Être heureux

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 janv. 2008, 22:10

Nepart a écrit :Donc il faut être indépendant de toutes nos sources de plaisirs pour être heureux?


Il s'agit en effet d'acquérir une certaine indépendance, mais je ne sais pas si c'est de toutes nos sources de plaisir qu'il faudrait devenir indépendant. Comment encore devenir heureux, si nous devenons tout à fait "indépendants" de TOUTES nos sources de plaisir ... ? Comment encore ressentir, dans ces circonstances, du bonheur, du plaisir?

Je dirais donc plutôt qu'il s'agit de devenir indépendant des incertitudes que contient inévitablement toute vie, et surtout de ce qui, parmi ces incertitudes, est source non pas de plaisir mais de douleur et de souffrance.

Si je ne peux jamais être certain que mon ami ne va pas, un jour, me quitter pour une autre, la crainte d'être abandonné est clairement source de souffrance, et donc rend ma Joie moins constante. Quand par exemple lors d'une soirée entre amis, il s'occupe assez longtemps d'une autre femme, ma crainte peut faire que je ne me sens plus à l'aise, que je me demande ce qui est en train de se passer entre ces deux-là, si elle est peut-être en train de le séduire, s'il est peut-être en train de se laisser séduire, si peut-être elle a quelque chose de plus intéressant que moi, et ainsi de suite. Ce faisant, je ne profite plus tellement de ce qui pourtant en principe peut être source de plaisir et de bonheur: l'amitié, une soirée amicale, agréable, où les liens de l'amitié peuvent être renforcé etc.

Ce qui pose donc problème, si l'on veut éviter de souffrir/pâtir, c'est avant tout l'incertitude dans laquelle souvent nous nous trouvons, incertitude par rapport à ce que nous savons nous être un "bien". Ce que Spinoza propose, c'est un moyen pour devenir indépendant de ces incertitudes. Quel est ce moyen? La connaissance CERTAINE (ce qui n'est pas encore la même chose que l'absence du doute, pour Spinoza; en cela je dirais donc que la vérité spinoziste se distingue de ce qu'on appelle, dans le langage courant, "l'intuition", le sentiment d'évidence).

Il s'agit donc de comprendre maximalement tout ce qui est certain, et d'orienter son esprit vers ces choses. Ce qui est certain, c'est que mon ami m'aime, m'apprécie, qu'il a déjà dit que pour lui avoir une relation est un engagement qu'on ne peut pas remettre en cause dès qu'on rencontre une autre femme qui nous attire etc. Ce qui est certain aussi (toujours dans l'exemple ci-dessus), c'est qu'il est propre aux relations humaines de parfois ne pas durer jusqu'à la fin de la vie. Ce qui est également certain, c'est que quand une relation se termine, ce n'est pas la fin de la vie, c'est plutôt le début d'une autre vie, vie dans laquelle, si j'ai bien compris pourquoi la relation n'a pas pu durer, je pourrai mieux éviter le même problème la prochaine fois, tout en me rendant compte que, ignorant que j'étais de tout ce qui déterminait ma relation actuelle, je n'aurais rien pu faire pour éviter la rupture. Car si le monde est entièrement déterminé, tout est toujours tout à fait nécessaire et inévitable. Je n'ai donc rien à me reprocher non plus, ni à mon ami qui m'a quitté (bien comprendre cela est bien sûr déjà plus difficile que ce que je viens d'énumérer avant; cela signifie qu'il faut davantage d'"exercice" avant de pouvoir y arriver, et donc que c'est néanmoins tout à fait possible d'apprendre à réagir ainsi à une rupture, rupture qui en tant que telle est toujours douleureuse, bien sûr).

C'est donc en nous entraînant à bien comprendre un maximum de choses selon ce qui est nécessaire, que nous pouvons éloigner de nous le sentiment d'incertitude et par là aussi le sentiment de crainte. Du coup, nous sommes mieux préparés aux éventuels événements douleureux de la vie, nous sommes plus "forts" quand ils arrivent, tout en pouvant profiter pleinement des plaisirs quand ceux-ci se proposent à nous.

Il ne faut donc pas commencer à éviter à tout prix tout ce qui est argent, gloire ou sexe. Il faut seulement s'y prendre autrement, comprendre que ce qui nous rend malheureux ce n'est pas vraiment les choses extérieures en tant que telles, mais le fait que nous ne réussissons pas toujours à orienter notre esprit vers tout ce qui est certain, car alors la crainte (et l'espoir, qui en est le penchant positif mais tout aussi basé sur l'incertitude, donc finalement peu apte à nous donner un bonheur "constant") risque de nous envahir, alors nous sommes coupés de la source la plus importante de tous les plaisirs: la compréhension de la nécessité des choses. Cette compréhension chez Spinoza est quelque chose de très originale, de très spécifique. Il s'agit vraiment de développer un tout autre regard sur les choses. Le "regard de l'éternité", il l'appelle, qui est en fait un regard qui se concentre sur la nécessité, la détermination de tout ce qui existe et se produit.

Il donne cet exemple assez parlant: quand un bébé meurt, notre réaction première est bien sûr d'être triste. Cela, c'est humain. Le but n'est donc pas de ne plus être affecté par ce genre de choses (le but n'est pas "l'indifférence affective", comme l'ont pu le conseiller par exemple les stoïciens). Supposons qu'il est mort dans un accident de voiture. Aussi longtemps qu'on se dit que l'autre voiture, qui l'a tué, aurait en fait très bien pu ne pas croiser la voiture dans laquelle se trouvait le bébé à ce moment précis, on va être très malheureux. Si au contraire le bébé meurt d'une maladie bien connue et inguérissable, alors c'est déjà différent. On va plus facilement se dire que de toute façon, une fois qu'on attrape cette maladie, il n'y a plus rien à faire, on doit mourrir, qu'on que l'on fasse. Alors c'est un peu plus facile déjà d'accepter cette mort, parce que nous en comprenons la nécessité.

Il en va de même pour toutes nos autres sources de douleur: il s'agit d'essayer à chaque fois d'orienter notre ATTENTION vers ces aspects de la situation qui sont nécessaires. Or pour savoir CE QUI est nécessaire, il faut comprendre la situation, il faut donc l'interroger de façon très critique, ne pas s'en tenir aux premières évidences, ne pas cesser l'exploration et la réflexion. Il faut de préférence aussi une bonne méthode pour acquérir une connaissance fiable. Toutes des choses qui sont tout à fait "humaines" et donc en théorie à la portée de chacun d'entre nous. Seulement, il faut vraiment s'y appliquer puis avoir pas mal de patience pour y arriver, pour les apprendre.

Nepart a écrit :Enfin pour la mort, je ne vois pas comment c'est techniquement possible de ne pas être triste à l'idée de mourir, à moins que l'on aime pas sa vie.


je peux te dire que je ne suis PAS DU TOUT triste à l'idée de mourir, et pourtant, il est clair que je suis loin d'être un "sage" au sens spinoziste du terme.

Et tu as raison: il s'agit avant tout d'une question TECHNIQUE. Sans un peu maîtriser la technique en laquelle consiste la "gestion" des affects et de la connaissance, cela devient beaucoup plus difficile.

Il faudrait développer davantage, mais disons déjà que c'est justement quand on aime la vie à fond, qu'on pense à rien moins qu'à la mort. Ce qui signifie qu'il s'agit tout de même d'un Amour assez particulier, pas de n'importe quel type d'envie de vivre. Il s'agit en effet avant tout d'apprendre à aimer ... la Nature. Pas seulement au sens où un coucher de soleil peut être extrêmement beau et émouvant. Surtout aussi au sens où tu peux réussir à comprendre de plus en plus ce qui est nécessaire dans la Nature, et pourquoi. Cela implique que tu apprends à comprendre quelle est la PUISSANCE (le point fort, si tu veux) de toute chose, comme elle aussi, tout comme toi et moi, essaie nécessairement d'augmenter sa puissance et sa connaissance, pour essayer de pouvoir vivre plus longtemps et plus intensément. Il s'agit donc d'apprendre que toi, tu n'es pas un individu isolé du monde, tu as reçu ta vie d'autres choses vivantes, tu donneras peut-être toi-même la vie à un fils ou à une fille, tu es connecté par toute ta compréhension du monde à ce monde même, bref tu fais entièrement partie de cette grande puissance qu'est la Nature, où toi aussi, tu as ton rôle à jouer. Ce rôle consiste à aider un maximum d'autres gens à devenir plus heureux qu'ils ne le sont, à trouver dans la vie une occupation qui te plaît, qui te passionne, et qui quelque part rend en même temps service à la société. Cela ne doit pas être grand-chose. Le service que l'on peut rendre correspond simplement à nos propres capacités, et même si elles peuvent sans cesse s'augmenter, on restera toujours un être limité.

Enfin, il faut y ajouter le fait qu'une fois que nous comprenons bien la nécessité de toujours plus de choses (nous-mêmes y compris), nous pouvons aussi comprendre en quoi toute chose, donc nous aussi, a une part d'éternité, qui donc ne meurt jamais. Qui est éternellement vrai. Le degré de puissance très spécifique qui te caractérise toi, en tant qu'individu singulier, est unique dans le monde. La puissance infinie de la Nature ne serait pas infini si toi tu n'en faisais pas partie. Il y aurait comme un trou, un vide dans la Nature. C'est pourquoi ton essence singulière est ce que Spinoza appelle une "vérité éternelle". C'est comprendre en quoi cela pourrait être le cas, malgré le fait que nous savons bien qu'un jour nous allons mourrir, qui rend quasiment absente toute peur de mourir.

Mais bon, je peux bien m'imaginer qu'ici cela commence à devenir fort abstrait. On ne peut pas réussir à comprendre réellement tout ça en un jour. Il faut bien commencer quelque part, c'est-à-dire faire un peu du "Spinoza pratique", si tu veux, avant de pouvoir bien sentir de quoi il s'agit.

Une "expérience" que tu pourrais par exemple déjà essayer: disons que demain, quelqu'un te dit quelque chose de fort désagréable. Tu pourrais essayer de concentrer, à partir de ce moment-là, ton esprit sur tout ce qui d'une part explique pourquoi cette personne a dû nécessairement dire cela, et d'autre part en quoi cela ne dit rien d'essentiel sur qui tu es toi, mais plutôt de ce que trouve désagréable cette autre personne.

Si tu y réussis, tu vas voir que déjà tu te sens un peu moins Triste. Tu vas peut-être même ressentir une petite Joie du fait même que tu as activement réussi à ne pas te laisser entraîner par ce sentiment (normal, bien sûr) de Tristesse, à avoir compris quelque chose de la motivation de cette personne, à avoir compris pourquoi c'est tout aussi normal que ce que la personne dit trouver désagréable est réellement désagréable pour elle. La chance est grande qu'alors tu ne vas plus tellement avoir l'impression que cette personne "te voulais du mal", tu vas moins vite te fâcher sur elle, tu vas même pouvoir la calmer un peu, et par là réussir à continuer une conversation qui avant que l'incident se produisait, était assez agréable pour toi.

Tu auras donc réussi à retourner à la source du plaisir qu'était pour toi cette conversation, au lieu de succomber à une "Haine", une Colère contre cette personne, qui ne pourrait que rendre les choses pire encore. Et tout cela, tu auras fait en utilisant la "force" de ton esprit. Tu l'auras réalise activement toi-même. Tu pourras donc ... être satisfait de toi-même. Ce qui est précisément source de bonheur.

Et si tu réussis à faire cela, tu dépends moins non pas des sources de plaisir, mais des sources de souffrance et de Tristesse. Ce qui, dans des circonstances normales, t'aurais rendu Triste (une parole désagréable de quelqu'un que tu apprécies), t'as rendu plutôt plus Joyeux, plus fort. Par là même, tu dépends MOINS qu'avant des sources potentielles de la douleur, tu vois?

Nepart a écrit :Enfin, pour les très bons exemple de Louisa, cela signifie t'il donc qu'il ne faut pas s'imaginer qu'en usant d'une source de plaisir on sera heureux, mais qu'il faut tout simplement et de façon constante ce demander qu'est ce qui me serait le plus utile?


disons qu'il ne faut pas s'imaginer qu'en usant d'une source de plaisir on sera heureux d'une telle façon que toute incertitude et donc tout malheur disparaître automatiquement. Il faut plutôt s'imaginer (c'est-à-dire rendre présent à l'esprit) que des "Joies passives" (Spinoza appelle ainsi les plaisirs qui sont agréables mais qui risquent de rapidement se tourner en leur inverse, si on n'y fait pas attention) sont souvent peu "stables", et donc ne peuvent nous garantir un bonheur toujours croissant. Autrement dit: ce n'est pas encore parce qu'on est dans la Joie qu'on est déjà dans une Joie active, qui elle seule pourra réellement nous protéger contre des "diminutions" de notre bonheur, qui pourra le rendre plus constant, moins "vulnérable" à tout ce qui peut arriver et qu'on ne maîtrise de toute façon pas.

Et en effet, pour avoir un maximum de Joies "actives", il vaut mieux se demander dans quelle mesure telle ou telle joie est réellement utile.

Seulement, "être réellement utile" ne se limite pas à tout ce qui assure notre simple survie physique. La musique peut être réellement utile, si elle augmente notre sensibilité (car impossible de comprendre un maximum de choses si d'abord on ne sait pas sentir un maximum de choses, "être affecté" par un maximum de choses différentes). La seule chose qui n'est pas "réellement utile", ce sont les passions, donc les douleurs/souffrances. Puis il y a des intermédiaires, les "Joies passives". Ce sont déjà des plaisirs, donc en ce sens clairement "bons", mais si l'objet du plaisir est peu stable/certain, on risque de très vite tomber dans une Tristesse, par rapport au même objet. Donc là, il s'agit de faire attention, il s'agit de bien s'imaginer, de bien rendre à l'esprit le fait que ces Joies-là souvent sont passagères. On peut donc en profiter, bien sûr, mais il ne faut pas miser entièrement dessus pour ce qui concerne notre bonheur. Il faut les compléter par des Joies actives, qui elles permettent réellement de nous renforcer, de nous "armer" contre les "mauvaises rencontres" (que de toute façon on ne sait pas toujours éviter).

Nepart a écrit :Enfin sur le fait de demander si certains d'entre vous sont heureux, c'est que on y croit plus quand on voit que certains ont "réussi".


oui bien sûr, cela me semble être logique. C'est pour ça que je tiens à te dire que dans mon cas, depuis que j'essaie, dans la vie quotidienne, "d'expérimenter" ce que pour l'instant j'ai compris du spinozisme, je constate en effet des changements, un plus grand bonheur. Ce qui bien sûr n'est pas du tout une "preuve" de la "Vérité éternelle" du spinozisme. C'est juste pour te dire qu'à mon sens, cela vaut la peine d'essayer de mieux comprendre en quoi consiste le spinozisme, tout en essayant de l'appliquer dans sa vie, car chez certains cela donne en effet des conséquences positives par rapport aux questions que tu te poses (le bonheur, la peur de la mort, ...). Puis on ne peut jamais savoir ce que "vaut" une philosophie si on ne l'a pas concrètement appliqué dans sa propre vie, non?
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Messagepar nepart » 31 janv. 2008, 11:59

Je n'ai pas tout compris :/

J'ai compris qu'on ne doit pas être triste quand un malheur arrive, car il devait arriver.
On arrive donc au faits de ne jamais avoir des regrets, ne jamais penser au penser pour penser au passer, mais constamment penser à notre plaisir à long terme.

Donc l'idéal serait, si notre fils/fille meurt, de ne pas être triste et de tout de suite penser à notre plaisir/joie (je n'ai toujours pas bien compris la différence) pour notre instant présente et notre avenir, et non pas pleurer l'enfant, y penser tout sa vie, voir culpabiliser car on ne sait pas que c'était déterminé.

Dans ton exemple Louisa, il faudrait tout simplement profiter de sa relations, sans craindre pour son couple, car la craine n'arrange rien, et en cas de rupture, dont on aura compris les raisons, on ne regrettera pas la personnes aimé, on pensera a augmenter notre joie/plaisir, en trouvant une autre personnes par exemple.

Par contre l'idée de crainte, je n'ai pas compris. :/

Pour la mort, c'est juste que j'aimerais ne jamais mourir, car je trouve que la vie est courte, j'ai déja fait 1/4 de ma vie, alors que j'ai l'impression d'avoir rien fait.

A propos du bonheur, je me demande si le mot bonheur en lui même ne m'empeche pas de l'atteindre. Car ce mot est rélié chez moi à un utopie, que je ne pourrais jamais atteindre. Peut être qu'il vaut mieux que je me disent que le but et d'avoir un bilan plaisir-tristesse, le plus élevé possible.

ps: quelqu'un sait t'il d'ou vient chez l'homme l'envie d'aider des gens pour aucune raison? (aider pour une interro, aider à traverser une route...)

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Messagepar Louisa » 31 janv. 2008, 17:29

Nepart a écrit :J'ai compris qu'on ne doit pas être triste quand un malheur arrive, car il devait arriver.
On arrive donc au faits de ne jamais avoir des regrets, ne jamais penser au penser pour penser au passer, mais constamment penser à notre plaisir à long terme.


oui, on pourrait le dire comme ça je crois, seulement, juste se dire qu'on ne doit pas être triste parce que cela devait arriver, cela risque de ne pas encore changer grand-chose, en ce qui concerne la Tristesse. Idem par rapport au regret: ne plus en avoir, c'est cela en effet l'idéal, mais c'était déjà l'idéal du temps des Stoïciens, il y a longtemps. Pour Spinoza la question est plutôt: COMMENT arriver à réaliser cet idéal? Il trouve que cela, personne ne l'a encore étudié/compris/expliqué clairement.

Par conséquent, il développe dans l'Ethique une véritable TECHNIQUE pour pouvoir évoluer vers cet idéal. Il le résume à la fin de la façon suivante (mais pour mieux comprendre je ne peux que très vivement te conseiller de lire l'Ethique toi-même ... certaines choses seront certes plus obscures (or le forum est là aussi pour ce genre de questions), mais d'autres seront sans doute plus claires, car comprendre la "conclusion", tel que nous sommes en train d'essayer de le faire ici, sans avoir parcouru tout le chemin pour y arriver, est toujours plus difficile - d'ailleurs si tu le lis toi-même, tes "critiques" éventuelles pourront devenir beaucoup plus précises, car tu ne seras peut-être pas tout à fait d'accord):

Spinoza a écrit :Telle est donc la chose à quoi il faut avant tout s'appliquer, à connaître clairement et distinctement, autant que faire se peut, chacun de nos affects, afin qu'ainsi l'Esprit se trouve déterminé par l'affect à penser à ce qu'il perçoit clairement et distinctement, et en quoi il trouve pleine satisfaction; et, par suite, que l'affect lui-même se trouve séparé de la pensée de la cause extérieure, et joint à des pensées vraies (...).
Et (...) on ne peut inventer en pensée de meilleur remède aux affects qui dépende de notre pouvoir, que celui qui consiste dans leur vraie connaissance, puisqu'il n'y a pas d'autre puissance de l'Esprit que celle de penser et de former des idées adéquates (...).


(scolie de la proposition 3 du livre 5 de l'Ethique (E5P3 sc.))

La toute première chose à apprendre, c'est donc ce qu'il appelle "connaître clairement et distinctement" chacun de nos affects. Comment les "connaître"? C'est ce qu'il explique dans le livre 3 (et 4) de l'Ethique, où il donne des définitions de chaque type d'affects qui selon lui est important, et où il étudie les causes et les conséquences d'avoir tel ou tel affect.

Les affects-passions (ceux que nous subissons, que nous ne maîtrisons pas, et qui risquent de rendre notre bonheur peu stable, comme la Colère, l'Envie (il l'écrit avec majuscule, pour indiquer que quand il utilise ce mot, il s'agit de la haine non pas en général mais telle qu'il l'a redéfinie), l'obsession de l'argent, du sexe etc. sont selon lui des "idées inadéquates", c'est-à-dire des idées qui ne sont pas fausses ou vraies en tant que telles, mais qui s'avèrent être fausses dès que la raison s'y applique. Ce sont des idées "confuses", des idées ayant un changement de notre puissance pour objet (car c'est cela pour lui un "affect": un changement de notre puissance (diminution ou augmentation)), mais qui "enveloppent" (il faudrait voir ce que cela signifie) aussi bien notre nature à nous que celle de la cause extérieure qui vient de nous affecter.

Par conséquent, une telle idée confuse ne permet pas très bien de voir ce qui dans l'affect est dû à moi-même, et ce qui est dû à la chose extérieure qui vient de m'affecter. Du coup, on a tendance à attribuer un tas de choses à ce corps extérieur, tandis qu'en fait, on ne parle que de ce mélange confus qu'est l'idée de l'affect. Résultat: l'idée d'un affect souvent en dit beaucoup plus sur qui nous sommes nous, que sur le corps extérieur et son essence à lui (voir l'E2P16 Cor II).

Exemple: je me promène dans la rue, au septième étage une femme arose ses plantes, et un mouvement brusque de sa part fait tomber un pot de fleur, EXACTEMENT à côté de moi. Il aurait très bien pu toucher ma tête et me blesser mortellement. Une réaction assez logique qu'on va quasiment tous avoir, c'est de se fâcher sur la femme, de se dire voire de lui crier qu'elle a un comportement tout à fait irresponsable et dangereux etc. Si par hasard il s'agit d'une femme que l'on rencontre de temps en temps et qui nous donne l'impression de ne pas être très aimable avec nous, on va très vite y ajouter l'idée qu'elle l'a peut-être fait exprès, et cela parce que elle ne nous aime pas etc.

Bref, on est dans un enchaînement d'affects très particuliers: Haine et Colère.

Quel est le problème, une fois que l'on est "victime" (pour Spinoza nous sommes toujours des victimes et non pas les acteurs de nos passions) de ces affects? Voyons leur définition:

"La Haine est une Tristesse qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure" (E3 Déf. des Affects 7)

En effet, difficile de ne pas sentir sa puissance diminuer quand on pense à l'idée qu'on aurait pu être mort à cause de l'inadvertence (voire des mauvaises intentions) de cette femme.

"La Colère est le Désir qui nous incite, par Haine, à faire du mal à celui que nous haïssons".

Une fois que nous nous sentons Triste (que donc notre puissance de penser et d'agir diminue temporairement), et que nous constatons que la cause de cela est extérieure à nous, nous aurons, dit Spinoza, tendance à désirer faire du mal à cette cause extérieure. Par "mauvaise intention"? Non. Faire du mal à quelque chose n'est rien d'autre, si on y pense un instant "rationnellement", que d'essayer de diminuer la puissance de cette chose. Pourquoi peut-on désirer cela? En fait, on ne peut PAS ne pas désirer cela, selon Spinoza, car notre essence se définit par le fait même de vouloir "persévérer dans notre être", c'est-à-dire de vouloir continuer à vivre, et à vivre mieux. A partir de ce moment-là, il est non seulement logique mais tout à fait NECESSAIRE, dans un premier temps, que nous éloignons de nous toute chose dont nous constatons qu'elle diminue notre puissance. Si donc une diminution de notre puissance s'appelle "Tristesse", Spinoza propose une définition du mal telle qu'on peut dire que la cause extérieure de notre Tristesse est toujours une chose qui nous "fait du mal".

Voici donc une "loi" des affects selon Spinoza: quand une chose nous fait du mal, on va essayer de lui faire du mal en retour. Non pas par "méchanceté", mais simplement parce que c'est le seul moyen dont nous disposons spontanément pour éloigner de nous une chose dangereuse, qui nous affecte de Tristesse.

Or, tu commenceras peut-être déjà à le comprendre ... SI la Colère nous incite à faire du mal à la chose qui vient de nous faire du mal ... il suffit que nous réussissons dans notre projet pour que cette chose extérieure aura réellement du mal et ... devra aussi nécessairement ressentir de la Colère envers nous, et donc ... va être incité à nous faire du mal.

C'est ce que Spinoza appelle le phénomène de "l'imitation des affects": il suffit qu'un mouvement d'une chose extérieure t'a affecté négativement (et cela tout à fait indépendamment de ses motifs à elle, bien sûr), pour que tu ressentiras de la Haine, et il suffit que cette Haine soit ressentie par cette chose extérieure pour que sera créée chez elle ... une Haine, voire une Colère. Et ainsi naît le cercle infernal de la violence humaine, cercle très difficile à arrêter, comme tout le monde le sait.

Pourtant, ce qui intéressait Spinoza, c'était précisément de trouver un moyen efficace pour l'arrêter. Il prétend, après beaucoup d'années de recherche, en avoir trouver un (peut-être pas le seul possible, dit-il, mais en tout cas un véritable moyen efficace). La mauvaise nouvelle, c'est qu'il n'est pas facile à acquérir. Comme le spinozisme n'est pas un "utopisme", Spinoza semble accepter l'idée que son "remède aux affects" en théorie peut être adopter par tous, mais en pratique demande pas mal d'exercice, ce qui n'est pas possible pour tous, hélas.

Alors quel est ce moyen? Je peux essayer de le résumer en mes propres mots, mais encore une fois, il l'explique beaucoup mieux que ce que je pourrais faire dans ses livres. Voici donc une tentative.

S'il fallait retraduire ce moyen en un "slogan", ce serait: "vaincre la Haine par l'Amour" (la citation vient du Traité Politique, mais convient également très bien à l'Ethique, ). Autrement dit: on ne peut vaincre un affect seulement par une "idée", il faut le détruire par un autre affect. Quel affect? Celui qui est exactement son contraire.

On peut facilement y voir un côté naïf: offrir ton autre joue à celui qui vient de te frapper. Or à mon sens ce n'est pas DU TOUT cela dont il s'agit. Il s'agit avant tout d'une "gestion" de tes propres sentiments, d'une manière d'arrêter l'enchaînement des affects passions chez toi-même, une fois qu'une chose extérieure t'affecte de Tristesse, c'est-à-dire diminue ta puissance. Il s'agit donc de trouver un moyen pour la faire remonter assez vite, voire pour arriver à avoir une telle puissance de penser et d'agir qu'une diminution causée par une chose extérieure ne diminue ta puissance que très relativement (si ma puissance est + 5, et je suis affectée d'une Tristesse - 1, je retombe sur 4, ce qui n'est pas géniale; mais si j'ai réussi à augmenter, au préalable, ma puissance jusqu'à 25, alors ce - 1, quand il arrive, aura beaucoup moins d'impact sur mon état général, et je pourrai beaucoup plus facilement et rapidement revenir à 25).

Donc: il faut apprendre à "s'auto-affecter", et cela de Joie (= par définition une augmentation de ta puissance d'agir et de penser), et cela aussi bien quand on est affecté de Tristesse (chose que l'on ne peut éviter, dans la vie) que quand ce n'est pas le cas, car plus nous avons des Joies actives, plus notre puissance augmente (va de 4 à 25, dans l'exemple ci-dessus), et mieux nous serons "armés" quand une Tristesse arrive.

Par quel moyen peut-on ainsi s'auto-affecter? Il faudra s'appuyer sur nos points forts, sur ce que nous savons bien faire. Alors quand il s'agit de l'homme, ce que nous savons visiblement très bien faire, quand on s'y applique, c'est ... penser. Comprendre. Faire des liens "rationnels" entre des idées qui de prime abord ne semblent pas avoir grand-chose en commun (toutes les avancées spectaculaires de la science sont basées là-dessus). Et en effet, quiconque a compris quelque chose dans sa vie, quiconque a eu ne fût-ce une toute petite idée vraie, a pu ressentir que très souvent, cela s'accompagne d'une Joie. Impossible de comprendre quelque chose VRAIMENT, et de ne pas en même temps être content de soi qu'on a réussi à y arriver. Et la Joie est d'autant plus grande que le problème à résoudre était difficile et important pour nous.

Or, dit Spinoza, si nous arrivons à comprendre nos propres affects-passions, cela signifie que nous réussissons à "démêler" l'idée confuse qu'ils sont par définition. Nous pouvons alors comprendre en quoi notre peur puis Tristesse, quand on a failli d'éviter un pot de fleur qui pourrait nous tuer, est tout à fait normale, puisqu'on désire vivre et non pas mourrir. Elle était donc logique, nécessaire même. Ensuite, on peut se dire que de tels accidents font inévitablement partie de la vie. Sur n'importe quel coin de rue, une voiture peut nous renverser à chaque moment. Que cela arrive est simplement dû au fait que nous sommes une partie de la nature, comme n'importe quelle autre chose, et non pas tout-puissants.

Puis on peut continuer à analyser nos affects, et constater que si nous nous imaginions que cette femme aurait dû faire attention et se comporter d'une façon plus responsable, alors nous oublions qu'elle n'est pas le maître de tous ces mouvements, qu'elle aussi peut, par ACCIDENT, agir d'une telle façon que par hasard cela a un effet négatif pour moi. Ou plutôt: si tout dans le monde est déterminé, jamais elle n'aurait pu faire un autre mouvement que celui qu'elle a fait à ce moment-là. Me dire en colère qu'elle aurait dû faire attention, est donc peu adéquate à la situation, finalement.

Puis si j'y réfléchis, je ne peux que constater qu'en fait, même si l'on s'est croisé déjà quelques fois et si elle me connaît un peu, la chance est petite qu'elle me connaît vraiment, dans mon "essence singulière". Du coup, l'idée qu'elle a volontairement laissé tomber ce pot de fleur, devient assez improbable. Donc de ce côté-là aussi, je peux déjà me sentir un peu plus calme (c'est-à-dire d'augmenter de nouveau ma puissance de penser et d'agir, ce qui fera que mon acte suivant me conviendra mieux, sera moins une "passion", que si j'agis encore sous l'influence de la Tristesse).

Et puis même si pour l'une ou l'autre raison elle me déteste réellement (ce qui est toujours possible), alors là Spinoza nous donne à mes yeux un moyen hyperefficace pour éviter que "j'imite" sa Haine et que je commence à la haïr en retour (ce qui ne peut qu'augmenter sa Haine à elle, et par là même la mienne, et ainsi à l'infini, voir ci-dessus, le "cercle infernal"). Pour lui, la Haine fonctionne essentiellement sur ce qu'il appelle la "Ressemblance" (l'Amour aussi d'ailleurs, sauf l'Amour qui s'accompagne d'une véritable compréhension).

La Haine étant une Tristesse et un affect-passion, elle est forcément une idée inadéquate, confuse. Elle est toujours "imaginaire", dit Spinoza. Or l'imagination à ses lois à elle. Si par exemple une chose t'affecte de Joie ou de Tristesse, tu vas immédiatement ressentir de l'Amour ou de la Haine pour elle (= augmentation/diminution de ta puissance + idée de cause extérieure, voir définitions Amour et Haine). S en même temps autre chose était présente, et que les deux choses se produisent assez régulièrement ensemble, par là même tu vas ressentir spontanément le même affect dès que, par la suite, l'une des deux apparaissent.

Disons que demain tu rencontres une fille à cheveux bruns et qui t'affecte de Joie. Tu vas ressentir de l'Amour (au sens spinoziste du terme) pour elle, même si ses cheveux bruns n'y sont pour rien. Or si cela continue pendant quelque temps, et si par après tu vas rencontrer une autre fille, que tu ne connais pas du tout, mais qui par l'aspect physique ressemble à la première, tu auras immédiatement de la "Sympathie" pour elle.

Idem pour ce qui concerne la Haine. Si éventuellement tu n'as que trois profs d'allemand au secondaire, et si par hasard ils t'ont tous affecté de Tristesse et de Haine, la chance est réelle que tu commences à haïr l'allemand en tant que langue.

C'est pas dit, tu me répondras peut-être. Je peux réellement aimer l'allemand en tant que langue, et comprendre que ces profs ne sont par hasard pas de grands talents pédagogiques mais que cela en tant que tel ne change rien à la langue allemande, puisqu'ils ne font que l'enseigner, ils ne l'ont pas inventer, ils n'écrivent pas de poèmes extrêmement profonds et émouvants dans cette langue etc.

C'est vrai. Mais alors, dira Spinoza, tu as déjà pu combattre le sentiment de Haine par l'affect inverse ayant le même objet: ton Amour pour l'allemand en tant que langue. C'est cet Amour qui permet de détruire la Haine que de toute façon ces trois profs ont suscité en toi. Puis tu as eu la force de commencer à réfléchir un peu sérieusement, et tu t'es dit: ce n'est pas possible que c'est la langue qui est si détestable, puisque j'ai déjà lu des choses si belles par ailleurs. Il faut donc expliquer le comportement de ces profs par le fait que donner bien cours n'est pas si facile que cela, et que visiblement ils n'y réussissent pas toujours, au lieu de conclure de ces événements que finalement, l'allemand est tout de même une langue stupide.

Or supposons que jamais tu n'as lu quelque chose en allemand avant d'avoir eu ces trois profs (chose assez probable, après tout). Alors nécessairement, quand le quatrième arrive, tu vas déjà avoir une certaine Antipathie pour lui, car ton imaginaire a déjà associé "prof d'allemand" à l'affect de Haine. Du coup, tu vas interpréter tout autrement ce qu'il dit et ce qu'il fait, ce quatrième prof. Si par hasard il a encore quelques autres choses en commun avec ce que par hasard tu détestes, ce ne sera pas très facile d'aimer ses cours, même si cette fois-ci son talent pédagogique est beaucoup plus grand. Or ici nous avons postulé que tu n'as pas encore un grand Amour pour l'allemand ... tu ne pourras donc pas l'utiliser pour diminuer un peu ta Haine, et pour t'amuser davantage lors du cours d'allemand, voire pour commencer à voir les points forts de ce quatrième prof. Que faire alors?

Là apparaît la définition spinoziste du bien et du mal. Il propose de ne plus s'imaginer qu'il existe un bien ou un mal "absolu", en dehors de toute "instance valorisante". Est "bon" ce qui augmente la puissance de TELLE chose, est "mauvais" ce qui diminue la puissance de telle chose. Le bien/mal est donc toujours un bien/mal POUR quelqu'un, et jamais bien ou mal dans l'absolu. Qu'est-ce que ça change?

Beaucoup. Car au lieu d'attribuer immédiatement la cause de tes malheurs au monde extérieur, tu obtiens du coup un tout autre moyen pour réagir aux malheurs qui t'incombent.

Supposons que tu es en cours d'allemand chez le troisième prof, et que tu as l'impression que vraiment, il te cherche. Si déjà en tant que tel il n'est pas très Sympa, en plus tu as l'impression qu'il te déteste personnellement. Tu le déduis assez facilement du ton sur lequel il s'adresse à toi, de la rapidité avec laquelle il passe aux punitions quand tu n'obéis pas, tandis qu'avec d'autres il semble être beaucoup plus indulgent, etc. Bref, tu constates qu'il te hait. Si le mal est conçu comme "absolu", te peux te dire que c'est tout de même grave, voire tout à fait injuste, de te traiter d'une telle façon. Tu identifies chez ce prof des intentions "méchantes" par rapport à toi, et tu vas essayer de diminuer la puissance de ce prof afin qu'il puisse moins te nuire toi (tu vas par exemple raconter partout combien ce prof est mauvais, méchant, "impuissant", etc). Or cela, quelque part il le ressent, bien sûr. Par conséquent, il ne pourra que te détester encore davantage (car lui aussi, comme tout le monde, ressent de la Haine dès qu'on essaie de diminuer sa puissance). Bref, on n'est pas encore sorti de l'auberge.

Or si Spinoza propose de concevoir l'idée que le mal n'est jamais absolu, qu'est-ce à dire? Cela signifie avant tout que quand TOI tu ressens "du mal", cela ne vaut QUE pour toi. Si donc quelque chose d'extérieur t'affecte de Tristesse, c'est-à-dire diminue ta puissance, tu vas l'appeler "mal", mais cela uniquement pour la raison même que tu constates qu'une rencontre avec elle diminue ta puissance. Du coup, cela ne dit RIEN DU TOUT de la chose "en soi", de la chose en tant que telle.

Autrement dit: le fait qu'une chose te fait mal ne permet en rien de comprendre quelque chose d'essentielle de cette chose extérieure (Spinoza: "la connaissance du mal est une connaissance inadéquate). Plus même, il est fort probable qu'ou bien la chose extérieure ne se rend même pas compte de l'effet négatif sur toi (comme la femme qui arrose ses plantes ne pense pas à tuer qui que ce soit, quand un bruit soudain dans la chambre lui fait effectuer un mouvement brusque), ou bien qu'elle désire effectivement faire diminuer ta puissance mais cela parce que quelque part, quelque chose de toi a une ressemblance avec une autre chose, qui dans le passé lui a déjà fait quelques fois du mal et qu'elle aura donc d'office en "Haine".

Penser au fait que le mal n'est jamais absolu, permet donc de se réaliser que RIEN n'oblige à supposer que c'est vraiment toi, dans ton essence, qui est visé quand quelqu'un t'affecte de Tristesse. Un tas d'autres explications sont possibles, et dans le troisième livre de l'Ethique tu peux déjà en trouver toute une série.

Ce que cela change, c'est donc que tu peux comprendre qu'éventuellement, si quelqu'un t'affecte de Tristesse ou de Haine etc, tu peux toi-même, activement, arrêter le mouvement d'imitation d'affects en commençant à réfléchir et à te dire que finalement, rien ne permet de croire que cette personne veut vraiment et inévitablement te détruire. Il est bien possible qu'elle te déteste "par hasard", "par ressemblance", puisque c'est le propre de la Haine et de tout affect passif, c'est-à-dire confus (car elle te confond avec la première source du mal qu'elle a effectivement subi, avant) et inadéquat, d'être imaginaire.

Imaginaire ne veut pas dire ici "faux" de tout point de vue, comme je le disais déjà ci-dessus. Cela veut-dire que la Haine en soi est "logique", a une source, une cause réelle, et diminue réellement la puissance de celui qui la subit. Cela veut dire aussi que la Haine est par définition le résultat d'un enchaînement CONTINGENT, du hasard. Enfin cela signifie aussi que la personne, en tant qu'elle hait, dispose de MOINS de moyens de comprendre. Par exemple de comprendre qu'il n'y a qu'une ressemblance superficielle entre toi-même et la cause qui dans le temps l'a affecté de Tristesse et de Haine.

A partir de ce moment-là, on peut bien aussi comprendre que tu pourrais essayer de lui expliquer/montrer que tu es AUTRE, qu'il y a moyen de "composer" un rapport plus positif pour toi-même et pour elle que celui qui se base sur cette ressemblance superficielle (car quelque part, en tant qu'homme on convient toujours avec un autre homme, dès qu'on ne se concentre plus sur les affects-passions; plus même, selon Spinoza ce ne sont que ces affects-passions qui nous opposent l'un à l'autre). Bref, cette compréhension te donne en plus (à part de te calmer toi) vraiment un moyen pour agir activement sur cette situation de Haine qui risque de dégénérer en un cercle vicieux. Ta compréhension de la situation permet de créer un nouveau "possible", te permet d'aller explorer des façons de te comporter par rapport à cette personne auxquelles tu n'aurais jamais pensé aussi longtemps que tu étais tout à fait toi-même en proie de la Haine.

Bref, tu deviens capable de changer une Haine (qui te fait nécessairement faire des efforts pour éloigner voire détruire la CHOSE extérieure qui en est la cause) en un effort d'éloigner l'IDEE d'une cause extérieure (l'idée d'une chose qui a bien compris qui tu es essentiellement et qui veut vraiment détruire ton essence singulière à toi), tout en y ajoutant quelques idées pour réellement diminuer la Haine donc la Tristesse chez cette personne. Et tout cela, tu l'auras fait toi-même, seul, en réfléchissant bien à ce que c'est qu'un affect-passion, en analysant ta propre Tristesse, et en comprenant en quoi ce n'est pas nécessaire de postuler que cette personne a compris quelque chose d'essentiel de qui tu es.

En faisant cela, donc en comprenant clairement et distinctement ton affect-passion, tu auras acquis quelques idées vraies, avant tout sur toi-même, tu auras constaté que tu as réellement la puissance de changer une Tristesse en compréhension. Bref, tu pourrais te contempler dans ce que tu sais réellement faire, dans ta puissance ou ton essence même. Tu pourras être satisfait de toi-même. Tu ressentiras donc le bien que nous cherchons tous, et cela même dans une situation qui au début était Triste pour toi. C'est cela, selon Spinoza, le pouvoir de notre entendement sur nos affects.

Enfin, on pourrait se dire que tout ça c'est très bien, mais que serait tout de même encore mieux de pouvoir éviter dès le début de se sentir "offensé". Spinoza est d'accord. Il formule donc quelques "règles de vie", un genre d'exercices quotidiens, si tu veux, destiné à t'apprendre à te sentir moins vite détesté par quelqu'un. Ces règles sont résumés dans l'E5P10 et son scolie. J'en sélectionne quelques passages:

Spinoza a écrit :Par ce pouvoir d'ordonner et d'enchaîner correctement les affections du Corps nous pouvons faire de n'être pas aisément affectés par des affects mauvais. (...). Donc, le mieux que nous pouvons faire (...), c'est de concevoir la règle de vie correcte, autrement dit des principes de vie précis, de les graver dans notre mémoire, et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent couramment dans la vie, afin qu'ainsi notre imagination s'en trouve largement affectée, et que nous les ayons toujours sous la même.
Par ex., nous avons posé parmi les principes de vie (...) qu'il faut vaincre la Haine par l'Amour ou Générosité, et non la compenser par une Haine réciproque. Et, pour avoir toujours sous la main cette prescription de la raison quand on en aura besoin, il faut penser aux offenses que se font couramment les hommes, les méditer souvent, ainsi que la manière et le moyen de les repousser au mieux par la Générosité; car ainsi nous joindrons l'image de l'offense à l'imagination de ce principe, et (..) nous l'auraons toujours sous la main quand on nous fera offense.
Que si nous avons également sous la main la règle de notre véritable utilité, ainsi que du bien qui résulte de l'amitié mutuelle et de la société commune, et en outre le fait que c'est de la règle de vie correcte que naît la plus haute satisfaction de l'âme (...), et que les hommes, comme le reste, agissent par nécessité de nature: alors l'offense, autrement dit la Haine qui en naît habituellement, occupera une part minime de l'imagination, et sera facile à surmonter: ou bien si la Colère, qui naît habituellement des plus grandes offenses, n'est pas si facile à surmonter, elle le sera pourtant, quoique non sans flottement de l'âme, en beaucoup moins de temps que si nous ne nous étions pas livrés préalablement à ces médiations (...).
Mais il faut remarquer qu'en ordonnant nos pensées et nos images nous devons toujours prêter attention (...) à ce qu'il y a de bon dans chaque chose, afin qu'ainsi ce soit toujours un affect de Joie qui nous détermine à agir.
Qui donc s'emploie, et par seul amour de la Liberté, à maîtriser ses affects et ses appétits, s'efforcera, autant qu'il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme du contentement qui naît de leur vraie connaissance; et de contempler le moins possible les vices des hommes, ainsi que de dénigrer les hommes et de tirer contentement d'une fausse espèce de liberté. Et qui observera diligemment cela (et en effet ce n'est pas difficile) et s'y exercera, oui, en très peu de temps il purra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison.


On pourrait enfin le résumer par ce qu'il écrit dans le scolie de la dernière proposition de l'E4:

Spinoza a écrit :(...) l'homme fort considère, avant tout, que tout suit de la nécessité de la nature divine, et par suite, que tout ce qu'il juge pénible et mauvais, ainsi que tout ce qui lui semble impie, horrible, injuste et déshonnête, naît de ce qu'il conçoit les choses elles-mêmes de manière troublée, mutilée et confuse; et c'est pourquoi il s'efforce, avant tout, de concevoir les choses telles qu'elles sont en soi, et d'écarter ce qui fait obstacle à la vraie connaissance, comme font la Haine, la Colère, l'Envie, la Moquerie, l'Orgueil et autres choses du même genre que nous avons relevées dans ce qui précède; et par suite, il s'efforce autant qu'il peut, comme nous l'avons dit, de bien faire et d'être joyeux.


voici donc quelques éléments de cette "technique" que Spinoza propose, et qu'il vaut peut-être la peine de méditer.

nepart a écrit :Donc l'idéal serait, si notre fils/fille meurt, de ne pas être triste et de tout de suite penser à notre plaisir/joie (je n'ai toujours pas bien compris la différence) pour notre instant présente et notre avenir, et non pas pleurer l'enfant, y penser tout sa vie, voir culpabiliser car on ne sait pas que c'était déterminé.


je crois qu'il est inévitable que nous sommes tristes à ces moments terribles de la vie. Le but est plutôt, dans ces cas-là, de "limiter" les dégâts, je crois, de ne pas sombrer dans une dépression sans fin qui entrave toutes tes capacités de penser et d'agir. Mais il faut bien sûr une période de deuil, il faut trouver un moyen d'augmenter de nouveau ta puissance et cela prend du temps. Seulement, se dire qu'on aurait pu éviter cette mort, c'est non seulement une idée inadéquate, mais cela te rend encore plus triste, et en ce sens n'est pas le bon moyen pour remédier à la Tristesse.

Pour une éventuelle distinction plaisir - joie: je ne la vois pas, chez Spinoza. Peut-être que ceux qui ici avaient l'impression que cela existe, pourrait donner quelques références au texte? En attendant, je dirais que la distinction fondamentale est plutôt celle de la Joie et de la Tristesse, et parmi les Joies celle des Joies actives et passives (voir mon message précédent).

Nepart a écrit :
Dans ton exemple Louisa, il faudrait tout simplement profiter de sa relations, sans craindre pour son couple, car la craine n'arrange rien, et en cas de rupture, dont on aura compris les raisons, on ne regrettera pas la personnes aimé, on pensera a augmenter notre joie/plaisir, en trouvant une autre personnes par exemple.

Par contre l'idée de crainte, je n'ai pas compris. :/


l'idée de crainte c'est précisément ce que tu expliques ici: aussi longtemps qu'on oriente son esprit sur ce qui est incertain, on "flottera", dit Spinoza, entre crainte et espoir (Henrique l'a expliqué de façon très claire il y a plus ou moins un an, je crois ... si quelqu'un pourrait retrouver cette discussion-là et mettre le lien ici, ce serait peut-être intéressant, car moi-même je ne me souviens plus de l'intitulé du sujet ... je me rappelle uniquement du fait que la personne qui l'avait lancé s'appellait "Petite Mo" ...).

Ce "flottement d'âme" crée un état affectif peu stable, beaucoup moins stable que si l'on s'oblige à penser sans cesse à tout ce qui est certain (que mon ami m'aime aujourd'hui, que je peux moi-même faire ceci et cela pour renforcer notre relation, etc). Le problème de la Crainte est donc l'instabilité qu'elle comporte nécessairement (hormis le fait d'être une Tristesse), tandis que pour devenir toujours plus heureux, il faut arriver à stabiliser ses affects, au lieu de vivre "seulement par impulsion", comme le dit Spinoza. Mais je ne sais pas si cela rend les choses plus claires pour toi?

Nepart a écrit :Pour la mort, c'est juste que j'aimerais ne jamais mourir, car je trouve que la vie est courte, j'ai déja fait 1/4 de ma vie, alors que j'ai l'impression d'avoir rien fait.


je ne peux que te conseiller ce livre (petit et très "accessible") qui traite précisément de ce problème-là: La brièveté de la vie de Sénèque (disponible en livre de poche, GF Flammarion). Voici ce qu'il appelle la "thèse du traité": "la vie n'est pas trop courte, c'est nous qui la perdons". Quelques citations:

Sénèque a écrit :I.1.La plupart des mortels, Paulinus, se plaignent de la méchanceté de la nature: nous sommes nés pour une portion infime du temps et les heures qui nous sont données courent si rapidement que, à l'exception d'un très petit nombre, la vie nous abandonne tous au moment même où nous nous apprêtons à vivre [voire aussi Aragon, si je ne m'abuse: "le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard"; louisa]. Ce n'est pas seulement la foule, le vulgaire ignorant, qui gémit sur ce prétendu "malheur" commun; même à des hommes illustres un tel sentiment arracha des plaintes.
(...)
I.3. Non, nous n'avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. La vie est assez longue et largement octroyée pour permettre d'achever les plus grandes entreprises, à condition qu'elle soit tout entière placée à bon escient. (...)
I.4. Oui, il en est ainsi: nous n'avons pas reçu une vie brève, mais nous la rendons brève (...). Le sressources, fussent-elles immenses, royales, quand elles tombent aux mains d'un mauvais maître, sont dissipées en un instant, mais, même très modestes, quand elles sont confiées à un bon gardien, elles s'accroissent à mesure qu'il en fait usage; il en est ainsi de notre vie: elle s'étend loin pour qui en dispose bien.

Comment nous gaspillons notre temps.
II.1. Pourquoi nous plaindre de la nature? Elle s'est montrée bienveillante. La vie, si l'on sait en user, est longue. Mais l'un est accaparé par une avidité insatiable, l'autre, par une dévotion laborieuse à de vains travaux; un autre se noie dans le vin, un autre croupit dans la paresse; un autre, une ambition toujours suspendue au jugement d'autrui l'épuise, un autre encore, le goût effréné du commerce le promène sur toutes les terres, toutes les meres, par appât du gain. Certains sont tourmentés de passion militaire, toujours avides des dangers d'auitre ou inquiets des leurs. il en est d'autres qui, à courtiser sans profit leurs supérieurs, se consument dans une servitude volontaire.
II.2. Beaucoup ne s'occupent qu'à chercher la beauté d'autrui ou à soigner la leur. La plupart, n'ayant aucun but précis, sont les jouets d'une légèreté irrésolue, inconstante, importune à elle-même, qui les ballotte sans cesse d'un nouveau projet à un autre. Certains ne trouvent rien qui leur plaise assez pour diriger leur course, mais le destin les surprend, engourdis et bâillants, si bien que je tiens pour vrai cette sorte d'oracle énoncé par le plus grand des poètes:

"Infime est la portion de vie que nous vivons"

Tout le reste de son étendue n'est pas de la vie, mais du temps.

(...)

III.2. Il nous plaît donc de prendre à parti quelque vieillard dans la foule des autres: "Nous voyons que tu es parvenu au stade ultime de la vie humaine: cent ans ou plus pèsent sur toi. Allons! Regarde derrière toi et fais le compte de ta vie. Dis combien, sur ce temps, t'ont pris ton créancier, ton ami, ton roi, ton client, tes disputes avec ta femme, la correction de tes esclaves, la course à tes mille obligations en ville. Ajoute les maladies fabriquées par nos soins [les maladies rançon des excès de la vie], ajoute le temps inemployé: tu verras que tu as moins d'années que tu n'en comptes.
III.3. Rappelle-toi quand tu as été ferme dans une résolution, combien de tes journées ont suivi le cours que tu leur destinais, quand tu as disposé de toi-même, quand ton visage est resté impassible, ton coeur, intrépide, quelle oeuvre tu as accomplie dans une si longue durée, combien de gens ont gaspillé ta vie sans que tu prennes conscience de la perte, tout ce que t'ont soustrait la douleur vaine, la joie stupide, le désir avide, la conversation flatteuse, quelle part infime de ton bien t'est restée: tu comprendras que tu meurs prématurément.


Selon Sénèque (stoïcien) - et je crois que Spinoza serait d'accord avec lui - le problème de la peur de la mort ou de la brièveté de la vie, ce n'est donc pas tellement que la vie est brève "objectivement", c'est que beaucoup d'entre nous meurent "prématurément", c'est-à-dire avant d'avoir vécu. Ce qui implique que pas toute forme de vie est digne d'être appelé "vivre". Seul le sage vit "pleinement", parce qu'il comprend d'abord et avant tout comment organiser sa vie pour augmenter les chances de pouvoir vivre longtemps, mais aussi parce qu'il comprend que pouvoir "accepter" qu'un jour la vie se terminera n'est possible que si l'on a bien réfléchi à ce qu'on veut faire avec le temps qui nous est accordé (et que personne ne connaît), et qu'on a trouvé un "projet de vie" auquel on s'applique avec fermeté, constance, persévérance. Alors notre esprit sera chaque jour entièrement occupé de la tâche que nous nous sommes donnés, il s'enrichira chaque jour de la compréhension qu'on peut avoir de ce qui se passe en nous et autour de nous, et il saura que le jour de sa mort, là aussi il pourra être satisfait de soi-même, il n'aura pas l'impression qu'il y avait un tas de choses qu'il aurait voulu et pu faire mais qu'il n'a pas fait, il saura qu'il a fait tout ce qui était dans son possible et que le résultat en vaut la peine.

Chez Spinoza s'y ajoute l'idée que notre essence est éternelle, donc ne meurt jamais, et plus nous acquérons des idées adéquates pendant notre vie, plus le degré de puissance qui caractérise cette essence augmente. Mais sans doute cela te parlera moins, puisqu'aujourd'hui c'est plutôt la thèse de notre mortalité inévitable et totale qui est "à la mode". N'empêche qu'ici, pour une fois, les scientifiques d'aujourd'hui pensent également la réalité en termes d'éternité (le monde, les lois de la nature sont éternelles, pour eux). Il s'agit bien sûr de nouveau d'une opinion métaphysique, non scientifique. Mais donc si je suis ce que tu écrivais ci-dessus, il est tout à fait possible de donner, encore aujourd'hui, du sens à la notion d'éternité.

Nepart a écrit :
A propos du bonheur, je me demande si le mot bonheur en lui même ne m'empeche pas de l'atteindre. Car ce mot est rélié chez moi à un utopie, que je ne pourrais jamais atteindre. Peut être qu'il vaut mieux que je me disent que le but et d'avoir un bilan plaisir-tristesse, le plus élevé possible.


Spinoza donne des alternatives pour le mot bonheur: salut, béatitude, liberté. Le but est donc finalement de devenir le plus libre possible.

C'est souvent un problème en philosophie: on donne toujours déjà un sens précis à certains mots, et alors, quand un philosophe lui donne un nouveau sens tout en continuant à utiliser la même "étiquette", on a tendance à avoir des difficultés de laisser tomber l'ancien sens. Mais donc si "liberté" te convient mieux, cela correspond toujours avec ce que j'ai essayé de dire.

Nepart a écrit :ps: quelqu'un sait t'il d'ou vient chez l'homme l'envie d'aider des gens pour aucune raison? (aider pour une interro, aider à traverser une route...)


selon Spinoza, avoir envie d'aider des gens sans attendre immédiatement un "bien" en retour, ce n'est rien d'autre que ... vivre "sous la conduite de la raison". C'est ce qui caractérise par excellence l'homme "libre" (voir les dernières propositions de l'E4).

Prenons par exemple le scolie de l'E4P35:

Spinoza a écrit :Ce que nous venons de montrer, l'expérience elle-même l'atteste également chaque jour par tant de si lumineux témoignages que presque tout le monde a le mot à la bouche: [i]l'homme est un Dieu pour l'homme[/b]. Et pourtant il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la raison; mais c'et qu'ils ont été disposés de telle sorte qu'ils sont, pour la plupart, envieux, et pénibles les uns aux autres. Et néanmoins ils ne peuvent guère passer toute leur vie tout seuls, si bien que la définition qui dit que l'homme est un animal social a tout à fait souri à la plupart d'entre eux: et, en vérité, la chose est telle que, de la société commune des hommes, il naît bien plus de commodités que de dommages. Laissons donc les Satiriques se moquer autant qu'ils veulent des choses humaines, et les Théologiens les maudire, et les Mélancoliques louer autant qu'ils peuvent la vie sauvage et rustique, mésestimer les hommes et admirer les bêtes; cela n'empêchera pas les hommes de voir par expérience qu'une aide mutuelle leur permet de se procurer beaucoup plus facilement ce dont ils ont besoin, et que ce n'est qu'en joignant leurs forces qu'ils peuvent éviter les dangers qui partout les menacent (...)


C'est que si pour Spinoza le "souverain bien" (que j'ai appelé le "quatrième type" dans mon message précédent) c'est la compréhension, par là même il s'agit aussi d'un bien qui, contrairement aux autres, peut être possédé par tous. L'argent non: si une entreprise vend autant de produits, elle possèdera un montant x d'argent, qu'elle peut OU BIEN donner à la direction, ou bien partager avec tous les ouvriers, mais jamais tous peuvent en profiter autant. Pour les produits de la compréhension c'est très différent: quand on a compris quelque chose, souvent on n'a aucune envie de le garder pour nous, au sens où partager cette connaissance avec quelqu'un nous l'enlèverait. Au contraire: la partager nous donne une deuxième fois une Joie, en constatant que celui à qui on a appris l'a compris et donc augmente sa puissance de penser et d'agir, ses idées vraies.

C'est pourquoi vivre sous la conduite de la raison implique la "Générosité", le fait de vouloir aider les gens non pas parce qu'alors ils vont nous donner quelque chose en retour, mais simplement parce qu'on a compris que plus les gens autour de nous deviennent puissants, moins ils seront en proie à des affects-passions, plus il y aura de la "concorde dans la Cité", mieux on pourra tous vivre notre vie en paix et de la manière dont nous préférons, sans nuire aux autres.
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Messagepar nepart » 02 févr. 2008, 15:52

Donc ce vers quoi on doit tendre, dans la philosophie Spinoziste:

Ne jamais regretter.
Ne jamais aimer ou détester une personne, car c'est pas la personnes en elle même que nous aimons/detestons.

Penser que rien n'est bon ou mauvais dans l'absolu.

Cependant si il ne faudrait jamais regretter, doit-on pour autant arreter d'espérer?


Quelques autres questions:

1/
Si d'après Spinoza, nous fesons tout pour du plaisir ou pour éviter de la douleur. Pourquoi parfois, nous avons des comportement autodestructeur?

Le concept de gain de puissance lorsque l'on a de joie n'a t'il pas des limites?
Car quand on dit que l'homme aide parfois d'autre homme, on peut penser que c'est tout simplement dans sa nature.
Ainsi si l'homme aide d'autre homme (aide des pauvres...) peut être que c'est seulement du à la sélection naturelle qui a "sélectionné" les espèces qui s'aidait entre elle car elle était plus "forte" que les autres, donc plus de reproduction.... Et donc ce n'est pas du tout un gain de puissance que l'on a lorsque l'on aide quelqu'un mais tout simplement une réponse à une besoin comme manger etc.

On peut de la même façon expliquer l'envie que l'homme à partager des plaisirs pour les amplifier (ecouter de la musique a plusieurs...)

2/ Le bonheur est-il d’absolu « je suis heureux, je ne le suis pas » ou relatif, je me sent bien, très bien, pas mal…

3/ Est ce que quelqu'un de très malade (sans bras, sans jambe, très grand difficulté à respirer et qui sait qu'il risque de mourir d'ici 1 mois) peut être heureux le reste de sa vie, sans se rabattre sur une illusion du paradis post-vie.

4/ Enfin pour ceux qui pensent comme moi que les sentiments ne sont que tempetes biochimiques. Si un jour on vous permettrez de stimuler votre cerveau pour être heureux de façon artificielle, accepteriez vous?

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Messagepar sescho » 02 févr. 2008, 20:03

nepart a écrit :Donc ce vers quoi on doit tendre, dans la philosophie Spinoziste:

Ne jamais regretter.
Ne jamais aimer ou détester une personne, car c'est pas la personnes en elle même que nous aimons/detestons.

Oui, sauf que la question de l'amour envers une personne se discute selon moi. Si l'on est en harmonie avec un autre esprit, il s'ensuit automatiquement une sympathie (c'est presque la même chose.) Et l'échange d'homme à homme dans la sagesse ne saurait être que bénéfique, comme le dit Spinoza. Et l'amour de la Nature se fait mieux au travers de l'homme lui-même, qui convient évidemment le mieux en nature.

Sur la combinaison de cela avec la sexualité, Spinoza ne dit rien. Mais je pense qu'il n'y était en aucune façon opposé, la sagesse venant cependant en tête (en passant, je ne dis pas que tout ce que je dis est spinoziste.)

nepart a écrit :Penser que rien n'est bon ou mauvais dans l'absolu.

Oui... tout en n'oubliant pas qu'il y a du bon et du mauvais dans le relatif (et non pas dans le relatif individuel, pour l'essentiel, mais dans le relatif humain en général. Ou disons dans le relatif humain s'agissant des Lois du bien et du mal, et dans le relatif individuel s'agissant des situations de fait.)

Note : Spinoza utilise de toute évidence "bien" et "mal" dans plusieurs acceptions, sensiblement différentes, autrement dit sous différents angles de vue : 1) Dans la nature de la Nature (n'existent pas.) 2) Comme lois de la puissance humaine en général (c'est pourquoi il peut décrire une éthique universelle, ce qui sinon n'aurait aucun sens.) 3) Comme ce que nous croyons l'être en fonction de notre disposition du jour. 4) Comme les affects de joie et de tristesse mêmes.
Il convient de ne pas mélanger les acceptions, sinon c'est n'importe quoi. Bien évidemment, ceci varie infiniment dans son expression concrète suivant les circonstances actuelles : une béquille n'est généralement pas bonne, sauf quand on a une jambe handicapée, etc.

nepart a écrit :Cependant si il ne faudrait jamais regretter, doit-on pour autant arreter d'espérer?

Oui, cela en fait la paire dans le temps (et avec la crainte dans l'orientation.) A. Comte-Sponville a très bien traité le sujet. Mais ceci ne veut pas dire ne rien faire : l'action est orientée dans un but mais sans tension et sans aucune angoisse du résultat. A partir du moment où l'on perçoit qu'un fait s'impose par lui-même sans aucune relation en soi au bien et au mal, ceci vient naturellement.

nepart a écrit :Si d'après Spinoza, nous faisons tout pour du plaisir ou pour éviter de la douleur. Pourquoi parfois, nous avons des comportement autodestructeur?

C'est encore une question d'acception de "bien" et "mal." Parce que nous faisons les choses en fonction de ce que nous sommes, dans notre configuration actuelle, non dans la connaissance intuitive du bien, ce qui n'est donné qu'au sage.

nepart a écrit :... ce n'est pas du tout un gain de puissance que l'on a lorsque l'on aide quelqu'un mais tout simplement une réponse à une besoin comme manger etc.

Tout répond aux lois de la Nature, qu'il s'agisse d'inné ou d'acquis, qu'on l'appelle "besoin" ou non. Dans ce cadre, pour peu qu'on y ait accès, on peut tout expliquer. Il est bon d'être bon, et c'est une puissance d'être bon, ou si l'on veut, cela va de pair avec la puissance que d'être bon. On peut appeler cela "besoin" fondamental (quoique non vital) si l'on veut.

A titre personnel, je crois qu'il faut distinguer l'augmentation de puissance de la puissance même. Chez Spinoza, cela distingue la Joie de la Béatitude. On peut voir la Béatitude (terme qui suppose une degré élevé de réalisation) comme une Joie active qui se renouvelle en permanence et sans aucun à-coup dans la vie changeante.

nepart a écrit :2/ Le bonheur est-il d’absolu « je suis heureux, je ne le suis pas » ou relatif, je me sent bien, très bien, pas mal…

S'il était par tout ou rien, autant dire qu'il ne se trouverait pas dans les faits. Il est toujours partiel (mais à des degrés très divers) et sujet à des fluctuations autour d'une valeur moyenne. Toutefois, le bonheur dans ses réalisations les plus abouties est, je pense, très différent de la vie ordinaire.

nepart a écrit :3/ Est ce que quelqu'un de très malade (sans bras, sans jambe, très grand difficulté à respirer et qui sait qu'il risque de mourir d'ici 1 mois) peut être heureux le reste de sa vie, sans se rabattre sur une illusion du paradis post-vie.

Oui. Potentiellement oui. Il y en a eu (voir M. de Haenzel.) En réalité, c'est selon...

nepart a écrit :4/ Enfin pour ceux qui pensent comme moi que les sentiments ne sont que tempetes biochimiques. Si un jour on vous permettrez de stimuler votre cerveau pour être heureux de façon artificielle, accepteriez vous?

Je n'en suis pas... dans la mesure où j'estime que tu ne sais pas exactement de quoi tu parles en disant "biochimique."

Dis, comme cela, spontanément, honnêtement, de ta connaissance de la Physique-Chimie et du monde des corps simples auquel elle correspond tu vois clairement apparaître :

La mobilité des animaux, l'oeil, l'oreille, l'aile, la main, l'instinct de conservation, la reproduction sexuée, la Physique elle-même, la Justice, la Vérité, la Philosophie, la Beauté, la Bonté, etc., etc.

Tu vois apparaître cela dans la Physique-Chimie, toi ?

Amicalement

Serge
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Messagepar nepart » 02 févr. 2008, 22:14

C'est comme si tu me disais "tu vois de la musique dans ce cercle" (cd)?

Je n'ai pas compris le paragraphe sur la puissance.

Peut être un exemple plus claire:

Pourquoi sommes nous triste lorsque que nous apprenons aux infos que quelqu’un qui nous étais inconnu, et que l'on auris certainement jamais rencontré, est mort ?

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Messagepar sescho » 02 févr. 2008, 23:56

nepart a écrit :C'est comme si tu me disais "tu vois de la musique dans ce cercle" (cd)?

Eh oui, justement. Si je te demande ce qu'est la musique, tu ne vas pas me dire que c'est le CD. Alors pourquoi dis-tu que la pensée c'est la matière ? Spinoza nous apprend à suivre l'idée claire et distincte. Rabattre ce qui est évident de soi en tant que pensé sur quelque chose de fumeux, comme une soi-disant déduction à partir de la matière, elle-même une pensée d'ailleurs, etc., c'est faire le contraire...

nepart a écrit :Je n'ai pas compris le paragraphe sur la puissance.

Ce n'est pas bien grave. J'ai du mal à tout voir en terme d'augmentation de puissance, et par ailleurs la béatitude comme par tout ou rien, étant la puissance même. Je distingue donc 1) L'imagination d'augmentation de puissance, 2) L'augmentation de puissance et 3) La puissance. Ce que j'ajoute cependant c'est que l'on peut voir la troisième comme la seconde mais renouvelée en permanence dans la vie changeante, sans aucun à-coup.

nepart a écrit :Pourquoi sommes nous triste lorsque que nous apprenons aux infos que quelqu’un qui nous étais inconnu, et que l'on auris certainement jamais rencontré, est mort ?

J'ai bien peur que ce soit parce que cela évoque notre propre mort, et que l'idée de celle-ci nous attriste... Mais ce n'est nullement inévitable...

Une question subsidiaire : peux-tu définir ce qu'est la mort en tant qu'être (c'est à dire par une définition positive qui décrit la chose telle qu'elle est par elle-même, comme une pomme, comme la vie, ...) ?


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Messagepar Louisa » 03 févr. 2008, 02:19

Nepart a écrit :Donc ce vers quoi on doit tendre, dans la philosophie Spinoziste:

Ne jamais regretter.
Ne jamais aimer ou détester une personne, car c'est pas la personnes en elle même que nous aimons/detestons.


dans beaucoup de formes d'Amour, ce n'est en effet pas la personne elle-même, dans son essence singulière, que nous aimons. Spinoza définit l'Amour comme la Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure. Si donc tu prends une douche, cela te fait plaisir, et tu penses à la douche comme cause extérieure de ton plaisir, dans le langage spinoziste tu"aimes" ta douche. Idem en ce qui concerne les personnes. Dans ces formes d'Amour, ce que tu aimes au sens ordinaire du terme, ce n'est donc rien d'autre que l'effet positif, agréable, qu'à une autre personne sur ton propre Corps et Esprit. En tant que tel, ce genre d'Amour ne dit RIEN sur qui est l'autre personne. Il a également comme conséquence d'être peu stable, de se convertir facilement en Haine (et en Jalousie et d'autres affects négatifs).

Pour Spinoza, le but est de surmonter ces genres d'Amour, et cela en les remplaçant par deux autres choses: d'une part ce qu'il appelle l'Amitié, et d'autre part par ce qu'il appelle "l'Amour intellectuel de Dieu".

En ce qui concerne l'Amitié: hélas il ne la définit nulle part, pour autant que je sache. Pourtant, se lier d'Amitié à un maximum d'hommes est selon lui une attitude qui convient tout à fait à "la raison". C'est dire qu'il s'agit de quelque chose de hautement important. J'ai pour l'instant l'impression que cette amitié consiste à "faire du bien" aux autres, c'est-à-dire essayer d'augmenter leur puissance, ou de former ensemble un "Individu" dans lequel ma puissance et la puissance de l'autre se joignent d'une telle façon que la puissance de l'Individu ainsi formée est égale à la mienne plus la sienne. Mais je n'ai pas encore tout compris chez Spinoza, à ce niveau-ci.

Puis il y a donc l'Amour intellectuel de Dieu, qui naît de ce que Spinoza appelle le troisième genre de connaissance. Il s'agit toujours d'un Amour, mais ici d'un Amour inébranlable, et qui ne peut pas se changer en Haine. Un Amour d'une "meilleure" qualité que les autres Amours donc. En quoi consiste-t-il? En le fait de se concevoir soi-même dans son essence éternelle, et en partant de cela, de réussir à concevoir une autre personne (ou chose) dans son essence singulière et éternelle à elle. En tant que nous avons une essence singulière, nous sommes "du Dieu".

Ce type d'Amour consiste donc à ressentir une Joie quand nous contemplons le fait que nous aussi, nous sommes "du Dieu", et ressentir de la Joie quand nous voyons une autre personne comme "du Dieu", comme une partie de la puissance affirmative de Dieu, comme quelque chose qui comme moi essaie d'exister le plus longtemps et le mieux possible, qui essaie de comprendre, à sa façon, le monde, qui essaie, à sa façon, de devenir heureux. En cela, donc en tant que "essence singulière et éternelle", nous conviennent nécessairement, selon Spinoza. Plus aucune "opposition" ou Haine, bref plus rien de mal est possible, à ce niveau-ci.

On peut ressentir cette Joie pour la personne avec qui nous avons une relation sexuelle, mais aussi pour une autre personne, voire même une chose. Plus nous réussissons à voir nous-mêmes et les choses d'une telle façon, plus nous sommes "heureux", selon Spinoza. Mais peut-être que tu as l'impression que tout cela, c'est fort abstrait ... ? Si oui, j'essayerai de trouver un exemple un peu plus concret.

Pour les autres questions: je ne réponds ci-dessous que à celles où j'ai l'impression que je peux encore ajouter quelque chose à ce que vient d'écrire Sescho, les autres je laisse tomber.

Nepart a écrit :Cependant si il ne faudrait jamais regretter, doit-on pour autant arreter d'espérer?


je vais chercher la discussion concernant la crainte et l'espoir que nous avons déjà eu ici, et qui pour moi a été fort clair. Ce n'était pas clair immédiatement, mais après l'avoir "testé" quelques fois dans la pratique, je crois que j'ai commencé à comprendre de quoi il s'agit.

En attendant de trouver le lien, voici une tentative de résumé: arrêter d'espérer semble être très contre-intuitif. On peut facilement ressentir l'Espérance comme une Joie, et c'est également ainsi que Spinoza l'appelle. Il n'y a donc rien de négatif dans l'Espérance en tant que telle. Le problème est plutôt que qui espère, se trouve par là même dans un état d'incertitude: il ne sait pas si ce qu'il espère qui va arriver, va réellement arriver. Du coup, il est impossible de ne pas, quand on espère, ressentir également de temps à autre de la Crainte. Car on peut se dire que vu que l'avenir est incertain, il est tout de même toujours possible que ce qui va se passer sera négatif et non pas positif pour nous. C'est donc l'incertitude propre à l'espoir qui fait que très facilement, il se transforme en Crainte. Or la Crainte est une Tristesse, donc diminue notre puissance. L'Espérance est par là une "Joie passive", c'est-à-dire une Joie qui ne sait nullement nous garantir un véritable bonheur, mais qui nous met dans un état que Spinoza appelle "flottement d'âme": nous basculons sans cesse de l'Espérance dans la Crainte, chose peu intéressante, car il suffit qu'une autre Tristesse s'y ajoute pour que le bilan "total" est très vite négatif.

Faut-il dès lors remplacer l'Espérance par l'indifférence par rapport au futur? Surtout pas! Il s'agit bien plutôt de remplacer l'incertitude par rapport à l'avenir par une certitude. Il faudrait orienter son attention/Esprit vers ce qui dans le futur est déjà certain, pour planifier sa vie d'une telle façon qu'aujourd'hui déjà on sait pleinement profiter du présent tout en se basant sur ce qui est certain pour préparer le lendemain.

Si par exemple aujourd'hui je suis malade et le médecin me dit qu'il ne sait pas quand je serai guérie, cela peut me donner une certaine Joie et donc une certaine force quand j'espère que demain je serai mieux, je pourrai de nouveau sortir avec mes copains etc. Mais je serai fort déçue quand le lendemain aucune amélioration se produit. Puis je ne pourrai pas éviter de déjà craindre aujourd'hui que peut-être demain je ne serai pas mieux, ou je me sentirai encore pire.

Tandis que si je pense au fait que le médecin m'a dit qu'il ne sait pas quand je serai guérie, je sais que ce qui est certain, c'est qu'il y a trois possibilités: ou bien demain je serai mieux, ou bien ce sera la même chose, ou bien ce sera pire. A partir de là, je peux commencer à planifier ma journée. Je peux me demander ce que je pourrais faire pour me faire du bien, demain, dans chacun de ces trois cas. Je pourrais essayer de réfléchir à quelque chose qui va certainement me faire du bien, pour chaque cas possible. Alors quand j'ai trouvé quelque chose, je serai déjà Joyeux aujourd'hui, et je suis certaine que demain je serai Joyeux à cause de ce que j'ai planifié. Dans les deux moments de Joie, il s'agit de Joies actives: elles résultent du fait que j'ai réellement compris quelque chose.

Nepart a écrit :1/
Si d'après Spinoza, nous fesons tout pour du plaisir ou pour éviter de la douleur. Pourquoi parfois, nous avons des comportement autodestructeur?


l'une des idées les plus originales de Spinoza, à mes yeux, c'est qu'il faut cesser de penser le comportement humain en termes d'auto-destruction. Selon lui, ce mot n'a aucun sens. Car si notre essence est PAR DEFINITION un effort pour exister le mieux et le plus longtemps possible, il serait contraire à cette essence d'essayer de nous détruire nous-mêmes. Par conséquent, tout ce qui peut nous détruire, doit forcément venir du dehors.

C'est déjà le cas pour tout ce qui nous détruit partiellement. Toute Tristesse donc, car une Tristesse n'est rien d'autre qu'une diminution de ma puissance (tandis que mon essence est un degré spécifique de puissance). Or jamais, dit Spinoza, nous pouvons diminuer NOUS-MEMES notre puissance. Toute cause de la Tristesse doit donc venir du dehors, ainsi que toute mort. Toute mort vient du dehors, toute destruction vient du dehors. Si tu y penses un instant, essayer de voir les choses comme ça a des conséquences énormes.

Prenons par exemple la Haine. Moi je trouve x détestable. Qu'est-ce à dire? Dans le spinozisme, cela veut dire que je sens une Tristesse, donc je sens ma puissance passer à un degré moindre, et cette Tristesse est accompagnée de l'idée d'une cause extérieure, idée de x, dans ce cas-ci. Cela signifie que la chose x m'a affecté d'une telle façon que ma puissance en a diminué, et que c'est ainsi que je conçois x, quand je pense à x: comme source ou cause d'une destruction partielle de qui je suis.

Si je suis essentiellement un effort pour vivre mieux et plus longtemps, alors la chose la plus "logique" et en même temps la plus inévitable à faire quand on déteste quelque chose, c'est d'essayer de l'éloigner de nous. Si nous n'y réussissons pas, nous dirons que la chose est plus forte que nous. Nous la subissons, nous pâtissons.

Or dans ce cas, JAMAIS cela n'a du sens de se sentir "coupable", par exemple, car le seule coupable de la diminution de ma puissance, c'est quelque chose hors de moi. Le remède à ce que l'on appelle traditionnellement un comportement auto-destructeur n'est donc plus d'essayer de lutter contre soi-même (contre son propre côté auto-destructeur). Il devient au contraire nécessaire de s'appuyer maximalement sur sa propre puissance, sur son propre désir de vivre, pour essayer de l'utiliser afin de mieux comprendre la Tristesse et de mieux séparer cet affect de l'idée de x.

Autrement dit: le sentiment de culpabilité ne fait que diminuer encore ta propre puissance d'agir et de penser, tandis que tu as justement besoin de ta puissance, ou de ce qui reste après la Tristesse, pour pouvoir comprendre la Tristesse et par là la surmonter.

Nepart a écrit :Le concept de gain de puissance lorsque l'on a de joie n'a t'il pas des limites?


en théorie non. On ne peut jamais devenir une puissance infinie, car pour cela il faut être la Nature entière. Mais chaque fois que nous avons une Joie active, chaque fois notre puissance augmente d'un cran. Cela peut continuer toute notre vie.

Nepart a écrit :Car quand on dit que l'homme aide parfois d'autre homme, on peut penser que c'est tout simplement dans sa nature.
Ainsi si l'homme aide d'autre homme (aide des pauvres...) peut être que c'est seulement du à la sélection naturelle qui a "sélectionné" les espèces qui s'aidait entre elle car elle était plus "forte" que les autres, donc plus de reproduction.... Et donc ce n'est pas du tout un gain de puissance que l'on a lorsque l'on aide quelqu'un mais tout simplement une réponse à une besoin comme manger etc.


je crois que beaucoup de choses indiquent en effet que les espèces qui s'entre-aident résistent mieux à la sélection naturelle. C'est donc le cas aussi pour l'homme. On appelle ces espèces des "animaux sociaux". Seulement, si l'on est par nature un animal social, on sait qu'on ne pas le seul a sentir le besoin d'aider les autres. Pas mal d'autres gens sentent ce besoin aussi. Puis on sent également le besoin d'être aidé par d'autres (ne fût-ce que parce que nous n'avons pas le temps, en tant qu'individu seul, et de cultiver nous-même la terre pour avoir de la nourriture et de fabriquer des vêtements et des maisons pour nous protéger contre le froid et de faire de la recherche pour trouver de nouveaux médicaments et instruire nos enfants de tout ce qu'on appris les générations précédentes etc.

Ce besoin d'entre-aide, chez les espèces "sociaux", c'est donc ce qui fonde la société même. Ce que Spinoza y ajoute, c'est que plus notre puissance augmente, plus nous vivons "sous la conduite de la raison", plus nous allons voir en quoi consiste l'intérêt de cette entre-aide, et plus nous désirons la pratiquer activement. Car si tu aides ton voisin, sa puissance d'agir et de penser augmentera, et par là même il pourra plus facilement comprendre en quoi aider les gens est important et nécessaire, et ainsi de suite. Tu crées donc, en aidant des gens, un genre de mouvement d'avalanche, ce qui en fait tout l'intérêt. Que tout cela est basé sur un "besoin naturel" ne change à mes yeux rien à l'importance de l'aide.

Nepart a écrit :On peut de la même façon expliquer l'envie que l'homme à partager des plaisirs pour les amplifier (ecouter de la musique a plusieurs...)


oui bien sûr. Mais tu sembles suggérer que cela te pose problème? Si oui: en quoi?

Nepart a écrit :2/ Le bonheur est-il d’absolu « je suis heureux, je ne le suis pas » ou relatif, je me sent bien, très bien, pas mal…


chez Spinoza, le bonheur est graduel: plus je suis heureux, plus je souhaiterai devenir encore plus heureux.

Nepart a écrit :3/ Est ce que quelqu'un de très malade (sans bras, sans jambe, très grand difficulté à respirer et qui sait qu'il risque de mourir d'ici 1 mois) peut être heureux le reste de sa vie, sans se rabattre sur une illusion du paradis post-vie.


s'il a déjà une grande puissance de penser, je crois que oui. Car alors il pourra comprendre la nécessité de ce fait, il pourra déjà essayer de consoler ses proches qui peut-être n'ont pas cette puissance d'esprit et qui commence déjà à craindre sa mort et à être Triste. C'est bien sûr assez rare, mais je connais tout de même au moins une personne qui a réussi à mourir d'une telle façon. Quand cela arrive, c'est tout à fait impressionnant. Il va de soi que avant sa maladie elle avait déjà eu une vie très heureuse (il s'agit d'une femme morte d'un échec de transplantation des deux poumons, qui déjà avant l'opération ne savait plus respirer que très difficilement et par l'intermédiaire d'une grosse machine, qui ne pouvait plus marcher car cela l'épuisait, bref qui ne pouvait plus rien faire. Elle n'était pas croyante, mais athéiste, comme son mari).

Nepart a écrit :4/ Enfin pour ceux qui pensent comme moi que les sentiments ne sont que tempetes biochimiques. Si un jour on vous permettrez de stimuler votre cerveau pour être heureux de façon artificielle, accepteriez vous?


je crois déjà avoir répondu à cette question, au début de cette discussion. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que j'ai dis là et à ce que vient de te répondre Sescho. Il faudrait d'abord démontrer que l'idée de "bonheur" et l'idée d'un bonheur "artificiel" soient compatibles l'une avec l'autre. Je ne vois pas comment cela pourrait être le cas. Je ne crois pas que le bonheur est simplement un sentiment. C'est bien plutôt une manière d'être, une manière de vivre. Le fait d'être consciemment acteur de tes actes en fait inévitablement partie. On peut stimuler certaines choses dans le cerveau et alors orienter la pensée de quelqu'un (quand on stimule avec un électrode tel endroit spécifique chez telle personne spécifique, elle va commencer à entendre l'une de ses chansons favorites, par exemple, oo avoir l'impression d'avoir un orgasme ...) mais dirais-tu que ce n'est que cela, le bonheur ...? Si oui, pourquoi?.
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Messagepar Louisa » 03 févr. 2008, 04:49

PS: voici la discussion concernant l'espoir, dont je parlais ci-dessus.

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Re: Être heureux

Messagepar Joie Naturelle » 07 févr. 2008, 19:42

nepart a écrit :
Doit on essayer de ne plus avoir d'égo pour être heureux (cad, ne pas vouloir être fière, paraitre, vouloir avoir une bonne image, être estimé des autres).


J'ai peu de temps pour te répondre, mais je dirais que pour être heureux, il faut déjà s'accepter tel qu'on est, et ensuite accepter l'idée de mourir un jour, et l'idée qu'on n'est qu'une courte parenthèse dans le gigantesque cycle de la vie. Comprendre également qu'on ne peut trouver un sens à son existence que dans la finitude. J'aimerais développer davantage, mais ce sera pour une autre fois...


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