KORTO a écrit :Non ! Sarko a été un chef pour la France
Est-ce à dire qu'il ne le serait plus ?
Henrique a écrit :Conclusion n°1 : A titre de chef de parti, et même encore de chef de l'Etat, Sarkozy a pu, au moins par moments, se révéler un chef totalitaire.
Conclusion n°2 : vis-à-vis de la société civile, il n'est nullement un chef puisqu'il ne vise pas un bien commun véritable (cf. ce que j'avais dit sur les arguments que pourrait avoir un esclavagiste sur l'intérêt que trouvent ses esclaves à le servir), il est en revanche un contremaître au service de la domination des intérêts du capital, c'est-à-dire des plus forts.
Pej a écrit :Je pense qu'il n'est pas possible de dire que Nicolas Sarkozy, ne fût-ce qu'à certains moments, a été ou est un chef totalitaire. Pour ma part, je ne faisais que pointer des similitudes entre ce qui caractérise le chef totalitaire (tel notamment que le décrit Arendt) et la manière qu'a Nicolas Sarkozy d'exercer le pouvoir.
Je n'irai pas non plus jusqu'à dire que Nicolas Sarkozy est un maître (en tout je ne le reconnais certainement pas comme tel, mais libre à qui veut d'en faire son propre maître, et je n'en voudrai pas à Korto de l'envisager ainsi), ni même un contremaître (est-il réellement et consciemment "au service de la domination des intérêts du capital", je n'en suis pas sûr...).
En tant que Président de la République, accorder le statut de chef à Nicolas Sarkozy paraît en fait normal, mais quant à affirmer que c'est un bon chef, là j'avoue que j'ai du mal à trouver des arguments...
Henrique a écrit :Prémisse majeure n°1 : un chef cherche le bien commun de tout le corps
dont il n'est que la tête. Un maître en revanche cherche son bien propre, son serviteur n'étant qu'un moyen pour lui. Un contremaître enfin cherche le bien propre du maître pour en tirer pour son compte une situation préférable au serviteur de base.
"Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un Peuple est libre, quelque forme qu'ait son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi."
Pej a écrit :Si l'on ne veut pas vider de sa substance le concept de "chef totalitaire", on se doit de limiter son extension au chef d'un Etat totalitaire. C'est pourquoi, il serait abusif et même dangereux de parler en ce qui concerne Nicolas Sarkozy de "chef totalitaire" au sens plein du terme.
"[Le chef totalitaire] revendique personnellement la responsabilité de tous les actes, faits ou méfaits commis par n'importe quel membre ou fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions. Cette responsabilité totale constitue, sur le plan de l'organisation, l'aspect le plus important de ce qu'on appelle le principe du Chef, selon lequel chacun des cadres, non content d'être nommé par le Chef, en est la vivante incarnation, et chacun des ordres est censé émaner de cette unique source toujours présente." (Le totalitarisme, Chapitre XI, 1, p. 699).
Pej a écrit :Nous étions partis de la distinction rousseauiste entre chef et maître. Il est vrai que selon Rousseau, un chef cherche le bien commun et non son intérêt privé. Mais si l'on part par exemple de cet extrait des Lettres de la montagne :"Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un Peuple est libre, quelque forme qu'ait son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi."
On voit que le chef n'est que l'incarnation de la loi (ce en quoi il ne peut être au-dessus des lois). Or, jusqu'à preuve du contraire, la France est encore un état de droit, régi par des lois, auxquelles sont également soumis tous les citoyens. Qu'il y ait des choses à dire sur la collusion des pouvoirs, et sur le fait que certains arrivent à passer outre les lois, certes. Mais il est faux de dire qu'aujourd'hui les Français servent un maître qui serait Nicolas Sarkozy.
"Mais quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même ; et s'il se forme alors un rapport, c'est de l'objet entier sous un point de vue à l'objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C'est cet acte que j'appelle une loi (…)
La loi réunissant l'universalité de la volonté et celle de l'objet, ce qu'un homme, quel qu'il puisse être, ordonne de son chef n'est point une loi : ce qu'ordonne même le souverain sur un objet particulier n'est pas non plus une loi, mais un décret ; ni un acte de souveraineté, mais de magistrature. J'appelle donc république tout État régi par des lois, sous quelque forme d'administration que ce puisse être : car alors seulement l'intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose."
De même, à partir du moment où on accepte la définition que Rousseau donne du chef, rien n'empêche de parler de bons et de mauvais chefs. Un mauvais chef ne peut être un faux chef, c'est-à-dire quelqu'un qui est au-dessus des lois. Un mauvais chef serait plutôt cet être qui, ayant pour fonction d'incarner la loi et de la faire respecter, ne parvient pas à remplir cette fonction (ce qui n'implique pas qu'il viole lui-même la loi, ou utilise la violence pour asseoir son pouvoir). Ou dit autrement, le mauvais chef est celui qui, ayant pour rôle d'assurer le bien commun, n'y parvient pas (même si tel est réellement son but, auquel cas, il sera tout bonnement incompétent).
Pour le moment, Nicolas Sarkozy n'a pas prouvé qu'il parvenait à assurer le bien commun. Preuve en est, comme souligné par Henrique, que les mesures phares prises jusque là sont en faveur d'une minorité, et non de l'ensemble de la population.
Henrique a écrit :Rien dans cette définition n'indique que le chef totalitaire soit nécessairement un effet de l'Etat totalitaire. Et pour cause, un Etat devient totalitaire, le plus souvent sans que la majorité ne s'en aperçoive, parce que la société s'est laissée conduire dans ce sens par un chef totalitaire. Bien sûr, le chef totalitaire lui-même n'est pas causa sui, il n'est possible que comme le produit d'un certain nombre de conditions pré-totalitaires qu'Arendt a essayé de définir mais sur lesquelles on n'a pas à être d'accord a priori. Quoiqu'il en soit, rien ne prouve que même si ces conditions pré-totalitaires sont rassemblées et qu'un chef totalitaire émerge, on aille nécessairement vers un Etat totalitaire : d'autres déterminations socio-politiques peuvent toujours intervenir et contrecarrer cette pente. Pour autant, cela n'empêche pas de dénoncer une tendance totalitaire s'il y a lieu. Pour l'heure, les institutions de la 5ème république demeurent un frein important contre un tel risque, malgré le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Mais toute institution peut être réformée et l'hyperprésidentialisation en cours devrait éveiller le jugement critique.
Henrique a écrit :Pour ma part, j'ai défini le totalitarisme non par ses conséquences (recherche de contrôle total des individus, négation de tout groupement intermédiaire entre les membres de la société et l'Etat (partis, associations, classes...) en les transformant en masses, fusion des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, volonté d'hégémonie mondiale) mais par sa cause prochaine : confusion d'une partie des valeurs d'une société avec la totalité et partant négation de toute partie ou parti n'entrant pas dans le cadre d'une telle mutilation. Dans une dictature classique, les opposants sont identifiés comme tels, de sorte qu'ils sont affirmés tout en étant combattus. C'est avec les progrès de la logistique et des techniques en général au xxème siècle que le totalitarisme devient possible, c'est-à-dire que les multiples outils de contrôle des mentalités permettent quasiment d'empêcher toute opposition dès la racine et ainsi de faire disparaître toute opposition de la scène publique apparente.
Henrique a écrit :En l'occurrence, le fait de se placer au dessus des lois est le propre d'un dictateur mais pas forcément d'un maître.
Pej a écrit :N'étant ni spécialiste de Rousseau, ni spécialiste de Spinoza, je ne me sens pas capable de répondre précisément sur tous les points que tu soulèves. De toute façon, nous discutons en premier lieu sur des définitions, ce qui implique par nature une part d'arbitraire.
Evidemment, puisque je ne cite qu'un extrait, la définition, sortie de son contexte, n'implique pas la nécessité d'un Etat totalitaire. Mais le chef totalitaire n'intéresse pas Arendt en tant que tel. Elle analyse le fonctionnement du système totalitaire et, à l'intérieur de celui-ci, elle en vient notamment à étudier le rôle joué par le chef totalitaire. Et contrairement à ce que tu dis (mais je n'ai pas l'ensemble du texte de Arendt en tête) le chef totalitaire n'a de sens pour Arendt qu'à l'intérieur du système totalitaire. De même que le totalitarisme se distingue de la simple tyrannie ou dictature, le chef totalitaire ce distingue du tyran ou dictateur.
En revanche, et c'est l'objectif de mon propos, on peut retrouver des "aspects" totalitaires aussi bien dans certains formes de gouvernance non totalitaires ou dans le comportement de certains dirigeants politiques (dont Nicolas Sarkozy).
Comme je le disais plus haut, nos désaccords proviennent pour partie de définitions qui divergent. Tu donnes ta propre définition du totalitarisme, différente de celle de Arendt (que je reprends pour ma part telle quelle), ce qui explique ensuite la différence d'analyse.
Henrique a écrit :En l'occurrence, le fait de se placer au dessus des lois est le propre d'un dictateur mais pas forcément d'un maître.
Ce n'est pas ce me semble ce que dit Rousseau, qui définit le maître comme justement celui qui se place au-dessus des lois.
Pour conclure, je trouve que tu es trop radical dans tes conclusions. Tes analysantes sont toujours éclairantes, et très souvent pertinentes, mais comme le soulignait Korto, à être excessif on est contre-productif.
Je prendrai un autre exemple : on lit ou entend des gens qui traitent Nicolas Sarkozy de raciste. Ce à quoi les partisans du président ont beau jeu de répondre par le dédain. Pourtant, le discours prononcé par Sarkozy à Dakar est explicitement un discours raciste (je rejoins Bernard-Henri Lévy sur ce point, une fois n'est pas coutume). Autrement dit, on focalise l'attention sur des attaques outrancières et qui deviennent ridicules, attaques contre lesquelles il est extrêmement facile de se défendre ; et on évite ainsi de répondre sur le fond.
De même, en traitant Nicolas Sarkozy de chef totalitaire, on risque de ne plus pouvoir réfléchir sereinement sur les aspects totalitaires de sa gouvernance.
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