bardamu a écrit :Dans mon esprit, vu le cadre institutionnel de la Constitution, la libre concurrence y est plus une notion d'anti-monopole, une notion d'ouverture à tous des possibilités de production que de l'établissement d'un principe de concurrence sauvage.
La libre concurrence n'a jamais empêché les monopoles (cf. microsoft pour prendre un exemple très proche). Seule une volonté politique peut les empêcher. Or tous les instruments fondamentaux de la puissance publique démocratique - monétaires, policiers, militaires (en l'absence desquels il n'y a d'ailleurs pas de puissance judiciaire) - sont interdits à l'union dans le TCE. Ainsi affirmer que la libre concurrence est une fin en soi, non un moyen, veut bien dire ce que cela veut dire : c'est le cadre de référence, la source même de la "légitimité". C'est donc le principe de concurrence qui règle les relations sociales, et non la société et d'éventuelles valeurs non marchandes comme la justice ou la liberté du citoyen (qui n'est pas celle du consommateur) qui règlent le marché concurrentiel.
Par ailleurs, une concurrence serait véritablement juste si les chances étaient effectivement les mêmes pour tous au départ. Or dans des sociétés où les individus partent de situations économiques très variables, l'égalité des chances est un mythe, et entre des pays de niveau très différents avec des règles fiscales et sociales très différentes, la concurrence est faussée à la base. Or nous ne trouvons rien dans le traité pour rétablir ou du moins tendre vers la possibilité d'une concurrence équitable et de fait, il aurait d'abord fallu établir les bases d'une solidarité suffisante entre les Etats, comme d'ailleurs entre les citoyens de ces Etats, pour qu'une telle concurrence puisse y exister.
Que signifie alors dans ce contexte le terme de "concurrence non faussée" ? Puisqu'on ne reconnaît pas que la concurrence est généralement faussée à la base par les conditions naturelles, seul ce qui vient de la culture, en l'occurrence de l'Etat est alors considéré comme étant de nature à fausser la concurrence. Certes il n'est pas évident de se retrouver dans cette dénaturation orwellienne des mots de liberté, vérité, démocratie... Mais concrètement et c'est ce qui s'est mis en place en Europe dans les années 90, c'est l'Etat et son pouvoir de redistribuer, de réguler qui est visé ici car par définition, toute politique économique fausse la concurrence puisqu'elle vise à détourner le cours naturel du marché au nom de valeurs qui le transcendent (justice, liberté citoyenne, solidarité...) : l'école publique fait une conncurrence "faussée" à l'école privée comme l'hôpital aux cliniques puisque les premières sont massivement financées par la puissance publique. Par nature toute décision politique entrave la concurrence entre acteurs purement économiques.
Enfin, appliquer la libre concurrence à tout, en en faisant une fin en soi de l'Europe, est tout simplement insensé. Il est évident que l'Etat doit avoir le monopole de l'armée, de la police, et de la justice - ce qui dans les pays les plus "avancés" sur la voie libérale - est même remis en cause, puisqu'on y voit apparaître des polices, des milices privées faire la "justice" des intérêts qu'elles servent. D'autre part, dans la gestion des ressources non renouvelables ou la production de biens non monnayables (par ex. le sens civique des citoyens), il faut être un fanatique du libéralisme pour ne pas voir que l'introduction de libre concurrence ne peut rien apporter de bon. Qu'est-ce qui dans ce traité nous prémunissait contre ces dérives ? Rien, même les SIEG devaient être soumis au principe de libre concurrence et de libéralisation.
Je vois d'ailleurs difficilement comment un texte à vocation d'union pourrait prôner la guerre cannibalistique de tous contre tous ou même comment on pourrait établir pour principe légal de se lancer dans une "sauvagerie naturelle" si celle-ci est naturelle. On n'impose pas à quelqu'un d'être naturel...
Il ne faut pas sousestimer le niveau de croyance de nombre de dirigeants européens vis-à-vis des bienfaits supposés du libéralisme. C'est une croyance naïve dans le pouvoir du libre marché supposément moderne de résoudre tous nos problèmes. Par une sorte de mécanisme naturel de paresse intellectuelle, les politiques, quels qu'ils soient, sont portés à préférer ce qui leur demande le moins d'effort. Or l'idéologie libérale dit au politique : ne vous occupez que des missions régaliennes de l'Etat (armée, police, justice - ayant justement pour rôle essentiel de garantir la propriété des possédants, d'où la confiance dans le maintien d'une sûreté publique suffisante pour ceux qui sont déjà les plus forts) ou tendez à le faire, le libre marché - laissé à lui-même - est le meilleur instrument pour le reste, c'est forcément moins compliqué qu'avoir à se prononcer et agir sur le social (les conditions de travail etc.) et l'économique.
Par ailleurs, comme certains pays censément libéraux semblent bien fonctionner économiquement (tout en étant discrets sur leur interventionnisme étatique, je pense bien sûr aux USA, à la GB ou encore à la Chine), la stratégie dite de Lisbonne a consisté pour l'Europe à chercher à rivaliser avec ces pays en termes de libéralisme économique, à vouloir en faire encore plus dans la destruction des règlements qui protégeaient le travail au détriment du capital, afin de "libérer les forces vives du marché". Donc certes on ne peut faire de procès d'intention aux dirigeants qui ont voulu ce TCE, ils croient sans doute qu'en favorisant le capital au détriment de la protection du travail, cela servira à tous, mais on n'en est pas moins autorisé à se demander si ce à quoi ils veulent nous mener est objectivement de l'ordre de l'intérêt général et si cela ne nous mène pas au contraire à une désagrégation des solidarités sociales et internationales. Avec les meilleures intentions du monde on pourrait considérer que tout le monde devrait avoir exactement le même revenu, on n'en serait pas moins fondé à critiquer le danger social que représenterait un tel égalitarisme sans mesure.
Il faut dire que quand on est producteur, la première chose qu'on voit c'est les marchés bloqués, les marchés captifs, les réseaux et les systèmes mis en place pour "coincer le client".
Si lutter contre la "libre concurrence" consistait à libérer les gens des entreprises qui organisent leur capture, ce serait pas mal. Avec la mondialisation, un des grand risque que je vois, est l'impossibilité de toute concurrence parce que les marchés sont coincés par des entreprises énormes.
Je suis en relation avec le milieu de la recherche scientifique, et régulièrement on ne peut pas passer d'une bonne idée à sa réalisation industrielle parce que 1 ou 2 entreprises bloquent le marché au niveau mondial notamment dans les secteurs très spécialisés. Il y a alors le choix entre abandonner l'innovation ou essayer de revendre l'idée au leader qui se renforce ainsi toujours plus.
Oui mais où as tu vu dans le TCE que l'Europe se dotait de moyens suffisants pour empêcher cette tendance de tout marché à constituer des monopoles ? Tu interprètes "concurrence non faussée" comme concurrence non déloyale mais qu'est-ce qui corrobore cette interprétation dans le TCE ? J'interprète "concurrence non faussée" comme non détournée de son cours naturel par une action du politique, or c'est bien l'action socio-économique de l'Etat, qu'il soit national ou européen, qui est visée dans nombre de règlements européens, à commencer par cette volonté de rendre la BCE indépendante de tout contrôle politique.
Les avides ne veulent pas de libre concurrence. Bill Gates veut son monopole et dans les formations de management ou de marketing je pense qu'on apprend plus à verrouiller un marché que les vertus de la libre concurrence.
Les avides prétendent toujours avoir la vertu de leur côté. C'est pourquoi des gens comme Lagardère ont dit oui avec enthousiasme à ce traité qui tout en se prévalant de grandes valeurs comme la paix, la liberté, ou encore la loyauté selon ton interprétation de la "concurrence non faussée", ne remet pas en cause le moins du monde leur position quasi monopolistique ou monopolistique de fait, même si en droit il est soit disant possible à tout un chacun de chercher à leur faire concurrence.
Et donc, dans mon idée, les défenseurs positifs de la libre concurrence défendent la liberté de chacun de produire, de faire ce qu'il peut, notamment en s'attaquant aux entreprises qui abusent de leur position dominante.
ça c'est l'idéal auquel j'adhère aussi, comme j'adhère à l'idéal d'une europe forte et unie et c'est justement au nom de ces idéaux qu'il était facile de piéger nombre d'idéalistes se contentant d'une lecture d'ensemble et capable de se payer de mots en ne tenant pas compte du détail comme du contexte pour un texte qui est politique, sachant que toute politique est d'abord une affaire de rapports de force.
Vu la faiblesse de ma culture politique je me trompe peut-être mais que veut dire cette notion pour ceux qui la défende ? Qu'elle est son origine historique, comment s'est-elle fait jour et pourquoi des gens sans doute assez cultivés politiquement se sont senti le droit de la faire apparaitre sans honte aucune ?
Conformément à la vulgate libérale héritée d'A. Smith, réactualisée par Friedmann et Hayek, la concurrence libre et non faussée affirme repose sur l'idée que la passion commerciale est bien mieux en mesure de pacifier l'homme que toutes les politiques volontaristes du monde, l'idée est que laisser libre cours à l'égoïsme naturel de l'homme, en se contentant de l'interdiction minimale de la violence physique, permet à plus ou moins long terme d'évoluer vers une société d'opulence dont tout le monde profite. Ce discours tendant donc à limiter l'Etat à ses fonctions régaliennes passe donc auprès de ceux qui le défendent pour un discours humaniste. Seulement, bien plus ancien que le socialisme, le libéralisme a depuis longtemps démontré son inefficacité en termes de justice sociale et de maintien d'une solidarité suffisante à cet effet.
Il y a eu dans les années 50-60 de véritables avancées sociales dans l'occident capitaliste, mais cela s'est fait par des politiques keynesiennes (de gauche comme de droite) et le capital y a consenti pour être "concurrentiel" vis-à-vis du modèle social soviétique. Après 89, il y a eu monopole du capitalisme : le néolibéralisme a alors consisté à détruire petit à petit tout ce que le keynesiannisme avait construit, pour qu'à la place d'un capitalisme régulé nous soyons contraint au seul capitalisme dérégulé essentiellement favorable à ceux qui en sont les tenants, les détenteurs de capital. Que face à ce nouveau monopole idéologique, il y ait des intellectuels qui approuvent, des politiques même dits "de gauche" qui applaudissent, cela ne veut rien dire concernant sa valeur de justice. A l'égard de tout pouvoir non démocratique, on trouvera toujours des valets et des chiens de garde prêts à défendre les intérêts de leurs maîtres, trop contents d'être en haut de l'échelle de la domesticité.
Henrique a écrit :Dans nos sociétés, à quel moment est-ce que je n'obéis à personne d'autre que moi-même - car en obéissant à la loi, j'obéis à l'intérêt général et donc à moi-même, et non à la volonté particulière d'un autre (ce qui revient à la définition générale de l'esclavage) ?
Est-ce que ça ne dépend pas de qui fait la loi ?
La loi est-elle toujours dans l'intérêt général et l'intérêt général est-il toujours l'intérêt individuel ?
Bien sûr qu'il ne suffit pas qu'un règlement ait l'étiquette de loi pour servir ipso facto l'intérêt général. C'est pour cela qu'il y a des combats politiques sur des lois à venir ou sur des lois déjà en place. Une loi aura simplement valeur légale si elle est prononcée par un pouvoir politique, comme le régime de Vichy prononce des lois de ségrégation et de discrimination à l'encontre de certaines parties de la population ; elle ne peut en revanche avoir de légitimité si elle privilégie une certaine catégorie de la population ou si elle est contradictoire avec l'idée même d'un intérêt d'une autre catégorie. Ainsi une loi de limitation de la vitesse va semble-t-il à l'encontre de l'intérêt du chauffard mais le sert en réalité au même titre qu'elle sert ceux qu'il croise sur la route. En revanche une loi interdisant aux juifs d'occupper des postes de la fonction publique ne peut représenter aucun intérêt pour le juif lui-même, elle ne peut donc avoir aucune légitimité : elle ne sert pas tout le monde mais une catégorie contre une autre.
Et on peut aussi se demander le pourquoi de cette éducation vers le salariat, cette pression pour "trouver du boulot", apprendre à faire un CV, apprendre à se vendre en bon esclave ?
Autant je comprends que le Grand Capital ait eu pour intérêt à la reproduction de ce schéma, autant j'ai du mal à saisir pourquoi la gauche s'y retrouve finalement assez bien.
Il faut bien traiter avec la réalité telle qu'elle existe, pour l'améliorer politiquement. Mais il est vrai qu'améliorer n'a guère de sens si on ne fixe pas de but précis à atteindre. Si le modèle collectiviste ne trouve plus guère de défenseurs, il faudrait s'orienter plus fermement vers une société de la libre initiative avec des aides publiques pour tout ce qui permet de se constituer un revenu qui ne revienne pas à priver ses collaborateurs (plutôt que ses employés) du fruit de leur travail effectif, avec aussi le moyen de consacrer du temps à autre chose qu'à gagner de l'argent pour ceux qui le souhaitent.
Peut-être est-ce parce que certains partis et syndicats avaient besoin d'une lutte de classe, avaient besoin d'entretenir des classes et d'avoir leur "part de marché" de l'électorat, les prolétaires, les salariés en lutte contre leur patron.
Peut-être mais je ne crois pas.
Abolissons le salariat, qu'il n'y ait que co-gestion ou travailleurs indépendants.
Les coopératives ont toujours été combattues par le capitalisme, car effectivement cela remettait en cause l'ordre hiérarchique dans l'économie. Pourtant, le commerce équitable, les micro-crédits,les S.E.L., tout cela vient de la coopération entre prolétaires, non du capital. Si la puissance publique pouvait encourager sérieusement cela, ce serait une tout autre économie que celle à laquelle nous convie le TCE. Au lieu de cela, dans le cadre européen actuel, les dits systèmes ont toutes les difficultés du monde à exister, non pas faute d'énergie mais en raison de contraintes légales qui justement en limitent l'essor au profit de la soit-disant libre concurrence des grandes entreprises dominant le marché européen.