Je ne suis pas l'homme de Spinoza. Il ne parle pas de moi. Il n'a pas su me voir dans mes quatre dimensions, me concevoir, m'expliquer. Et il n'a pas su non plus prendre en compte et "voir" l'univers humanisé, mon univers.
Handicap affectif ? Défaut d'intuition et d'imagination ? Cécité volontaire ? Systématisme réducteur ? Haine revancharde des monothéismes ?
Bonjour Korto,
je voulais simplement réagir par rapport à ce que tu écris dans le passage ci-dessus, et cela parce qu'à mon sens cela touche à une question essentielle: COMMENT LIRE DE LA PHILOSOPHIE? Ou, pour reprendre les mots de Thomas d'Aquin: quelle DISPOSITION faut-il avoir/créer pour pouvoir faire quelque chose d'utile quand on lit des philosophes?
Je dirais sans hésitation: surtout NE PAS DIVINISER les philosophes! Même pas en faire des "envoyés spéciaux" de Dieu. Les philosophes ne sont pas des dieux, ce ne sont même pas des prophètes.
Conséquence: espérer qu'en lisant un livre de philosophe qui ne t'a pas connu personnellement qu'il puisse néanmoins te dire mieux que toi-même qui tu es, c'est précisément cela, attendre des 'oeuvres divines' de ce qui n'est qu'un simple être humain, dépourvu de tout don prophétique, non?
Donc bon ... bien sûr que Spinoza ne parle pas de toi ... comment aurait-il seulement pu faire cela ???? Spinoza est un philosophe, c'est tout. Cela veut dire qu'il s'est occupé à inventer une NOUVELLE façon de concevoir les choses, le monde, l'homme. Nouvelle pour ses contemporains, mais nouvelle aussi pour nous, citoyens du XXIe siècle.
La 'disposition' qu'il faut pour pouvoir ne pas perdre son temps en lisant un philosophe, c'est donc assez simple, après tout: il suffit d'être curieux. D'avoir envie de mettre, ne fût-ce qu'un instant, d'autres lunettes que celles que l'on porte d'habitude (sur soi-même, sur le monde, ...).
Si en revanche la disposition dans laquelle tu te mets quand tu ouvres un livre de philosophie, est celle de vouloir retrouver ce que tu penses déjà toi-même, mais de façon un peu plus 'polissée', formulée de manière un peu plus érudite ... je crains que tu ne rencontreras que déception ... .
Bref, les philosophes ne sont pas des prophètes, que l'on peut seulement 'adorer' quand ils savent dresser un tableau représentatif de NOTRE façon de concevoir monde et qu'il faudrait laisser de côté quand la ressemblance n'est pas très convaincante. Et ils nous invitent précisément à laisser tomber toute tendance à l'admiration (voir l'E3, 4e définition des Affects), pour simplement oser l'exercice d'expérimenter une toute autre pensée que la sienne. Pas l'Ultime Vérité, bien sûr (comme le dit Spinoza: il ne prétend PAS avoir trouvé la SEULE philosophie possible, il prétend seulement avoir fait de la VRAIE philosophie). Comme tout philosophe, Spinoza te propose un tas de nouveaux problèmes de pensée.
Or un lecteur qui essaie de trouver dans le texte ce qu'il pense déjà soi-même ne va pas pouvoir repérer ces nouveaux problèmes ... il ne pourra donc pas non plus entamer 'l'exercice quotidienne' d'essayer de vivre un instant selon les points de vue inventés par le texte. Ce qui n'est pas grave bien sûr (du moins, il y a des choses bien plus graves dans ce monde ...). Juste une perte de temps, sans plus ... . Ou une occasion râtée. Voyage annulé, car après tout, on préfère rester chez soi ... . On verra bien le reste du monde un autre jour. Ou pas. C'est très bien, je n'y vois aucun problème. Seulement, ce n'est pas faire de la philosophie, c'est tout.