-dessus, pour l'instant.


Louisa a écrit:
ok, dans ce cas il me faudra donc démontrer que cela vaut autant pour Dieu que pour l'homme. En voici une tentative: le TIE B34-35 reprend quasiment littéralement ce que je viens de dire.

J'ai repris les passages, je ne vois rien de tel. 34 parle surtout de l'idée de l'idée, et de toute façon à ce stade du TRE il s'agit de ce qui est souhaité, pas de ce qui est possible, ce que Spinoza redit bien dans 49. En revanche, la conclusion (quoiqu'il s'agisse d'un ouvrage interrompu) est évidemment à la fin, où se trouve précisément "l'échec" (éventuellement provisoire, mais selon moi entériné par Spinoza) dans la connaissance des choses singulières. Je te suggère de relire 99 à 103 (je ne mets pas les extraits pour ne pas incommoder...)


c'est qu'en 33 dit qu'il va parler d'une idée vraie que nous, êtres humains, avons. Cela signifie à mon sens que quand quelques lignes plus bas, en B35, il identifie l'idée vraie ou adéquate à l'essence objective, c'est-à-dire à l'idée qu'une chose non plus a mais EST, il parle à mon sens toujours d'une idée vraie que l'homme peut avoir.

Sinon qu'est-ce qui te fais penser qu'il s'agirait dans l'esprit de Spinoza d'un "échec"? Pour autant que je sache, on peut tout aussi bien croire qu'il a eu plus de hâte à mettre en pratique la méthode qu'il venait de développer, en écrivant l'Ethique, au lieu de d'abord continuer d'exposer celle-ci en détail, non?

Enfin, il est clair que les passages que tu cites, 99-103, sont exactement l'un des deux arguments dont j'ai parlé dans mon tout premier message ici, où je disais que deux choses me font hésiter quant à la possibilité, chez Spinoza, de:
1) l'existence d'une essence singulière pour chaque chose singulière, et donc
2) la possibilité de connaître adéquatement cette essence.

C'est pourquoi je crois qu'il nous faudra de toute façon analyser ces passages 99-103 en détail si nous voulons pouvoir trouver une réponse adéquate à la question qui nous occupe. Or, avant de ce faire, il serait peut-être intéressant de d'abord comparer nos différentes interprétations de l'Ethique, puisque là déjà nos interprétations posent problème?

Louisa a écrit:
... quels arguments te font penser qu'il y a une différence entre l'idée vraie dans l'Esprit humain et l'idée vraie dans l'entendement divin?

Sescho:
L'entendement humain vis-à-vis de l'entendement divin est comme le chien, animal aboyant, et le chien signe céleste, etc. (E1P17S)


ok, là-dessus je suis assez d'accord avec ce que Faun vient de dire. Je ne crois pas qu'on peut en conclure que l'entendement divin connaît un autre TYPE de vérité que l'entendement humain. La différence entre les deux est d'abord que l'un est infini (contient un nombre infini d'idées) tandis que l'autre est limité, puis que l'un n'a que des idées adéquates tandis que l'autre a également des idées inadéquates.

Sescho a écrit : Pour le reste, à nouveau tous les extraits que j'ai reproduits à la suite plus haut.


y a-t-il l'une ou l'autre phrase là-dedans qui permet de conclure nécessairement à une différence entre la vérité d'une idée adéquate dans l'Esprit humain et celle dans l'esprit divin? Si oui, laquelle?

Sescho a écrit :Il me semble en outre de la première évidence qu'on ne connaît aucune chose singulière dans tout son être. Dieu connaît tout comme il est, l'Homme non ; il ne connaît adéquatement que les lois, outre la réalité de Dieu-la Nature, les attributs, les modes infinis et l'existence modale (si on ne la considère pas impliquée par les modes infinis.)


c'est exactement ce que disait déjà Aristote (voir sa fameuse phrase où il dit que nous n'avons une connaissance que du général/universel (katholou), pas du particulier). Or justement, je crois que Spinoza est tout à fait conscient du fait que sur ce point il rompt avec la tradition aristotélicienne quand il dit explicitement vouloir définir l'essence autrement que comme on le fait d'habitude.

Louisa a écrit:
... d'une idée de troisième genre de connaissance. Ce que je viens de dire. Si tu n'es pas d'accord avec cela, où se trouve mon erreur, selon toi?

Sescho:
Je l'ai déjà précisé : il faut les trois (ou quatre) mots : "connaissance", "adéquate" (ou "claire" et/ou "distincte", ou "vraie"), "chose singulière" (ou "chose" et "singulière.") Toute citation qui comprend "connaissance" sans "adéquate" ou "chose" sans "singulière" ne te donne pas raison (ni tort ; cela ce sont les extraits que j'ai produits.)


pourrais-tu préciser tes arguments? Lequel de mes énoncés est faux selon toi, par quoi faut-il le remplacer, et quel est l'argument qui nous y oblige?

Sescho a écrit :L'exemple de la proportion... trois fois Spinoza l'a mis. Il est pourtant clair. Pourquoi ne pas vouloir lire ce qui est écrit ?


si tu trouves qu'il est clair, pourquoi ne pas vouloir l'expliquer?

Sescho a écrit : Il s'agit au fond de la même chose pour les trois genres de connaissance : trouver une proportion. Dans le deuxième genre, on applique des règles ; dans le troisième, la proportion "saute aux yeux" en situation. Mais où est l'essence singulière, là ?


il n'y a qu'un seul nombre qui donne la solution. En cela il y a bel et bien une singularité. Mais pour moi cet exemple est tout sauf clair. Si c'est un exemple d'une connaissance intuitive d'une essence des choses (= le troisième genre de connaissance), quelle est ici la chose, quelle est ici l'essence? Bref, pour l'instant je n'ai pas encore compris ce que Spinoza a voulu dire par là.

Louisa a écrit:
Si quelque être humain était capable d"'intuitionner" la loi de la gravité, pourquoi personne ne l'a-t-il fait avant Newton?

Sescho:
Si Newton a eu besoin de calculs c'est parce qu'il voulait prédire le mouvement des astres et expliquer les relations de Kepler ; chose particulière qui n'intéresse pas tout le monde. Mais je me suis mal exprimé, je ne parlais pas d'une loi mathématique quantifiant la chose, mais de la Gravité même.


dans ce cas, tu veux dire que nous savons tous que quand on laisse tomber quelque chose, cela va tomber vers le bas et non pas vers le haut?

Si oui: je ne vois pas en quoi il s'agirait d'une connaissance intuitive. Il s'agit plutôt d'une connaissance du premier genre, il me semble. Nous constatons, par expérience quotidienne, que systématiquement les choses tombent vers le bas. Aussi longtemps qu'on n'avait pas de sciences astronomiques assez développées, on croyait que c'était le cas partout, on ne pouvait pas s'imaginer que le jour où l'on allait se rendre nous-mêmes dans l'univers, on rencontrerait des situations où la gravité est quasiment absente, comme l'expérimente chaque astronaute. C'est donc pareil à croire que le soleil est à 400 pieds de nous: en tant que telle, ce n'est ni faux ni vrai, cela correspond simplement à notre expérience (et ainsi est "correcte", par rapport à cette expérience). Mais dès que nos sciences sont suffisamment avancées pour pouvoir passer à une idée du deuxième genre de connaissance, elles nous montrent en quoi cette expérience est vraie et en quoi elle est fausse.

Louisa a écrit:
Enfin, cette loi, comme toute loi naturelle, s'applique à toutes les choses singulières. Elle nous informe donc d'une propriété que toutes les choses sur terre ont en commun. Du coup, PAR DEFINITION elle ne dit rien des essences des choses singulières. Si tu veux que les lois portent sur l'essence des choses, tu es obligé de travailler avec l'idée d'une essence "commune", mais ce sont précisément ce genre d'universaux que Spinoza rejette explicitement.

Sescho:
Non je ne pense pas qu'il les rejette "sec" comme tu le laisses entendre (et nous n'allons pas reprendre du début, il ne fait que cela de les utiliser dans ses textes), mais une chose à la fois.


ok, j'aurais dû être plus précis: il les utilise, c'est clair. Mais il les admet parmi les être de raisons, il ne leur accorde aucune existence réelle (sauf, comme le disait Hokousai, en tant qu'ils sont réellement dans l'Esprit humain).

Sescho a écrit :Admettons que la gravité ne fasse partie de l'essence d'aucune chose singulière (cela se discute, mais admettons). La gravité existe-t-elle ou non ? Si oui, quelle est son essence ?


justement, s'il s'agit d'une propriété des choses, elle n'a pas d'essence "en soi". Tout comme par exemple l'infini est une propriété de l'essence de Dieu, et par là même n'a pas une essence à lui. Il n'y a que les choses singulières qui ont des essences (ou dans la version nominaliste d'avant Spinoza: il n'y a que les choses singulières qui existent). Les quatres forces de l'univers ont-elles selon toi une "essence"?

Louisa a écrit:
Inversement, comment ferais-tu pour en faire une idée du troisième genre de connaissance? Sinon je me pose toujours la même question: comment, à partir de ton interprétation, distinguer le deuxième genre du troisième? Il me semble, entre-temps que pour toi la différence c'est que le deuxième genre énoncerait la loi en général, tandis que le troisième genre l'appliquerait à telle ou telle chose précise. Mais jamais Spinoza ne s'exprime en ces termes. Jamais il ne parle de l'application d'une loi quand il s'agit du troisième genre de connaissance. Puis encore une fois, les généralités qui s'appliquent à toutes les choses jamais ne concernent leur essence, dans le spinozisme, tandis que le troisième genre a une essence d'une chose singulière comme objet.

Sescho:
Nous en discutons, ou plutôt nous sommes sensés discuter de ce que Spinoza en dit. Et je dis que tout ce que Spinoza en dit exprime que ce que l'on voit par le troisième genre est désigné par le deuxième, mais vu non du tout en mots mais en action, en direct dans le monde réel, intuitivement.


où est-ce qu'il dirait cela, selon toi? Il me semble que l'action, chez lui, ne désigne que l'idée adéquate. Comprendre c'est agir. Avoir une idée adéquate, c'est avoir un affect-action. Je ne vois pas, chez lui, une distinction que Kant appelera plus tard "théorie-pratique" (et que nous utilisons aujourd'hui spontanément tous), où l'on aurait d'une part la contemplation, d'autre part l'action.

Puis je ne vois pas non plus ce qui te fait penser que pour Spinoza ce que l'on voit par le troisième genre est déjà désigné aussi par le deuxième. Si les deux peuvent porter sur la même chose, ils nous en montrent tout à fait autres choses (des propriétés communes versus une essence singulière).

Enfin, il dit tout de même explicitement que:
- "Ce qui est commun à tout (...) ne constitue l'essence d'aucune chose particulière" (E2P37). Démo: si x était commun à tout ET constituait l'essence de B, alors selon la définition de l'essence, sans B cela pourrait ni être, ni se concevoir. Or il est évident que si c'est commun à tout, B peut mourir/périr, x continuera à être, et il suffit de contempler la chose C pour pouvoir de nouveau concevoir x, tel quel.
- "Le troisième genre de connaissance procède de l'idée adéquate de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l'essence des choses".

C'est cela qui prouve à mon sens que les deux genres de connaissance, raison et intuition, désignent deux aspects tout à fait différents de la chose: propriétés communes verses essence, l'une excluant l'autre.

Sescho a écrit : Il ne s'agit pas d'appliquer une sorte de "généralisation abusive" (comme tu le laisses entendre) aux choses réelles, il s'agit de voir des choses réellement générales (c'est à dire dans toutes les choses singulières, ou une partie d'entre elles) dans une en particulier qu'on a là, en face de soi. Sinon c'est vraiment à se demander pourquoi Spinoza a écrit l'Ethique, entièrement basée sur le deuxième... Pour faire grossier, c'est la différence entre parler de manger un sandwich et le manger.


si j'ai laissé entendre qu'il s'agissait de généralisations abusives, je me suis mal exprimée. Les exemples que tu donnes de généralisations me semblent être tout à fait corrects. Le problème n'est donc pas vraiment là je crois. Le problème est plutôt de savoir si ce que les choses ont en commun les unes avec les autres (ou avec une partie d'entre elles) est d'un point de vue spinoziste tout aussi réel que leurs essences, sachant que pour lui le tout, Dieu, la Nature, a la plus haute réalité, alors que les modes ont une réalité moins grande déjà (car dans le cas de l'homme, on n'a que deux attributs, là où Dieu en a un nombre infini et qu'avoir plus d'attributs signifie avoir plus de réalité, E1P9).

Puis justement, je crois que si l'on se limite à être affecté par l'Ethique, et si on ne va pas à la recherche de rencontres d'un maximum d'autres choses singulières, on pourrait peut-être sentir sa propre éternité, si tout va bien, mais c'est tout. Il faut bel et bien aller dans le monde pour avoir un troisième genre de connaissance, car sans être affecté par telle chose singulière, je ne pourrai jamais avoir une idée adéquate de son essence. Tandis que pour les lois de la nature, c'est différent: il n'est vraiment pas nécessaire de rencontrer TOUS les corps sur Terre pour avoir une idée adéquate de la Gravitation. Il suffit de lire un bouquin de physique, puis à la limite de faire quelques expériences qui vérifient ce qu'on en dit, et c'est tout.

Constater que la loi de Gravitation vaut aussi pour mon nouveau voisin quand il tombe de sa chaise, par exemple, n'ajoute rien à ma connaissance de la Gravitation. Elle reste tout aussi adéquate. Et cela n'augmente pas ma connaissance non plus. Cela ne me donne pas une puissance supérieure à celle que j'avais au préalable, avant d'avoir vu mon voisin tomber. Car je le savais d'avance que lui aussi, quand il tombe, il allait tomber vers le bas. Je serais totalement surprise si cela se passait différemment. Si d'aventure j'étais un sceptique parfait, je me dirais tout au plus: "ah bon, encore un qui quand il tombe, tombe vers le bas".

Tandis que pour avoir une idée adéquate de son essence singulière, il faut bel et bien que ce voisin s'installe d'abord ici à l'étage supérieur, puis que je le rencontre effectivement, sinon je ne pourrai jamais avoir cette idée adéquate. Et lorsque je l'ai acquise, je me serai réellement davantage "unie" au monde, j'aurai réellement compris quelque chose en plus de ce que je savais déjà, j'aurai réellement augmenter ma puissance de penser. Chaque nouvelle rencontre est ainsi, dans le troisième genre, une surprise, me donne quelque chose de tout à fait nouveau à comprendre. Si en revanche j'aborde ce même voisin par les généralités qui valent pour tout homme (deuxième genre de connaissance), je ne suis bien sûr pas en train de fabuler, mais je le vois alors simplement comme un homme "quelconque" (on aurait mis une autre personne sur la même chaise, elle aurait fait le même faux pas, eh bien, elle aussi serait tombée vers le bas et non pas vers le haut), pas du tout comme un homme unique, "singulier", constitué de choses qui disparaitront entièrement du monde quand il aura disparu lui-même, choses qui sans lui ne peuvent acunement être ni être conçues.
Cordialement,
louisa

Ps: je me rends bien compte du fait que ce message est devenu particulièrement long. J'ai préféré néanmoins répondre à tous les aspects que tu évoquais, mais nous ne sommes bien sûr pas obligés de continuer à les traiter tous à la fois. Si tout lire avant de répondre ne te convient pas, je ferai sans problème moi-même un copier-coller lorsque par après certains éléments auxquels je crois avoir répondu ici reviennent dans la discussion.
Modifié en dernier par Louisa le 17 juin 2008, 16:44, modifié 2 fois.

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Messagepar vieordinaire » 17 juin 2008, 16:36

Louisa a écrit :"Quant à l'idée d'une chose singulière: en effet, je crois que chez Spinoza, seules les choses singulières et Dieu ont une essence. Et l'essence d'une chose singulière est elle-même singulière. Il n'y a donc que des essences singulières (y compris celle de Dieu, il me semble, mais cela est à vérifier). "


La singularite vient de l'existence, en tant que nous commencons a exister comme modes finis, et non de l'essence.
Cour traite:
"En tant que sous la désignation d'une chose on n'entend que l'essence de cette chose sans son existence, l'idée de l'essence ne peut pas être considérée comme quelque chose de séparé : mais cela ne peut arriver que lorsque l'existence est donnée avec l'essence, c'est-à-dire lorsqu'un objet commence à exister qui n'existait pas auparavant. Par exemple, lorsque la muraille est blanchie, il n'y a rien là que l'on puisse appeler ceci ou cela, etc."

En effet:
"Et de là vient que nous pouvons nous former des idées vraies de certaines modifications qui n'existent pas ; car, bien qu'elles n'aient pas d'existence actuelle hors de l'entendement, leur essence est contenue dans une autre nature de telle façon qu'on les peut concevoir par elle." 1p8

singularite implique finitude--comme l'essence de Dieu ne peut limitee, elle ne peut etre "singuliere".

---
Louisa a écrit :"Les quatres forces de l'univers ont-elles selon toi une "essence"?"

Cela revient a se demander dans l'univers de Spinoza si le mode immediat et infini (par exemple l'entedement infini ou mouvement-et-repos) possede une essence? C'est une question tres important que peu de commentateurs ont vraiment posee. Et Spinoza n'a jamais discute de la notion d'essence pour les modes infinis. La distinction debute vraiment avec 1p24 laquelle commence l'expose de Spinoza sur les etants (rerum), ou etres finis.

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Messagepar Louisa » 17 juin 2008, 17:01

Bonjour Vieordinaire,

merci de tes commentaires.

Vieordinaire a écrit :La singularite vient de l'existence, en tant que nous commencons a exister comme modes finis, et non de l'essence.
Cour traite:
"En tant que sous la désignation d'une chose on n'entend que l'essence de cette chose sans son existence, l'idée de l'essence ne peut pas être considérée comme quelque chose de séparé : mais cela ne peut arriver que lorsque l'existence est donnée avec l'essence, c'est-à-dire lorsqu'un objet commence à exister qui n'existait pas auparavant. Par exemple, lorsque la muraille est blanchie, il n'y a rien là que l'on puisse appeler ceci ou cela, etc."


en ce qui me concerne, je ne vois rien dans l'Ethique qui correspond à cela. Oui, on pourrait dire que Dieu est indivisible, et que donc les essences des choses singulières (qui justement, dit l'E2P8, existent tout aussi bien avant de commencer à durer) ne "divisent" pas Dieu (la division ne se fait qu'entre choses qui ne conviennent pas entre elles, entre choses qui s'opposent, ce qui ne se fait qu'en tant que les choses ont des affects-passions, là où l'essence par définition ne reprend que les affects-actions, ce qui fait que toutes les essences conviennent entre elles).

Mais est-ce que cette existence en Dieu avant et après l'existence dans la durée enlèverait leur singularité? Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Si leur singularité se caractérise par un degré de puissance, elles gardent le même degré de puissance quand elle ne sont qu'en Dieu, sans durer, Dieu étant précisément l'ensemble infini de tous les degrés de puissances. Si les choses perdaient leur degré de puissance avant et après d'exister dans la durée, Dieu perdrait du même coup sa puissance infinie, non?

Louisa a écrit:

"Les quatres forces de l'univers ont-elles selon toi une "essence"?"

Vieordinaire:
Cela revient a se demander dans l'univers de Spinoza si le mode immediat et infini (par exemple l'entedement infini ou mouvement-et-repos) possede une essence? C'est une question tres important que peu de commentateurs ont vraiment posee. Et Spinoza n'a jamais discute de la notion d'essence pour les modes infinis. La distinction debute vraiment avec 1p24 laquelle commence l'expose de Spinoza sur les etants (rerum), ou etres finis.


qu'est-ce qui te fait penser qu'une force physique pourrait être identifié à un mode infini ... ? A mon sens, les quatre forces fondamentales de l'univers, telles que décrites par la physique, appartiennent entièrement au deuxième genre de connaissance. Elles nous font connaître des rapports, pas des essences.

Sinon oui, cela me semble être évident que tout mode, fini ou infini, possède une essence. Or l'embêtant d'un sentiment d'évidence, c'est qu'on ne peut pas l'argumenter ni expliquer (pour la même raison je ne suis pas certaine d'avoir raison). Je ne peux donc que te demander pour quelles raisons tu crois que le mode infini pourrait éventuellement ne pas avoir une essence?

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Messagepar vieordinaire » 17 juin 2008, 17:34

"Par choses singulières, j'entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée."
C'est assez simple.

" Si leur singularité se caractérise par un degré de puissance, elles gardent le même degré de puissance quand elle ne sont qu'en Dieu, sans durer, Dieu étant précisément l'ensemble infini de tous les degrés de puissances. Si les choses perdaient leur degré de puissance avant et après d'exister dans la durée, Dieu perdrait du même coup sa puissance infinie, non? "

Je suis desole mais je n'ai aucune idee, ou ne peut rattacher a aucun element de l'Ethique ou tout autre ecrit de Spinoza, l'idee d'un degree de puissance, existant ou non existant: les transitions de 3p9 sont toutes autres choses. Tu peux essayer de m'expliquer; je n'ai aucune idee de ce que ces inspirations deleuziennes veulent bien dire. La beaute de l'imagination est que lorsqu'on imagine quelque chose on peut bien imaginer n'importe quoi--comme l'idee que le blanc du mur presente differentes intensites de blancheur! Cet ajout est tout a fait contraire a ce que Spinoza essaie de communiquer dans l'extrait precedent.

Louisa a écrit :qu'est-ce qui te fait penser qu'une force physique pourrait être identifié à un mode infini ... ? A mon sens, les quatre forces fondamentales de l'univers, telles que décrites par la physique, appartiennent entièrement au deuxième genre de connaissance. Elles nous font connaître des rapports, pas des essences.


Je n'identifie pas force physique avec mode infini bien que 'force physique' evoque d'une certain maniere la force de movement-et-repos. C'est pourquoi j'ai apporte la precision: "Cela revient a se demander dans l'univers de Spinoza". Les lois scientifiques sont temporaires et eventuellement replacees par d'autres: comment peuvent-elles appartenir au deuxieme genre de connaissance etant donne qu'elles sont 'fausses' 2p41. Les lois scientifiques sont imaginaires. Leur invariance--due a leur formulation mathematique--n'est que temporaire!

Louisa a écrit :"Je ne peux donc que te demander pour quelles raisons tu crois que le mode infini pourrait éventuellement ne pas avoir une essence?"


Rasoir d’Ockham. Spinoza n'a jamais fait mention de cette eventualite, et elle n'est pas necessairement a la coherence de l'Ethique. Bien au contraire! Cela compliquerai inutilement sa metaphsyique et introduirai des contradictions des mes interpretations de l'Ethique.

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Messagepar Louisa » 17 juin 2008, 18:10

Vieordinaire a écrit :Je suis desole mais je n'ai aucune idee, ou ne peut rattacher a aucun element de l'Ethique ou tout autre ecrit de Spinoza, l'idee d'un degree de puissance, existant ou non existant: les transitions de 3p9 sont toutes autres choses. Tu peux essayer de m'expliquer; je n'ai aucune idee de ce que ces inspirations deleuziennes veulent bien dire. La beaute de l'imagination est que lorsqu'on imagine quelque chose on peut bien imaginer n'importe quoi--comme l'idee que le blanc du mur presente differentes intensites de blancheur! Cet ajout est tout a fait contraire a ce que Spinoza essaie de communiquer dans l'extrait precedent.


je ne sais pas dans quelle mesure l'on pourrait comparer les degrés de puissance à des degrés de blancheur, chez Spinoza.

Toujours est-il que l'idée d'un "degré de puissance" n'est pas vraiment imaginaire mais plutôt le résultat d'un raisonnement somme toute assez simple. Le voici:

- E3P6: "Chaque chose, AUTANT qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être". "Autant que" traduit quantum. A cet effort qui définit le conatus correspond donc une certaine quantité.

- E3P7: le conatus ou cette quantité d'effort, c'est l'essence même de la chose, et en même temps aussi la puissance (potentia sive conatus) de la chose.

Conclusion: chaque chose dispose d'une essence qui consiste en une certaine quantité de puissance.

- E2 Déf.6: "Par réalité et perfection, j'entends la même chose".
- E5P40: "Plus chaque chose a de perfection, plus elle agit (...)"
- E3 Déf. 1 à 3: agir signifie avoir une affection qui augmente la puissance d'agir et de penser.

Conclusion: ce qui augmente la quantité de puissance d'une chose, donne également à cette chose plus de perfection donc plus de réalité.

Enfin, le scolie de l'E2P13 (notamment) utilise explicitement le mot "degré" (gradus) pour désigner la quantité de réalité propre à tel ou tel Esprit. En vertu de ce qui précède, on est donc obligé d'admettre que la quantité de puissance qui désigne l'essence actuelle d'une chose singulière, est également un degré de puissance, ou degré de réalité, ou degré de perfection, ou degré d'effort.

Or, dire que chez Spinoza une quantité de puissance correspond bel et bien à un degré de puissance, cela ne nous oblige pas encore à accepter toute la théorie deleuzienne concernant les degrés de puissance (par exemple l'idée qu'il s'agirait d'intensités, là où une quantité est toujours extensive - même si historiquement il me semble que l'association gradus-intensité et quantité-extensionalité est assez habituelle (à vérifier)).

Quant à la singularité: la définition que tu donnes porte sur les CHOSES singulières. Vaut-elle également pour les essences? Je l'ignore.

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Messagepar vieordinaire » 17 juin 2008, 20:33

Merci beaucoup pour les commentaires. La traduction anglaise ne m'avait pas vraiment permise de faire le lien (bien que je me souviens que Curley a une footnote sur cette expression; je vais la relire ce soir). Merci pour les citations: je ne suis pas d'accord avec plusieurs tangentes de vos analyses mais cela est une toute autre histoire...

Louisa a écrit :Quant à la singularité: la définition que tu donnes porte sur les CHOSES singulières. Vaut-elle également pour les essences? Je l'ignore.



Un survol rapide ne m'a pas permis de trouver une mention de 'essence singuliere'. Peut-etre que Spinoza a une excellente raison de parler seulement de CHOSES singulieres ou particulieres. Et comme les discussions recentes le demontrent, le saut qui va de "etre particulier" a "essence singuliere" n'est pas si simple que cela.


vieordinaire a écrit :Les lois scientifiques sont temporaires et eventuellement replacees par d'autres: comment peuvent-elles appartenir au deuxieme genre de connaissance etant donne qu'elles sont 'fausses' 2p41. Les lois scientifiques sont imaginaires. Leur invariance--due a leur formulation mathematique--n'est que temporaire!


Pourrais-tu m'expliquer comment peut-on considerer les descriptions de la Physique comme apparternant au deuxieme genre de connaissance en tant donne leur nature ephemere et le fait qu'elles soient approximatives, donc fausses selon (2p41)?

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Messagepar sescho » 17 juin 2008, 22:31

Bon, je crois qu'il convient de recentrer (en tout cas pour ma personne c'est indispensable.) A multiplier les approches (même si je suis d'accord que tout se tient), à mélanger un petit peu de texte de Spinoza et beaucoup d'affirmations personnelles, à diverger de manière exponentielle, je sais ce qui va arriver : tout va tourner en eau de boudin.

En tout cas, pas de craintes : nous en avons déjà stocké pour tout l'été (quoique presque tout a en fait déjà été discuté sur d'autres fils.) ;-)

Ce que je voudrais faire, c'est revenir au texte de Spinoza. Il y en a peu sur la connaissance du troisième genre. La première définition me semble en outre trop générale pour conclure ; bien évidemment si l'on a déjà décrété que toute essence est singulière, on ajoute sans que le mot y soit "singulière" à "chose", et on trouve confirmée... une pétition de principe. Mais l'objectif c'est de PROUVER à partir du texte même de Spinoza - sans ajouter aucun mot déterminant - que Spinoza dit qu'il peut y avoir connaissance du troisième genre de l'essence ne serait-ce que d'une seule chose singulière, ou de PROUVER que Spinoza dit le contraire, ce que je considère acquis pour ma part.

Vu, donc, le faible nombre d'extraits directs sur le sujet, si l'on bousille le scholie de E5P36 et qu'en plus on rejette l'exemple des proportions comme "pas clair" (je le trouve moi, clair, mais c'est pour après), il ne reste presque plus rien à discuter (j'exagère un peu, car comme tout se tient, on doit y revenir logiquement par l'effort ; mais cela prend beaucoup beaucoup plus de temps, surtout par les à-côtés.)

Donc, je ne veux rien discuter d'autre avant que l'analyse sémantique, grammaticale, tout ce que l'on voudra de collé au texte de E5P36S n'aura pas été achevée dans la clarté. Si un éminent linguiste - latiniste de surcroît - voulait nous donner la main, je pense que nous gagnerions du temps...

Donc Louisa, je ne comprends pas ce que tu veux dire par :

Louisa a écrit :... dans ce scolie, il s'agit de conclure une idée (tout dépend de Dieu selon l'essence et l'existence) d'une autre idée, cette dernière étant ici du troisième genre de connaissance, là où en E1 la conclusion se fait uniquement à partir d'autres idées relevant du deuxième genre. La conclusion d'une idée à partir d'une série d'autre idées me semble être autre chose que le rapport entre une idée vraie et son objet (l'idée que mon essence est éternelle, étant "du Dieu", et cette essence en tant que telle, objet de cette idée).


Tu sembles dire que le troisième genre de connaissance a trait à la chose singulière existante, et qu'on en conclut directement une chose relevant du deuxième genre au lieu de le faire par une démonstration. C'est cela ? Le deuxième genre (le général, donc) conclu de l'essence d'une chose singulière unique ?!!! 8O

Je ne vois pas comment faire mieux que mon explication de texte antérieure reproduite plus haut. Je vais néanmoins essayer.

"... et j'ai pensé qu'il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple toute la force de la connaissance des choses singulières que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre (voir le scol. 2 prop. 40 p. 2), et combien elle est préférable à la connaissance universelle, que j'ai dite du deuxième genre. Car, quoique j'aie montré de manière générale dans la Première Partie que tout (et par conséquent aussi l'Esprit humain) dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence, pourtant cette démonstration, toute légitime qu'elle soit et sans risque de doute, n'affecte pourtant pas autant notre Esprit que quand on tire cette conclusion de l'essence même d'une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu."

1. L'objet explicite du passage est le plus clairement qu'il puisse être de dire en quoi la connaissance du troisième genre est supérieure à celle du deuxième.

2. Il est non moins clair que l'exemple (qui, donc, exemplifie la chose) appose à cela :

- Pour le deuxième genre : la conclusion "tout (et par conséquent aussi l'Esprit humain) dépend de Dieu selon l'essence et selon l'existence" en tant qu'issue de démonstrations de portée générale dans E1.

- Pour le troisième genre : la même conclusion tirée (c'est de Pautrat...) de l'essence d'une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu.

C'est cela même le troisième genre. Le texte ne laisse aucune alternative possible, me semble-t-il : c'est la même conclusion mais perçue directement au sujet d'une chose singulière existant en acte que j'ai en face de moi, ce qui est général (véridiquement général) étant en toute chose.

La science discursive a laissé place à la science intuitive.

(Et c'est exactement la même chose que signifie l'exemple des proportions, mais c'est pour plus tard...)

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Messagepar Enegoid » 17 juin 2008, 23:14

En contrepoint de l'intervention de seischo, la citation suivante (TRE):

Mais, après tout, il n'est pas besoin que nous en comprenions la série, l'essence des choses sujettes au changement ne se tirant pas de leur ordre d'existence, lequel ne nous représente que des dénominations extrinsèques, des relations ou tout au plus des circonstances, toutes choses bien éloignées de l'essence intime. Celle-ci ne peut être demandée qu'aux choses fixes et éternelles, et aux lois qui y sont inscrites comme dans leurs véritables codes et selon lesquelles toutes les choses particulières se produisent et s'ordonnent. Bien plus, les choses particulières et changeantes dépendent de ces choses fixes si intimement, et pour ainsi parler, si essentiellement, qu'elles ne peuvent sans elles ni exister ni être conçues. D'où il résulte que ces choses fixes et éternelles, quoique particulières, seront pour nous, à cause de leur présence en tout l'univers et de l'étendue de leur puissance, comme des universaux, c'est-à-dire comme les genres des définitions des choses particulières et changeantes, et comme les causes immédiates de toutes choses.


Pas d'essence de chose singulière autre que celle d'une chose fixe et éternelle, ai-je tendance à comprendre.

Comment relier celà avec la connaissance du 3ème genre d'une chose particulière telle que Pierre ou Paul ?

Là, je flotte sévère...


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