L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Messagepar sescho » 21 juin 2008, 12:33

Faun a écrit :Autant je vous suis sur la plupart des points que vous venez d'exposer, ...

Je pense honnêtement qu'il n'y a pas d'autres solutions sensées, et cela non par moi, mais par le grand esprit de Spinoza.

J'en profite pour insister sur les extraits concernant les lois de la Nature : il est impossible de faire sérieusement abstraction du TTP dans ce cadre, comme c'est une habitude généralisée. Le TTP à lui seul est une œuvre majeure de la pensée humaine, mais en plus il ne fait pas qu'une exégèse complète de l'esprit de l'ancien testament, il est aussi un complément très précieux à l'Ethique (et il a été écrit après la majeure partie de celle-ci) ; une sorte de super-scholie presque incontournable.

Mes moyens ne m'ayant pas permis de comprendre toute l'œuvre de Spinoza à la première lecture, ni de me souvenir instantanément de tous les passages, à la virgule près, afférant à un point particulier, et supposant que je suis pas le seul, je ne résiste pas à citer quelques courts passages :

Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :E3Pre : … la nature est toujours la même ; partout elle est une, partout elle a même vertu et même puissance ; en d'autres termes, les lois et les règles de la nature, suivant lesquelles toutes choses naissent et se transforment, sont partout et toujours les mêmes, et en conséquence, on doit expliquer toutes choses, quelles qu'elles soient, par une seule et même méthode, je veux dire par les règles universelles de la nature. Il suit de là que les passions, telles que la haine, la colère, l'envie, et autres de cette espèce, considérées en elles-mêmes, résultent de la nature des choses tout aussi nécessairement que les autres passions ; et par conséquent, elles ont des causes déterminées qui servent à les expliquer ; elles ont des propriétés déterminées tout aussi dignes d'être connues que les propriétés de telle ou telle autre chose dont la connaissance a le privilège exclusif de nous charmer.

TTP3 : … Par gouvernement de Dieu, j’entends l’ordre fixe et immuable de la nature, ou l’enchaînement des choses naturelles. Car nous avons dit plus haut et nous avons montré aussi en un autre endroit que les lois universelles de la nature, par qui tout se fait et tout se détermine, ne sont rien autre chose que les éternels décrets de Dieu, qui sont des vérités éternelles et enveloppent toujours l’absolue nécessité. Par conséquent, dire que tout se fait par les lois de la nature ou par le décret et le gouvernement de Dieu, c’est dire exactement la même chose.

TTP4 : Le nom de loi, pris d’une manière absolue, signifie ce qui impose une manière d’agir fixe et déterminée à un individu quelconque, ou à tous les individus de la même espèce, ou seulement à quelques-uns. ...
Par exemple, que tout corps qui choque un corps plus petit perde de son propre mouvement ce qu’il en communique à l’autre, voilà une loi universelle des corps qui résulte nécessairement de leur nature. De même encore, c’est une loi fondée sur la nécessité de la nature humaine, que le souvenir d’un certain objet rappelle à l’âme un objet semblable ou qu’elle a perçu en même temps que le premier. …

… toute la connaissance humaine, c’est-à-dire le souverain bien de l’homme, non-seulement dépend de la connaissance de Dieu, mais y est contenu tout entier.

C’est là ce que l’homme charnel ne peut comprendre ; ces préceptes lui semblent choses vaines, parce qu’il n’a de Dieu qu’une connaissance imparfaite, parce qu’il ne trouve dans ce bien suprême qu’on lui propose rien de palpable, rien d’agréable aux sens, rien qui flatte la chair, source de ses plus vives jouissances, parce qu’enfin ce bien ne consiste que dans la pensée et dans le pur entendement. Mais pour ceux qui sont capables de comprendre qu’il n’y a rien dans l’homme de supérieur à l’entendement ni de plus parfait qu’une âme saine, je ne doute pas qu’ils n’en jugent tout autrement.

Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité ; 2° qu’elle n’a pas besoin de s’appuyer sur la foi des récits historiques, quels que soient d’ailleurs ces récits. Car comme cette loi divine naturelle se tire de la seule considération de la nature humaine, on la peut également concevoir dans l’âme d’Adam et dans celle d’un autre individu quelconque, dans un solitaire et dans un homme qui vit avec ses semblables. Ce n’est pas non plus la croyance aux récits historiques, si légitime qu’elle soit, qui peut nous donner la connaissance de Dieu, ni par conséquent l’amour de Dieu, qui en tire son origine ; cette connaissance, nous la puisons dans les notions universelles qui se révèlent par elles-mêmes et emportent une certitude immédiate

… si nous considérons que la nécessité de l’essence et des propriétés du triangle, prises comme des vérités éternelles, dépend de la seule nécessité de la nature et de l’entendement divin, et non de la nature du triangle, il arrive alors que, ce que nous appelions entendement de Dieu, nous l’appelons volonté divine ou décret divin. Ainsi donc, dire que Dieu a voulu que la somme des angles d’un triangle fût égale à deux droits, ou dire que Dieu a pensé cela, c’est, au regard de Dieu, une seule et même chose.

TTP6 : … comme rien n’est nécessairement vrai que par le seul décret divin, il est évident que les lois universelles de la nature sont les décrets mêmes de Dieu, lesquels résultent nécessairement de la perfection de la nature divine
Je pourrais appuyer encore ma démonstration sur ce principe, que la puissance de la nature n’est, en réalité, que la puissance même et la vertu de Dieu, laquelle est le propre fond de l’essence divine ; mais ce surcroît de preuves est présentement superflu. Je conclus donc qu’il n’arrive rien dans la nature qui soit contraire à ses lois universelles, rien, dis-je, qui ne soit d’accord avec ces lois et qui n’en résulte. Tout ce qui arrive se fait par la volonté de Dieu et son éternel décret : en d’autres termes, tout ce qui arrive se fait suivant des lois et des règles qui enveloppent une nécessité et une vérité éternelles. Ces lois et ces règles, bien que toujours nous ne les connaissions pas, la nature les suit toujours, et par conséquent elle ne s’écarte jamais de son cours immuable. Or il n’y a point de bonne raison d’imposer une limite à la puissance et à la vertu de la nature, et de considérer ses lois comme appropriées à telle fin déterminée et non à toutes les fins possibles ; car la puissance et la vertu de la nature sont la puissance même et la vertu de Dieu ; les lois et les règles de la nature sont les propres décrets de Dieu ; il faut donc croire de toute nécessité que la puissance de la nature est infinie, et que ses lois sont ainsi faites qu’elles s’étendent à tout ce que l’entendement divin est capable d’embrasser.

Note : plus cela va, plus je perçois - ce que notre bon Henrique nous avait dit il y a longtemps - que l'essentiel, de très loin, chez Spinoza, est la conscience même - intuitive, permanente - de la Nature universelle, éternelle, régnant en tout, y compris moi-même comme simple mode, les lois particulières étant des "cerises" comme je l'ai dit plus haut, et en même temps des moyens de se connaître mieux soi-même sur la voie qu'il nous montre.

Faun a écrit :... autant ici je ne pense pas que Spinoza aurait confirmé cette manière de voir. L'idée éternelle de soi qui constitue l'intellect est une chose réellement existante, une puissance d'agir et de comprendre unique et différente de toutes les autres, capable de modifier le monde extérieur comme l'a fait Spinoza, et comme il le fait encore grâce à ses livres.

J'acquiesce volontiers que ce que je dis dépasse l'expression de Spinoza. Toutefois, c'en est dans mon esprit une conséquence logique : nous ne sommes conformes à notre véritable nature (celle qui se comprend par elle-même) que quand nous connaissons clairement et distinctement, et dans ce cas ces idées sont éternelles et l'essence même de Dieu. Cela donne à la notion de "moi" (qui doit en fait être définie pour bien discuter, ce qui pose d'emblée tout le problème...) un sens très particulier.

Mais en fait nous parlons d'être en Dieu, mais la vérité c'est que ceux qui le vivent selon la science intuitive sont rarissimes. Pour les autres, c'est donc à dire presque tout le monde, le "moi" est un complexe de connaissance du premier genre, de mémoire et de désirs auquel on a donné une substantialité factice. Tout ce que Spinoza dit ne pas appartenir à l'essence éternelle de l'âme.

Il est impossible de vivre le premier tout en restant dans le second : ce n'est alors qu'une imagination supplémentaire de l'ego, qui se voit rester comme il est tout en atteignant la félicité permanente. Ce qui est impossible... Le "moi éternel" n'a pas grand chose à voir avec le"moi imaginaire", j'en ai peur.

Mais je suis sur le fond totalement d'accord (en nous rappelant effectivement que l'intellect est une notion générale : seule existe concrètement l'idée - la perception non verbalisée - que nous avons.)

Serge
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Messagepar hokousai » 21 juin 2008, 16:39

"""Je pense honnêtement qu'il n'y a pas d'autres solutions sensées,""""( Serge )"

En général chacun adopte la position qu'il pense la plus sensée .

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Messagepar sescho » 21 juin 2008, 17:20

hokousai a écrit :Cette idée de lois de la nature me semble agir comme la vertu dormitive de l’opium .( laquelle n’explique rien )

Pour moi - mais peut-être est-ce ma formation mathématique et scientifique - c'est une simple réalité.

hokousai a écrit :Le nécessaire est ce qui ne peut pas ne pas être et ce qui ne peut pas ne pas être n’oblige pas à poser une instance intérieure qui assurerait la coercition .
De soi même la causa sui est nécessaire , elle ne peut pas ne pas être cause de soi .Rien ne l ’empêche, rien ne la contraint .
Or les lois sont une coercition interne sur-ajoutée .
Pour quel motifs ?

Ce concept de "coercition interne" ne me parle pas du tout. Il me semble parfaitement superflu : les lois sont l'essence même de Dieu (telle que perceptible par les hommes, du moins), ce n'est rien qui se surajoute à Dieu. "Coercition interne" me semble même contradictoire dans les termes, s'agissant de Dieu en quoi tout est.

hokousai a écrit :L’ensemble des lois serait il donc fini ! Voila une curieuse introduction de la finitude dans l’essence de Dieu .(introduction dont j’ai bien du mal à me remettre )

Ou ensemble infini mais dénombrable (comme partiellement les attributs.) Je ne suis pas sûr qu'on doive étendre cela à Dieu. 'Les lois de la Nature" au sens élargi, c'est la "légalité divine" infinie indénombrable. Il n'y a pas me semble-t-il d'objection majeure vis-à-vis du texte de Spinoza (mais je le dis sans vérifier et je peux me tromper) à dire que les lois discrètes telles que nous les connaissons ne le sont que par une limite de la pensée humaine, donnant une vision adéquate mais partielle de la légalité divine universelle et infinie, ou essence de Dieu.

hokousai a écrit :"""Je pense honnêtement qu'il n'y a pas d'autres solutions sensées,""""( Serge )"

En général chacun adopte la position qu'il pense la plus sensée .

Certes, mais là je pense en plus que pour en défendre une autre, il faut sacrément tordre le texte... Etant entendu que je parle là strictement de la traduction fidèle de la pensée de Spinoza (même si je suis aussi largement en phase avec lui sur son "analyse", mais c'est un autre sujet.)

Amicalement

Serge
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Messagepar Enegoid » 21 juin 2008, 19:42

L'argumentation de Seischo me parait assez convaincante.

Cependant, il reste selon moi deux points aveugles (dans la pensée de Spinoza) qui ne sont pas traités :

1 On admettra, je pense, que l'on ne peut connaître l'essence de Dieu (la substance, et les lois de sa nature -ET1 p17) sans passer, si l'on peut dire, par la case "connaissance", de quelque genre que ce soit, d'une chose singulière . Pour faire image :

- je ne peux connaître l'essence d'une mélodie, d'un genre musical, etc. sans avoir entendu une fois concrètement son exécution, à un certain moment, en un lieu donné...
- Newton et la pomme, Archimède et son bain.

La connaissance d'une chose particulière (du 1er genre, en fait) serait ainsi une porte indispensable à franchir pour accéder aux genres suivants. Faut-il réhabiliter la connaissance du 1er genre ?

2 Y a-t-il des essences singulières ? Oui selon Spinoza : l'essence de Pierre est différente de celle de Paul. Oui mais en quoi ? On aboutit à une impasse : le désir de persévérer dans son être de Pierre n'est pas le même que celui de Paul parceque Paul est différent de Pierre. Oui mais en quoi ? Et on doit se rabattre sur les conditions concrètes d'existence de Pierre et de Paul, et à des catégories propres à l'homme en général. A l'extrême, c'est le problème des boules de billard, totalement identiques. Ont elles une essence ?
Peut-on parler de l'essence singulière d'un homme particulier ? Que peut-on en dire ? Et si on ne pouvait rien en dire, quelles conséquences ?

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Messagepar sescho » 21 juin 2008, 20:20

bardamu a écrit :N'est-ce pas dans cette affirmation d'une perception "comme existant en acte" qu'il y a essence plutôt que dans l'image de l'arbre ?
Certes le langage commun voudrait qu'à une image d'arbre corresponde un "arbre en soi" mais Spinoza ne demande-t-il pas qu'on parte de ce qu'on sait avec certitude pour déterminer une essence ?
Ce ne sont pas les images (de l'arbre, de soi etc.) qui doivent déterminer quelle connaissance est à attendre, c'est l'idée de l'essence qui s'affirme en nous et nous donne un objet, aussi petit soit-il ou divergeant de l'attente.

Je pense que ce sujet est porteur de l'essentiel. Maintenant, pour l'instant, nous admettons toujours "essence" dans nos débats (je rappelle que Spinoza utilise même des locutions comme "essence de l'Amour" - E3AppD6Expl -, "essence de l'Esprit" - E3AppDGExpl ou "essence d'une passion" - E4P5Dm, ...). Le problème éventuel est seulement lorsqu'est ajouté (ou non) l'adjectif "singulière", et ce vis-à-vis de l'adéquation. Une première question est donc de savoir de quelle essence on parle.

Qu'en est-il de l'essence d'une chose singulière (chose finie ayant une existence déterminée - soit existant en acte : E2D7 ; "chose particulière et existant en acte" est un synonyme utilisé par Spinoza) ? Spinoza appose souvent "forme" à "essence." La question serait alors : le "contour visible" d'une chose singulière, mettons un corps, est-il disjoint de la forme de ce corps ? ... Assez cocasse, non ? (Même si je reconnais que certaines formulations comme "l'essence de l'Homme est un certain rapport entre les parties du corps" peuvent laisser quelques doutes.)

Mais après nième relecture, je crois que le texte impose impitoyablement qu'on ne peut avoir d'idée adéquate d'une chose particulière (qu'elle existe en acte ou non.) E2P11C, la série E2P19-E2P31 et la paire E2P37-E2P38 ne laissent, me semble-t-il, aucun espace (il y a bien l'histoire de l'idée vraie du mode qui n'existe pas de E1P8S2, mais, outre qu'elle se trouve très précocement dans l'Ethique, là où le sujet est la substance, pas la connaissance, l'exemple qui apparaît ensuite dans le texte est le triangle - que l'on conçoit effectivement clairement qu'il en existe un ou pas dans le réel -, mais c'est en fait un être de raison, comme toutes les autres figures géométriques, et autres êtres mathématiques.)

bardamu a écrit :Ce n'est pas en me disant abstraitement que ma boulangère est un mode que je connais son essence,

Il ne s'agit pas de cela, il s'agit de voir tout ce qui est comme il est, c'est-à-dire comme puissance divine : c'est cela le troisième genre dans E5P36S. Le deuxième genre consiste à le dire abstraitement, le troisième à le vivre. Verbalement, c'est exactement la même chose, mais en fait "verbalement" n'entre que dans le deuxième genre, tandis que le vivre sans verbaliser n'entre que dans le troisième.

Comme je l'ai déjà dit : ce qui fait la différence - énorme - entre le deuxième et le troisième genre, c'est ce qui fait passer du verbe à l'acte (sur le même "sujet".) C'est uniquement pour cela que le désir de connaître selon le troisième genre peut naître du deuxième. Il ne s'agit pas de faire comme si je disais que le troisième genre se réduit strictement au deuxième (ce qui serait une escroquerie, Spinoza disant le contraire) mais il ne s'agit pas non plus de rêver d'un troisième genre béatifique dont on se sait rien, et/ou de prendre le premier genre pour le troisième : il s'agit de voir directement, sans verbaliser, ce qu'indique le deuxième genre (qui ne fait qu'indiquer, mais est seul à indiquer.) C'est cela le sens de l'exemple de la proportion, encore une fois.

Pour le reste, la conscience que l'essence de la chose (connue adéquatement ou non, ce n'est pas le problème) est en Dieu, me dit quelque chose de fondamental sur elle-même. Est-ce que d'être mode, c'est à dire manière d'être de la Nature, est une partie ou non de son essence ? Nominalement je n'y ai pas encore réfléchi, mais fondamentalement, assurément. De même dire qu'une propriété d'une chose n'entre pas dans son essence, cela me semble hautement discutable (mais, comme dit, je n'ai pas encore spécifiquement analysé la chose.)

bardamu a écrit :Oui, mais je rajouterais qu'il faut la réciproque : le particulier doit être vu en lui-même pour que Dieu soit vu.

Le "particulier vu en lui-même" est directement contraire à la notion de "mode" (d'expression de la Substance.) Et la question se pose de savoir, dans ce qui est vu, ce qu'est cela seul qui est vu en vérité. Le reste est fiction par définition. Et la substantialisation des modes est une fausseté. Cela ne veut pas dire qu'un mode n'est rien, inintéressant, etc.

bardamu a écrit :Aimer le requin parce qu'il est requin et que c'est par ce qu'il est qu'il est expression de Dieu même si on ne l'aime pas en tant qu'il nous mange la jambe.

Aucune objection, même pour la crasse, même pour le crime, ... en tant que ce sont des faits, et que les faits sont la vérité, la Nature même ; ce qui n'implique pas qu'on considère qu'ils sont bons pour l'Homme (toutes choses prises en compte.)

bardamu a écrit :Cela revient sans doute à ce que tu dis, mais j'aime bien insister sur la nécessité d'un souci des êtres pour ce qu'ils sont, dans leur singularité, et pas seulement dans leur rapport à l'idée de Dieu. A mon sens, c'est important au niveau pratique.

Mais toute richesse de ce type peut se voir - doit se voir - aussi en Dieu Les êtres tels qu'ils sont sont l'expression même de Dieu ; leur richesse est celle même de Dieu. Il ne s'agit pas de réduire le singulier au général (connu), mais de voir le général (réel) dans le singulier. On peut voir tout ce qu'il y a à voir me semble-t-il sans pour autant substantialiser les modes. Ce qu'on perd, c'est uniquement l'ego, l'orgueil, la soif, le reproche, l'accusation, la jalousie, le stress... Pas la vigueur de la perception, la générosité, l'amour, bien au contraire.

Néanmoins - c'est le fond de notre débat - ce qui fait le singulier, c'est précisément ce que l'on ne perçoit pas clairement (et se pose effectivement forcément la question de ce qui est vrai dans ce qu'on perçoit : ce qui est en réalité). Mais, dans le fil de ce que j'ai dit précédemment, je crois que si tu vis effectivement (ce qui est très rare) que tout est en vertu de la puissance éternelle de Dieu et pas en lui-même, dont au premier chef toi-même, tu es déjà dans la béatitude. Le reste sera comme tu le verras ("aime et fais ce que tu veux.") C'est pourquoi Spinoza revient toujours à cela quand il s'agit de donner un exemple, ou de parler de béatitude. C'est l'essentiel.

J'en suis presque certain : le seul enseignement ultime de Spinoza, c'est celui-là (et E5 le dit largement.) Le reste des lois est effectivement une richesse supplémentaire mais peut être aussi considéré vis-à-vis de cet enseignement ultime comme faisant partie de la voie (car nous la cherchons encore...) : outre qu'il consolide fermement cette idée par la légalité qui transparaît en toute chose, il nous montre les mécanismes de l'ego - qui se prend pour une substance, une valeur auto-créée, qui se compare, qui divise, fiction qui se défend et attaque ses propres chimères pour survivre dans le Mental, etc., etc. - et toutes les mauvaises (pour l'homme) passions qui y sont associées.

Et puis, dans "connaissance du premier genre" il y a quand-même "connaissance" ; on doit sans doute s'en contenter pour un certain nombre d'aspects. L'essentiel est ailleurs.


Amicalement


Serge

P.S. Le bouddhisme (philosophique, encore "plus athée" que Spinoza...) a quelque part le même "problème" : n'ayant même pas (explicitement) de notion de "Nature" il ne reconnaît aucune essence, aucune entité fixe, aucun "moi" (c'est le "non-moi", qui lui-même n'est rien, logiquement), etc. Et pourtant il met au même niveau la compassion (générosité spinozienne) pour tous les êtres, qu'il reconnaît donc au premier chef comme singuliers et aimables, quoique pas du tout substantiels... L'Un et le multiple... on n'en a pas fini...

Sinon je rappelle - j'ai déjà tout exprimé en détail ici ; je n'y reviens pas - que pour moi "le désir est l'essence de l'Homme" est un net contre-sens sur E3P7.
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Messagepar hokousai » 21 juin 2008, 23:40

Cher Serge

je ne suis pas en phase avec votre idée de lois éternelles(ce n'est pas un différent nouveau entre nous ) . Je ne vois pas bien ce qu’on pense quand on parle de lois éternelles .
Il suffit de parler de nécessité, ce sont les lois qui sont une idée superflues.
Sinon ce sont les lois qui sont au dessus de Dieu .

Je sais très bien que Spinoza en parle et qu’il semble mettre quelque chose là derrière( dans le TRE ) mais moi je n’y mets rien .
Je ne sais déjà pas très bien ce qu’est une loi de la nature , alors des lois éternelles encore moins .

Que je sois en désaccord avec certains aspects du Spinozisme n’engage que moi .

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Messagepar sescho » 22 juin 2008, 08:44

hokousai a écrit :... je ne suis pas en phase avec votre idée de lois éternelles(ce n'est pas un différent nouveau entre nous ) . Je ne vois pas bien ce qu’on pense quand on parle de lois éternelles .

Pour moi c'est étonnant, parce que c'est ce que je conçois le plus facilement de réel comme éternel. D'abord pour moi les lois (ou la légalité dans la Nature en général) sont une évidence (en Physique, en Psychologie.) Ensuite, elles ne sont soumises ni au temps ni à l'espace. Partout et tout le temps elles sont les mêmes (ce que l'Homme en connaît étant forcément partiel.)

D'ailleurs, s'il n'y avait pas de lois, de constantes, il ne servirait même strictement à rien de discuter...

hokousai a écrit :Il suffit de parler de nécessité, ce sont les lois qui sont une idée superflues.
Sinon ce sont les lois qui sont au dessus de Dieu .

Les lois sont Dieu, l'essence même de Dieu ; c'est un autre nom pour la nécessité (mais elles sont connaissables, ce qui n'est pas rien.)


Amicalement


Serge
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Messagepar hokousai » 22 juin 2008, 13:40

Cher Serge

Je ne nie pas qu’il y ait des constances ( à peu près constantes ) ou du moins que nous en percevions .
Qu’elles soient sempiternelles nous ne pouvons le prouver d’expérience .(ni par aucun raisonnement )
Qu’elles soit éternelles ne signifie pour moi rien du tout puisque toutes ces lois sont connaissables ( et applicables en cas de techniques ) en relation à la nature maturée donc dans la durée .

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Messagepar sescho » 22 juin 2008, 20:08

hokousai a écrit :Qu’elles soient sempiternelles nous ne pouvons le prouver d’expérience .(ni par aucun raisonnement )

Nous devrons certes sans doute nous contenter de l'inférence.

hokousai a écrit :Qu’elles soit éternelles ne signifie pour moi rien du tout puisque toutes ces lois sont connaissables ( et applicables en cas de techniques ) en relation à la nature maturée donc dans la durée .


D'abord, Spinoza dit bien tout à fait explicitement qu'elles sont éternelles. Ensuite, l'entendement infini (ou "idée de Dieu") fait partie de la nature naturée et non de la naturante, donc cela ne constitue pas une objection à ce que les lois soient l'essence de Dieu (naturant) et n'implique pas le temps (modes infinis.) Certes les lois exprimées me semblent devoir être considérées comme des modes finis, mais je pense que le sujet mérite approfondissement (limite de l'esprit humain, en particulier.)

Pour moi, enfin, les lois transcendent les modes et dirigent tant la conservation que l'évolution de ces modes, mais ne sont pas elles-mêmes soumises au temps. Mais encore une fois, je crois que le sujet est très important et mérite d'être examiné plus profondément...

Amicalement

Serge
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Messagepar hokousai » 22 juin 2008, 21:01

à Serge


Certes les lois exprimées me semblent devoir être considérées comme des modes finis,
C'est mon avis ,ce n'est peut être pas celui de Spinoza lequel sur ce sujet est dans l' éthique assez discret )

"La queue de chien remue quand ils voient leur maitre" c'est une loi sempiternelle pour autant qu'il y ait des chiens et des maitres .

)mais la sempiternalité des chiens et des maitres est très improbable .

Les lois de la physique semblent à notre échelle bien évidemment sempiternelles et j' ai eu bien du mal à faire planer chez un de mes amis physiciens rien que l'ombre d'un doute sur la sempiternalité de des lois de Newton .


Mais le question n'est pas pour moi là .
Elle est en ce que s'il y a lois éternelles alors Dieu est écrit dans un langage celui des lois . Un langage contraint absolument (voila pour la coercition )
Dieu est structuré comme un langage ( et je ne suis pas Lacanien )

Un langage précis, pas un langage en général ,ce qui serait encore coercition . Ce n'est plus de la métaphysique c'est de la linguistique qu'il faut faire .

Mais alors là la connaissance de Dieu nous est fermée (de mon avis les métalinguistiques sont encore des linguistiques et on ne sort pas du langage )


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