bardamu citant la constitution pour mettre Henrique en difficulté a écrit :Non ?
Bien joué en ce qui concerne la lettre même du texte

. ça m'apprendra à faire des concessions ! Remarque que quand je suis mis en difficulté, je le reconnais et je ne le passe pas sous silence en m'attaquant à autre chose, comme certains

(Vengeance ! Vengeance !)

Mais pourquoi dans les faits la BCE qui avec Maastricht et Nice avait les mêmes sous-objectifs ne fait-elle
que travailler à la stabilité des prix au point que l'OCDE elle-même en est venue récemment à presser Trichet de baisser les taux d'intérêts ?
Tout est une question de hiérarchie des valeurs et des principes. C'est comme un restaurant ou n'importe quelle PME qui a le choix entre favoriser d'abord le profit maximum ou bien la satisfaction du client. S'il vise d'abord à satisfaire le client, il peut ensuite faire du profit pour cette raison même - mais sa hiérarchie des valeurs fera qu'il pourra renoncer au profit maximum (vendre à prix d'or de la nourriture de médiocre qualité) pour satisfaire en fait le client. Notre restaurateur pourra considérer que c'est sans doute un meilleur calcul à long terme pour lui. Mais il pourra faire l'autre choix, faire de l'argent rapide plutôt que satisfaire le client, se disant qu'une fois que les clients se seront rendus compte de la faible qualité du service rendu, il pourra revendre son restaurant et ouvrir autre chose de plus grand avec toujours la même logique prédatrice. Dans les faits nous aurons donc un restaurateur qui ne dira jamais qu'il ne cherche pas la satisfaction du client : après tout on peut bien se satisfaire d'une omelette avec un coulis de framboise vendue à 200 euros, c'est tellement subjectif la satisfaction ! Mais de fait, puisque son objectif
principal est financier, accumuler des moyens d'accumuler toujours plus de moyens, les autres prétendus objectifs ne seront que déclarations verbeuses de bonnes intentions.
Avec une BCE qui se donne la stabilité des prix comme
principal objectif, au nom du dogme monétaire friedmanien, nous avons de fait une relégation de tous les autres objectifs à une position subordonnée qui fait non seulement que s’ils entrent un tant soit peu en contradiction avec ce principe, c’est en faveur de l’objectif principal qu’on tranchera et d’autre part qu’il conditionnera toute autre action. C’est alors exactement comme le restaurateur qui a pour objectif principal le profit : il est mécaniquement conduit à faire de la daube même s’il développe tout un discours pour vanter la succulence de ses plats. Le bon sens serait pourtant de reconnaître que la stabilité des prix n’est qu’un moyen au service de la stabilité de la société qui ne peut être érigé en principe indépassable, car un moyen n’est pas une valeur en soi. Un moyen peut donc valoir dans certains cas, pas dans d’autres, notamment quand il s’applique à une réalité aussi changeante que la réalité sociale et économique. Parfois il faut savoir se couvrir pour sortir dehors, à d’autres moments il faut laisser le duffle coat à la maison. De même la stabilité des prix peut être un moyen mais certainement pas une fin en soi.
J’ajoute que dans les articles que tu citais, il y a le rappel lancinant de la libre concurrence à laquelle se subordonnent tous les autres objectifs (l'existence même de la BCE et de son objectif principal étant logiquement de faciliter et généraliser la libre concurrence). Cela revient à dire que lorsqu’elle prétend oeuvrer pour l’emploi, ce n’est jamais par une politique quelconque de régulation du marché à l’échelle européenne, au contraire c’est interdit entre autres par l’article III-210-2 qui explique qu’on a le droit de se rencontrer pour « échanger des informations », pour bavarder donc, mais en aucun cas de chercher à harmoniser les lois et règlements des Etats membres ! Comment cette constitution suggère-t-elle qu’on arrivera au plein emploi, à la sécurité sociale pour tous etc. ? C’est dans le texte, il suffit de le lire : uniquement par la concurrence généralisée, c'est-à-dire la déréglementation des marchés de biens et de services, la libre circulation des capitaux et la libéralisation financière, et enfin la monnaie unique stable. C’est donc du néolibéralisme pur sucre (puisque le libéralisme classique accordait encore à l'Etat certaines vertus sur le plan économique).
On a le droit d’être libéral et même ultralibéral. Je n’y crois pas, je ne crois pas que laisser en roue libre le cours naturel du marché soit une garantie pour l’emploi, l’égalité, la solidarité etc. Mais je suis démocrate, j’admet donc que les peuples puissent choisir explicitement une telle option comme toute option politique tant qu’elle ne revient pas à supprimer au peuple le droit de se prononcer en faveur d’une politique ou non. Je serais donc contre un fascisme qui s’il conquérait le pouvoir démocratiquement ne pourrait que le confisquer au peuple par la suite. De même, je ne comprends pas comment un démocrate peut accepter une telle confiscation de la démocratie : si une majorité de gauche démocratique était élue et présidait demain sur la base de cette constitution au conseil et au parlement européens, elle ne pourrait mener d’autre politique que résiduelle : soigner superficiellement les bobos de la mondialisation mais ne rien faire pour réguler ses causes qui sont précisément selon une analyse de gauche la déréglementation des marchés, la libre circulation des capitaux etc. Je n’ai pas encore trouvé de réponse franche de ta part à ce point précis : comment un démocrate peut-il accepter que des choix politiques (car renoncer à toute action législative du politique sur l’économique est encore un choix politique), fussent les siens, soient constitutionnalisés, interdisant donc a priori toute véritable alternative politique ?
Bardamu a écrit : Henrique a écrit :Seulement je suis en tant que social démocrate pour que l'Etat démocratique puisse encadrer et réguler le marché afin d'éviter ses excès naturels, contraires aux attentes de la société civile (ces excès étant le chômage endémique et structurel, le déracinement social, la soumission à la seule logique concurrentielle - travailler plus et gagner moins pour être "compétitifs" - au détriment d'autres sphères de la vie humaine comme la famille etc.)
Cf plus haut, les objectifs de l'Union.
Ne sont-ce pas les mêmes que les tiens ?
Tu veux rire ? Bien sûr que les objectifs affichés de cette constitution sont le plein emploi, le progrès social, la qualité de l’environnement etc. Qui pourrait explicitement prétendre agir dans le sens contraire ? Afficher de tels objectifs ne mange pas de pain et il y a certainement des libéraux sincères comme toi qui croient que la dérégulation de tous les marchés et que la libre concurrence vont nous permettre d’obtenir ces objectifs (je pense qu’il y a aussi tout de même beaucoup de cyniques expérimentés qui savent bien que le libéralisme pur sucre ne marche pas, mais qu’il faut cependant pour leurs intérêts personnels continuer de défendre cette idéologie qui dans les faits produit un chômage structurel permettant de maintenir les travailleurs dans la crainte et donc la soumission, une régression sociale progressive et généralisée, un épuisement dramatique des ressources naturelles non renouvelables etc.).
Relis ce que j’avais écrit : je suis pour que l’Etat européen (c’est-à-dire ce qui unit et exprime par la loi civile la puissance de tous les humains qui la constituent) puisse réguler le marché (car les Etats nations ne sont clairement pas l’échelle qui convient pour cela) afin d’équilibrer ses excès naturels en faveur des intérêts de la société civile. C’est une option politique portant donc sur les moyens les mieux adaptés aux objectifs sociaux et environnementaux que tu as parfaitement le droit de ne pas partager, mais tu sais bien qu’avec ce traité établissant une
constitution pour l’Europe, il n’y aurait pas d’autre option politique que le néolibéralisme version UMP tendance Sarkozy qui accélérera juste un peu plus les dérégulations ou le néolibéralisme version PS tendance Hollande qui fera juste un peu plus tarder les dérégulations et se contentera de quelques pansements sur les couches sociales les plus défavorisées.
Henrique a écrit :"Justice et force", ça a un petit côté Empire Romain qui ne déplairait pas à Bush...
A choisir, j'aurais promu la devise française : "Liberté, Egalité, Fraternité".
Bien sûr, hommage du vice à la vertu, l’hypocrisie n’a jamais été en reste pour se parer des plus grandes vertus. Mais Bush n’a qu’un concept vague de la justice quand il supprime chez lui par exemple tout droit de succession, interdisant donc la moindre redistribution sociale là où celui qui s’est enrichi l’a pourtant fait grâce à la société, et impose en Irak sa vision néoévangéliste d’une démocratie au service des intérêts pétroliers américains…
On peut faire preuve de cynisme ou d’ironie, mais il reste que la justice en tant qu’action favorable à l’avantage de tous n’a pas de sens sans puissance publique pour être imposée : « la justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. » Cette constitution Giscard apporte beaucoup d’instruments pour conforter la puissance des déjà plus puissants d’Europe, mais elle n’indique pas d’autre voie pour la « justice sociale » que la pleine et entière soumission du citoyen au marché et à ceux qui le pilotent, qui ne sont pas des politiques.
Quant à la devise française, elle est toute contenue dans la notion même de justice que je viens de définir. Seulement définir une valeur générale comme fin unique relève de l'angélisme tant qu'on oublie de chercher la force qui permet de l'exprimer (sachant qu'une force injuste est en dernière analyse une force faible).
Bardamu a écrit :Il y a des communautés qui savent aussi s'enrichir de leur diversité.
Si on regarde les 2 derniers siècles, ce sont plus les Etats-Nation que les communautés qui ont provoqué la ruine du monde.
Tu détournes mon propos. Je ne m’en prenais pas aux communautés mais au communautarisme qui consiste non pas à se contenter de reconnaître, respecter et éventuellement s’enrichir d’une différence
extérieure, simplement apparente, mais à ériger cette dernière en essence universelle
séparée et absolutisée en se fondant le plus souvent sur un mythe identitaire : il y a nous et les infidèles, nous et les hétéros, nous et les
gadgés, nous et les
goyims, nous et les PCistes, nous et les « textiles », etc. On peut certes être musulman, homo, gitan, juif, MACistes ou naturiste et être parfaitement républicain mais alors on ne fait pas de sa différence apparente, extérieure, un principe d’humanité antérieur à la raison, au coeur, à l’intersubjectivité universelle, on ne fait pas dans le communautarisme. Mais si quand tu entends le mot « universel », tu penses à Vivendi, confondant propagande unanimiste et consensuelle et valeurs universelles, quel charme peux tu donc trouver à la philosophie rationaliste d’un Spinoza ?
Note : j'ai l'impression que sous les mêmes mots, on ne met pas vraiment les mêmes choses, par exemple pour "Etat". Pour moi, "Etat" devrait représenter une organisation communautaire sans définition a priori de la communauté : de sol, de cité, de coeur, d'argent, de sang, d'esprit...
Ta définition de l’Etat semble justement revenir à la négation du communautarisme tel qu’il se met en œuvre concrètement aux USA, en GB et plus récemment en France. S’il n’y a pas de définition a priori de ce qui est commun à tous, alors il n’y a pas à réclamer quelque droit à la différence que ce soit : la différence étant commune à tous, personne ne peut se l’approprier dans un sens particulier. Seulement, j’ai bien peur que s’il n’y a rien de commun a priori, pas d’essence commune définissable, il n’y a plus de communauté globale, c’est-à-dire plus de société et donc d’Etat (méthode anarchiste pour supprimer l’Etat : supprimer la société en tant que communauté d’intérêts ?). Pour ma part je pense que tous les hommes ont en commun le désir d’exister et ses dérivés les plus immédiats : le désir de sécurité, le désir de justice, le désir de liberté etc.
Qu'est-ce que l'Etat pour toi ?
Sur la base de la susdite communauté, la société civile unit la puissance de chacun et fonde l’Etat comme moyen de concrétiser les intérêts fondant cette communauté même. En d’autres termes, l’Etat c’est l’union de toutes les puissances particulières en une puissance globale capable de donner corps aux intérêts communs de ces puissances particulières, bien plus efficacement que ne le pourraient chacune de ces puissances prises à part.
L’Etat bien compris a essentiellement deux excès : 1) le totalitarisme politique qui consiste par une inflation de l’Etat à ériger une idéologie politique particulière en idéologie unique, faisant office de totalité, représentée par un parti unique (ou faussement pluriel), à absorber la société civile et à tenter de contrôler politiquement tout ce qui pourtant ne relève pas uniquement de la politique (l'économie, la religion, la science, l’art etc.) ? Et il y a en 2) le libéralisme, qu’on pourrait appeler aussi totalitarisme économique dans la mesure où par une déflation de l’Etat, rendu incapable de contrôler la vie économique, c’est la puissance économique qui érige en définition unique de l’homme son simple statut de producteur-consommateur, absorbe l’ensemble de la société civile ainsi que l’Etat dans sa logique propre et tente de contrôler économiquement tout ce qui pourtant échappe par nature à l’économique (la politique, la religion, la science, l’art etc.).
Parce qu'il émane de la puissance collective, l'Etat ne saurait être la source unique de légitimité et de puissance. En tant qu'expression de toutes les puissances particulières, son pouvoir absolu ne consiste pas à annuler ces dernières mais au contraire à les renforcer en coexistant avec elles et en leur donnant les moyens de s'unir et de s'organiser. Il laisse donc une autonomie propre aux domaines qu'il encadre : l'économie, les sciences, la religion et toutes les autres formes d'associations non politiques. Mais il ne saurait être non plus un simple artifice visant uniquement à imposer et conserver d'en haut l'ordre social existant et ne se donnant aucune autre forme de puissance pour réaliser l'intérêt commun, contrairement à ce que veut le néolibéralisme.
Bardamu a écrit :Quelle vertu magique pourrait bien avoir le déficit ? Va-t-il créer des emplois privés alors qu'on ne sait pas quels seront les métiers d'actualité dans 15 ans ?
Je ne vais pas rentrer dans un débat économique de fond avec toi. Je te renvoies au besoi à
http://econon.free.fr/ . Mais si tu as le droit de penser que mes choix en matière de politique économique sont discutables, pourquoi veux-tu m’interdire de les défendre politiquement pendant 20 ans au bas mot (40 ans selon Giscard) en votant oui à cette constitution ?