Faun a écrit :Autant je vous suis sur la plupart des points que vous venez d'exposer, ...
Je pense honnêtement qu'il n'y a pas d'autres solutions sensées, et cela non par moi, mais par le grand esprit de Spinoza.
J'en profite pour insister sur les extraits concernant les lois de la Nature : il est impossible de faire sérieusement abstraction du TTP dans ce cadre, comme c'est une habitude généralisée. Le TTP à lui seul est une œuvre majeure de la pensée humaine, mais en plus il ne fait pas qu'une exégèse complète de l'esprit de l'ancien testament, il est aussi un complément très précieux à l'Ethique (et il a été écrit après la majeure partie de celle-ci) ; une sorte de super-scholie presque incontournable.
Mes moyens ne m'ayant pas permis de comprendre toute l'œuvre de Spinoza à la première lecture, ni de me souvenir instantanément de tous les passages, à la virgule près, afférant à un point particulier, et supposant que je suis pas le seul, je ne résiste pas à citer quelques courts passages :
Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :E3Pre : … la nature est toujours la même ; partout elle est une, partout elle a même vertu et même puissance ; en d'autres termes, les lois et les règles de la nature, suivant lesquelles toutes choses naissent et se transforment, sont partout et toujours les mêmes, et en conséquence, on doit expliquer toutes choses, quelles qu'elles soient, par une seule et même méthode, je veux dire par les règles universelles de la nature. Il suit de là que les passions, telles que la haine, la colère, l'envie, et autres de cette espèce, considérées en elles-mêmes, résultent de la nature des choses tout aussi nécessairement que les autres passions ; et par conséquent, elles ont des causes déterminées qui servent à les expliquer ; elles ont des propriétés déterminées tout aussi dignes d'être connues que les propriétés de telle ou telle autre chose dont la connaissance a le privilège exclusif de nous charmer.
TTP3 : … Par gouvernement de Dieu, j’entends l’ordre fixe et immuable de la nature, ou l’enchaînement des choses naturelles. Car nous avons dit plus haut et nous avons montré aussi en un autre endroit que les lois universelles de la nature, par qui tout se fait et tout se détermine, ne sont rien autre chose que les éternels décrets de Dieu, qui sont des vérités éternelles et enveloppent toujours l’absolue nécessité. Par conséquent, dire que tout se fait par les lois de la nature ou par le décret et le gouvernement de Dieu, c’est dire exactement la même chose.
TTP4 : Le nom de loi, pris d’une manière absolue, signifie ce qui impose une manière d’agir fixe et déterminée à un individu quelconque, ou à tous les individus de la même espèce, ou seulement à quelques-uns. ...
Par exemple, que tout corps qui choque un corps plus petit perde de son propre mouvement ce qu’il en communique à l’autre, voilà une loi universelle des corps qui résulte nécessairement de leur nature. De même encore, c’est une loi fondée sur la nécessité de la nature humaine, que le souvenir d’un certain objet rappelle à l’âme un objet semblable ou qu’elle a perçu en même temps que le premier. …
… toute la connaissance humaine, c’est-à-dire le souverain bien de l’homme, non-seulement dépend de la connaissance de Dieu, mais y est contenu tout entier.
C’est là ce que l’homme charnel ne peut comprendre ; ces préceptes lui semblent choses vaines, parce qu’il n’a de Dieu qu’une connaissance imparfaite, parce qu’il ne trouve dans ce bien suprême qu’on lui propose rien de palpable, rien d’agréable aux sens, rien qui flatte la chair, source de ses plus vives jouissances, parce qu’enfin ce bien ne consiste que dans la pensée et dans le pur entendement. Mais pour ceux qui sont capables de comprendre qu’il n’y a rien dans l’homme de supérieur à l’entendement ni de plus parfait qu’une âme saine, je ne doute pas qu’ils n’en jugent tout autrement.
Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité ; 2° qu’elle n’a pas besoin de s’appuyer sur la foi des récits historiques, quels que soient d’ailleurs ces récits. Car comme cette loi divine naturelle se tire de la seule considération de la nature humaine, on la peut également concevoir dans l’âme d’Adam et dans celle d’un autre individu quelconque, dans un solitaire et dans un homme qui vit avec ses semblables. Ce n’est pas non plus la croyance aux récits historiques, si légitime qu’elle soit, qui peut nous donner la connaissance de Dieu, ni par conséquent l’amour de Dieu, qui en tire son origine ; cette connaissance, nous la puisons dans les notions universelles qui se révèlent par elles-mêmes et emportent une certitude immédiate …
… si nous considérons que la nécessité de l’essence et des propriétés du triangle, prises comme des vérités éternelles, dépend de la seule nécessité de la nature et de l’entendement divin, et non de la nature du triangle, il arrive alors que, ce que nous appelions entendement de Dieu, nous l’appelons volonté divine ou décret divin. Ainsi donc, dire que Dieu a voulu que la somme des angles d’un triangle fût égale à deux droits, ou dire que Dieu a pensé cela, c’est, au regard de Dieu, une seule et même chose.
TTP6 : … comme rien n’est nécessairement vrai que par le seul décret divin, il est évident que les lois universelles de la nature sont les décrets mêmes de Dieu, lesquels résultent nécessairement de la perfection de la nature divine…
Je pourrais appuyer encore ma démonstration sur ce principe, que la puissance de la nature n’est, en réalité, que la puissance même et la vertu de Dieu, laquelle est le propre fond de l’essence divine ; mais ce surcroît de preuves est présentement superflu. Je conclus donc qu’il n’arrive rien dans la nature qui soit contraire à ses lois universelles, rien, dis-je, qui ne soit d’accord avec ces lois et qui n’en résulte. Tout ce qui arrive se fait par la volonté de Dieu et son éternel décret : en d’autres termes, tout ce qui arrive se fait suivant des lois et des règles qui enveloppent une nécessité et une vérité éternelles. Ces lois et ces règles, bien que toujours nous ne les connaissions pas, la nature les suit toujours, et par conséquent elle ne s’écarte jamais de son cours immuable. Or il n’y a point de bonne raison d’imposer une limite à la puissance et à la vertu de la nature, et de considérer ses lois comme appropriées à telle fin déterminée et non à toutes les fins possibles ; car la puissance et la vertu de la nature sont la puissance même et la vertu de Dieu ; les lois et les règles de la nature sont les propres décrets de Dieu ; il faut donc croire de toute nécessité que la puissance de la nature est infinie, et que ses lois sont ainsi faites qu’elles s’étendent à tout ce que l’entendement divin est capable d’embrasser.
Note : plus cela va, plus je perçois - ce que notre bon Henrique nous avait dit il y a longtemps - que l'essentiel, de très loin, chez Spinoza, est la conscience même - intuitive, permanente - de la Nature universelle, éternelle, régnant en tout, y compris moi-même comme simple mode, les lois particulières étant des "cerises" comme je l'ai dit plus haut, et en même temps des moyens de se connaître mieux soi-même sur la voie qu'il nous montre.
Faun a écrit :... autant ici je ne pense pas que Spinoza aurait confirmé cette manière de voir. L'idée éternelle de soi qui constitue l'intellect est une chose réellement existante, une puissance d'agir et de comprendre unique et différente de toutes les autres, capable de modifier le monde extérieur comme l'a fait Spinoza, et comme il le fait encore grâce à ses livres.
J'acquiesce volontiers que ce que je dis dépasse l'expression de Spinoza. Toutefois, c'en est dans mon esprit une conséquence logique : nous ne sommes conformes à notre véritable nature (celle qui se comprend par elle-même) que quand nous connaissons clairement et distinctement, et dans ce cas ces idées sont éternelles et l'essence même de Dieu. Cela donne à la notion de "moi" (qui doit en fait être définie pour bien discuter, ce qui pose d'emblée tout le problème...) un sens très particulier.
Mais en fait nous parlons d'être en Dieu, mais la vérité c'est que ceux qui le vivent selon la science intuitive sont rarissimes. Pour les autres, c'est donc à dire presque tout le monde, le "moi" est un complexe de connaissance du premier genre, de mémoire et de désirs auquel on a donné une substantialité factice. Tout ce que Spinoza dit ne pas appartenir à l'essence éternelle de l'âme.
Il est impossible de vivre le premier tout en restant dans le second : ce n'est alors qu'une imagination supplémentaire de l'ego, qui se voit rester comme il est tout en atteignant la félicité permanente. Ce qui est impossible... Le "moi éternel" n'a pas grand chose à voir avec le"moi imaginaire", j'en ai peur.
Mais je suis sur le fond totalement d'accord (en nous rappelant effectivement que l'intellect est une notion générale : seule existe concrètement l'idée - la perception non verbalisée - que nous avons.)
Serge