Fabou a écrit :Sinon, je crois qu'il y a plusieurs méthodes (jamais une méthode miracle qui marcherait pour tous les types de sujet). Mais surtout, une bonne dissert pose clairement un problème et donne le sentiment que le propos coule. Donc réflexion méthodique + clarté = bonne dissert
Je dirais plutôt qu'il y a une seule méthode, celle qui consiste à se demander si ce qu'on affirme peut être pensé autrement, ce qui amène à départager les affirmations douteuses ou incomplètes des affirmations fondées et suffisantes. Et pour cela, on regarde comment fonctionne chaque affirmation possible pour un sujet posant problème (posant problème justement parce qu'il y a à première vue plusieurs affirmations possibles), en voyant sur quoi elle s'appuie, puis si ces principes sont évidents, c'est-à-dire dont le contraire est impensable. Mais pour trouver ces différentes affirmations et la meilleure manière d'en voir les limites ou les forces, il faut de l'exercice et de la culture. De sorte que d'une question à l'autre, il faudra en fonction des notions qui y interviennent à chaque fois inventer le cheminement (en grec methodos) qui permet d'en explorer tous les aspects. Ce sont les notions à conceptualiser qui commandent de quelle façon doit s'effectuer ce cheminement, c'est pourquoi il n'y a pas a priori un cheminement tout fait.
A cet égard, l'erreur est de croire que la méthode dont on attend que l'élève fasse preuve pourrait se réduire à un ensemble de recettes formelles. C'est comme principe de recherche du contenu qu'il y a unité de la méthode, sur la forme (plan thèse/antithèse/synthèse, plan thèse/objections/réponses, plan analytique intégrant la contradiction sous forme dialectique etc.), c'est à chacun de trouver ce avec quoi il peut opérer au mieux. Mais là il faut tout de même une forme et ne pas partir dans tous les sens, et un prof peut à bon droit indiquer celle qui lui semble la plus accessible à ses élèves.
Pour conduire une voiture, il n'y a pas 36 manières de procéder, on doit commencer par démarrer, appuyer sur l'accélérateur, passer les vitesses... c'est ici ce que j'appellerai le contenu de la méthode. La forme, ce serait plutôt la voiture choisie : une fois qu'on sait en conduire une, on sait toutes les conduire, mais il faut commencer par bien savoir en conduire une. Après, pour aller d'un endroit x à un autre endroit y, bien qu'il n'y ait qu'une seule façon de bien conduire, il faudra cependant cheminer différemment en fonction de l'endroit à rejoindre.
Je sais qu'on pourrait me dire que pour aller de Paris à Berlin, il y a en fait une infinité de chemins. Mais étant données ses limites, une dissertation se doit d'être le cheminement le plus direct possible : on n'attend pas à un itinéraire touristique (ce que peut se permettre un livre) mais un plan direct.
Quant à la méthodologie de J. Russ, c'est peut-être un moyen de clarifier les choses quand on est à ce sujet dans la plus grande confusion, mais il y a mieux et plus rapide d'accès, sur Internet notamment.
Loupitche a écrit :j'ai du mal à cerner en quoi le désir au sens spinozien peut-il être à l'origine d'un besoin (nécessiteux) tel que la faim, la survie... ?
Le désir au sens spinozien, c'est essentiellement l'effort conscient de persévérer dans son être. Tous les besoins comme les désirs ne sont que façons d'être de ce désir. En effet, lorsque j'ai besoin de manger, la représentation de l'objet de ce besoin, la nourriture, relève de l'effort de persévérer dans mon être. Je ne penserais pas à cette nourriture si j'étais un être inerte, sans effort de persévérer dans son être. C'est en ce sens que je parlais d'imagination immédiate : la représentation de l'objet permettant de seconder l'effort de persévérer dans l'être se fait spontanément. Mais dans le cas où je rêve d'avoir un lecteur mp3 à Noël, c'est encore une façon de m'efforcer de persévérer dans mon être : j'aime la musique et j'ai l'idée que ce lecteur me permettrait de persévérer dans mon amour de la musique bien mieux que mon vieux magnétophone, difficile à transporter et peu utile pour lire tous les fichiers musicaux qu'on peut trouver sur Internet. Seulement ici, la représentation de l'objet permettant de satisfaire ce désir est beaucoup moins spontanée que celle qui se présente pour un besoin. Cela suppose une certaine culture. De même encore pour des rêves plus grands et intéressants qu'avoir un mp3 : si je rêve d'être libre, après avoir subi l'oppression et la servitude, c'est encore une façon de m'efforcer de persévérer dans mon être : il s'agit alors de pouvoir affirmer sa nature bien mieux que dans la servitude.
Ce qui autorise à dire que le désir au sens spinozien n'est pas un simple besoin, qu'il l'englobe sans s'y réduire, c'est qu'il dépasse de loin la simple question de la survie biologique et que son objet est avant tout la vie de celui qui désire, de sorte qu'il peut s'appliquer à un nombre indéfini d'objets pour seconder ce désir.
Bien voir cependant que le sujet est "d'où vient d'abord la technique ? Du rêve ou du besoin ?" Dire avec Spinoza que la technique est un produit du désir, c'est dire au fond qu'elle ne vient ni du rêve, ni du besoin mais de ce qui explique et le rêve et le besoin. Encore que s'il n'y a avait eu que le besoin, il n'y aurait jamais eu de technique, la nature fournissant ce qui permet de satisfaire ce besoin ou ne le fournissant pas, de sorte qu'il n'y a plus personne pour l'éprouver ! C'est parce que l'imagination permet de se représenter des biens ou des maux à venir, qu'on rêve d'obtenir ou d'éviter, que la technique comme moyen d'y parvenir ou de l'éviter systématiquement est envisagée.
Krishnamurti a écrit :"Conceptuellement " s'oppose à quoi ? Les discussions de comptoir ne sont pas argumentées conceptuellement ?
Cela s'oppose à empiriquement, c'est-à-dire à partir de représentations vagues tirées de quelques expériences. Dans une discussion de comptoir où on se demande s'il faut être célibataire pour être heureux, par ex. chacun traitera de la question en fonction d'une représentation vague du célibat et du bonheur tirée de son expérience, en supposant cette représentation évidente (parce qu'on en envisage pas d'autre), de sorte que les arguments concerneront des aspects accidentels de la question et tout et son contraire pourra également être affirmé sans que cela paraisse impossible. Les arguments de comptoir du type "si t'as pas de bonne femme à la maison, t'es obligé de repasser ton linge tout seul et t'as plus de temps pour regarder le foot" ou encore "si t'as une bonne femme, t'es obligé de regarder les feux de l'amour alors que tu voudrais voir le foot à la télé" ne sont pas philosophiques parce qu'ils passent en fait à côté de la question.
Un argument philosophique s'appuie sur l'analyse d'un concept assez précisément défini pour qu'on puisse en déduire des conséquences (je dirais "précisément" plutôt que rigoureusement, la rigueur est l'idéal, mais si tout concept devait être d'une rigueur logique et ontologique indiscutable, il n'y aurait que les concepts spinoziens qui méritassent le nom de concepts
et d'ailleurs, dans la référence que tu indiques, j'ai plutôt l'impression que l'auteur confond rigueur et rigidité). Si le bonheur est la satisfaction de tous les désirs et que le célibat est l'absence de conjoint et donc l'impossibilité de satisfaire tous les désirs qui se rapportent à présence de l'autre sexe ou tout simplement d'une autre personne, il n'y a pas de bonheur dans cette condition : là, on est dans la logique conceptuelle, c'est plus du tout le même genre de démarche que dans la discussion de comptoir. Il n'y a pas ici simplement une différence de degré en terme d'abstraction ou de rigueur, mais une différence dans la démarche elle-même. Et c'est ce genre de démarche qui une fois adoptée fait qu'on ne va pas forcément se contenter de la première réponse, qu'on va vouloir comprendre davantage, alors que l'argument de comptoir se satisfait de sa cécité : si le bonheur est la satisfaction de tous les désirs possibles et imaginables, le célibat semble un obstacle, mais le mariage aussi du fait que les désirs d'aventures et de diversité dans l'expérience s'y casseront les dents. Alors, ou bien on en reste à une telle définition et on peut conclure que finalement la question initiale ne se pose pas puisqu'il est en fait impossible de satisfaire tous les désirs possibles et donc souvent contraires ou bien on s'étonne de constater avoir vécu des moments heureux, dans lesquels on a le sentiment de vivre quelque chose qui dépasse le simple plaisir particulier, un sentiment de complétude, qui a donc à voir avec une satisfaction totale du désir mais en compréhension plutôt qu'en extension et ainsi on peut tirer de nouvelles conséquences, qui amèneront plus ou moins directement à se prononcer dans un sens ou dans un autre : la réflexion avance et continue de se développer sur une base conceptuelle.