Cher Hokousai,
Hokousai a écrit :En gros vous (et Louisa ) ne reprochez
1) de mal comprendre
2) de faite interférer mes idées personnelles avec cette mésinterprétation .
3) de ne pas expérimenter la méthode
en ce qui me concerne, je me retrouve effectivement dans les trois points ci-dessus, mais je ne parlerais pas de 'reproche'. C'est plutôt la façon dont moi-même je perçois votre façon d'aborder un texte philosophique, sans plus (et encore; il faudrait plutôt dire 'ma perception de votre façon d'aborder un texte tel que vos messages ici pourraient en témoigner').
Or je dis bien 'un' texte philosophique', c'est-à-dire pour moi le problème n'est pas d'être plus ou moins spinoziste (pour Henrique d'ailleurs non plus je crois, si je l'ai bien compris). Le problème consiste seulement dans le fait qu'une telle méthode de lecture conduit inévitablement à une conception 'affaiblie' de la pensée proposée dans le texte (affaiblie car omettant certaines articulations cruciales, qui sont nécessaires pour reconstruire la solidité et la cohérence de la pensée en question). Une fois que l'on se limite à une telle conception 'affaiblie', votre troisième point s'en suit tout à fait logiquement: impossible d'expérimenter (d'essayer de s'imaginer, en pensée, l'effet sur sa propre vie quotidienne de la façon de voir que propose telle ou telle philosophie) cette pensée.
Hokousai a écrit :
Ce que je vois est que finalement ça ne nuit à personne .Ca permet à Louisa, miam ou Henrique de s’exprimer sur les confusions de jean -luc , ce à quoi (je le redis ) ils ne sont pas obligés , mais qui quelque part doit sinon leur plaire du moins leur sembler utile .
Là-dessus je suis tout à fait d'accord avec vous. Je viens de lire sur un site anglophone consacré à Spinoza, qu'il n'y a pas de meilleure façon de vérifier dans quelle mesure on a bien compris quelque chose en 'l'enseignant' à quelqu'un d'autre, c'est-à-dire qu'en essayant de l'expliquer à quelqu'un de telle sorte qu'il puisse réellement le comprendre. Donc effectivement, il arrive que je suis dans l'idée que c'est vous et pas moi qui avez mal compris un concept ou un passage, et alors cela m'est très utile d'essayer d'expliciter pourquoi je trouve cela, et ce que je trouve plus précisément. Cela permet de mieux comprendre ce qu'on avait déjà compris, de mieux ressentir où se trouvent encore des zones obscures, et de constater où l'on s'était tout de même soi-même trompé. Donc voilà pourquoi effectivement, vos 'objections' me plaisent beaucoup.
En revanche, si je veux rester cohérent avec ce que je viens d'écrire ci-dessus, il me faudrait peut-être y ajouter que si effectivement vos interventions ne nuisent à personne ici (au contraire), votre méthode de lecture peut peut-être parfois tout de même nuire à vous-même. Enfin, 'nuire' est éventuellement un peu trop dit. Disons que cela a comme effet de manquer en partie l'occasion de la rencontre avec une pensée très différente de la sienne, et en général les rencontres manquées ne nuisent pas, mais elles ne peuvent pas nous enrichir autant que si on avait pu saisir l'occasion.
Cette semaine je lisais une partie du chapitre de Moreau concernant Spinoza et le rapport au langage (dans 'Expérience et éternité'), et je tombais sur une note en bas de page qui me faisait autant penser à votre façon de procéder qu'à celle habituelle dans pas mal de facultés anglophones. Je cite Moreau: "Il n'existe pas chez Spinoza de privilège d'un sens habituel ou originel qui serait plus proche de la perception. Dès lors se dégagent deux stratégies différentes: revenir à ce sens premier, pour Hume; remanier la langue pour aboutir autant que possible à une langue propre à l'entendement, pour Spinoza."
J'ai l'impression qu'en ceci votre approche est effectivement beaucoup plus proche de celle de Hume: on suppose un sens premier aux mots (celui que l'on 'ressent' vaguement), et la philosophie est conçue comme étant l'activité qui doit expliciter ce sens originel. C'est ce qui fait que dans les auditoires anglophones, on incite les étudiants à donner leur propre opinion sur ce que c'EST que la volonté, le libre arbitre, etc. Les écrits des philosophes sont là pour leur donner quelques premières pistes de réflection, sans plus. Le but, c'est d'arriver avec une définition originale de ce mot, tout en obtenant au moins du prof, et éventuellement de tout l'auditoire, le jugement crucial qui dit que cette définition est 'vraie', autrement dit, que pour eux aussi, cette définition exprime ce qu'ils ont toujours déjà ressenti en entendant ce mot-là.
Or il y a deux problèmes avec cela. Le premier est le plus grand. C'est que quand on apprend la philosophie d'une telle façon ou quand on lit un philosophe d'une telle façon, le texte n'a plus que le statut d'un 'prétexte', ce qui doit mettre en route la pensée. Du coup, on n'étudie plus vraiment le texte en profondeur. Avec comme risque majeur et très fréquent que la définition que l'on obtient en fin de compte (celle que l'on a inventé soi-même) n'est pas si original que cela. On a simplement l'impression qu'elle est nouvelle parce qu'on n'a jamais bien lu les philosophes, et donc on n'a pas vu que tel ou tel philosophe a déjà thématisé cette définition, et cela beaucoup mieux et de manière beaucoup plus exhaustive. Bref, on risque d'inventer l'eau chaude.
Le deuxième problème, c'est que dans le cas spécifique de Spinoza, il ne prétend pas du tout se prêter à un tel exercice. Il ne prétend pas du tout nous livrer le sens premier et originel du mot, parce que pour lui, cela n'existe pas. Chacun forme une idée d'un mot selon les rencontres fortuites avec la nature, les mots n'étant chez lui rien d'autre que des mouvements corporels. Ils permettent plus ou moins de communiquer des idées entre des hommes (quoique ... cette communication se dégénère souvent très vite à cause d'innombrables malentendus, car on a tendance à ne pas tenir compte du tout du fait que les mouvements corporels et donc les idées déclenchées chez l'autre parfois aient très peu à voir avec les idées que l'on voulait faire passer). Mais ils n'ont aucun lien privilégié avec la vérité.
Pour Spinoza (et pour un tas de philosophes non anglophones, il me semble) la philosophie a pour tâche de CHANGER les sens des mots, de leur donner un sens qui permet à mieux arriver à la vérité. C'est pourquoi pe en sciences on est bien obligé d'inventer pour chaque nouvelle découverte un nouveau mot, ou de donner à un mot existant un nouveau sens, sens très précis et qui n'a plus qu'un lien purement métaphorique avec un de ses sens ordinaires.
Idem cc Spinoza (et sur ce point je suis vraiment entièrement d'accord avec lui, comme vous le savez): pour lui, cet enchaînement fortuit d'idées en fonction de l'ordre de nos rencontres avec la nature ne garantit EN RIEN que ce que nous associons spontanément à un mot nous permet de créer un 'modèle' (exemplar) qui soit le plus apte à nous conduire au bonheur. Ce n'est pas que là la nature joue 'contre nous' (sur ce point j'adhère donc sans réserve à ce que Henrique vient de vous répondre), c'est simplement que la nature s'en fiche de nous, nous lui sommes complètement indifférents. C'est pourquoi au XVIIe la 'Fortuna', la fortune, était une notion si cruciale. La nature ne travaille pas contre nous, elle va constamment dans tous les sens, évoluant parfois de manière favorable à tel homme, pour ensuite produire l'effet exactement inverse, sans que l'on l'ait prévu.
Alors si ce que nous associons spontanément aux mots n'est que le résultat de cette Fortuna, rien ne rend ces associations plus 'vraies' que d'autres. Et rien ne garantit que c'est CET usage des mots qui est le plus apte à nous rendre heureux. Ce qui rend l'exercice d'essayer d'expliciter cet usage courant peu intéressant pour pe remédier aux affects (d'ailleurs, si la psychanalyse travaille autant avec la méthode de la libre association, c'est précisément parce qu'elle suppose que la vérité singulière de la personne se retrouve dans ces associations constituées par le parcours historique de la personne en question, n'ayant rien à voir avec une vérité objective, valable pour tous; seulement souvent elle (la psychanalyse) ne peut s'empêcher de mettre un peu 'd'ordre psychanalytique' dans ces associations, ce qui rend l'affaire à mes yeux déjà beaucoup plus douteuse, mais bon, ceci juste comme 'excursus' (n'y a-t-il pas moyen de travailler avec des 'notes en bas de page ici .. ?)).
Donc: si ce que nous ressentons en évoquant tel ou tel mot n'est que le résultat de la rencontre fortuite avec la nature, alors si l'on veut pe trouver un vrai remède aux affects, il vaut mieux ne pas concentrer toute son attention philosophique dans la tentative de restituer en mots cette expérience 'originale', mais réfléchir un peu consciemment aux choses mêmes, puis créer de nouveaux sens de mots là où notre raison nous dicte que cela semble être nécessaire.
C'est précisément ce que Spinoza prétend avoir fait. C'est donc la deuxième raison pour laquelle à mon avis si l'on veut prendre la lecture de Spinoza au sérieux, il ne faut pas y 'croire' (y attribuer de la vérité avant d'être réellement convaincu par les arguments), mais il faut accepter de changer le sens des mots et non pas y chercher une explicitation de l'un ou l'autre sens original. Et impossible de voir l'effet des idées de Spinoza (non pas des idées que sa lecture évoque en nous, mais ses idées à lui) sur sa vie et sur la vie de la société sans d'abord chercher le sens que lui il a voulu donner aux mots qu'il utilise.
Enfin, voici donc deux désavantages que je vois cc la méthode de lecture que vous semblez appliquer. Pour retourner au début de ce message: oui, essayer de formuler pourquoi je ne peux pas du tout m'y retrouver m'intéresse beaucoup. Mais si l'on veut développer ceci, je commence à comprendre que dans ce cas il nous faut peut-être mieux ouvrir un nouveau sujet, non? Si vous ne le ferez pas, je le ferai peut-être moi-même (mais je vais d'abord essayer de répondre au sujet du libre arbitre).
PS à Henrique: merci pour ton dernier message. Je suis en train d'y réfléchir. Quelques 'résultats' de cette tentative arriveront sous peu.
Louisa