Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 21 oct. 2008, 02:08

Sescho a écrit :Actuelle" veut dire "en acte", et "en acte" se réfère à l'existence. Une chose a nécessairement une essence, et cette essence est éternelle en Dieu, mais quand on ajoute "actuelle" on entend qu'elle est "incarnée" dans une chose finie existante. Étant une référence à une existence qui n'est pas éternelle, elle ne suppose pas que cette essence se maintienne dans la chose finie au cours du temps. Autrement dit, l'éternité de l'essence par elle-même n'implique en aucune façon que la chose maintienne la même essence au cours du temps ; la preuve la plus nette c'est la naissance et la mort, qui montre de façon indubitable dans le principe que l'essence ne se maintient pas dans une chose finie en acte.


ceci me paraît effectivement être tout à fait logique, ne fût-ce que Spinoza a décidé de donner un nouveau sens au terme "actuel":

E5P29:
"Nous concevons les choses comme actuelles de DEUX manières, selon que nous les concevons SOIT en tant qu'elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, SOIT en tant qu'elles sont contenues en Dieu, et suivent de la nécessité de la nature divine. Et celles qui sont conçues de cette deuxième manière comme vraies, autrement dit réelles, nous les concevons sous l'aspect de l'éternité, et leurs idées enveloppent l'essence éternelle et infinie de Dieu (...)".

A mon avis, on voit bien qu'ici Spinoza dit qu'une chose est dite "actuelle" en deux sens différents:
1. en ce qu'elle existe dans un temps et un lieu (ce qui est le plan de la génération et de la corruption, donc de la naissance et de la mort)
2. en ce qu'elle existe en Dieu et suit nécessairement de la nature divine (ce qui est le plan de l'éternité).

Dire d'une chose qu'elle est actuelle, n'exclut donc clairement PAS son éternité à elle. Ici, l'essence singulière de la chose se maintient bel et bien, seulement on est ici "hors temps", donc il ne s'agit pas d'une persévérance dans la durée. Le plan conceptuel sur lequel la chose a une essence actuelle éternelle est donc un AUTRE plan que celui du temps. La chose actuelle n'est dite mourir que dans le premier sens que Spinoza donne au mot "actuel". Dans le deuxième sens, il y a, comme il le dit dans le scolie E5P38, ni commencement ni fin.

C'est aussi le fait qu'il introduit ce deuxième sens d'être actuel qui rend possible le scolie de l'E5P34:

"Si nous prêtons attention à l'opinion commune des hommes, nous verrons qu'ils sont, certes, conscients de l'éternité de leur Esprit; mais qu'ils la confondent avec la durée, et l'attribuent à l'imagination ou la mémoire, qu'ils croient subsister après la mort."

D'où ma question: est-ce que vous n'êtes pas en train de négliger le deuxième sens de l'actualité spinoziste lorsque vous dites qu'il serait absurde de s'imaginer qu'une chose finie puisse être à la fois actuelle et éternelle? Est-ce que là vous n'êtes pas en train de vous imaginer qu'une chose actuelle éternelle signifierait une subsistance de la mémoire et de l'imagination après la mort, tandis que Spinoza dit que l'actualité éternelle de toute chose ne concerne guère tout ce qui dans la chose finie est périssable ... ?
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Messagepar Enegoid » 21 oct. 2008, 21:36

Sescho a écrit :Autrement dit, l'éternité de l'essence par elle-même n'implique en aucune façon que la chose maintienne la même essence au cours du temps


D'accord (du point de vue logique)
Une essence est éternelle.
Mais une essence qui change cela fait deux essences distinctes et donc deux choses distinctes. Ce qui fait exploser le concept de durée de la chose. Il n’y a plus de choses. C'est votre théorie.
Si on dit que c'est la même essence qui change, et non pas deux essences alors il y a une permanence dans l’essence.
Si deux essences distinctes (ou la même qui change) pouvaient concerner la même chose il faudrait alors se pencher sur l’essence de ce qui dans la chose permet d'utiliser le qualificatif "même".
Donc ou bien il n'y pas de choses du tout, ou bien une chose conserve sa même essence tant qu'elle existe, même en se modifiant.

Il n'y a jamais de permanence absolue
.

Nous sommes d’accord

Je dirais simplement ceci : il faudrait prouver que Spinoza ne parle pas alors des essences de genre (ce qu'il manie de loin le plus souvent, pour les raisons fortes déjà soulignées.)


Comme vous y allez ! Des preuves ? Mais non, ce n’est pas possible dans l’interprétation d’un texte. Des indices et arguments, peut-être.
Pour moi quand Spi parle d’ »un » individu il parle d’un individu particulier. L’individu (Paul) « retient sa nature (essence)". Comment expliquez vous ce « retient sa nature » ?
(Spi parle d’ailleurs, aussi, de « genre d’individus » quand il parle clairement de genre.)

Sur E1P23, je ne vois pas qu'elle implique l'existence d'un mode infini de second niveau,

Désolé, je me suis trompé d’un numéro. Le mode infini médiat est défini en E1 P22 et non P23.
Etendue = attribut de Dieu
P21 = mouvement et repos (mode infini immédiat)
P22 = modification de mouvement et de repos (mode infini médiat) = « facies totus… » que je comprends comme une sorte de structure nécessaire et infinie (l’individu total de la nature). Si elle existe nécessairement elle est éternelle.

Enegoid a écrit:
... (Faites moi le crédit d’admettre que j’ai bien compris qu’un mode ne se conçoit pas «en soi ».)

Oh mais je vous fait ce crédit ; simplement, il ne s'agit pas seulement de considérer les choses comme si elles étaient en soi puis de les rattacher par principe ensuite à Dieu : il s'agit de poser d'abord Dieu sans forme, puis le Mouvement causé par le précédent, puis les choses finies causées par le précédent, la chaîne ontologique bien présente à l'esprit...


Vous me faites le crédit, mais on sent bien la restriction mentale. Il est vrai que je ne vois pas vraiment pourquoi vous insistez tant sur cette chaîne ontologique qui me paraît, à moi, évidente.

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Messagepar sescho » 21 oct. 2008, 21:38

Louisa a écrit :... l'E1P23 ne dit pas qu'un mode infini de second niveau est possible, il dit que ce mode "existe nécessairement", et cela est même ce qui nous oblige à reconnaître qu'il est éternel.

La démonstration par exemple nous dit que "une manière qui existe nécessairement et comme infinie, a dû suivre de la nature absolue d'un attribut de Dieu; et cela soit immédiatement (là-dessus, prop. 21), soit moyennant une modification qui suit de sa nature absolue, c'est-à-dire (par la prop. précéd.) qui existe nécessairement et comme infinie."

J'avais bien lu la même chose (je peux bien sûr me tromper, mais la probabilité pour que ce soit sur quelque chose d'élémentaire est quand-même assez faible.) Mais il y a le "soit" qui certes est une conséquence logique mais n'implique pas l'existence de fait d'un telle chose. C'est une démonstration purement logique. Si maintenant on se réfère à l'usage de E1P23, on trouve :

Spinoza a écrit :E1P32Dm : ... Que si vous supposez la volonté infinie, elle doit toujours être déterminée à exister et à agir par Dieu, non sans doute par Dieu en tant que substance absolument infinie, mais en tant qu’il a un attribut qui exprime l’essence infinie et éternelle de la pensée (par la Propos. 23). ...

E1App : ... J’ajouterai pourtant quelques mots pour achever de détruire toute cette doctrine des causes finales.
Son premier défaut, c’est de considérer comme cause ce qui est effet, et réciproquement ; en second lieu, ce qui de sa nature possède l’antériorité, elle lui assigne un rang postérieur ; enfin elle abaisse au dernier degré de l’imperfection ce qu’il y a de plus élevé et de plus parfait. En effet, pour ne rien dire des deux premiers points qui sont évidents d’eux-mêmes, il résulte des propositions 21, 22 et 23, que l’effet le plus parfait est celui qui est produit immédiatement par Dieu, et qu’un effet devient de plus en plus imparfait à mesure que sa production suppose un plus grand nombre de causes intermédiaire. ...

Il n'y a pas la moindre trace d'un mode infini de second rang, et la première citation fait clairement référence à l'attribut seulement.

Louisa a écrit :En effet, l'E1P22 dit déjà que tout ce qui suit d'un mode immédiat infini, doit "aussi exister nécessairement et comme infini". L'E1P23 ne fait donc rien d'autre que "résumer", si j'ose dire, les propositions 21 et 22 (ou plutôt: elle y ajoute que TOUT mode infini éternel doit ou bien suivre immédiatement ou bien médiatement d'un attribut de Dieu, autrement dit qu'il n'y a pas de troisième cas concevable): ce qui suit immédiatement d'un attribut est déjà un mode, mais conserve les caractères d'infini et d'existence nécessaire (= éternité), dit la P21. Ce qui suit immédiatement de tels modes conserve également les caractères d'infini et d'existence nécessaire ou éternité, dit la P22.

Malheureusement pour toi, l'usage de E1P21 et E1P22 est dans le sens négatif :

Spinoza a écrit :E1P28Dm : ... une chose finie et qui a une existence déterminée n’a pu être produite par la nature absolue d’un des attributs de Dieu ; car tout ce qui découle de la nature absolue d’un attribut divin est infini et éternel (par la Propos. 21). Par conséquent, cette chose a dû découler de Dieu ou d’un de ses attributs, en tant qu’on les considère comme affectés d’un certain mode, puisque au delà de la substance et de ses modes, il n’y a rien (par l’Axiome 1 et les Déf. 3 et 6), et que les modes (par le Coroll. de la Propos. 25) ne sont que les affections des attributs de Dieu. Or, la chose en question n’a pu découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification éternelle et infinie (par la Propos. 22). Donc elle a dû découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification finie et déterminée dans son existence. ...

E2P11Dm : ... Ainsi donc, l’idée est le premier fondement de l’être de l’âme humaine. Mais cette idée ne peut être celle d’une chose qui n’existe pas actuellement ; car alors (par le Corollaire de la Propos. 8, partie 2) l’idée elle-même n’existerait pas actuellement. Ce sera donc l’idée d’une chose actuellement existante, mais non pas d’une chose infinie ; car une chose infinie (par la Propos. 21 et la Propos. 23, Schol. 1), doit toujours exister nécessairement ; or ici, cela serait absurde (par l’Axiome 1, part. 2). Donc, le premier fondement de l’être de l’âme humaine, c’est l’idée d’une chose particulière et qui existe en acte. C. Q. F. D.


On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."

Louisa a écrit :... serait-il possible d'expliciter où se trouverait selon vous la difficulté conceptuelle de concevoir un infini composé d'un nombre infini de choses finies?

Il convient selon moi de ne pas confondre un infini dénombrable et l'infinitude. Ce qui est infinitude n'a pas de partie et ne comprend donc pas le fini. Mais ceci n'est sans doute pas bien important, puisque j'admets le "saut quantique" entre Nature naturante et Nature naturée, qui fait de la seconde une manifestation de la première, sans pour autant masquer celle-ci, et qui fait que l'existence - par un double saut avec le Mouvement ou l'Entendement infini intercalé - des modes finis est dissociée de leur essence et n'est donc pas éternelle.


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Messagepar sescho » 21 oct. 2008, 22:31

Louisa a écrit :... Spinoza a décidé de donner un nouveau sens au terme "actuel" : ...

C'est de l'ordre de l'argutie, pour moi. Les essence étant éternelles Spinoza n'a aucune raison de rajouter "actuelle" pour indiquer l'éternité. S'il se fend de la précision c'est qu'elle introduit un sens particulier. Je ne reproduis pas tous les extraits, mais il est clair comme de l'eau de roche que Spinoza n'ajoute cela que s'agissant d'une chose singulière, c'est-à-dire en acte. Et pour cause : il explique par E3P7 par exemple que l'essence se traduit dans le monde modal interdépendant (s'il n'y avait pas l'interdépendance, il n'aurait pas besoin de le faire) par une TENDANCE à résister à la déformation. Ceci se remarque parfaitement dans :

Spinoza a écrit :E4P4 : Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate.

Démonstration : La puissance par laquelle les choses particulières, et partant l’homme, conservent leur être, c’est la puissance même de Dieu ou de la nature (par le Coroll. de la Propos. 24, part. 2), non pas en tant qu’infinie, mais en tant qu’elle se peut expliquer par l’essence actuelle de l’homme (en vertu de la Propos. 7, part. 3). ... si donc l’homme ne pouvait souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature, et s’il était conséquemment nécessaire (comme on vient de le faire voir) qu’il existât toujours, cela devrait résulter de la puissance infinie de Dieu ; et par suite (en vertu de la Propos. 16, part. 1), de la nécessité de la nature divine, en tant qu’elle est affectée de l’idée d’un certain homme, devrait se déduire l’ordre de toute la nature, en tant qu’elle est conçue sous les attributs de l’étendue et de la pensée ; d’où il s’ensuivrait (par la Propos. 21, part. 2) que l’homme serait infini, ce qui est absurde ...


Louisa a écrit :Dire d'une chose qu'elle est actuelle, n'exclut donc clairement PAS son éternité à elle. ... Dans le deuxième sens, il y a, comme il le dit dans le scolie E5P38, ni commencement ni fin.

Les essence sont éternelles, je l'ai dit cent fois. C'est là qu'est l'éternité. Elle n'est pas liée à l'existence des choses singulières, qui est totalement découplée de leur essence, quoiqu'elles en incarnent nécessairement une à chaque instant. Il n'y a donc aucun lien entre l'existence d'une chose et son essence. Toutefois, lorsque l'homme fait quelque chose qui se comprend par sa seule essence - l'entendement bien conduit par le raisonnement, par lequel il réalise adéquatement une part de l'essence de Dieu - il atteint l'éternité. Mais dans ce cas il n'y a plus de chose singulière dans sa singularité, et ceci est (potentiellement) commun à tous les hommes : l'homme est comme sorti de la singularité pour entrer, dans son existence même, dans l'essence de Dieu éternel et universel. Les propositions de E5 que tu cites n'ont trait qu'à cette part.

Louisa a écrit :... est-ce que vous n'êtes pas en train de négliger le deuxième sens de l'actualité spinoziste lorsque vous dites qu'il serait absurde de s'imaginer qu'une chose finie puisse être à la fois actuelle et éternelle? Est-ce que là vous n'êtes pas en train de vous imaginer qu'une chose actuelle éternelle signifierait une subsistance de la mémoire et de l'imagination après la mort, tandis que Spinoza dit que l'actualité éternelle de toute chose ne concerne guère tout ce qui dans la chose finie est périssable ... ?

Je ne dis pas qu'il est absurde de dire que l'essence d'une chose singulière est éternelle, je dis le contraire. Je n'ai rien dit de cette salade sur la mémoire et la mort, sauf que le "Moi" au sens vulgaire est basé sur la mémoire et que c'est précisément ce qui ne subsiste pas après la mort.

Je dis qu'une chose singulière n'incarne pas exactement la même essence au cours de son existence. Et ce d'une part parce qu'essence et existence sont découplées, d'autre part parce qu'une chose singulière (finie en acte, donc) est obligatoirement dans l'interdépendance. Ceci est donc vrai en principe général, la naissance et la mort étant les faits les plus marquants. Que si on parle de l'essence de genre, alors j'admets - c'est en fait implicitement contenu dans la considération même du genre - qu'elle garde cette part d'essence au cours de son existence. Mais déjà, elle n'est de toute évidence plus dans ce cadre à proprement parler "personnelle" et reste en particulier valable pour les hommes à venir.

Reste alors le point de savoir quand cette essence se manifeste de façon adéquate (comme cause adéquate de ses effets) à son incarnation. Spinoza a passé sa vie à l'expliquer : voir les choses non en soi mais en Dieu, user du raisonnement pour enchaîner à partir des notions communes - axiomes et concepts primitifs - les idées adéquates du deuxième genre, les sublimer en vision intuitive de la même chose dans la réalité : le troisième genre, le tout ne constituant l'essence d'aucune chose singulière (c'est le cas d'une essence de genre aussi.) C'est ainsi que l'existence modale dans le temps, l'espace et la multiplicité atteint ce qui la transverse et est éternel : sa part d'essence accessible et se comprenant par elle-même ; l'essence même de Dieu, en partie. C'est là qu'est le vrai "Moi" : universel, non séparé de la Nature et des autres hommes.


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Messagepar hokousai » 22 oct. 2008, 00:16

à Serge


""
Il n'y a donc aucun lien entre l'existence d'une chose et son essence. » ""


Peut- être ,mais dans ce cas ne pas dire avant :« « quoiqu'elles en incarnent nécessairement une à chaque instant. » »

Spinoza parle d’ essence et d’existence et il les distingue parce que il ne pouvait faire autrement , tout le monde le faisait depuis Platon et Aristote C’était l’essence (ce qu’est la chose telle que sa définition en parle ) distinguée de la chose existante , Spinoza insiste sur l’aspect définitionnel de l’essence
Spinoza essaie d’évacuer les essences de l’existence , il écrit (des choses ) » leur essence ne peut être la cause de leur existence » corr prop 24/1


Si L’essence c’ est ce qu’est la chose
Remplaçons le mot essence par ce qu est le texte de la démonrtr prop 16/1 devient

Cette proposition doit être évidente pour quiconque voudra seulement remarquer que de la définition d'une chose quelconque, l'entendement conclut un certain nombre de propriétés qui en découlent nécessairement, c'est-à-dire qui résultent de ce qu’ est en elle même la chose ; et ces propriétés d'autant plus nombreuses que ce qu’est la chose enveloppe plus de réalité
Je suis obligé de lire ainsi parce que je ne comprends pas autrement le mot essence .

S’il faut parler de l’existence des essences alors on retourne à Platon . Ce qui me parait insensé est de proclamer que l’essence d’un stylo bille est éternelle,( insensé car pour moi ça n’a pas de sens , pas de signification )

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Messagepar Louisa » 22 oct. 2008, 01:34

Sescho a écrit :
Louisa a écrit :
... l'E1P23 ne dit pas qu'un mode infini de second niveau est possible, il dit que ce mode "existe nécessairement", et cela est même ce qui nous oblige à reconnaître qu'il est éternel.

La démonstration par exemple nous dit que "une manière qui existe nécessairement et comme infinie, a dû suivre de la nature absolue d'un attribut de Dieu; et cela soit immédiatement (là-dessus, prop. 21), soit moyennant une modification qui suit de sa nature absolue, c'est-à-dire (par la prop. précéd.) qui existe nécessairement et comme infinie."


J'avais bien lu la même chose (je peux bien sûr me tromper, mais la probabilité pour que ce soit sur quelque chose d'élémentaire est quand-même assez faible.) Mais il y a le "soit" qui certes est une conséquence logique mais n'implique pas l'existence de fait d'un telle chose. C'est une démonstration purement logique.


dans l'espoir que cela puisse vous rassurer: en règle générale j'ai plutôt tendance à supposer que mes interlocuteurs savent lire. La citation ci-dessus n'était que le début du raisonnement (début qui en principe consiste toujours en des choses bien connues, pour ensuite en déduire une thèse qui relève plus de l'interprétation à proprement parler). Si l'on s'en tient juste à cette phrase-là, sans tenir compte de ce que Spinoza écrit par ailleurs, on peut effectivement très bien se dire que cette phrase n'indique que la possibilité d'un mode éternel et infini médiat, ou comme Enegoid l'a appelé, "de second niveau", pas la nécessité de son existence. Là-dessus il me semble que nous sommes d'accord. Le problème ne commence que par après.

Vous dites que la démonstration en question est "purement logique", ce qui voudrait dire, si j'ai bien compris, que Spinoza n'y fait que développer ce qui suit nécessairement des propositions précédentes, ET que ce qui suit nécessairement d'une proposition, pourtant pourrait ne pas se réaliser effectivement. Si c'est bien cela ce que vous voulez dire, j'avoue que l'idée pour moi est assez surprenante. Le Dieu spinoziste n'est-il pas un Dieu où tout ce qui est logiquement possible, concevable, ne peut pas ne pas se réaliser? A mon sens oui, parce que sinon il y aurait quelque chose dans l'intellect de Dieu qui néanmoins ne pourrait pas se produire, ce qui ferait voler en éclats l'identité entre l'entendement et la volonté de Dieu - car alors il aurait compris la nécessité logique de X, tandis que a volonté aurait refusé de la réaliser effectivement; autrement dit on aurait une essence objective (l'idée du mode infini éternel médiat) à laquelle ne correspondrait aucune essence formelle, ce qui va contre le principe qui dit que tout ce qui suit objectivement de l'entendement divin, suit formellement de la nature infinie de Dieu (voir p.ex. le corollaire de l'E2P7). Ou encore, je cite, "ce sont les choses dont il y a idée qui s'ensuivent et qui se concluent de leurs attributs de la même manière et avec la même nécessité que les idées s'ensuivent, nous l'avons montré, de l'attribut de la Pensée". Ou encore: "l'intellect de Dieu et les choses dont il a intellection sont une seule et même chose" (scolie de la même proposition).
Bref, pour l'instant je ne vois pas très bien comment ce qui suit logiquement, donc nécessairement, d'une idée adéquate pourrait néanmoins dans le spinozisme ne pas exister.

Or l'essentiel de l'argument de mon message précédent ne consistait pas en ce que je viens de dire ici. L'essentiel du raisonnement se basait plutôt sur le fait que Spinoza parle d'un mode médiat qui SUIT NECESSAIREMENT du mode immédiat.

Car d'une part nous sommes d'accord pour affirmer l'existence du mode infini immédiat, qui suit nécessairement de la nature de l'attribut de Dieu, mais d'autre part on doit tenir compte du fait que tout ce qui existe, dans le spinozisme, produit nécessairement un effet (E1P36). Le mode immédiat (le mouvement et le repos pour l'étendue) existe, et partant, il DOIT nécessairement produire un effet. Or l'effet d'une modification infinie et éternelle de la nature d'un attribut, démontre Spinoza en E1P22, doit nécessairement avoir les mêmes propriété (infinitude, et existence nécessaire c'est-à-dire éternité). C'est cela qui à mon sens implique que le mode médiat infini existe nécessairement: il est l'effet d'un mode infini éternel, et en cela, dit l'E1P22, doit nécessairement lui aussi avoir l'éternité c'est-à-dire l'existence nécessaire.

Enfin, l'E1P23 n'est pas juste une conséquence logique des P 21 et 22 (sinon il aurait pu se contenter d'un type de démonstration qu'il utilise régulièrement dans ce genre de cas (se limitant à "cette proposition est évidente à partir des P ....)). Elle ajoute une nouvelle info à ce qu'on savait déjà: qu'il n'y ait pas d'AUTRES modes infinis éternels que ceux qui découlent immédiatement ou médiatement de la nature même de l'attribut (ce que j'ai appelé dans mon message précédent un "troisième cas"). La preuve que les modes médiats infinis sont éternels, c'est-à-dire existent nécessairement, ne se trouve donc PAS dans la P23, mais bel et bien déjà dans la P22.

Sescho a écrit :Si maintenant on se réfère à l'usage de E1P23, on trouve :

Spinoza a écrit:
E1P32Dm : ... Que si vous supposez la volonté infinie, elle doit toujours être déterminée à exister et à agir par Dieu, non sans doute par Dieu en tant que substance absolument infinie, mais en tant qu’il a un attribut qui exprime l’essence infinie et éternelle de la pensée (par la Propos. 23). ...

E1App : ... J’ajouterai pourtant quelques mots pour achever de détruire toute cette doctrine des causes finales.
Son premier défaut, c’est de considérer comme cause ce qui est effet, et réciproquement ; en second lieu, ce qui de sa nature possède l’antériorité, elle lui assigne un rang postérieur ; enfin elle abaisse au dernier degré de l’imperfection ce qu’il y a de plus élevé et de plus parfait. En effet, pour ne rien dire des deux premiers points qui sont évidents d’eux-mêmes, il résulte des propositions 21, 22 et 23, que l’effet le plus parfait est celui qui est produit immédiatement par Dieu, et qu’un effet devient de plus en plus imparfait à mesure que sa production suppose un plus grand nombre de causes intermédiaire. ...

Il n'y a pas la moindre trace d'un mode infini de second rang, et la première citation fait clairement référence à l'attribut seulement.


il n'y a pas non plus de trace explicite d'un mode infini "de premier rang". Spinoza ici ne fait que rappeler que les modes dont il parle en l'E1P21,22,23 (à savoir les modes qui suivent immédiatement et médiatement de la nature même de l'attribut) sont toujours plus parfaits que ce qui a besoin de davantage de médiations pour être produite.

Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait se baser sur ce passage pour pouvoir en tirer une démonstration de l'inexistence des modes médiats infinis et éternels.

Sescho a écrit :
Louisa a écrit :
En effet, l'E1P22 dit déjà que tout ce qui suit d'un mode immédiat infini, doit "aussi exister nécessairement et comme infini". L'E1P23 ne fait donc rien d'autre que "résumer", si j'ose dire, les propositions 21 et 22 (ou plutôt: elle y ajoute que TOUT mode infini éternel doit ou bien suivre immédiatement ou bien médiatement d'un attribut de Dieu, autrement dit qu'il n'y a pas de troisième cas concevable): ce qui suit immédiatement d'un attribut est déjà un mode, mais conserve les caractères d'infini et d'existence nécessaire (= éternité), dit la P21. Ce qui suit immédiatement de tels modes conserve également les caractères d'infini et d'existence nécessaire ou éternité, dit la P22.


Malheureusement pour toi, l'usage de E1P21 et E1P22 est dans le sens négatif :


juste un petit rappel en passant: comme l'on montré les messages précédents postés sur le forum, je suis plutôt heureuse si quelqu'un réussit à trouver une faille dans mon raisonnement, car cela implique inévitablement que je serai plus dans le vrai qu'avant (tandis que je sais bien que mes raisonnements n'ont pas la perfection absolue, raison pour laquelle je préfère de loin discuter avec ceux qui ne sont pas d'accord avec moi qu'avec ceux qui croient en la même chose - en tout respect pour ceux qui ont une préférence pour des interlocuteurs qui sont "du même bord", bien sûr; et pour déjà anticiper le commentaire éventuel de Vieordinaire: ceci n'est pas une déclaration d'intention, mais simplement une info concernant ce qui m'intéresse, adressée uniquement à ceux qui le trouvent important de parler de ce genre de choses).

Sescho a écrit :Spinoza a écrit:
E1P28Dm : ... une chose finie et qui a une existence déterminée n’a pu être produite par la nature absolue d’un des attributs de Dieu ; car tout ce qui découle de la nature absolue d’un attribut divin est infini et éternel (par la Propos. 21). Par conséquent, cette chose a dû découler de Dieu ou d’un de ses attributs, en tant qu’on les considère comme affectés d’un certain mode, puisque au delà de la substance et de ses modes, il n’y a rien (par l’Axiome 1 et les Déf. 3 et 6), et que les modes (par le Coroll. de la Propos. 25) ne sont que les affections des attributs de Dieu. Or, la chose en question n’a pu découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification éternelle et infinie (par la Propos. 22). Donc elle a dû découler de Dieu ou d’un attribut de Dieu, en tant qu’affectés d’une modification finie et déterminée dans son existence. ...


serait-il possible d'expliciter comment vous tirez de ceci la conclusion que ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant que celui-ci est affecté d'une modification éternelle et infinie (autrement dit, ce qui suit d'un mode éternel infini immédiat, à savoir un mode infini médiat éternel) n'existerait pas nécessairement? A mon sens Spinoza ici dit simplement que les choses finies ne peuvent suivre ni d'un mode infini immédiat, ni d'un mode infini médiat.

Sescho a écrit :E2P11Dm : ... Ainsi donc, l’idée est le premier fondement de l’être de l’âme humaine. Mais cette idée ne peut être celle d’une chose qui n’existe pas actuellement ; car alors (par le Corollaire de la Propos. 8, partie 2) l’idée elle-même n’existerait pas actuellement. Ce sera donc l’idée d’une chose actuellement existante, mais non pas d’une chose infinie ; car une chose infinie (par la Propos. 21 et la Propos. 23, Schol. 1), doit toujours exister nécessairement ; or ici, cela serait absurde (par l’Axiome 1, part. 2). Donc, le premier fondement de l’être de l’âme humaine, c’est l’idée d’une chose particulière et qui existe en acte. C. Q. F. D.


idem, cette démonstration prouve que l'objet de l'idée qu'est l'âme humaine, ne peut pas être infini. Comment en déduire qu'il n'y aurait pas de mode infini médiat ... ?

Sescho a écrit :On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."


je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par ceci. Serait-il possible de reformuler? Merci.

Sescho a écrit :
Louisa a écrit :
... serait-il possible d'expliciter où se trouverait selon vous la difficulté conceptuelle de concevoir un infini composé d'un nombre infini de choses finies?


Il convient selon moi de ne pas confondre un infini dénombrable et l'infinitude. Ce qui est infinitude n'a pas de partie et ne comprend donc pas le fini. Mais ceci n'est sans doute pas bien important, puisque j'admets le "saut quantique" entre Nature naturante et Nature naturée, qui fait de la seconde une manifestation de la première, sans pour autant masquer celle-ci, et qui fait que l'existence - par un double saut avec le Mouvement ou l'Entendement infini intercalé - des modes finis est dissociée de leur essence et n'est donc pas éternelle.


je suis bien d'accord pour dire que pour ce qui nous préoccupe ici, cette question pour l'instant n'est pas très importante. Juste ceci donc: pour autant que je sache, en général, en philosophie, être indivisible ne signife pas ne pas avoir des parties (d'ailleurs on sait que Spinoza répète souvent que l'homme ne peut pas ne pas être une partie de la nature; c'est précisément ce qui fait qu'un jour il doit mourrir; et nous sommes d'accord pour dire qu'il est vrai que tout homme un jour doit mourrir). Etre indivisible signifie que les parties ne se comportent pas les unes par rapport aux autres comme des éléments assemblés, extérieures les unes aux autres; il y a plutôt un lien intrinsèque entre les parties. Mais cela n'abolit pas la différence entre les parties (voir notamment la définition de l'indivisible chez Lalande; retraduit dans le spinozisme: l'essence de la cause demeure différente de l'essence de l'effet). Mais il faudrait certes développer davantage cette idée avant de pouvoir prouver quoi que ce soit à ce sujet.
Je laisse peut-être pour un instant de côté vos autres remarques, afin de pouvoir clarifier chaque point un à un, à moins que vous préfériez que je réponde d'abord à tout?
L.

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Messagepar hokousai » 22 oct. 2008, 15:05

à Louisa


Le Dieu spinoziste n'est-il pas un Dieu où tout ce qui est logiquement possible, concevable, ne peut pas ne pas se réaliser? A mon sens oui, parce que sinon il y aurait quelque chose dans l'intellect de Dieu qui néanmoins ne pourrait pas se produire,


il y a un très grand nombre de choses logiquement possibles et concevables mais qui ne se réalisent pas .
Ce qui se réalise ne dépend pas uniquement de la logique possible et du concevable , après tout il était logique et concevable voire possible dans certaines conditions que Napoléon gagne à Waterloo .En Dieu il devait bien y avoir au moins la stratégie optimiste de Napoléon .

Sinon jusqu où va-t-on pousser la configuration des chose telles que Napoléon a perdu .On va l’ étendre à l’infini des causes et on aura pas une idée adéquate particulière .

Mais où commence donc l’idée adéquate de la bataille de Waterloo ?
C’est bien beau de parler d’idées adéquates en Dieu si on n’est pas capable d’en comprendre les bornes ( sans bornes pas d’ idées particulières de stratégie ou d évènement ) et si c’est en l’ homme autant avouer que les idées adéquates ne sont pas légions .

Si vous voulez dire que ne se réalise que ce qui est réalisable c’est un truisme sans grand intérêt , à mon avis .

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Messagepar sescho » 22 oct. 2008, 23:24

Enegoid a écrit :Mais une essence qui change cela fait deux essences distinctes et donc deux choses distinctes.

Cela dépend de ce qu'on appelle "chose"... Une chose passée n'est plus et dans l'instant une chose a bien une essence.

Enegoid a écrit :Ce qui fait exploser le concept de durée de la chose. Il n’y a plus de choses. C'est votre théorie.

Cela dépend. Il y a des choses, mais qui ne peuvent, du fait de l'interdépendance, maintenir absolument la même essence, bien qu'elles y tendent. Ceci permet de bien concevoir l'existence des choses en principe général : dans l'interdépendance et donc dans l'impermanence. Maintenant, elles parviennent quand-même souvent à incarner pour l'essentiel la même essence durant un temps notable (mais pas infini, clairement : le principe reste ; et un homme blessé à mort est encore un homme, mais pas pour longtemps) ; dans ce cas nous passons à l'essence de genre, qui permet par sa généralité de comprendre quelque chose ; ceci n'a cependant alors vraiment que très peu à voir avec une déification des choses singulières (en acte, dans la durée donc) en tant que singulières...

Mais nous pouvons admettre dans la discussion que nous parlons des essences de genre, ce que Spinoza fait lui-même de manière très générale (encore une fois à raison : il n'y a que cela que la Raison peut appréhender ; c'est ce que toute science, y compris psychologique, fait, par delà les circonstances propres à chacun), comme le montre par exemple tous les exemples où il parle d'Homme, de Cheval, d'Insectes, etc., ou quand il dit "la nature humaine" (prise dans toute sa généralité.)

En fait, je pense que Spinoza ne parle quasiment QUE des essences de genre (et pour cause, encore une fois.)

Mais ceci ne remet pas en cause le principe général du découplage entre l'essence et l'existence chez les choses singulières.

Enegoid a écrit :Si on dit que c'est la même essence qui change, et non pas deux essences alors il y a une permanence dans l’essence.

Non l'essence ne change pas, c'est l'incarnation qui passe d'une essence à une autre. En fait, c'est un phénomène qui se déplace dans le champ des essences.

Enegoid a écrit :... Pour moi quand Spi parle d’ »un » individu il parle d’un individu particulier. L’individu (Paul) « retient sa nature (essence)". Comment expliquez vous ce « retient sa nature » ?
(Spi parle d’ailleurs, aussi, de « genre d’individus » quand il parle clairement de genre.)

Cette dernière affirmation me semble peu consolidée, ou floue au choix. Ce sont deux choses différentes dans la conception.

Spinoza a écrit :E4Pré : ... la perfection et l’imperfection ne sont véritablement que des façons de penser, des notions que nous sommes accoutumés à nous faire en comparant les uns aux autres les individus d’une même espèce ou d’un même genre, et c’est pour cela que j’ai dit plus haut (Déf. 6, part. 2) que réalités et perfection étaient pour moi la même chose. Nous sommes habitués en effet à rapporter tous les individus de la nature à un seul genre, auquel on donne le nom de généralissime, savoir, la notion de l’être qui embrasse d’une manière absolue tous les individus de la nature. Quand donc nous rapportons les individus de la nature à ce genre unique, et qu’en les comparant les uns aux autres nous reconnaissons que ceux-ci ont plus d’entité ou de réalité que ceux-là, nous disons qu’ils ont plus de perfection ; et quand nous attribuons à certains individus quelque chose qui implique une négation, comme une limite, un terme, une certaine impuissance, etc., nous les appelons imparfaits, par cette seule raison qu’ils n’affectent pas notre âme de la même manière que ceux que nous nommons parfaits ; et ce n’est point à dire pour cela qu’il leur manque quelque chose qui soit compris dans leur nature, ou que la nature ait manqué son ouvrage. ...

Rappelons que Spinoza parle lui-même de plus ou moins grande perfection (ce que certains ne comprennent pas bien, faisant référence à l'autre face de la même chose : par réalité et perfection j'entends la même chose, etc.)

Pour le premier point, non je ne vois pas que Spinoza parle d'un individu particulier en tant que particulier. Certes un individu isolé est bien entendu par-là à la base, mais ceci n'empêche nullement de parler de l'essence de ce genre d'individu, entendant par-là ce qui constitue l'essentiel de l'essence de tous les individus du même genre. Ce qu'on ne voit pas et qui est pourtant comme le nez au milieu de la figure, c'est que Spinoza parle d'un individu EN GENERAL (et pour cause, toujours : on ne PEUT PAS définir et raisonner sur un individu particulier en tant que particulier...)

Un individu est un ensemble très composé dont les parties se maintiennent dans un certain rapport, l'essence étant majoritairement conservée tant que ce rapport se conserve. C'est juste pour expliquer que l'essence humaine ne se volatilise pas parce qu'un homme est obligé d'absorber et d'excréter (bien qu'il échange par-là des corps pour d'autres ; marque s'il en est de l'interdépendance, en passant), ou quand il se déplace, ou dans plein d'autres circonstances. Mais j'ai bien dit : de l'essence humaine : il s'agit de l'essence de genre.

Je retiens cette question qui m'intéresse du « facies totus universi » pour plus tard (après avoir vu si on sort quelque chose d'intéressant de la discussion avec Louisa.)

Vous me faites le crédit, mais on sent bien la restriction mentale. Il est vrai que je ne vois pas vraiment pourquoi vous insistez tant sur cette chaîne ontologique qui me paraît, à moi, évidente.

Ce n'est pas une restriction à proprement parler, mais plutôt une question. Si l'idée est de considérer d'emblée les choses singulières comme étant en soi, puis d'ajouter : et évidemment en Dieu, ceci passe largement à côté de la chose. Spinoza dit pour le troisième genre : "va de l’idée adéquate d’un certain nombre d’attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses", et ceci dans un seul mouvement intuitif (et qui va de Dieu vers les choses, pas l'inverse.) Cela veut dire qu'aucune chose n'est vue, à quelque instant que ce soit, sans être rapportée à Dieu comme cause, et cause de tout, et toujours présent dans l'esprit puisqu'il est les dimensions de l'existence même. Et en outre, un corps, par exemple, est causé intermédiairement par le Mouvement, qui fait partie de la courte chaîne ontologique en question. Si l'on a vraiment cette idée - que les choses naissent du Mouvement - comment peut-on dire en même temps qu'une chose singulière conserve son essence ??? Le Mouvement c'est l'impermanence et l'interdépendance (le néant de l'étendue n'existant pas) non ? Ou quoi ?

Pour l'essence de genre actuelle cela reste vrai, mais offre quand-même suffisamment de prise pour autoriser la connaissance. Mais elle est valable pour tous les hommes, passés, actuels, futurs ; le Moi strictement individuel vu clairement et distinctement (encore une fois, je ne parle pas du complexe imaginaire universellement répandu parmi les hommes) a disparu dans l'affaire, et les hommes, en tant qu'ils sont rattachés à ce genre (le genre Homme) ont la MËME essence.

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Messagepar sescho » 24 oct. 2008, 19:50

hokousai a écrit :S’il faut parler de l’existence des essences alors on retourne à Platon . Ce qui me parait insensé est de proclamer que l’essence d’un stylo bille est éternelle,( insensé car pour moi ça n’a pas de sens , pas de signification )

Mais Spinoza le dit en plusieurs endroits (et il est effectivement proche de Platon, les Idées ou Formes étant précisément les essences, ou formes, ou natures), comme il est aisé de le constater ici.

L'essence d'un stylo à bille est éternelle comme toutes les autres, car elle appartient à l'essence de Dieu en tant que modifié. C'est ce que l'on ne peut pas comprendre si on confond l'essence avec l'existence, précisément. La chose existe et incarne une certaine essence à un instant donné, mais elle n'existe pas parce qu'elle a une essence : elle existe et incarne nécessairement une essence, les deux étant découplés logiquement. Pour prendre un exemple, supposons que je dispose d'un anneau souple que je forme comme je veux. J'en fais un cercle, puis je le reprends et j'en fais un triangle. Il a toujours une forme à un instant donné - donc une essence - et pourtant l'essence qu'il incarne change. Autre exemple : si je peins ma voiture initialement rouge en bleu ; elle a nécessairement une couleur, mais pour autant ce n'est pas la même au cours du temps. Pourtant le bleu et le rouge sont éternels (c'est une métaphore.)

Dire qu'une chose singulière inscrite dans le temps garde la même essence parce que son essence est éternelle est corrélativement faire un grossier contresens.

Il est aisé, me semble-t-il, de comprendre en quoi les essences sont éternelles, car c'est équivalent de dire que tout se fait en vertu des lois de la Nature. Dire que tout se fait en vertu des lois du Mouvement, ou dire que tout ce que peut produire le Mouvement appartient - comme effet - à l'essence du Mouvement, c'est pareil. Autrement dit, penser par les lois du Mouvement ou penser par ses effets, cela revient à la même chose.

La difficulté qui reste c'est qu'on ne peut voir l'étendue en tant que modifiée que telle qu'elle est (étendue) dans ses manifestations en l'instant. L'existence en puissance semble être acceptable dans la Pensée, mais nettement moins dans l'Etendue, qui par définition est ce qui est de fait étendu. Ceci se perçoit dans l'extrait suivant :

Spinoza a écrit :CT2App1 : IVDém. – La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...

C'est pourquoi on semble parfois distinguer une dissymétrie entre la Pensée et l'Etendue chez Spinoza. Mais ceci est équivalent à poser que le Temps (la distinction entre l'avant et l'après, pas la métrologie de la durée) est une perception de mode à laquelle la Nature n'est pas soumise elle-même, ou encore que le Mouvement est dans la Nature mais que la Nature ne change pas, ce qui échappe à la Logique de l'esprit humain, quoique néanmoins acceptable à l'Entendement, comme "saut quantique."


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Messagepar Ulis » 24 oct. 2008, 21:04

Sescho dit
Pour prendre un exemple, supposons que je dispose d'un anneau souple que je forme comme je veux. J'en fais un cercle, puis je le reprends et j'en fais un triangle. Il a toujours une forme à un instant donné - donc une essence - et pourtant l'essence qu'il incarne change.

Je lis par hasard ce texte et je me demande si vous parlez toujours du spinozisme , car assimiler l'essence d'une chose à sa forme me stupéfie !
En effet, comme chaque mode de l'étendue (tel vous et moi) change perpétuellement de forme, il aurait une infinité d'essences, ce qui est absurde ! L'essence d'une chose n'est pas ce qu'elle incarne mais ce qu'elle est.
Mais n'ayant pas suivi votre dialogue, je n'ai sans doute pas tout capté.
ulis


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