L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Faun
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Messagepar Faun » 26 juin 2008, 23:05

sescho a écrit :Le problème là, c'est le "moi." Il n'y a pas de moi qui reste avec Spinoza : il y a des phénomènes, et dans ces phénomènes des passions. Les actions c'est connaître l'essence de Dieu. Ce que je suis dans ce second cas, c'est Dieu lui-même en tant qu'il s'explique par mon esprit seul. Il n'y a plus de "moi", c'est le "soi" divin.


C'est vrai des philosophies de l'Inde et du Tibet, mais ce n'est pas vrai de la philosophie de Spinoza, désolé de vous reprendre une fois encore sur ce point que je pense fondamental pour l'intelligence de cette philosophie.

Le mode éternel qui constitue l'intellect éternel ne se dissout pas dans le mode infini qui est l'intellect éternel et infini de Dieu. C'est l'ensemble de tous les modes éternels immanents qui constitue l'intellect éternel et infini de Dieu. C'est pourquoi Spinoza affirme que Dieu, en tant qu'il est infini, n'a pas d'intellect.

C'est là que se situe la différence entre le Soi transcendant des philosophies Indiennes et tibétaines et l'infinité des modes (chacun étant un moi) immanents de la philosophie de Spinoza. Il existe une spécificité de chaque intellect, une différence de nature entre chacun. C'est une philosophie de l'Infinité, et non une philosophie de l'Un.

En somme, et les théologiens de son temps avaient raison de lui faire ce reproche, c'est un athéisme en tant que Dieu n'est pas une personne unique. C'est bien plutôt un polythéisme qui fait de chaque modification un Dieu.

Infinité des Dieux chez Spinoza, qui rejoint sans doute ses lectures des Evangiles, dans lesquels Jésus cite les psaumes qui chantaient : "vous êtes des Dieux". C'est d'ailleurs cette affirmation reprise par Jésus qui l'a conduit au supplice. Car ce genre d'idée est insupportable pour les prêtres, elle supprime leur autorité et leur pouvoir.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 27 juin 2008, 00:25

cher Serge


je pense que pour Spinoza le problème ce n'est pas le moi mais les autres .( autrui et aussi les choses )

Ce sont les autres qui déterminent les affects . La typologie des affects chez Spinoza est une psychologie relationnelle .

Ce qu’il faut maîtriser ,raisonner , ce sont mes rapports à autrui (et aux choses extérieures ).
Quel serait le sens et la nécessité de cette maîtrise si le moi était dissous ? A aucun moment il ne l'est ( et pas plus dans la cinquième partie ).
Modifié en dernier par hokousai le 29 juin 2008, 13:44, modifié 1 fois.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 27 juin 2008, 16:22

Sescho a écrit :Je dois avouer que je ne "flashe" nullement sur le "conatus" : une chose résiste à la déformation par le principe d'inertie (que Spinoza extrapole en "volonté de puissance", mais là je n'admets pas la pureté de la démonstration.) C'est une loi comme d'autres.


serait-il possible de préciser de quelle démonstration (proposition) il s'agit?

C'est qu'il me semble qu'il n'y a pas de volonté de puissance chez Spinoza. Comme il le dit dans le scolie de l'E1P11: "pouvoir exister est puissance". Une essence ne se caractérise pas par une volonté générale de puissance, elle EST une puissance, en tant qu'elle existe (qu'il s'agisse de Dieu ou d'une chose singulière; pour la chose singulière, voir la définition du conatus, E3P7). C'est également ce qui permet à Spinoza d'identifier la volition (comme tu le sais, il n'y a pas de volonté en général (LA volonté) chez lui, là où une chose singulière se définit bel et bien par LE conatus singulier qui le caractérise) à l'affirmation (ou la puissance, le pouvoir) que contient une idée.

Si tu référais par le terme "volonté de puissance" au fait que toute chose cherche à augmenter sa puissance (car cela lui garantit davantage de pouvoir persévérer dans l'existence): à mon sens c'est précisément ce qui montre que le conatus spinoziste a peu à voir avec le principe d'inertie de la physique. Je m'explique.

Le conatus spinoziste est avant tout un principe ACTIF, et non pas REACTIF, comme tu sembles l'interpréter. Qui plus est, étant Actif au sens proprement spinoziste du mot, chaque conatus produit nécessairement parmi tous les effets qu'il est déterminé de produire, des Actions, des effets qui augmentent sa propre puissance, et par là son désir d'exister, son désir de comprendre soi-même, le monde et Dieu, son Amour pour soi-même, pour les choses et pour Dieu, son bonheur. Le conatus est essentiellement cela.

Le réduire à une capacité de résister à ce qui le détruit (ce qu'il est bien sûr aussi), comme c'est le cas pour un corps qui se meut de façon inerte selon la première loi de Newton, c'est lui ôter tout ce qu'il a de proprement spinoziste, il me semble, c'est ne pas tenir compte du caractère proprement dynamique du conatus spinoziste. Si pour un corps newtonien le seul moyen d'augmenter sa puissance d'affecter d'autres corps (en accélérant sa propre vitesse) vient de l'extérieur (un autre corps doit lui donner davantage de vitesse), dans le spinozisme un conatus peut s'auto-affecter lui-même, et être lui-même seul la cause prochaine d'une augmentation de sa puissance. C'est pourquoi un corps et donc un conatus spinoziste a accès à la béatitude et la liberté, contrairement au corps newtonien.

C'est d'ailleurs aussi l'une des raisons pour lesquelles on ne peut pas évacuer l'autonomie modale du se ipse du spinozisme. On pourrait par exemple penser à l'E4Ch.I et II:

Spinoza a écrit :CH.I.
Tous nos efforts, ou Désirs, suivent de la nécessité de notre nature de telle sorte qu'ils peuvent se comprendre, SOIT PAR ELLE SEULE ( per ipsam solam), comme par leur cause prochaine, soit en tant que nous sommes une partie de la nature, qui ne peut se concevoir adéquatement par soi sans les autres individus.

CH.II.
Les Désirs qui suivent de notre nature de telle sorte qu'ils peuvent se comprendre par elle seule, sont ceux qui se rapportent à l'Esprit en tant qu'on le conçoit composé d'idées adéquates (...) ceux-là indiquent toujours notre puissance (...).


Comment comprendre ces chapitres si, comme tu viens de le dire, "la chose n'a pas d'"elle-même"?

Notre nature (au sens de ce qui nous caractérise) est inévitablement d'une AUTRE nature que celle de Dieu (= La Nature au sens de la totalité de l'univers; donc La Nature (Substance) a une autre nature que la nature d'un mode), puisque nous sommes finis et lui infini. C'est pourquoi comprendre quelque chose par notre nature seule ne nécessite pas d'en passer par la nature de Dieu.

Sescho a écrit :Le problème là, c'est le "moi." Il n'y a pas de moi qui reste avec Spinoza : il y a des phénomènes, et dans ces phénomènes des passions.


comme je viens de le dire, il me semble qu'en effet il faut réduire les choses singulières à leurs passions pour évacuer ce que tu appelles le "moi" (et que j'appelerais l'essence d'une chose singulière) chez Spinoza. Or justement, l'essence d'une chose, sa partie éternelle, c'est l'ensemble de ses idées adéquates ou Actions. Le moi c'est le conatus, le principe "dynamique des Actions posées par la chose singulière.

Sescho a écrit :Les actions c'est connaître l'essence de Dieu. Ce que je suis dans ce second cas, c'est Dieu lui-même en tant qu'il s'explique par mon esprit seul. Il n'y a plus de "moi", c'est le "soi" divin.


le "soi" divin est en soi et se conçoit par soi. Ce n'est pas le cas pour une chose singulière, qui par définition reçoit son essence et existence d'autre chose. Ou comme le dit Spinoza: " A l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la substance". C'est pourquoi cela me semble être un contre-sens absolu que de faire de "mon esprit seul" le "soi divin". Le "seul" ici signifie : abstraction faite des autres choses singulières extérieures à moi. Or Dieu, justement, n'est rien d'autre que l'ENSEMBLE de moi-même seul et des autres choses singulières.

On peut donc saisir OU BIEN le "soi" divin, mais alors on conçoit l'essence de la Substance (constituée par les attributs, et ayant les propriétés d'infinité, existence nécessaire, etc), OU BIEN ce qui s'en suit nécessairement, c'est-à-dire ce qui n'appartient plus à l'essence de Dieu, mais qui n'est qu'une affection ou un mode de cette essence.

C'est précisément ce qui distingue "mon Esprit seul" du "soi spirituel divin". Les affections sont certes EN Dieu, mais elles n'en constituent pas l'essence. Les choses singulières ou affections de Dieu ne font qu'exprimer le soi divin, elles ne SONT PAS ce soi divin (même si elles sont elles aussi divines).

Sescho a écrit :La précision méritait d'être faite, donc. Je ne fais pas de différence entre "être en soi" et "être cause de soi."


je crois qu'effectivement les deux sont synonymes (ou plutôt: cette identification d'une substance et d'une cause de soi est ce qu'effectivement démontre le début de l'Ethique). Or Bardamu parlait d'un "être soi", et là comme lui je ne vois pas comment ne pas le distinguer d'être en soi (même si l'expression "être soi" a comme désavantage de ne pas être utilisé par Spinoza, peut-être parce qu'elle suggère qu'on pourrait également ne pas être soi, ce qui est absurde dans le spinozisme).

En tout cas, je ne vois pas comment nier que le spinozisme réserve un "soi" proprement singulier, qui caractérise les modes ou choses dites singulières. Si ce "soi" n'est jamais "en soi" mais toujours en autre chose (en Dieu), il peut néanmoins se comprendre PAR soi. Il faut donc à mon sens distinguer très nettement l'idée d'être en soi (= l'idée d'être cause de soi) et l'idée de pouvoir se comprendre par soi ce qui nécessite un "être soi", si l'on veut). La suite de mon message essayera de mieux préciser cette distinction.

D'abord, cette compréhension PAR SOI est exactement ce qui caractérise toute idée adéquate (voir ci-dessus, E4ch.I et II, par exemple), puisque cette idée a comme cause prochaine le "soi" de la chose singulière ou de l'Esprit singulier qui l'a. Certes, cette idée adéquate est également "en Dieu", mais cela non pas en tant qu'elle constituerait le "soi divin", car toute idée est un mode, et les modes ne constituent pas l'essence divine, ils ne font que l'exprimer. Il y a donc bel et bien deux genres de "soi" qui parcourent l'Ethique: le soi de la Substance, et le soi de chaque mode. Car tout mode est certes en Dieu, mais certains modes n'expriment Dieu qu'en tant que celui-ci est également exprimé par d'autres modes, tandis que d'autres modes expriment Dieu tout à fait seuls, "par soi". C'est ce type de "solitude" qui le rend possible que certains sont des sages et d'autres des ignorants: l'Esprit, pris "en soi", du sage est différent de l'Esprit, pris en soi, de l'ignorant, car l'un est constitué d'une majorité d'idées adéquates ou Affects actifs, l'un d'une majorité d'idées inadéquates et de passions.

Sescho a écrit :Il faudrait définir clairement ce qui est entendu par "essence d'une chose singulière." Pour moi, avant examen spécifique, Spinoza entend par-là sa nature totale - outre qu'elle ne peut être vue clairement en elle-même, mais seulement comme étant en Dieu -, et celle-ci ne saurait être connue adéquatement.


Définir clairement ce qui est entendu par "essence d'une chose singulière", Spinoza l'a fait. E3P7: "L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien à part l'essence actuelle de cette chose.". Comme il le dit dans la démonstration: cette essence actuelle de la chose n'est rien d'autre que la puissance d'une chose. C'est cette puissance qui permet à la chose, autant qu'il est EN ELLE, quantum in se est, de s'efforcer de persévérer dans son être (et non pas dans l'être de la Substance, dans le "soi divin", ni dans l'être d'un autre mode, ce qui serait absurd).

Quand cette chose est Joyeuse, sa puissance augmente, et quand elle ressent la Béatitude, elle a accès à la sagesse, ce qui fait qu'à partir de ce moment-là, il est beaucoup plus EN ELLE de pouvoir exister que ce qui est dans l'ignorant, vu in se. Ici, ce "en soi" ne signifie pas un "être en soi" au sens d'être cause de soi. Il signifie simplement que l'on peut comprendre la chose par soi, c'est-à-dire sans tenir compte des autres choses singulières, en ne regardant que ce qu'elle est "en elle-même".

Je dirais donc qu'il faut distinguer le "concevoir une chose comme étant en soi" de "comprendre une chose par soi". Car à mon sens c'est précisément à ce niveau-ci que se situe la distinction entre une Substance et un mode de la Substance: la Substance non seulement se conçoit par soi, mais également comme ce qui est en soi (= être cause de soi), tandis qu'un mode ne peut JAMAIS être conçus en soi, mais il peut bel et bien:

1) se comprendre par soi: c'est ce qui se passe quand nous concevons son essence singulière, ou l'ensemble des idées adéquates qui en font CE mode singulier et non pas un autre, qui constituent donc sa singularité à lui, ou quand nous considérons sa puissance à lui (qui est certes divine, mais qui n'est pas la puissance divine "en soi", puisque celle-ci est infinie, tandis que la puissance singulière d'une chose toujours finie

2) se concevoir par autre chose: c'est ce qui se passe quand nous concevons ses idées inadéquates ou passions, qui ne s'expliquent qu'en comparant sa puissance singulière avec une puissance d'une autre chose singulière, différente de lui.

On pourrait objecter que la définition même du mode dit qu'il s'agit de ce qui est en autre chose et se conçoit par cette autre chose. Le problème c'est que notamment les chapitres I et II de E4 (tout comme de nombreux autres endroits) introduisent la possibilité de comprendre une chose singulière ou un mode " par soi". C'est ce qui me fait penser qu'il faut distinguer l'expression "concevoir par soi" de l'expression "comprendre par soi", tel que je l'ai fait ci-dessus. Là où Spinoza semble réserver le "concevoir par soi" uniquement pour ces choses qui existent en soi, il utilise sans cesse le "comprendre par soi" quand il désigne la connaissance par rapport aux choses singulières, la connaissance proprement humaine (qui n'en est pas moins divine pour autant, puisque tout est en Dieu).

Bref, à mon sens dire que la chose n'a pas d'"elle-même sur base de l'idée que quand elle connaît adéquatement, elle n'aurait plus de moi, elle serait devenue elle-même le "soi divin", c'est confondre le fait que toute chose singulière se conçoit par Dieu avec le fait que quand une chose singulière connaît quelque chose adéquatement, cette idée adéquate se comprend par elle seule, par son "soi" à elle. Que ce "soi" singulier est divin n'en fait pas encore un "soi divin". La chose singulière, quand elle connaît adéquatement, reste une chose singulière, son essence ne se confond pas avec l'essence divine. Son essence reste un simple degré de puissance, et ne devient pas par là une puissance infinie (qui ne caractérise que le "soi divin"). Ce qu'il y a, et c'est précisément en cela que consiste tout l'intérêt de l'Ethique, c'est que quand cette chose singulière comprend quelque chose adéquatement, elle acquiert non pas une puissance infinie mais néanmoins tout de même une puissance plus grande qu'avant d'avoir compris cette chose. Quand elle est elle-même seule la cause prochaine d'une telle compréhension, elle est Joyeux, elle peut même accéder à la liberté et à la Béatitude.

Sans ce niveau proprement "modal" d'un soi, sans la distinction entre "comprendre quelque chose par soi" et "se concevoir par soi", sans distinguer les deux usages spinozistes d'un "soi", c'est la possibilité de la béatitude même qui se perd, puisque la Béatitude ne caractérise PAS Dieu "en soi", elle ne caractérise pas le "soi divin" (dans son essence), elle ne caractérise que l'état de telle ou telle chose singulière, considérée "en soi".

Amicalement,
L.

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Messagepar Enegoid » 28 juin 2008, 19:10

Chère Louisa,

je vous propose un jeu (de paysan des carpathes) : essayer de définir l'essence singulière d'un brin d'herbe dans la prairie, ou de la feuille d'un arbre.

Soit vous allez vous retrouver dans les repères spatio temporels, soit vous allez vous perdre dans le dénombrage infini des caractéristiques physiques et de leurs combinaisons.

Vous ne saurez rien dire sinon que l'essence singulière de cette feuille est le conatus de cette feuiile, soit : rien

Bonjour Wittgenstein...

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Messagepar Louisa » 28 juin 2008, 19:43

Enegoid a écrit :je vous propose un jeu (de paysan des carpathes) : essayer de définir l'essence singulière d'un brin d'herbe dans la prairie, ou de la feuille d'un arbre.

Soit vous allez vous retrouver dans les repères spatio temporels, soit vous allez vous perdre dans le dénombrage infini des caractéristiques physiques et de leurs combinaisons.

Vous ne saurez rien dire sinon que l'essence singulière de cette feuille est le conatus de cette feuiile, soit : rien


à mon sens vous confondez le deuxième genre de connaissance avec le troisième.

- 1e genre de connaissance: connaissance par signes (dont avant tout les mots; connaissance verbale donc (que Sescho identifie à mon sens de façon erronée à la connaissance du deuxième genre, car les mots ne sont que des images, donc objets d'idées inadéquates; que le deuxième genre, comme toute connaissance, se communique par mots ne réduit nullement ses idées adéquates à une connaissance "verbale"; comme le dit Spinoza, il est important de ne pas confondre les mots et les idées, dernier scolie de l'E2).

- 2e genre de connaissance: connaissance des rapports (rapports entre idées que nous avons des choses, rapports de convenance, différence et opposition). La définition appartient à ce genre de connaissance, car elle nous explique les choses par leur causes prochaines, donc en révélant des rapports de cause à effet entre au moins deux choses (causa sive ratio).

- 3e genre de connaissance: connaissance intuitive de l'essence des choses. Ici les définitions n'ont aucune place, car il s'agit de ce que la tradition philosophique appelait depuis longtemps "intuition intellectuelle". Le deuxième genre nous dit en quoi le particulier se subsume sous le général, le troisième genre nous fait "voir" immédiatement le particulier en ce qu'il a de particulier (ce qui bien évidemment ne pourrait être connu en étudiant les rapports entre les choses). Bien sûr, pour nous, vivant au XXe siècle et après que Locke et Kant ont aboli toute possibilité d'intuition intellectuelle, cette faculté de l'esprit semble être plus ou moins inconcevable. Or c'est bien de cela qu'il s'agit dans le troisième genre de connaissance.
Cordialement,
L.

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Messagepar Enegoid » 28 juin 2008, 23:22

Louisa a écrit :3e genre de connaissance: connaissance intuitive de l'essence des choses. Ici les définitions n'ont aucune place,


(Rappel : on parle des essences des choses singulières)

Donc, rien à en dire : exit la philosophie.

Mais, bien sûr, la connaissance intuitive existe, mais connaissance de quoi ? D'une chose dont nous ne savons rien dire ?

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Messagepar vieordinaire » 28 juin 2008, 23:56

Bonjour Louisa,

Louisa a écrit :- 2e genre de connaissance: connaissance des rapports (rapports entre idées que nous avons des choses, rapports de convenance, différence et opposition). La définition appartient à ce genre de connaissance, car elle nous explique les choses par leur causes prochaines, donc en révélant des rapports de cause à effet entre au moins deux choses (causa sive ratio).


Tout cela est bien vague. Tout comme l'identite que vous posez entre une certaine connaissance scientifique (et intellectuelle) du monde--laquelle a toujours evoluee et continue de le faire. Notre representation scientifique du monde ne semble pas posseder l'invariance que Spinoza semble attribuer au deuxieme genre de connaissance. Ou bien de la clarte vous avez recemment attribuee aux 'notions communes'
Louisa a écrit :"si elle n'a pas la clarté propre aux notions communes"

Quelle clarte!? Au dela des caracterisations vagues de Spinozas, s'il y a bien un aspect du systeme de Spinoza qui a laisse plus d'un commentateurs perplexe et incertain c'est bien la nature et l'ensemble possible des notions communes. Ce c'est ce que j'appele l'ironie des notions communes: ce qui devrait etre le plus evident--car commun a tous les modes (2p37-2p38)--et 'clair et distinct' apparait comme tout a fait obscure, si l'on se base sur l'evidence de l'ensemble de literature fesant l'exegese de sa philo, pour celui qui lit ou interprete la philo de Spinoza. C'est bien normal donc si certaines personnes sont confuses au sujet du deuxieme et troisieme genre de connaissance. A ce propos, selon vous, une definition appartient a deuxieme genre de connaissance. Et les essences au troisieme. Comment interpretez-vous alors l' equivalence exprimee par Spinoza "essence seu definition"? 1p33.

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Messagepar Louisa » 29 juin 2008, 02:04

Louisa a écrit:
3e genre de connaissance: connaissance intuitive de l'essence des choses. Ici les définitions n'ont aucune place,

Enegoid:
(Rappel : on parle des essences des choses singulières)

Donc, rien à en dire : exit la philosophie.

Mais, bien sûr, la connaissance intuitive existe, mais connaissance de quoi ? D'une chose dont nous ne savons rien dire ?


on parle effectivement des essences des choses singulières (souviens-toi que je disais que la connaissance intuitive portait sur les choses particulières en ce qu'elles ont de particulier).

Puis bon, il se fait que depuis des siècles la philosophie (et elle seule) a écrit des bibliothèques par rapport à la connaissance intuitive. Je ne comprends donc pas très bien ce qui te fait dire que la philosophie n'en a rien à dire .. ?

D'autre part, ce n'est pas parce que la philosophie en parle que cela existe. Dans notre siècle scientiste, quasiment personne croit encore en la possibilité d'une connaissance intuitive (= intuition intellectuelle).

Un bel exemple de ce scientisme est précisément l'interprétation que Sescho ici nous propose: le troisième genre de connaissance ne porterait que sur ce que les choses ont de "général". Le reste, on ne peut pas le connaître. Or dès qu'on dit que le troisième genre de connaissance n'est qu'une application du deuxième à des cas particuliers, celui-là n'est plus du tout une connaissance intuitive au sens philosophique du terme, mais devient une simple subsomption du particulier sous le général, réitérée à l'occasion de chaque rencontre avec une chose singulière. Exit donc la connaissance adéquate du particulier/singulier. Exit l'intuition intellectuelle. On ne garde plus que le deuxième genre de connaissance, fût-ce dans sa généralité abstraite ou dans sa généralité appliquée. Il n'y a plus de place pour le particulier en ce qu'il a de tout à fait singulier.

C'est simplement la répétition de l'adagio aristotélicien: il n'y a de la science possible que du général. On ne peut pas atteindre intellectuellement le particulier en ce qu'il a de particulier, de non général. C'est ce que Kant et Locke vont reprendre, et après eux quasiment tous les philosophes (exception faite de Fichte, Schelling, et Bergson, entre autres). Inversement, si nous voulons comprendre les philosophes appartenant à la tradition de la connaissance intuitive, il faut faire un certain effort intellectuel pour pouvoir rentrer dans leur monde à eux, car d'un point de vue contemporain, cette idée de connaissance adéquate du particulier est spontanément fort obscure voire absurde.
L.
Modifié en dernier par Louisa le 29 juin 2008, 03:08, modifié 2 fois.

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Messagepar bardamu » 29 juin 2008, 02:33

Bonjour Serge,
je risque de redire certaines choses dites par Louisa ou Faun, mais bon...
sescho a écrit :(...)
Ce que je dis c'est que Spinoza dit clairement et à de multiples reprises que ce que l'on peut connaître clairement et distinctement ne constitue l'essence d'aucune chose singulière
(...)
C'est pourquoi je dis que dans la phrase "la chose singulière que j'ai en face de moi, elle existe", le mot qui pose problème n'est pas tant "existe" que "elle." Qu'est-ce qui existe vraiment ?

Je lis autre chose : les notions communes peuvent être connues clairement et distinctement, et le commun ne constitue l'essence d'aucune chose particulière, mais cela n'implique pas que cette connaissance interdise la connaissance de l'essence de choses particulières.

A mon sens, c'est le rôle du 3e genre que d'aller vers la connaissance adéquate des choses particulières notamment par une claire définition (TRE 93) : "la meilleure conclusion est celle qui se tirera d'une essence particulière affirmative, c'est-à-dire d'une définition vraie ou légitime. Car des axiomes universels seuls l'esprit ne peut descendre aux choses particulières, puisque les axiomes s'étendent à l'infini, et ne déterminent pas l'entendement à contempler une chose particulière plutôt qu'une autre.
94. Ainsi le véritable moyen d'inventer, c'est de former ses pensées en partant d'une définition donnée, ce qui réussira d'autant mieux et d'autant plus facilement qu'une chose aura été mieux définie.
"

Il s'agirait pour moi d'opposer 2 méthodes, une de compréhension par le commun, l'autre par la distinction. A mon sens, tout ça n'est que question de méthode, de précision dans la définition de même qu'il n'y a pas d'erreur à voir le Soleil petit pour autant qu'on sache pourquoi on le voit petit.

Par rapport aux personnes par exemple, il ne s'agira pas de connaître un "Moi" tel qu'il se dit vaguement mais des choses plus précises.
Exemple : je sais qu'il y a une chose singulière en toi, une idée, qui s'affirme et identifie chose singulières à choses changeantes ( et je sais même que c'est une idée inadéquate :wink: , due au fait que tu ne prends pas en compte que l'éternité chez Spinoza ne se lie en rien à la distinction commun/singulier, qu'un esprit particulier peut par exemple être considéré sous le caractère de l'éternité E5p22).
Avec diverses connaissances de ce genre, je peux constituer des êtres particuliers de plus en plus complexes, et qui n'appartiendrons qu'à toi pour autant que je les renverrais à un "toi" qui sera plus vague, simple définition du type nom propre à la sioux : "l'être-qui-parle-sous-le-pseudo-sescho".

De manière générale, je dirais que l'essentiel est dans l'attitude : rester ouvert, en éveil, éliminer ce qui nous apparaît douteux, accepter la "marge d'erreur" comme idée positive ("les imaginations de l'esprit considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné"), tendre à l'idée affirmative simple qui n'excède pas l'objet visé, ne pas rester dans le refus d'affirmer au prétexte qu'on ne saurait pas tout.

Et à mon sens, il n'y a pas moins de singularité dans l'imagination, la constitution des notions communes que dans le 3e genre.
A nouveau, la singularisation est affaire de méthode tandis que le point de vue sur la chose singulière dépend du genre de connaissance. Les lois du genre "notions communes" fonctionnent par le commun entre 2 choses mais il faut d'abord A et B, pour dire qu'il y a du commun entre A et B. Dire ensuite que le commun vaut mieux que le singulier nécessiterait que ce commun soit placé avant A et B, mais si on le constitue par A et B, ceux-ci sont premiers par rapport à celui-là. C'est pour cela que si l'idée de Dieu est atteinte par les notions communes, elle n'est pas pour autant réductible à une notion commune, elle est avant le commun entre les choses.

Quel est l'objet des notions communes dans l'Ethique ?

Par les notions communes on s'assure que l'essence de Dieu est enveloppée par toute chose existant en acte et que donc tout un chacun pourra avoir accès à sa connaissance (E2p45 à 47). Seulement (cf E2p45 scolie), cet enveloppement est dans une existence du point de vue de l'éternité, c'est-à-dire en tant que découlant de la Nature de Dieu (E1p16) et où la chose est prise comme "force" (E2p45 scolie).
Après E2p47, je dirais qu'on peut faire le saut jusqu'à E5p21 pour suivre la connaissance du 3e genre.
Ce qu'il va falloir faire avec le 3e genre, ce n'est pas voir les choses seulement comme cas particulier de lois communes mais comme affirmation particulière de l'essence de Dieu définie dans la partie I, de Dieu comme puissance/existence/affirmation, notamment de telle ou telle chose.
En fait, on peut spécifier une chose particulière par le 2nd genre et ensuite faire la conversion au 3e genre mais la conversion change assez profondément (affectivement) la nature de ce que l'on voit. On peut aussi avoir une approche plus directe par le 3e genre, c'est-à-dire se contenter de la spécification donnée par l'imagination (bis repetita : "les imaginations de l'esprit considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné"), et ensuite faire un effort de spécification par le 2nd genre pour communiquer la nature d'un être particulier.

Tu dis : "La reine des lois, qui a elle seule vaut plus que tout le reste est : tout ce qui est est en Dieu et ne peut être conçu sans Dieu, y compris moi-même, et Dieu est éternel (et l'éternel perceptible, outre les attributs et les modes infinis, ce sont les lois.)"

Je dirais que la reine des lois est : tout ce qui est, est Dieu en tant qu'affirmation d'existence et d'essence, en tant que puissance d'être et d'être ceci ou cela. Toute chose particulière constitue la trame de l'Etre ou de la Nature en tant que celle-ci ne connaît que des modifications réelles, éternelles. La Nature ne peut être ce qu'elle est qu'infiniment modifiée. Les modes que l'on sépare de la substance dans l'ordre de l'explication retournent à la substance dans leur réalité éternelle. Lorsqu'on reste dans la disjonction substance/modes, on dit que l'éternité est partout mais on ne la voit nulle part, lieu abstrait quelque part à l'horizon. Lorsqu'on refait la jonction, on baigne dans l'éternité. Une réalité en tension éternelle, ses affections singulières comme autant de points de tension, un Dieu nécessairement affecté, affectif, vivant.

Lettre X à Simon de Vries : "Vous me demandez encore si les choses réelles et leurs affections sont des vérités éternelles. Je réponds qu'elles en sont. Mais alors, direz-vous, pourquoi ne pas les appeler des vérités éternelles ? Pour les distinguer, répondrai-je, ainsi qu'il est d'usage commun, de ces vérités qui ne font connaître aucune chose et aucune affection, celle-ci par exemple : rien ne vient de rien ; de telles propositions, dirai-je, et autres semblables sont appelées, au sens absolu du mot, des vérités éternelles par où l'on ne veut rien dire sinon qu'elles n'ont de siège que dans l'esprit, etc.
sescho a écrit :La précision méritait d'être faite, donc. Je ne fais pas de différence entre "être en soi" et "être cause de soi."

Comme l'a souligné Louisa, je dis "être soi" pas "être en soi". Mais je devrais faire attention à l'équivoque quand je dis voir une chose "en elle-même". Le "en" est censé appuyer le "elle-même" mais "voir la chose elle-même" devrait suffire.
sescho a écrit :Si pour toi, comprendre qu'une chose qu'on perçoit en acte sans la connaître exactement, loin s'en faut, est un mode, c'est à dire une manière d'être de Dieu, est connaître son essence, alors nous sommes d'accord. Simplement, je pense qu'il faut alors éviter "connaissance du troisième genre d'une chose singulière" - qui prête à confusion - c'est une connaissance du troisième genre au sujet d'une chose singulière, ou d'une autre (quelle qu'elle soit, que nous affirmons dépendre de Dieu : c'est l'esprit de E5P36S.) (...) ce n'est pas tant la singularité de la chose singulière que tu mets en valeur ici, mais la puissance divine qu'elle porte.

Ce que j'essaie de dire c'est plutôt qu'une connaissance du 3e genre est une connaissance de Dieu en tant que chose singulière et de la chose singulière en tant que Dieu, que c'est la connaissance/affirmation de Dieu comme particularité d'être.
Il n'y a pas de différence entre la singularité et la puissance puisque dans l'ordre des essences éternelles la puissance est puissance d'être ceci plutôt que cela. Il n'y a que dans l'ordre temporel, l'ordre des rencontres entre choses, qu'on aura tendance à différencier puissance et être en confondant la visibilité avec la puissance, l'image avec la réalité, à croire qu'être puissant c'est être gros alors que c'est avoir de multiples aptitudes, de multiples manières d'être (cf E5p39).
Donc non, il ne peut pas s'agir de simplement affirmer verbalement qu'une chose est un mode sans savoir de quel mode il s'agit. Il s'agit bien de saisir le mode dans sa spécificité et comme affirmation de cette spécificité, de le déterminer à partir des convenances, des différences et des oppositions.
sescho a écrit :Dans mon exemple du front de chaleur, qu'est-ce qui est le plus vrai, le plus connaissable : les lois ou de voir le front bouger ?

Quelles lois ?
Si ce sont des lois qui dépendent de l'observation de fronts de chaleur, alors leur vérité dépend de l'observation.
Si ce sont des lois n'en dépendant pas, alors la vérité du mouvement du front vaut pour elle-même (Tertio repetita : ""les imaginations de l'esprit considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné").

Pour résumer, on aura peut-être avancé si le point suivant de mon idée est clair pour toi :
par essence ou puissance en acte d'une affection de la substance, j'entends l'affirmation d'une manière d'être, d'un style, de modes particuliers s'exprimant sous des formes générales d'être (attributs). Affirmer un "être humain", "être cheval", "être ivrogne" etc., s'affirmer à l'infini, c'est l'essence de la Nature. Il n'y a pas que quelques lois communes à connaître, il y a l'infinité des lois de chaque être pour le respect de leur nature (y compris la nôtre propre), de leur liberté et donc de la Nature.

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Messagepar sescho » 29 juin 2008, 10:38

Faun a écrit :C'est vrai des philosophies de l'Inde et du Tibet, mais ce n'est pas vrai de la philosophie de Spinoza, désolé de vous reprendre une fois encore sur ce point que je pense fondamental pour l'intelligence de cette philosophie.

Ceci n'est pas un argument. Il se peut par hypothèse que j'extrapole indûment à Spinoza des compréhensions venues d'autres travaux. Mais il n'y a qu'une seule Ethique. Donc, non content que les convergences ne sont pas forcément abusives, elles sont même à attendre.

Faun a écrit :Le mode éternel qui constitue l'intellect éternel ne se dissout pas dans le mode infini qui est l'intellect éternel et infini de Dieu. C'est l'ensemble de tous les modes éternels immanents qui constitue l'intellect éternel et infini de Dieu. C'est pourquoi Spinoza affirme que Dieu, en tant qu'il est infini, n'a pas d'intellect.

Je ne voudrais pas que nous divergions, mais je fais quand-même la remarque en passant que je ne suis sur ces points à peu près d'accord sur rien. D'abord, je ne vois pas d'où sort le dernier point. Ensuite sur le premier, il n'y a qu'un mode infini de la pensée : c'est l'Intellect infini ou Idée de Dieu ; il est éternel et comprend toutes les essences (qui sont donc éternelles) et j'ajoute : la Légalité (qui transcende - ou "transverse" - les essences singulières.) Le mode infini correspondant dans l'Etendue est le Mouvement. Spinoza ne nomme pas la "figure mobile de l'éternité" qu'est le monde des choses existant en acte à un instant donné - corps, et idée correspondante suivant l'analogie des segments dans un cercle qui n'existent que dans l'idée du cercle tant qu'une paire n'a pas été tracée. Il faut se souvenir que Spinoza voit le temps (presque) comme un épiphénomène et ne se soucie vraiment que de ce qui est éternel, et donc éventuellement connaissable par l'Homme. Encore une fois :

Lettre 64 (en réponse à une demande d’exemples de choses produites immédiatement par Dieu, et de choses produites par l’intermédiaire de quelque modification infinie) : … Voici les exemples que vous me demandez : pour les choses de la première catégorie, je citerai, dans la pensée, l’entendement absolument infini ; dans l’étendue, le mouvement et le repos ; pour celles de la seconde catégorie, la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.


J'ajoute en passant que l'Entendement infini n'est selon toute vraisemblance pas la somme des entendements humains, même en ne prenant que les idées claires et distinctes de la connaissance du troisième genre, et même en prenant tous les individus qui se sont succédés et se succéderont.

Sur la différence irréductible entre l'entendement divin et l'entendement humain (sauf pour les idées adéquates du troisième genre), entre d'autres passages que j'ai identifiés :

PM2Ch10 : Comment la pensée de Dieu diffère de la nôtre. Quelqu'un nous dira peut-être que nous percevons la pensée clairement et distinctement sans l'existence et que nous l'attribuons cependant à Dieu. À quoi nous répondons que nous n'attribuons pas à Dieu une pensée telle qu'est la nôtre, c'est-à-dire pouvant être affectée par des objets et déterminée par la Nature des choses ; mais une pensée qui est acte pur et par suite enveloppe l'existence comme nous l'avons assez longuement démontré plus haut. Car nous avons montré que l'entendement de Dieu et sa volonté ne se distinguent pas de sa puissance et de son essence, laquelle enveloppe l'existence. …


C'est là que se situe la différence entre le Soi transcendant des philosophies Indiennes et tibétaines et l'infinité des modes (chacun étant un moi) immanents de la philosophie de Spinoza. Il existe une spécificité de chaque intellect, une différence de nature entre chacun. C'est une philosophie de l'Infinité, et non une philosophie de l'Un.

Quoique le Bouddhisme soit aussi d'origine indienne, il n'admet même aucun Soi ; c'est carrément le "non-soi." Sur le fond, ce que vous dite me semble si radicalement en opposition avec tout ce que développe Spinoza qu'argumenter ici me semble irréalisable. L'Un, l'Unique, etc. sont des propriétés de Dieu crois-je me souvenir dans les propos de Spinoza ; mais c'est partout que cela se lit. Spinoza dit que la meilleure partie de nous, la seule conforme à notre nature prise en elle-même, est éternelle et non sujette aux rencontres de hasard. Comment voulez-vous que, pour nous pauvres humains, l'éternité soit des essences de choses particulières existant en acte rencontrées par hasard dans l'ordre commun de la Nature, que nous ne pouvons de toute évidence pas connaître adéquatement (la boucle étant ici bouclée) ? C'est ce que dit TRE99-103, entre autres passages déjà cités plus haut (et sans doute d'autres) et qu'il reste à expliquer.

En somme, et les théologiens de son temps avaient raison de lui faire ce reproche, c'est un athéisme en tant que Dieu n'est pas une personne unique. C'est bien plutôt un polythéisme qui fait de chaque modification un Dieu.

Voilà qui a le mérite de la franchise ! Eh bé ! Nous pouvons maintenant discuter sereinement, mais nous ne sommes pas près d'être d'accord ;-) La divinisation des modes pris chacun en lui-même ?!!! Pourquoi ne pas virer la notion de Substance, alors ?

Cordialement

Serge
Connais-toi toi-même.


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