Sescho a écrit :Louisa a écrit :
... l'E1P23 ne dit pas qu'un mode infini de second niveau est possible, il dit que ce mode "existe nécessairement", et cela est même ce qui nous oblige à reconnaître qu'il est éternel.
La démonstration par exemple nous dit que "une manière qui existe nécessairement et comme infinie, a dû suivre de la nature absolue d'un attribut de Dieu; et cela soit immédiatement (là-dessus, prop. 21), soit moyennant une modification qui suit de sa nature absolue, c'est-à-dire (par la prop. précéd.) qui existe nécessairement et comme infinie."
J'avais bien lu la même chose (je peux bien sûr me tromper, mais la probabilité pour que ce soit sur quelque chose d'élémentaire est quand-même assez faible.) Mais il y a le "soit" qui certes est une conséquence logique mais n'implique pas l'existence de fait d'un telle chose. C'est une démonstration purement logique.
dans l'espoir que cela puisse vous rassurer: en règle générale j'ai plutôt tendance à supposer que mes interlocuteurs savent lire. La citation ci-dessus n'était que le début du raisonnement (début qui en principe consiste toujours en des choses bien connues, pour ensuite en déduire une thèse qui relève plus de l'interprétation à proprement parler). Si l'on s'en tient juste à cette phrase-là, sans tenir compte de ce que Spinoza écrit par ailleurs, on peut effectivement très bien se dire que cette phrase n'indique que la possibilité d'un mode éternel et infini médiat, ou comme Enegoid l'a appelé, "de second niveau", pas la nécessité de son existence. Là-dessus il me semble que nous sommes d'accord. Le problème ne commence que par après.
Vous dites que la démonstration en question est "purement logique", ce qui voudrait dire, si j'ai bien compris, que Spinoza n'y fait que développer ce qui suit nécessairement des propositions précédentes, ET que ce qui suit nécessairement d'une proposition, pourtant pourrait ne pas se réaliser effectivement. Si c'est bien cela ce que vous voulez dire, j'avoue que l'idée pour moi est assez surprenante. Le Dieu spinoziste n'est-il pas un Dieu où tout ce qui est logiquement possible, concevable, ne peut pas ne pas se réaliser? A mon sens oui, parce que sinon il y aurait quelque chose dans l'intellect de Dieu qui néanmoins ne pourrait pas se produire, ce qui ferait voler en éclats l'identité entre l'entendement et la volonté de Dieu - car alors il aurait compris la nécessité logique de X, tandis que a volonté aurait refusé de la réaliser effectivement; autrement dit on aurait une essence objective (l'idée du mode infini éternel médiat) à laquelle ne correspondrait aucune essence formelle, ce qui va contre le principe qui dit que tout ce qui suit objectivement de l'entendement divin, suit formellement de la nature infinie de Dieu (voir p.ex. le corollaire de l'E2P7). Ou encore, je cite, "
ce sont les choses dont il y a idée qui s'ensuivent et qui se concluent de leurs attributs de la même manière et avec la même nécessité que les idées s'ensuivent, nous l'avons montré, de l'attribut de la Pensée". Ou encore: "
l'intellect de Dieu et les choses dont il a intellection sont une seule et même chose" (scolie de la même proposition).
Bref, pour l'instant je ne vois pas très bien comment ce qui suit logiquement, donc nécessairement, d'une idée adéquate pourrait néanmoins dans le spinozisme ne pas exister.
Or l'essentiel de l'argument de mon message précédent ne consistait pas en ce que je viens de dire ici. L'essentiel du raisonnement se basait plutôt sur le fait que Spinoza parle d'un mode médiat qui SUIT NECESSAIREMENT du mode immédiat.
Car d'une part nous sommes d'accord pour affirmer l'existence du mode infini immédiat, qui suit nécessairement de la nature de l'attribut de Dieu, mais d'autre part on doit tenir compte du fait que tout ce qui existe, dans le spinozisme, produit nécessairement un effet (E1P36). Le mode immédiat (le mouvement et le repos pour l'étendue) existe, et partant, il DOIT nécessairement produire un effet. Or l'effet d'une modification infinie et éternelle de la nature d'un attribut, démontre Spinoza en E1P22, doit nécessairement avoir les mêmes propriété (infinitude, et existence nécessaire c'est-à-dire éternité). C'est cela qui à mon sens implique que le mode médiat infini existe nécessairement: il est l'effet d'un mode infini éternel, et en cela, dit l'E1P22, doit nécessairement lui aussi avoir l'éternité c'est-à-dire l'existence nécessaire.
Enfin, l'E1P23 n'est pas juste une conséquence logique des P 21 et 22 (sinon il aurait pu se contenter d'un type de démonstration qu'il utilise régulièrement dans ce genre de cas (se limitant à "cette proposition est évidente à partir des P ....)). Elle ajoute une nouvelle info à ce qu'on savait déjà: qu'il n'y ait pas d'AUTRES modes infinis éternels que ceux qui découlent immédiatement ou médiatement de la nature même de l'attribut (ce que j'ai appelé dans mon message précédent un "troisième cas"). La preuve que les modes médiats infinis sont éternels, c'est-à-dire existent nécessairement, ne se trouve donc PAS dans la P23, mais bel et bien déjà dans la P22.
Sescho a écrit :Si maintenant on se réfère à l'usage de E1P23, on trouve :
Spinoza a écrit:
E1P32Dm : ... Que si vous supposez la volonté infinie, elle doit toujours être déterminée à exister et à agir par Dieu, non sans doute par Dieu en tant que substance absolument infinie, mais en tant qu’il a un attribut qui exprime l’essence infinie et éternelle de la pensée (par la Propos. 23). ...
E1App : ... J’ajouterai pourtant quelques mots pour achever de détruire toute cette doctrine des causes finales.
Son premier défaut, c’est de considérer comme cause ce qui est effet, et réciproquement ; en second lieu, ce qui de sa nature possède l’antériorité, elle lui assigne un rang postérieur ; enfin elle abaisse au dernier degré de l’imperfection ce qu’il y a de plus élevé et de plus parfait. En effet, pour ne rien dire des deux premiers points qui sont évidents d’eux-mêmes, il résulte des propositions 21, 22 et 23, que l’effet le plus parfait est celui qui est produit immédiatement par Dieu, et qu’un effet devient de plus en plus imparfait à mesure que sa production suppose un plus grand nombre de causes intermédiaire. ...
Il n'y a pas la moindre trace d'un mode infini de second rang, et la première citation fait clairement référence à l'attribut seulement.
il n'y a pas non plus de trace explicite d'un mode infini "de premier rang". Spinoza ici ne fait que rappeler que les modes dont il parle en l'E1P21,22,23 (à savoir les modes qui suivent immédiatement et médiatement de la nature même de l'attribut) sont toujours plus parfaits que ce qui a besoin de davantage de médiations pour être produite.
Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait se baser sur ce passage pour pouvoir en tirer une démonstration de l'inexistence des modes médiats infinis et éternels.
Sescho a écrit :Louisa a écrit :
En effet, l'E1P22 dit déjà que tout ce qui suit d'un mode immédiat infini, doit "aussi exister nécessairement et comme infini". L'E1P23 ne fait donc rien d'autre que "résumer", si j'ose dire, les propositions 21 et 22 (ou plutôt: elle y ajoute que TOUT mode infini éternel doit ou bien suivre immédiatement ou bien médiatement d'un attribut de Dieu, autrement dit qu'il n'y a pas de troisième cas concevable): ce qui suit immédiatement d'un attribut est déjà un mode, mais conserve les caractères d'infini et d'existence nécessaire (= éternité), dit la P21. Ce qui suit immédiatement de tels modes conserve également les caractères d'infini et d'existence nécessaire ou éternité, dit la P22.
Malheureusement pour toi, l'usage de E1P21 et E1P22 est dans le sens négatif :
juste un petit rappel en passant: comme l'on montré les messages précédents postés sur le forum, je suis plutôt heureuse si quelqu'un réussit à trouver une faille dans mon raisonnement, car cela implique inévitablement que je serai plus dans le vrai qu'avant (tandis que je sais bien que mes raisonnements n'ont pas la perfection absolue, raison pour laquelle je préfère de loin discuter avec ceux qui ne sont pas d'accord avec moi qu'avec ceux qui croient en la même chose - en tout respect pour ceux qui ont une préférence pour des interlocuteurs qui sont "du même bord", bien sûr; et pour déjà anticiper le commentaire éventuel de Vieordinaire: ceci n'est pas une déclaration d'intention, mais simplement une info concernant ce qui m'intéresse, adressée uniquement à ceux qui le trouvent important de parler de ce genre de choses).
Sescho a écrit :Spinoza a écrit:
E1P28Dm : ... une chose finie et qui a une existence déterminée n’a pu être produite par la nature absolue d’un des attributs de Dieu ; car tout ce qui découle de la nature absolue d’un attribut divin est infini et éternel (par la Propos. 21). Par conséquent, cette chose a dû découler de Dieu ou d’un de ses attributs, en tant qu’on les considère comme affectés d’un certain mode, puisque au delà de la substance et de ses modes, il n’y a rien (par l’Axiome 1 et les Déf. 3 et 6), et que les modes (par le Coroll. de la Propos. 25) ne sont que les affections des attributs de Dieu. Or, la chose en question n’a pu découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification éternelle et infinie (par la Propos. 22). Donc elle a dû découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification finie et déterminée dans son existence. ...
serait-il possible d'expliciter comment vous tirez de ceci la conclusion que ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant que celui-ci est affecté d'une modification éternelle et infinie (autrement dit, ce qui suit d'un mode éternel infini immédiat, à savoir un mode infini médiat éternel) n'existerait pas nécessairement? A mon sens Spinoza ici dit simplement que les choses finies ne peuvent suivre ni d'un mode infini immédiat, ni d'un mode infini médiat.
Sescho a écrit :E2P11Dm : ... Ainsi donc, l’idée est le premier fondement de l’être de l’âme humaine. Mais cette idée ne peut être celle d’une chose qui n’existe pas actuellement ; car alors (par le Corollaire de la Propos. 8, partie 2) l’idée elle-même n’existerait pas actuellement. Ce sera donc l’idée d’une chose actuellement existante, mais non pas d’une chose infinie ; car une chose infinie (par la Propos. 21 et la Propos. 23, Schol. 1), doit toujours exister nécessairement ; or ici, cela serait absurde (par l’Axiome 1, part. 2). Donc, le premier fondement de l’être de l’âme humaine, c’est l’idée d’une chose particulière et qui existe en acte. C. Q. F. D.
idem, cette démonstration prouve que l'objet de l'idée qu'est l'âme humaine, ne peut pas être infini. Comment en déduire qu'il n'y aurait pas de mode infini médiat ... ?
Sescho a écrit :On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."
je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par ceci. Serait-il possible de reformuler? Merci.
Sescho a écrit :Louisa a écrit :
... serait-il possible d'expliciter où se trouverait selon vous la difficulté conceptuelle de concevoir un infini composé d'un nombre infini de choses finies?
Il convient selon moi de ne pas confondre un infini dénombrable et l'infinitude. Ce qui est infinitude n'a pas de partie et ne comprend donc pas le fini. Mais ceci n'est sans doute pas bien important, puisque j'admets le "saut quantique" entre Nature naturante et Nature naturée, qui fait de la seconde une manifestation de la première, sans pour autant masquer celle-ci, et qui fait que l'existence - par un double saut avec le Mouvement ou l'Entendement infini intercalé - des modes finis est dissociée de leur essence et n'est donc pas éternelle.
je suis bien d'accord pour dire que pour ce qui nous préoccupe ici, cette question pour l'instant n'est pas très importante. Juste ceci donc: pour autant que je sache, en général, en philosophie, être indivisible ne signife pas ne pas avoir des parties (d'ailleurs on sait que Spinoza répète souvent que l'homme ne peut pas ne pas être une partie de la nature; c'est précisément ce qui fait qu'un jour il doit mourrir; et nous sommes d'accord pour dire qu'il est vrai que tout homme un jour doit mourrir). Etre indivisible signifie que les parties ne se comportent pas les unes par rapport aux autres comme des éléments assemblés, extérieures les unes aux autres; il y a plutôt un lien intrinsèque entre les parties. Mais cela n'abolit pas la différence entre les parties (voir notamment la définition de l'indivisible chez Lalande; retraduit dans le spinozisme: l'essence de la cause demeure différente de l'essence de l'effet). Mais il faudrait certes développer davantage cette idée avant de pouvoir prouver quoi que ce soit à ce sujet.
Je laisse peut-être pour un instant de côté vos autres remarques, afin de pouvoir clarifier chaque point un à un, à moins que vous préfériez que je réponde d'abord à tout?
L.