bardamu a écrit :selon toi, que se passe-t-il si on définit un cadre où il s'agit de garantir le maximum de liberté d'action et de pensée mais sans garantie de sagesse ?
Toute la partie 3 de l'Ethique nous explique quel genre de passions sont à l'oeuvre dans l'homme, comment il est régi par l'envie, le goût de la vengeance etc.
N'en vient-on pas de suite à ce que tu affirmes que les peuples refusent : concurrence libre et non faussée ?
Il s'agit d'un maximum de liberté d'action et de pensée autorisée par un Etat possédant, par le fait du contrat social, une autorité absolue quant à la position des lois permettant ce maximum. C'est tout le contraire de l'état de nature où chacun s'autorise lui même ce maximum mais seulement en fonction de sa puissance individuelle propre et en s'autorisant également, par là même, à limiter la liberté d'action d'autrui quand il est en position de domination. Quand nous avons un véritable Etat démocratique et non une oligarchie portant le masque de la démocratie, le jeu des passions égoïstes est naturellement régulé par la force d'un Etat qui exprimant les attentes communes et partageables d'un peuple est naturellement conduit à se fonder sur des notions communes et donc sur la raison. La sagesse immanente de l'Etat démocratique est ainsi d'édicter des lois permettant par exemple d'instaurer un droit à l'assurance maladie pour tous - y compris les plus favorisés - interdisant ainsi que les soins médicaux soient de fait réservés aux plus riches, tout en autorisant qu'individuellement, chacun puisse penser ce qu'il veut de n'importe quoi, c'est-à-dire soit soumis aux passions qui ne font pas obstacle à la mise en oeuvre de l'intérêt général.
Ce que nous avons avec le modèle néolibéral, c'est la croyance que la somme des égoïsmes suffit à créer l'intérêt général : il suffirait que tous ces égos soient en concurrence sans que des obstacles juridiques et politiques s'opposent à cette concurrence (= libre concurrence) pour que nous vivions enfin dans le meilleur des mondes possibles. Dans ce modèle, l'Etat n'est utile qu'au maintien de l'ordre existant, c'est-à-dire au maintien des rapports de domination et de soumission dans la société : Etat policier dont le rôle consiste à justifier les écarts de propriété à la naissance par des juges et à les protéger par une police. Dans ce modèle, l'Etat est au service de la classe économiquement dominante, non au service de l'intérêt général. Si une partie de la population se met à manifester trop énergiquement pour exiger plus d'égalité sociale, l'Etat est là pour manipuler si possible ce mouvement (avec l'aide d'une presse audio-visuelle acquise au capital) et pour le briser si besoin.
Puisque tu me demandes de parler des fameux droits sociaux de ce traité, prenons pour commencer le droit à la vie et l'interdiction de la peine de mort. Très bien mais que disent les "Protocoles et annexes I et II annexés au traité établissant une Constitution pour l'Europe" pour expliquer l'art. II-62 (cf. article 2) ?
"La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;"
Commentaire : c'est le principe de la légitime défense, soit.
"b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;"
Un voleur de pommes pris la main dans le sac tente de s'échapper ? Si la police l'abat, parce que le recours à la force était absolument nécessaire pour l'arrêter (il résiste, le bougre) ce ne sera pas une peine de mort illégale dans le droit de l'Union.
"c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection."
Une manifestation tourne mal ? Des "casseurs" qui agissent pour servir on ne sait quels intérêts se sont habilement mêlés aux manifestants ? Cela devient une émeute et les manifestants n'ont donc plus le droit constitutionnel à la vie, la police peut tirer dessus à vue et ceux qui survivront y réfléchiront à deux fois avant de manifester à nouveau : ordre des pouvoirs en place maintenu !
Bardamu a écrit :En fait, je ne sais pas ce que tu entends par "concurrence libre et non-faussée" mais cela ressemble à la guerre de tous contre tous, ce qui n'est pas la situation actuelle qui est plutôt règlementée.
C'est de fait la guerre économique de tous contre tous : des Etats entre eux, des entreprises entre elles, des salariés entre eux, des salariés contre leurs entreprises, des entreprises contre leurs salariés. Et comme l'économie n'exclut pas le commerce des armes, cela n'exclut pas quelques épisodes militaires pour écouler les stocks d'armes.
Il y a 20 ans, le bloc de l'Est développait un système de planification qui devait garantir la survie des peuples sans qu'il y ait de concurrence du tout, par une maitrise raisonnable du système économique. Ca n'a pas marché.
J'ai déjà expliqué, notamment dans mon article "Spinoza était de gauche" et celui sur la constitution, que le collectivisme planifié et dirigiste ne peut fonctionner en raison de sa méconnaissance des passions humaines. En revanche, l'absence de toute régulation visant à redistribuer et rendre plus équitables les relations entre les riches et les pauvres, revient peu ou prou à l'état de nature. Un Etat ou un pseudo-Etat qui se contente d'établir cette situation en la légalisant ne peut faire mieux. Reste une troisième voie véritable (non pas celle de Blair qui consiste à établir de fait le deuxième modèle en prétendant de façon presque purement verbale travailler par ce biais aux fins du premier car il n'y a guère de néolibéral pour dire que la misère et la pauvreté sont des biens éternels) qui consiste à agir politiquement sur les passions propres à produire des biens utiles à l'ensemble de la société, aussi bien en autorisant la concurrence dans certains secteurs, en facilitant notamment la libre entreprise, qu'en encourageant la consommation par une redistribution viable des richesses.
Aujourd'hui, ces peuples semblent adhérer au système occidental qui a permis un développement économique exceptionnel mais en fonctionnant sur une concurrence libre et non-faussée, c'est-à-dire un système où les monopoles sont modérés et réservés à l'Etat, avec droit du travail et égalitarisme des chances.
Si c'était cela, dans les faits datant en gros des 20 dernières années, la concurrence libre et non faussée, j'y adhèrerais aussi. Cela a été le cas en partie jusque dans les années 70-80 mais sans la pression du bloc soviétique, l'oligarchie néolibérale n'a plus eu à octroyer de droits sociaux au prolétariat (tous ceux qui n'ont que leur force de travail pour avoir des revenus, y compris donc les chefs de petites entreprises).
Comment ne peux-tu pas voir que ces 20 dernières années, l'égalité des chances est devenu une simple déclaration formelle quand l'ascenseur social n'existe quasiment plus, que les inégalités de fait à la naissance dans tel ou tel milieu interdisent toute mobilité entre les classes et qu'au lieu de s'équilibrer elles ne font que se creuser ? Comment ne peux-tu pas voir que depuis deux décennies le droit du travail est systématiquement remis en cause au profit de la puissance du capital ? La remise en cause des retraites dans une Europe qui vit mettons deux fois plus longtemps mais qui gagne globalement 10 fois plus qu'au moment où les systèmes des retraites ont été inventés ; les dérégulations, la flexibilisation remettant en cause les protections du travail contre la puissance du capital etc. Comment ne peux-tu pas voir enfin qu'avec le mouvement de défiscalisation au nom de la compétitivité entre les nations qui sont désormais contraintes de se battre entre elles pour attirer chez elles les capitaux et les emplois, c'est le principe même de service public qui est remis en cause ? Indique moi s'il te plait le passage du TCE où tu vois que les monopoles d'Etat sont autorisés malgré le mouvement général de libéralisation qui est préconnisé ?
Quel système économique non-concurrentiel ou à concurrence non-libre (?) proposes-tu ?
Comme je l'ai déjà dit, je propose un système encadré politiquement, seule garantie possible que l'intérêt commun soit pris en compte et non celui seul des oligarques ploutocrates. Dans ce système, la concurrence est prise en compte comme moyen d'émulation dans la production des richesses. Ce n'est en aucun cas une fin en soi comme le fait cette constitution en la déclarant même première par rapport au développement durable, au plein emploi, au progrès social etc. ce qui revient à subordonner toutes les politiques visant à établir ces finalités secondaires à cette intention et donc à interdire tout autre moyen pour y parvenir que la seule concurrence. Dans certains domaines, la libre concurrence est inefficace, voire nuisible : gestion des ressources non renouvelables, transports collectifs, énergie, justice, défense, éducation, santé, recherche etc.
Par définition, la politique intervient là où le libre jeu des échanges n'est pas conforme au bien commun, dans ce cadre toute action de l'Etat revient à fausser la concurrence ! L'école publique fait une concurrence faussée à l'école privée puisqu'elle dispose de fonds issus de la puissance publique, de même l'hôpital avec les cliniques etc. La concurrence véritablement libre et non faussée, ce n'est rien d'autre que l'état de nature.
En fait, il y a avec cette constitution beaucoup de fausseté dans la concurrence puisque de fait elle interdit toute forme de redistribution conséquente des richessses, opérée par le politique. Quand nous avons un rapport de force inégal, avec du capital d'un côté et des prolétaires de l'autre, toute concurrence est a priori faussée. Un informaticien veut diffuser un logiciel concurrent de ceux de Microsoft ou d'Apple, il est sûr de ne pas pouvoir vivre de son travail ! Sa seule alternative est soit de se soumettre à une grosse entreprise et à ses intérêts propres, soit de diffuser son travail gratuitement. En fait, nous sommes avec le capitalisme dans un système où la concurrence n'est même pas faussée mais fausse à la base. Pour permettre une concurrence rectifiant les inégalités naturelles et historiques, il faudrait obliger de fait à des standards gratuits permettant ensuite à chacun de proposer son travail en coopération avec d'autres acteurs indépendants, c'est-à-dire interdire les très grosses entreprises privées, l'héritage permettant aux familles les plus riches de maintenir et d'augmenter de génération en génération les inégalités sociales au profit des mêmes.
Pour revenir cependant à ce qui est envisageable aujourd'hui au niveau de l'Europe, je préconnise une concurrence qui n'est qu'un moyen et non une fin, régulée par des lois, qui contrairement à celles de ce traité ne sont pas là uniquement pour légaliser le "droit" du plus fort, mais pour concrétiser l'intérêt général dont le politique est le représentant.
Et es-tu vraiment certain que les gouvernements européens changent pour les raisons que tu invoques ? Est-ce le cas au Royaume-Uni (3e mandat pour Blair), en Italie (Berlusconi élu...), en Espagne (réussite économique d'Aznar saluée par tous)...
Ce n'est certainement pas en votant oui à ce traité qu'on pourra inverser la tendance au néolibéralisme. Le non est la possibilité de sortir de l'engrenage du tout libéral, pour ne pas dire du totalitarisme ultralibéral, reste ensuite pour la gauche à diffuser les moyens de cette prise de conscience sur le continent, à élaborer ce que j'ai indiqué comme étant une véritable troisième voie et à en diffuser les idées. Bien sûr et heureusement pour nous, faut-il le préciser, il y a des gens à gauche qui ne m'ont pas attendu pour faire ces constats

Mais qui choisit les commissaires ? Les Etats, c'est-à-dire les représentants des peuples.
Veux-tu dire que tu voudrais une démocratie directe au niveau européen qui shunterait le pouvoir des Etats ?
Une démocratie représentative suffirait mais sans intermédiaires : des représentants qui choisissent des représentants, c'est la garantie d'une perte du contrôle citoyen. A-t-on vu Lamy ou Barnier dire mot quand un autre commissaire du nom de Bolkenstein fit son projet de directive ? Ont-ils amené le débat politique en Europe ou au moins en France ? Non, aucun débat politique accessible au citoyen, juste des connivences, dans les pratiques de la commission et on nous demande de constitutionnaliser cela. Cette directive n'a été mise au frigo que parce que voyant que cela allait être un argument de choix pour les nonistes, le président Chirac s'est alors mêlé de la partie. Autrement, on aurait comme d'habitude été mis devant le fait accompli. D'ailleurs il n'a pas manqué de commissaires pour dénoncer "l'irresponsabilité" chiraquienne de mettre sur la place publique une question qui par nature devait rester dans le petit monde de l'oligarchie bruxelloise.
Il est clair que les décisions majeures de l'Europe dont nous faisons partie se prennent déjà au niveau européen. Quand la France baisse ses crédits publics alloués à la recherche scientifique, c'est la conséquence de la politique européenne visant à favoriser une recherche privée (au nom de la libre concurrence) qui par nature s'oriente sur des enjeux privés et appliqués et laisse la décision concernant l'intérêt général à ceux qui ont encore une vraie politique de recherche fondamentale, à savoir les USA. Le fait que des politiques essentielles se décident sans débat démocratique par une commission qui ne fait rien pour rendre accessible au public ces décision, au nom du supposé savoir technique de quelques oligarques, cela ne te gêne pas ?
De fait ces décisions se prennent en dehors d'un véritable contrôle démocratique par des instances qui sont choisies par des représentants nationaux élus sur des programmes nationaux (cherche l'erreur). De fait elles shuntent les décisions nationales en les surplombant. Il faut donc que pour les questions de compétence européenne, les décisionnaires soient choisis démocratiquement. Prenons par exemple la défense. Cette constitution encourage la militarisation des Etats et ne permet pas une véritable défense commune, mais admettons. Dans l'Europe fédérant les Nations dont je te parle, il y aurait un "commissaire" à la défense, choisi par un parlement ou par un président élu au suffrage universel, qui prendrait des décisions dans ce domaine valable pour tous les Etats membres (6, 10, sans doute pas plus dans la décennie à venir) et en rendrait compte. Cela n'empêcherait pas qu'il y ait un ministre de la défense en France, mais consacré uniquement à la défense du territoire national, non pour prétendre avoir une influence déterminante que de fait nous n'avons pas dans les questions mondiales. Cela permettrait donc de faire des économies au niveau national et d'avoir une puissance militaire capable de faire contrepoids dans le monde.
Si les députés européens et la commission ont une légitimité populaire à l'égal des gouvernements nationaux, à quoi serviront ceux-ci ?
C'est pourtant bien simple : ceux-ci traiteront des questions de compétence nationale et ceux-là des questions de compétence européenne. Les légitimités se complètent et ne s'opposent pas.
Tu élis un commissaire européen de droite pour 5 ans, pendant ce temps un gouvernement de gauche arrive en France, ce gouvernement de gauche veut orienter la politique européenne vers le social et le commissaire lui dit : non, désolé, j'ai été élu et j'ai autant de légitimité que vous.
Pas si les compétences sont clairement partagées. L'Europe n'a pas à traiter des questions qui ne regardent que les habitants d'un pays.
Choisir le niveau de légitimité européen, c'est abandonner l'Etat-nation.
Je ne suis pas contre mais il va falloir accepter qu'un commissaire anglais horriblement libéral décide pour nous.
Le problème dans l'état actuel des choses, c'est que c'est déjà le cas. Encore une fois, s'il n'y avait pas eu en France le référendum sur la constitution, nous aurions eu la directive Bolkenstein sans pouvoir mot dire, d'autant plus que les médias ne se seraient que faiblement emparés de cette question "vous savez l'Europe, c'est loin et ça n'intéresse pas les gens" entendait encore souvent dire dans les rédactions avant la campagne.
Alors quitte à prendre le risque d'un commissaire néolibéral, autant pouvoir peser dans son élection ou non. Une fois qu'il devra rendre directement des comptes devant les peuples européens, le commissaire européen y réfléchira peut-être à deux fois avant de remettre en cause les progrès sociaux datant de la dernière génération.
En gros, c'est la lutte des classes avec une minorité de dirigeants aussi inconscients que confortablement installés et une malheureuse population victime de leurs agissements. Est-ce à dire que nos représentants ne représentent personne ? Nous vivons en démocratie, que fait le peuple ?
Nier qu'il existe des classes sociales autoreproductrices me semble bien difficilement crédible. Nier ensuite que possédant les leviers institutionnels, économiques et militaires, la classe dominante ne l'utilise pas dans son intérêt propre avant de penser, par octroi, à l'intérêt général me semble relever de la dernière des naïvetés. Cependant je ne parle pas de lutte des classes car les classes dominées peuvent fort bien être endormies et trouver leur sort acceptable et même souhaitable. Après tout nombreux sont ceux qui préfèrent qu'on décide à leur place (et pour cause, ils ont été sous-éduqués dans ce sens). Et surtout, je ne préconnise pas l'affrontement de la classe prolétaire contre la bourgeoise pour que la première fasse valoir ses intérêts particuliers de classe et instaure sa propre dictature. Je suis pour la recherche de l'intérêt de tous à la définition de laquelle tous doivent pouvoir participer, cela s'appelle la démocratie.
Dans ce cadre, les inégalités économiques et sociales sont acceptables si elles sont à l'avantage de tous et acceptés par une majorité. A l'égalitarisme niveleur, j'oppose l'inégalité effectivement productrice de bien accessibles à tous. Cela s'appelle la justice. Si pour qu'une société soit productive, il faut qu'une classe majoritaire gagne moins que la minorité dominante, c'est acceptable à condition que les bénéfices soient effectivement partagés par tous, proportionnellement. A la société qui donne 10 euros à ses 10 membres quoi qu'ils fassent et qui passe d'un revenu global de 100 euros à un revenu de 90 pour cause d'inefficacité, je préfère une société qui avec ses inégalités passe à 120 euros (on pourrait parler avec n'importe quel autre bien, mettons la santé ou la science). Encore faut-il que l'augmentation des biens soit accessible à tous. Il faut que ceux qui gagnaient 5 euros gagnent au moins 6 et que celui qui gagnait 40 passe à 43 ou 44. A l'inverse, nous avons dans nos sociétés néolibérales un dominant qui raffle pour lui seul les 20 euros supplémentaires et trouve encore le moyen d'en réclamer davantage - demande à ceux qui gagnaient 5 euros de passer à 4,8 - pour pouvoir être "compétitif".
Demander que les bienfaits comme les sacrifices soient effectivement répartis proportionnellement n'est pas utopique. Je ne parle pas ici d'une société de sages spinozistes, mais de ce qui s'est à peu près passé en Europe occidentale dans les trente années glorieuses de la sociale démocratie après la 2nde, sous la pression il est vrai du contre-modèle communiste de l'est.
Tu parles d'expert en quoi exactement ? Experts en "intérêt général" ?
Si je dis que Spinoza est indubitablement bon pour l'intérêt général et que la carotte est bon pour le tein, je suppose que je n'entre pas dans les défenseurs des intérêts de la classe dominante.
Il s'agirait donc plutôt d'experts en intérêts de la "classe dominante" se faisant passer pour des experts en intérêt général.
Bien sûr, c'est ce qui ressortait de ce que je disais quand j'expliquais qu'au nom de l'expertise, on nous vend une idéologie qui ne sert qu'à masquer les rapports de force. Plus précisément je parle des missions d'expertise à Bruxelles où la "société civile" est consultée et où en fait, ces missions ne sont ni plus ni moins que des lobbies. Mais en fait, ils ne sont pas là pour faire pression sur la commission déjà acquise aux lobbies des multinationales, mais pour "fournir des arguments" qui seront relayés dans la presse par les élites médiatiques pour fabriquer le consentement (cf. http://www.terredescale.net/article.php3?id_article=302 )
Bardamu a écrit :Ah ben non, ça c'est petit... surtout quand on sait combien je suis pauvre (si tu passes cet été, c'est toi qui me paye un verre, espèce de social traître qui peut se payer des vacances).
Oï Komrad ! Mais toi tu me feras bénéficier de ton savoir désintéressé pour ce qui est de trouver le meilleur bar de Pau ! C'est ça le collectivisme libéral !
Cela dit, les élites ploutocratiques ont toujours eu besoin de valets et de chiens de garde à leur service

Je te crois parfaitement sincère quand tu penses de ton côté parler de ce qui peut le mieux servir l'intérêt général mais dis-moi en quoi il est intéressant pour une enrouleuse de bobine en France d'être délocalisée en Roumanie pour un salaire de 110 euros qui ne lui permettra même pas de survivre dans un pays où la corruption domine la plupart des administrations ? En quoi ce système libéral qu'on nous demande de constitutionnaliser est-il à l'avantage de tous ?
Tu considèrerais donc que les partis de gouvernement ne sont pas vraiment représentatifs de la majorité des français. Peut-on encore appeler ça une démocratie dans ce cas ?
L'ump au pouvoir en France représente 19% des électeurs. Si nous avions seulement deux ou trois partis comme en angleterre, les chiffres seraient plus importants mais pourtant c'est plus démocratique en France. De fait, je dirais pour faire court, que ce qui est choisi depuis 20 ans, c'est le camps opposé à celui qui était au pouvoir, non sa politique. Et après on sanctionne à nouveau le parti au pouvoir puisqu'en fait il a fait la même politique que son prédecesseur à quelques friandises sociales près.
Et comment se fait-il qu'un parti représentatif n'émerge pas ?
Tout simplement parce qu'avec la mondialisation qui vient des années 80, les partis nationaux n'ont plus la puissance publique nécessaire pour satisfaire aux attentes légitimes du peuple : un chômage réduit à ceux-là seuls qui ne veulent pas travailler, une sécurité sociale de bon niveau etc. parce que l'oligarchie mondiale a besoin du chômage pour maintenir sa position de domination (un travailleur soumis à la crainte du chômage est un travailleur soumis et peu exigeant) et que toute notion de sécurité sociale menace insupportablement sa prédominance etc.
Il y a pas mal de manipulation autour de l'idée d'une démocratie faussée et d'un pouvoir du peuple qui aurait été volé, aussi bien vers l'extrême-gauche que l'extrême-droite, et je trouve ça dangereux.
Par principe et pour affirmer une légitimité aux votes, j'aurais plutôt tendance à considérer que ces partis sont effectivement représentatifs de la majorité.
Le problème est que la multitude sait ce qu'elle veut mais n'a qu'une idée confuse le plus souvent des moyens pour y parvenir. Comme tu as compris que la technocratie n'est pas pour autant mon faible, je trouve que toute forme de démocratie, même discutable est préférable à la mainmise d'un parti unique sur la décision politique. Mais cela n'autorise pas pour autant à la naïveté : quand la france vote pour Chirac, ce n'est pas par adhésion à son projet mais majoritairement contre Le Pen. Si la droite perd presque toutes ses régions quelques mois après, ce n'est pas par adhésion au projet socialiste en général, mais pour "sanctionner" le gouvernement en place. Et ainsi de suite, le yoyo de la Vème république en temps de mondialisation néolibérale.
C'est sûr que vu que les partis socialistes européens et les syndicats européens appellent à voter "Oui", la position des socialistes français aurait été inconfortable.
Tous des vendus ces syndicalistes européens...
Donc les éléphants du oui auraient aussi barri alors qu'on ne vienne pas faire des procès aux socialistes du non.
Cela dit, il y a eu au moins un parti socialiste en Europe qui a eu le mérite de s'essayer à un débat démocratique interne, ce n'est pas le cas des autres "unanimes" autour de ce traité et de plus en plus désertés par les militants (europe technocratique = ça ne concerne plus les citoyens). S'il y avait eu débat dans les différents partis européens comme en France, peut-être que les citoyens s'y seraient aussi réveillés comme ici. Quant aux syndicats, c'est pareil : pas de débat = belle unanimité ! Sauf qu'au moins Sud, la CGT et FO sont contre. Maintenant les tenants du oui de gauche peuvent nous seriner que les syndicats sont unanimes pour le TCE, moi je vois à mon petit niveau que tous les syndicalistes que je connais sont contre.
Bardamu a écrit :Il y a déjà eu au moins une dizaine de ratifications. Ca fait déjà 10 peuples qui ne semblent pas vouloir considérer que le projet européen n'est pas entre leurs mains.
Tu te moques du monde là. En Espagne absence de débat démocratique pour un référendum qui n'était de toutes façon que consultatif. Dans les autres pays, pas de référendum, le peuple n'est pas consulté, la ratification est parlementaire. Si en France, nous avions procédé de la sorte, nous aurions eu une ratification à 90% du traité ! Et si nous n'avions pas en France une presse acquise dans les mêmes proportions au néolibéralisme de fait, pour nous vanter tous les jours les mérites de ce traité, nous faire peur avec la menace d'une France isolée etc. ce n'est pas 50/50 qu'il y aurait mais 30% de oui (ce que pèsent les partis de gouvernement avec à l'intérieur les "présidentiables" ou "premierministrables") contre 70% de non.
Donc, il faudrait créer de nouveaux partis de gouvernement vraiment représentatifs de leur majorité puis créer une constituante avec de vrais représentants ne prétendant pas faire parti d'une élite mais aptes à créer une constitution juridique de qualité pour 25 pays et 450 millions d'habitants.
Le projet est ambitieux.
Non seulement tu caricatures ce que j'ai pu dire sur les partis mais il suffit qu'on redonne du pouvoir aux gens pour qu'ils s'y intéressent et commencent à réfléchir sous un autre angle. Elargissement aux 10 nouveaux entrants décidé en catimini ? Morosité ambiante. Quand tu donnes aux français le pouvoir d'accepter ou de refuser une politique qui a déjà fait ses preuves depuis 1992, tout d'un coup ils s'intéressent à la question, lisent le texte bien que difficile, écoutent les débats, achètent des livres etc. Redonne du pouvoir à la politique (plutôt qu'à la technocratie), fais donc une constituante et tu verras les partis se rapprocher des populations qu'ils sont censés représenter.
Bardamu a écrit :Cette Constitution compose déjà avec les forces en présence pour maîtriser une puissance financière qui se voudrait incontrôlable.
Tu ne parles jamais des articles sociaux de ce texte. Crois-tu que ce ne soit que de la poudre aux yeux ?
Lorsque Simone Veil ou Delors disent qu'ils y croient à ces articles, tu penses qu'ils se trompent, qu'ils se font berner, qu'ils mentent ?
J'ai déjà en partie répondu dans un précédent message. Mais voyons de plus près la charte des droits fondamentaux. Elle "reconnaît" des droits mais ne prévoit rien pour les faire respecter effectivement. De fait, l'article II-111 précise qu'ils ne concernent que le droit de l'Union, donc pas au niveau des nations ! Et ces droits ne créent aucune compétence ni tâche nouvelle pour l'Union, donc une charte pour rien. Enfin le II-112 précise, s'il fallait encore rassurer les libéraux, que l'invocation de ces droits devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité des actes de l'Union et des Etats : si un acte politique est fait au nom de cette charte, on pourra aller voir le juge pour savoir si c'est bien interprété mais en aucun cas pour contester une politique existante. Belle avancée sociale en effet !
Mais prenons tout de même une super avancée sociale : la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire (II-74-2). C'est comme si on disait que si le service militaire est obligatoire, alors il devrait être gratuit. La belle jambe ! Ce "droit" n'indique en aucun cas que les Etats membres doivent fournir un enseignement obligatoire et gratuit. C'est seulement si un enseignement est obligatoire que c'est gratuit...
Autre exemple : le droit contre tout licenciement injustifié (II-90). Super à première vue, mais a-t-on jamais vu un chef d'entreprise manquer de justification pour licencier ? Délester pour monter encore un peu plus en bourse, même si l'entreprise est largement bénéficiaire, c'est une justification comme une autre.
Enfin, alors que l'article 1er de la Charte des droits sociaux fondamentaux de Turin reconnaissait le droit au travail, nous avons maintenant à la place le droit de travailler. Pourquoi pas reconnaître aussi le droit de manger, de respirer ou de pleurer quand on est chômeur ? Le premier impliquait qu'en cas de chômage, la société se charge de donner les moyens de trouver ou de créer du travail. Alors que les autres idéaux de cette charte ne mangent pas de pain, il fallait pour les néolibéraux absolument rayer le droit au travail car cela aurait autorisé le politique à entreprendre en son nom des régulations et des dépenses publiques contraires à la libre compétitition et à la rigueur budgétaire en matière politique. D'autre part, au nom du droit de travailler, on peut imposer des limites à l'action syndicale en cas de grève, un travailleur peut l'invoquer pour renoncer "librement" aux droits sociaux reconnus par la loi si c'est la condition de son embauche ou du maintien de son emploi !
Quant à Delors, je ne suis pas dans sa tête. Je pencherais pour l'aveuglement et l'impossibilité pour lui de dire non comme il devrait le faire s'il avait simplement été cohérent avec les attentes qu'il avait formulées lors de la convention car ce serait une remise en cause personnelle de toute sa participation à ce processus. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas l'habitude de prendre les arguments d'autorité pour argent comptant. Idem pour Veil.